III. LA PEINE DE SUIVI SOCIO-JUDICIAIRE CRÉÉE PAR LE PROJET DE LOI

Outre diverses dispositions tendant à une protection accrue des mineurs contre la pornographie ainsi qu'à une meilleure protection des victimes, notamment dans le domaine de la procédure pénale, et à la création d'un fichier des empreintes génétiques des auteurs d'infraction, ce projet de loi institue une nouvelle peine dans le code pénal destinée aux criminels et délinquants sexuels, appelée peine de suivi socio-judiciaire, qui a pour objet essentiel de réduire les risques de récidive liés à cette forme de délinquance.

Les caractéristiques de la peine de suivi socio-judiciaire

Il convient tout d'abord de souligner que la peine de suivi socio-judiciaire viendra en complément de la peine principale de prison encourue par l'auteur de l'agression ou de l'atteinte sexuelle. S'agissant des délits sexuels pour lesquels les sanctions sont moins lourdes, l'Assemblée nationale a néanmoins prévu que la peine de suivi socio-judiciaire puisse être infligée comme mesure principale. Il ne s'agit pas d'instituer ou de substituer une peine à une autre mais plutôt de renforcer l'arsenal des peines à la disposition des juges.

La nouvelle peine consiste dans l'obligation pour le condamné de se soumettre, sous le contrôle du juge de l'application des peines ou du comité de probation, à des mesures de surveillance et d'assistance destinées à prévenir la récidive.

La durée du suivi socio-judiciaire sera fixée par la juridiction de jugement : la durée maximale du suivi est de dix ans en cas de condamnation pour crime et de cinq ans si la mesure est prononcée à l'appui d'une condamnation pour un délit.

Les mesures de surveillance applicables à la personne condamnée au suivi socio-judiciaire sont les suivantes :

- s'abstenir de paraître en certaines catégories de lieux et, en particulier, les lieux accueillant habituellement des mineurs ;

- s'abstenir de fréquenter certaines personnes ou certaines catégories de personnes et notamment des mineurs, à l'exception de ceux qui auront été, le cas échéant, désignés par la juridiction ;

- ne pas exercer d'activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs.

Le suivi socio-judiciaire peut également comprendre une injonction de soins thérapeutiques.

Deux conditions sont posées dans le code pénal à cette injonction de soins :

- l'injonction ne peut être ordonnée qu'après une expertise médicale établissant que le délinquant sexuel peut faire l'objet d'un traitement. Cette disposition permet notamment de prendre en compte l'hypothèse d'une contre-indication médicale.

- le traitement ne peut être imposé sans le consentement préalable du condamné : le projet de loi dispose à cet égard que le président du tribunal avertit le condamné qu'aucun traitement ne pourra être entrepris sans son consentement mais que, s'il refuse les soins, l'emprisonnement prononcé pour non-respect des obligations sera mis à exécution.

En effet, le projet de loi prévoit que la décision de condamnation à un suivi socio-judiciaire fixe également la durée maximum de l'emprisonnement encouru par le délinquant sexuel " en cas d'inobservation des obligations qui lui sont imposées ".

Le refus d'accepter de se soumettre à un traitement médical est donc assimilé à une inobservation des règles précitées et il est directement passible d'une peine de prison supplémentaire, infligée en plus de la peine principale, et pouvant atteindre cinq ans.

L'incitation à se soigner qui pèse sur le condamné est donc très forte. Ceci conduit à relativiser le débat qui a porté sur la différence essentielle entre les deux textes déposés respectivement par M. Jacques Toubon et Mme Elisabeth Guigou.

Le texte déposé en janvier 1997 prévoyait en effet pour le condamné une " obligation " de se soumettre à des mesures de surveillance et d'assistance comportant notamment une injonction de soins.

Le fait que le nouveau texte ait substitué " l'injonction de soins " à " l'obligation de soins " ne doit pas conduire à sous-estimer la nature de la peine carcérale qui pèse sur le condamné en cas de refus de respecter ses obligations et qui est applicable dans les deux dispositifs.

La force de la sanction encourue conduit d'ailleurs à se poser un problème sémantique : en médecine, le consentement est en principe " libre et éclairé ". En l'espèce, on peut se demander si le choix du condamné est réellement libre et l'expression " accord du condamné " serait vraisemblablement plus pertinente que les termes " consentement du condamné ".

La mise en oeuvre de l'aspect médical de la peine de suivi socio-judiciaire

Le dispositif proposé s'efforce de préserver, dans le respect des limites qui s'imposent dans un cadre judiciaire, les principes de base qui doivent s'instaurer dans une relation entre le malade et son médecin : libre-choix du médecin par le malade ; liberté du médecin en matière de choix thérapeutique, respect du secret professionnel du médecin.

Cet équilibre est rendu possible grâce à la séparation fonctionnelle entre le médecin coordonnateur et le médecin traitant .

Le médecin traitant , en relation directe et régulière avec le patient condamné, prescrit le traitement, en définit la nature et la périodicité et procède aux éventuelles modifications rendues nécessaires par l'évolution de l'état du sujet.

Le médecin coordonnateur a vocation à assurer les relations avec l'institution judiciaire assurant ainsi un " écran " entre le médecin traitant et le juge de l'application des peines afin de garantir l'autonomie des choix thérapeutiques du praticien traitant. Compte tenu de son expérience, le médecin coordonnateur pourra jouer un rôle de référent, de soutien et de conseil auprès du médecin traitant. Enfin, le médecin coordonnateur entre en relation avec le condamné, notamment lorsqu'il entre dans le dispositif de suivi socio-judiciaire ou lorsqu'il a purgé sa peine et se voit exonérer de toute obligation.

Ce dispositif présente de nombreux avantages du point de vue du respect de la déontologie médicale.

S'agissant du choix du thérapeute , le condamné conserve la liberté du choix de son médecin traitant, sous réserve de l'accord du médecin coordonnateur, afin d'éviter toute forme d'abus.

Concernant le choix du traitement , le médecin traitant conserve une grande liberté : ni le juge de l'application des peines, ni le médecin coordonnateur ne sont autorisés à s'ingérer dans sa démarche thérapeutique dès lors que le patient respecte ses obligations.

S'agissant des relations avec les autorités judiciaires , le médecin traitant conserve la possibilité d'éviter tout contact avec elles : le condamné présente directement au juge de l'application des peines les attestations prouvant qu'il se conforme à l'obligation de soins.

Concernant le secret médical , il est en principe protégé sauf dans l'hypothèse où le condamné ne respecte pas ses obligations ou s'il apparaît des difficultés d'exécution du traitement laissant planer le risque probable d'un " passage à l'acte " du condamné. Dans cette hypothèse, le médecin traitant pourrait alerter le juge de l'application des peines ou, s'il le souhaitait, entrer seulement en relation avec le médecin coordonnateur.

Le bureau du Conseil national de l'ordre des médecins, réuni le 29 septembre 1997, inséré en annexe au présent avis, a approuvé l'esprit de la loi et a estimé que le projet emportait globalement l'adhésion tout en appelant l'attention sur l'ampleur des difficultés que rencontrera l'application d'une telle loi qui impose de prévoir des moyens à la mesure des ambitions affichées.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page