III. UNE NÉCESSAIRE ÉVOLUTION

Il convient d'accélérer le processus de concentration de la filière aéronautique face au souhait des Etats-Unis de conserver leur suprématie dans ce secteur.

A. LE SOUHAIT DES ETATS-UNIS DE CONSERVER LEUR LEADERSHIP AÉRONAUTIQUE

Engagé depuis le début de la présente décennie, le mouvement de concentration engagé par l'industrie aéronautique américaine vient de trouver son point d'orgue avec la fusion de Boeing et de Mc Donnell Douglas .

Notons que Boeing a profité pleinement de la reprise du marché aéronautique. Le constructeur américain a réalisé un chiffre d'affaires de 116 milliards de francs en 1996, soit une hausse de près de 20 %. Entre 1995 et 1996, le carnet de commandes est passé de 361 milliards de francs à 448 milliards de francs. Celui-ci équivaut à pratiquement quatre années de chiffre d'affaires. Enfin, le groupe fait état fin 1996 d'un résultat net de 5,6 milliards de francs en progression de 43 % par rapport à l'exercice précédent.

Malgré une baisse de 3,6 % de son chiffre d'affaires à 70,5 milliards de francs, imputable à son recul sur le marché civil, Mc Donnell Douglas affiche une forte rentabilité avec un résultat positif de 4 milliards de francs.

Avec 26.000 salariés et un carnet de commandes de 790 milliards de francs, ce nouveau groupe aérospatial -le plus puissant du monde- menace l'existence même de son concurrent européen.

Par le biais de cette fusion, Boeing pourra intégrer les technologies et les crédits militaires de Mc Donnell Douglas.

Outre cet accroissement très sensible de l'aide publique indirecte dont bénéficiera ainsi Boeing, il faut s'inquiéter de la stratégie d'exclusivité menée par l'avionneur américain .

Rappelons que, le 30 juillet 1997, la Commission européenne a accepté cette fusion sous réserve du respect d'un certain nombre de conditions, dont la renonciation pendant dix ans aux contrats d'exclusivité passés par Boeing avec trois compagnies américaines possédant 10 % de la flotte mondiale : Delta, American et Continental, avec tout autre transporteur.

L'avionneur semble cependant avoir trouvé une parade juridique imparable. Elle repose sur le raisonnement suivant, qui réduit à néant la principale concession accordée fin juillet : si Boeing n'a pas le droit d'imposer à une compagnie l'achat de ses avions -tel était le sens de la décision de Bruxelles-, toute compagnie est, en revanche, parfaitement libre de ne s'approvisionner qu'auprès d'un seul fabricant d'avions, si elle y trouve son compte. Ainsi, Delta vient de conclure ostensiblement l'achat de 644 Boeing sur vingt ans (dont 106 fermes et le reste en option), pour bénéficier à plein des conditions de flexibilité des livraisons et des bas prix qui sont la contrepartie des contrats exclusifs. La seule différence avec le contrat précédent est que le client peut, à tout moment, se raviser et opter pour des Airbus, sans que Boeing puisse s'en offusquer.

Quand on sait que la plupart des autres engagements peuvent être qualifiés de " comportementaux " dont, selon l'expression utilisée par Mme Edith Cresson, commissaire européen, dont " personne ne pourra jamais vérifier le respect " 4( * ) , on ne peut manquer de s'interroger sur l'impuissance de la Commission européenne ainsi mise en lumière.

En outre, votre commission pour avis souhaite que le ministre explique la ligne de conduite adoptée par le Gouvernement français sur ce dossier, dont nul ne peut affirmer que ses résultats soient satisfaisants pour notre industrie aéronautique.

B. LA NÉCESSAIRE ÉVOLUTION DE L'INDUSTRIE FRANÇAISE ET EUROPÉENNE

1. La nécessaire fusion d'Aérospatiale et de Dassault Aviation

Dans ce contexte, la France n'a plus de temps à perdre. Elle doit procéder à la fusion des sociétés Aérospatiale et Dassault Aviation.

En effet, seul un groupe unique rassemblant l'ensemble des forces françaises de l'aéronautique civile et militaire peut être à même de résister à une concurrence mondiale dont l'agressivité va croissant.

La France disposerait ainsi du premier groupe aérospatial européen, avec un effectif d'environ 50.000 personnes et un chiffre d'affaires de 60 milliards de francs.

2. Le renforcement de la coopération européenne

a) Le succès de la coopération européenne dans le secteur aéronautique

Nous pouvons nous féliciter du succès emporté par la coopération européenne dans ce secteur, à l'heure où Airbus fête ses 25 ans avec les résultats que l'on sait : n° 2 mondial avec 30 % des parts de marché et l'objectif de conquérir la moitié du marché mondial dans les années à venir.

L'organisation Airbus a aussi fait la preuve de sa solidité en permettant aux partenaires de surmonter la crise la plus grave que ce secteur ait connue dans les années 1991 à 1995, période particulièrement difficile avec la dégradation de la situation financière des compagnies aériennes, les amenant à geler ou à annuler un certain nombre de commandes, la chute du dollar et le renforcement des contraintes concurrentielles. Dans ce contexte, chaque partenaire a été amené à mettre en place un dispositif pour se donner les moyens d'une exploitation durablement profitable.

Il semble que le succès d'Airbus ait été rendu possible par quatre facteurs :

- dans le domaine des avions commerciaux de plus de 100 places, chaque partenaire a renoncé à envisager un avenir en dehors du GIE alors que cette activité était stratégiquement prioritaire, seule la coopération au plan technologique industriel et commercial permettant de se maintenir sur ce marché ;

- au sein du GIE, les maisons mères sont conjointes et solidaires. Cette contrainte s'est avérée un atout auprès de ses clients ;

- les industriels partenaires se sont spécialisés. Cette règle générale a permis de développer des pôles d'excellence technologiques et industriels et a empêché un éparpillement des efforts d'investissement : le soutien des Etats, essentiel pour financer une famille d'appareils a ainsi pu être utilisé au mieux, en limitant les duplications ;

- enfin, les modes de relations contractuelles entre le GIE Airbus et les maisons mères ont été fondés sur les notions de forfait. Ont ainsi été évités des " empilements " de prix qui auraient pu mener Airbus à sa perte, en diluant les responsabilités et en ne donnant pas suffisamment de force à la recherche de compétitivité.

Dans une moindre mesure, on peut noter également le succès du GIE franco-italien ATR qui est devenu le numéro un mondial dans le domaine des avions régionaux à turbopropulsion, avant d'être rejoint par Bae au sein d'ATR.

Dans le domaine des hélicoptères, Eurocopter , créé au début des années 90 entre Aerospatiale et Dasa, est devenu, au plan mondial, le premier hélicoptériste civil, le premier exportateur et a vocation à devenir le pôle de regroupement européen dans ce secteur.

b) La transformation du statut juridique d'Airbus Industrie

Face à l'émergence de la menace qui constitue la fusion Boeing-Mc Donnell Douglas, il apparaît plus que jamais que seule une société européenne, civile et militaire, ait une chance de survie.

C'est dans cette perspective que doit être rapidement poursuivi le processus d'intégration d'Airbus vers une société unique qui devrait être constituée au début de l'année 1999.


Rappelons que l'an dernier, les quatre partenaires -Aérospatiale et l'allemand Dasa, Daimler-Benz Aerospace (chacun 37,9 %), British Aerospace (20 %) et l'espagnol Casa (4,2 %)- s'étaient entendus pour transformer le GIE de commercialisation et d'après-vente Airbus en une véritable entreprise dotée d'actifs industriels et ce, avant le 1er janvier 2000. Mais, au sommet franco-allemand de Weimar, ils avaient avancé la date au 1er janvier 1999.

Les industriels estiment que cette création se fera " sur la base de l'intégration de toutes les activités requises pour définir, développer et produire la gamme de produits actuelle et future d'Airbus sous la responsabilité d'une direction unique " 5( * ) .

Il reste cependant à fixer les conditions précises de ce processus.

C. RÉFORMER LE DISPOSITIF DE SOUTIEN PUBLIC À LA RECHERCHE ET AU DÉVELOPPEMENT

1. Accroître les aides indirectes

Soyons clairs : la politique de recherche et de développement dans le domaine aéronautique doit être réformée . Il est plus que temps de sortir du contentieux qui nous oppose aux Etats-Unis s'agissant du dispositif de soutien public à la recherche aéronautique.

Dans cette perspective, il convient d'obtenir la révision de l'accord du 17 juillet 1992 sur les appareils de plus de 100 places dont l'application pénalise fortement l'industrie européenne, puisque les aides directes sont strictement limitées en Europe, tandis que les aides indirectes américaines restent incontrôlables.

Le budget recherche et développement de la NASA consacré à la construction aéronautique civile est évalué à plus d'un milliard de dollars, soit 8 % du budget total de l'Agence. En outre, l'industrie américaine profite du soutien financier apporté par le ministère de la Défense, ainsi que de divers avantages fiscaux.

Dans ce contexte, votre commission pour avis partage les conclusions de l'excellent rapport présenté au nom de la commission des Finances par M. Yvon Collin sur les soutiens publics à la construction aéronautique civile 6( * ) , présenté, qui juge que " la proportion des aides indirectes doit être accrue puisque les avances remboursables sont, en l'état, soumises à de stricts plafonds. Mais, cela suppose une meilleure programmation des soutiens à la recherche au niveau national et européen ".

2. Lutter contre les nuisances sonores

Par ailleurs, votre commission attache beaucoup d'importance à ce que la recherche dans le domaine aéronautique donne la priorité à la lutte contre les nuisances sonores, à l'instar des efforts développés aux Etats-Unis.

D'importants effets ont déjà été réalisés en la matière, mais il faut encore les poursuivre car il s'agit là d'une clé de l'avenir du secteur. En effet, le transport aérien se développant dans un contexte de densification du tissu urbain et d'une attention croissante -et légitime- de nos concitoyens à la pollution sonore, il est permis de penser que les constructeurs qui seront à la pointe du progrès dans ce domaine marqueront des points dans la course qui leur permettra de s'affirmer dans la compétition exacerbée actuelle et à venir.

Dans cette perspective, il convient de poursuivre les recherches dans le domaine de la motorisation. De même,il faut encore développer la qualité des matériaux phoniques utilisés dans les avions et étudier les moyens de réduire le bruit lié à l'aérodynamique, sachant que celui-ci est plus important à l'atterrissage qu'au décollage.

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Suivant la proposition de son rapporteur, la commission a donné un avis défavorable aux crédits inscrits au titre de l'aviation civile dans le projet de loi de finances pour 1998.

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