I. LE CONSTAT

Face à la banalisation du dopage, qui suscite l'inquiétude et la réprobation de l'opinion publique, la mobilisation du mouvement sportif et l'effort de relance de l'action gouvernementale constituent des réactions très positives, mais dont l'efficacité risque actuellement d'être limitée par le dysfonctionnement de certains des mécanismes mis en place par la loi de 1989, et notamment par un dispositif de sanctions trop aléatoire pour n'être pas à la fois mal accepté et peu dissuasif.

A. LA " BANALISATION " DU DOPAGE

Les incitations au dopage ont été renforcées par le développement du " sport spectacle " et de ses inévitables dérives. La pression des intérêts financiers incite à surcharger les calendriers des compétitions, génératrices de droits de diffusion et de recettes publicitaires, ainsi qu'à intensifier la promotion et l'exploitation des " stars " du sport et la course aux records et aux performances spectaculaires, qui seules permettent de susciter et de retenir l'intérêt des médias, sans lequel s'effondrent les profits.

L'aggravation du phénomène du dopage est naturellement difficile à mesurer. Les statistiques des contrôles -qui, par définition, ne portent pas sur les pratiques qui ont échappé à ces contrôles- ne permettent pas d'analyses très fines, le nombre des contrôles effectué variant considérablement d'une année sur l'autre, de même que les disciplines sportives et les compétitions faisant l'objet de contrôles. Enfin, les techniques de dépistage ont elles aussi évolué. Cependant, tous les indices convergent pour mettre en évidence le développement du dopage, et du recours à des produits dopants de plus en plus dangereux.

• Le tableau ci-après, qui reproduit les statistiques " brutes " du contrôle antidopage entre 1980 et 1997 fait ressortir quelques données significatives :










- la croissance, en longue période, de la fréquence des contrôles positifs : on constate ainsi qu'entre 1980 et 1997, si le nombre des contrôles a été multiplié par 6, celui des contrôles positifs a été multiplié par 27.
On constate aussi que le pourcentage des contrôles positifs, après avoir connu des variations assez erratiques, tend sur les cinq dernières années à afficher une lente et régulière progression : 1,9 % en 1993, 2,9 % en 1994, 3,4 % en 1995, 4,2 % en 1996 et 1997. Et la tendance à la baisse du nombre des contrôles effectués dans la période récente -conséquence directe de la rigueur budgétaire- ne s'est pas accompagnée, bien au contraire, d'une diminution parallèle du nombre des contrôles positifs.

- Quant aux données relatives au nombre de disciplines concernées , elles doivent aussi être interprétées avec beaucoup de prudence, le nombre des disciplines faisant l'objet de contrôles n'ayant progressé que lentement, et le nombre de contrôles dans chaque discipline pouvant varier d'une année sur l'autre. Mais, pour lacunaires qu'elles soient, les statistiques du contrôle anti-dopage font cependant apparaître des évolutions inquiétantes. D'une part, le nombre des disciplines concernées ne cesse de progresser et, d'autre part et surtout, on constate que les disciplines les plus variées sont touchées, et que le dopage est bien loin de ne sévir que dans les disciplines les plus éprouvantes pour les athlètes (athlétisme, natation, cyclisme, boxe...) ou dans les sports les plus exposés à la pression des médias et de l'argent (football). Il est en particulier assez effarant de constater que le dopage frappe aussi les adeptes du billard, du badminton, du sauvetage-secourisme, et qu'il n'épargne pas non plus les groupements sportifs des travailleurs (FSGT) ou de l'éducation populaire (UFOLEP), la fédération multisport universitaire (FNSU), ni même les unions sportives de l'enseignement scolaire (UGSEL et UNSS).

Les informations tirées de la répartition des résultats des contrôles par catégorie de compétition font apparaître que le dopage s'étend à tous les niveaux de la pratique sportive, et ne concerne pas seulement quelques champions condamnés à la performance : en 1997, la proportion des cas de dopage concernant le sport de haut niveau représentait un pourcentage de 12,5 % environ, tandis que progressait le nombre des cas intéressant les jeunes et les participants à des compétitions de niveau départemental ou régional.

L'évolution des substances utilisées met aussi en évidence la " part de marché " croissante des substances les plus dangereuses pour la santé : les anabolisants, en progression constante, représentent aujourd'hui 21 % des cas de dopage, les stupéfiants 32 %, et il ne semble malheureusement pas possible d'imputer ces chiffres aux progrès du dépistage. Le dopage à la nandrolone -qui a récemment défrayé la chronique- représentait 24 cas de contrôles positifs sur 221 en 1994. En 1997, sur le même nombre de contrôles positifs, on relève 38 cas d'usage de nandrolone...
On constate aussi des cas de plus en plus fréquents de dopage à doses massives ou de " multidopage " associant jusqu'à trois ou quatre produits anabolisants, ou encore des stupéfiants à des excitants, ces mélanges étant de surcroît souvent complétés par la prise de produits destinés à en masquer l'usage, en particulier des diurétiques.

Il semble donc que l'on assiste à une inquiétante synergie entre le développement " quantitatif " du dopage qui, certes, ne concerne qu'une infime minorité des 13 millions de licenciés mais qui, incontestablement, tend à se répandre, et son aggravation " qualitative " qui se traduit par l'usage de produits de plus en plus dangereux pour la santé et l'intégrité physique de ceux qui s'y adonnent.

Cette double évolution peut d'ailleurs traduire une logique redoutable : plus les produits dopants sont puissants, sophistiqués, et donc coûteux, plus lucratif en est le trafic. Or, chacun sait que les trafiquants s'entendent généralement fort bien à élargir leurs débouchés.

De récentes enquêtes 1( * ) montrent que la persistance et l'aggravation des phénomènes de dopage n'échappent pas à l'opinion publique, qui en a même une perception assez pessimiste, puisque 76 % des personnes sondées estiment que le dopage est " très répandu " (28 %) ou " assez répandu " (48 %), 4 % seulement le considérant comme " très rare ".

Les conséquences du dopage sont également clairement perçues : 92 % des personnes interrogées par BVA estiment qu'il constitue une menace importante pour le sport de haut niveau- au même titre que l'argent (91 %).

Le sondage CSA fait, quant à lui, apparaître que 58 % des sondés jugent le dopage " très grave ", et 34 % " assez grave ", 64 % l'assimilant à une " tricherie " et 34 % à l'usage de drogues.

Le jugement porté sur la lutte anti-dopage est par ailleurs sévère : un quart seulement des personnes interrogées (enquête BVA) estiment que les moyens de lutte contre le dopage sont suffisants et les réponses à l'enquête CSA soulignent l'insuffisance des sanctions (44 %) et expriment aussi le souhait d'un développement des efforts d'information (53 %), de prévention et de suivi médical (39 %).

Mais peut-être l'enseignement le plus encourageant que l'on peut tirer des résultats de ces enquêtes tient-ils au fait que 78 % des personnes interrogées se déclarent " déçues " ou " très déçues " lorsque un cas de dopage est révélé, ce qui prouve que nos concitoyens ne se résignent pas au dopage et considèrent que le sport est incompatible avec la " tricherie ".

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