II. UNE POLITIQUE DES SOINS DE VILLE QUI SE RÉSUME À DES CONTRIBUTIONS FINANCIÈRES À LA CHARGE DES PROFESSIONNELS

A. MÉDECINE DE VILLE : LE GOUVERNEMENT FAIT LE CHOIX D'UNE MAÎTRISE EXCLUSIVEMENT COMPTABLE DES DÉPENSES

1. Le Gouvernement ne parvient pas à dialoguer avec les médecins

Dès son entrée en fonctions, le Gouvernement avait laissé entendre aux médecins libéraux qu'il avait l'intention d'instituer avec eux un dialogue fructueux et serein, permettant de prendre en considération leurs aspirations pour faire progresser à la fois la qualité des soins et la maîtrise médicalisée des dépenses d'assurance maladie.

Commençant par temporiser, il a confié à M. François Stasse, conseiller d'Etat, une mission de concertation sur l'avenir de la médecine de ville. Le rapport issu de cette mission a été présenté le 15 juin 1998, soit un an après l'entrée en fonctions du Gouvernement.

A la veille de l'examen, par le Sénat, du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, le constat est clair : le Gouvernement n'a réussi a établir les conditions du dialogue qu'avec un syndicat de médecins, MG-France, sur des bases qui ne semblent pas acceptables par les autres syndicats.

Après l'annulation, par le Conseil d'Etat, des deux conventions signées, avec les médecins généralistes et les médecins spécialistes sous le précédent Gouvernement, l'avenir de la politique conventionnelle avec les médecins spécialistes semble compromis.

Le syndicat MG-France, avec lequel pourrait être conclue une convention spécifique des médecins généralistes n'apparaît pas non plus accepter de bonne grâce le principe des lettres-clés flottantes que le projet de loi institue en sus du système exclusivement comptable de régulation de l'évolution des dépenses médicales.

La mise en oeuvre des principaux outils de l'ordonnance du 24 avril 1996, tels que la formation continue obligatoire des médecins ou les expérimentations de nouveaux modes d'exercice de la médecine libérale, qui devaient être rendues possibles grâce à la commission présidée par M. Raymond Soubie, demeurent bloqués. Ainsi, pour des raisons politiques, le Gouvernement ne veut pas agréer des projets tels que celui présenté par Groupama, qui ne présente pourtant aucun risque pour les professionnels ou pour les patients et contribuerait à améliorer la qualité des soins dans des zones rurales.

Les médecins demeurent convaincus que l'importance des transferts d'activité de l'hôpital vers la ville rend peu fiables les mécanismes de régulation qui leur sont imposés et qui joueraient ainsi à leur détriment : force est de constater que le Gouvernement ne met pas tout en oeuvre, loin s'en faut, pour éclaircir la situation et garantir que, par avance, si l'on peut dire, " les dés ne seront pas pipés ".

Et, parallèlement, ce Gouvernement fait des choix politiques dont il est difficile de comprendre les raisons, mais qui sont périlleux pour l'avenir de la médecine de ville. Il en est notamment ainsi en matière de démographie médicale.

2. Des choix politiques périlleux : l'exemple de la politique de régulation de la démographie médicale

Le 22 septembre dernier, le ministre de l'emploi et de la solidarité, Mme Martine Aubry, affirmait que " la maîtrise de la démographie médicale est essentielle pour garantir le meilleur accès aux soins comme pour assurer la maîtrise des dépenses ".

Cette déclaration confirmait les orientations retenues par le Gouvernement précédent.

Dès le printemps 1996, en effet, il avait engagé une réflexion approfondie en confiant une mission à M. Jean Choussat. Les conclusions du rapport qu'il a remis au Gouvernement avaient conduit ce dernier à retenir des orientations claires, qui ont été inscrites au titre II de la Convention d'objectifs et de gestion conclue entre l'Etat et la CNAMTS au mois d'avril 1997.

Celles-ci reposaient sur le constat qu' " un excédent global, quasi unanimement reconnu bien que difficile à chiffrer, des déséquilibres dans la répartition entre généralistes et spécialistes ainsi qu'entre spécialistes, ainsi que des disparités régionales caractérisent la démographie médicale française. "

Et l'affirmation selon laquelle la politique de l'Etat doit conduire à rétablir les équilibres nécessaires débouchait logiquement sur la conclusion suivante : " dans cette perspective, le numerus clausus instauré à l'entrée des études médicales doit rester stable pendant la durée d'application de la présente convention et une réduction progressive du nombre de places offertes à l'internat doit être engagée afin d'atteindre une proportion de 60 % de résidents et de 40 % d'internes en spécialités ".

Le Gouvernement actuel, malgré la déclaration précitée de Mme Martine Aubry, vient cependant de changer de cap en annonçant qu'il relèverait le numerus clausus .

Le motif invoqué par la ministre, l'augmentation nécessaire des effectifs dans trois disciplines déficitaires (pédiatrie, gynécologie-obstétrique, anesthésie-réanimation), n'appelle pas, pour votre commission, une hausse du nombre d'étudiants en médecine mais une meilleure orientation de ces étudiants vers ces spécialités.

Elle partage, ce faisant, l'avis du Conseil d'administration de la CNAMTS exprimé par une annexe à ses orientations stratégiques adoptées le 13 octobre dernier :

ANNEXE AUX ORIENTATION STRATÉGIQUES DE LA CNAMTS

Démographie médicale et numerus clausus

adoptées le 13 octobre 1998

1/ Numerus clausus et démographie :

Par rapport à l'effectif global existant de médecins (170.000), il n'existe aucune " pénurie " à attendre dans les 10 ans qui viennent (durée études médicales) qui pourrait expliquer une augmentation du numerus clausus dès 1999. Tout au contraire, l'augmentation attendue de 12.000 médecins repousse à 2015 le retour aux effectifs existants et donc, si c'est l'objectif, à 2005 une hausse du numerus clausus.

2/Numerus clausus et santé publique :

La fixation du numerus clausus n'est jamais neutre. Au-delà d'une expression primaire des besoins en médecins par habitants, elle traduit la volonté ou non, de rendre l'accès aux soins et la dispensation des soins plus performants médicalement. Une médecine mieux coordonnée entre généralistes, spécialistes, ville et hôpital, c'est une médecine qui, partout dans le monde, offre plus de qualité dispensée par moins de médecins.

C'est bien cette approche qui avait conduit Jean Choussat à préciser que " l'excédent de médecins couramment admis, soit 20.000 environ, sous-estime la réalité en considérant implicitement comme quasi intangibles les dysfonctionnements importants du système de santé ". Il proposait donc de stabiliser l'effectif des médecins à 140.000, " soit 30.000 de moins qu'aujourd'hui et 45.000 de moins qu'en 2005/2010 ". Retenir un effectif cible de 140.000 médecins conduit à retenir en première approche les années 2010/2011 pour relever le numerus clausus

(...)

La hausse du numerus clausus annoncée (plus 200 l'an prochain et plus de 400 en trois ans) met inévitablement en cause la cohérence des différentes actions publiques déjà entreprises ou envisagées :

- compatibilité avec l'usage coûteux et le renforcement, prévue dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, d'un MICA ;

- développement de la coordination des soins ;

- restructuration de l'offre hospitalière ;

plus généralement, elle amène à examiner la compatibilité d'une politique de maîtrise des dépenses s'exerçant notamment sur le volume des acteurs médicaux et d'un renforcement de la hausse (aujourd'hui) et de l'excédent (demain) du volume des acteurs (...).


Pour ces raisons, votre commission vous proposera de fixer, exceptionnellement, le numerus clausus des médecins dans la loi pour 1999 : elle soumettra à votre approbation un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale fixant à 3.583, comme l'an dernier, le nombre d'étudiants en médecine autorisés à poursuivre leurs études, au lieu des 3.800 annoncés par le Gouvernement.

3. Le projet de loi de financement, en instituant des lettres-clés flottantes et des reversements collectifs, multiplie les outils de régulation purement comptables des dépenses médicales

Les développements copieux du projet de loi de financement de la sécurité sociale en matière d'assurance maladie pourraient laisser croire à un observateur non averti que le Gouvernement entend proposer une réforme d'ensemble pour assurer son avenir. Il n'en est rien : l'essentiel de l'imagination créatrice des auteurs du projet de loi a en effet été consacré à bâtir de nouveaux et complexes mécanismes de régulation comptable des dépenses, encore de nouvelles taxations à la charge des professionnels.

Ainsi, les articles 21 et 22 du projet, qui mettent en place un mécanisme de taxation permanent et une taxation spécifique pour 1998, occupent cinq pages et demi du projet de loi !

En effet, le Gouvernement propose d'abord au Parlement de créer, pour 1998, une taxation applicable en cas de dépassement des objectifs d'évolution des dépenses fixés par le règlement conventionnel minimal. Il n'en définit, ni le seuil de déclenchement (le principe d'une marge de tolérance au delà de l'objectif est en effet retenu), ni le taux, ni les modalités de calcul, qui seront déterminées par un décret en Conseil d'Etat.

Un mauvais esprit (mais l'absence de transparence des choix favorise ce type d'analyse) pourrait conclure que l'ampleur de la marge de tolérance sera fixée dès que l'on connaîtra les réalisations des médecins généralistes : ceux-ci pourraient ainsi être récompensés par une absence de reversement d'avoir accepté de signer une convention dans les conditions qui leur étaient proposées...

Le projet de loi propose par ailleurs d'instituer un mécanisme permanent de régulation des dépenses qui ne fera que pérenniser la pratique inaugurée en 1998, avec des lettres-clés flottantes en cours d'année (cf. la décision de baisser la valeur du Z) et des reversements collectifs en fin d'année (cf. art. 22 du projet de loi, qui débouchera sur une contribution à la charge des médecins spécialistes au titre de 1998).

Ainsi, des médecins ayant accepté de signer une convention, et ayant déterminé au début de l'année, avec les caisses, un objectif de dépenses médicales et des tarifs pour l'année, pourraient voir ces tarifs baisser au bout des quatre premiers mois de l'année, puis une nouvelle fois au bout de huit mois, sans voir pour autant écartée la perspective d'une contribution en fin d'année...

A supposer que ce mécanisme de régulation des dépenses médicales constitue, en fait, la traduction d'une politique des revenus des médecins, force est de constater que les salariés du secteur public ou privé ne voient pas fluctuer ainsi les déterminants de la rémunération de leur activité.

Il est tout de même paradoxal que les médecins soient moins bien traités que des salariés alors qu'employant un ou plusieurs salariés, ils sont bien souvent chefs d'entreprise...

Les propositions du Gouvernement traduisent d'abord son renoncement à enrichir une politique de maîtrise médicalisée des dépenses dans l'intérêt des malades et des contribuables
. La maîtrise des dépenses se ferait désormais en fonction de critères purement comptables, presque au mois le mois, le revenu des médecins fluctuant avec leur activité, sans que la préoccupation d'améliorer les pratiques médicales puisse y trouver sa place.

Elles traduisent aussi une profonde défiance à l'égard des partenaires conventionnels : le projet de loi multiplie en effet les clauses aux termes desquelles, si le Gouvernement n'approuve pas les décisions prises par les syndicats de médecins et les caisses, il pourra les rectifier lui-même sans autre forme de procès.

Elles reflètent enfin la méconnaissance des conditions d'activité des médecins , qui ont besoin, comme tous les agents économiques, d'un peu de visibilité (un horizon d'un an ne semble pas excessif....) et dont le niveau de vie moyen ne comporte pas de marge suffisante pour permettre une telle incertitude et une telle fluctuation des revenus.

Votre commission vous proposera de refuser ces dispositifs.

Certes, le mécanisme de reversement établi par l'ordonnance dite " Juppé " posait problème. Alors que le Gouvernement souhaite aller jusqu'au bout de la régulation comptable et collective que ce dispositif comportait, votre commission propose au contraire d'aller jusqu'au bout de l'individualisation de la responsabilité des médecins à laquelle il faisait aussi appel.

Ainsi, tirant les leçons du passé, elle veut instituer un mécanisme simple, médicalisé et efficace de maîtrise des dépenses. Collectivement organisé par les partenaires conventionnels, il laisse les médecins libres de déterminer les conditions d'exercice de leur responsabilité individuelle.

Garantissant le respect des objectifs tout en organisant l'amélioration des pratiques médicales individuelles et collectives, il répond au double souci de favoriser la qualité des soins dont bénéficient les Français et d'en limiter le coût.

Il tourne le dos aux usines à gaz comptables inventées par le projet de loi.

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