Questionnaire : Réponse de
M. Hansjörg BLÖCHLIGER,
Administrateur principal à l'OCDE

La présente note a pour objet de présenter le travail comparatif de l'OCDE sur la fiscalité locale et les premiers résultats qui en découlent.

Le graphique ci-après compare la décentralisation des recettes et des dépenses dans les pays de l'OCDE.

Ratios de décentralisation

(part des recettes et des dépenses décentralisées : 0 = 0%, 1 = 100 %)

Recettes

Dépenses

On peut faire deux remarques :

- tout d'abord, il existe de grandes différences entre Etats. Les Etats fédéraux sont plutôt en haut a droite. La France se situe quant à elle en bas à gauche. Le niveau local en France dispose donc d'un poids relativement faible ;

- ensuite, pour tous les pays, les recettes sont plus centralisées que les dépenses. Cet écart n'est cependant pas très important en France.

1) Dans quelle mesure l'importance des recettes fiscales dans les recettes totales a-t-elle un impact sur la manière dont une collectivité est gérée ?

1. Les impôts locaux et les redevances constituent les ressources propres d'une collectivité, alors que les transferts proviennent de l'Etat. Les autorités locales gèrent plus efficacement leurs ressources propres que celles qui proviennent de l'Etat central. Cette différence de comportement par rapport à la source du financement a été mise en évidence dans un grand nombre de pays de l'OCDE.

2. Un aspect dynamique doit être pris en compte : les collectivités locales dépendant de transferts ont tendance a demander leur augmentation. Les transferts étant souvent soumis à de moindres contraintes budgétaires que les impôts, l'Etat tend à accorder des subventions supplémentaires (il peut en particulier le faire activement, remplaçant la fiscalité locale par des transferts, comme cela a récemment été le cas en France). Ce phénomène engendre une dynamique négative, ou même un cercle vicieux de demande et d'offre de transferts supplémentaires («soft budget constraint»). Ce cercle vicieux peut mettre en danger l'équilibre financier au niveau national, comme c'est le cas dans quelque pays de l'OCDE où le cadre budgétaire des transferts n'est pas très contraignant.

2) Y a-t-il de ce point de vue une différence entre des dotations de l'Etat et des ressources fiscales dont les collectivités locales ne peuvent pas agir sur le taux ?

Cette différence est en général importante.

Deux critères doivent en effet être pris en considération :

- le montant du transfert ;

- le pouvoir de l'Etat central de modifier l'allocation de taxes ou d'impôts.

Les deux modes de financement sont équivalents si le transfert est réalisé sur les mêmes critères que la répartition des recettes d'une taxe locale, c'est-à-dire s'il repose essentiellement sur la base imputable. Cela est rarement le cas dans les pays de l'OCDE puisque d'autres critères sont également utilisés pour les transferts (péréquation, coûts des prestations etc.).

De même, l'Etat central peut généralement modifier l'allocation de transferts plus aisément que celle d'une taxe locale.

3) Quelles sont les situations constatées dans les pays dans lesquels les collectivités locales ont peu de marge de manoeuvre sur les taux de leurs impôts ?

L'OCDE a peu réfléchi à cette question.

On peut néanmoins se poser, dans un premier temps, la question inverse : que se passe-t-il dans les pays où les collectivités locales ont d'importantes marges de manoeuvre ?

On observe alors une différenciation des taux. En Suisse, les taux des impôts locaux varient de un a quatre, de même qu'au Canada et aux Etats- Unis. Cette différenciation peut être interprétée de deux façons.

1. Selon une première explication, elle proviendrait de préférences pour les biens publics différentes d'une région a l'autre. Ainsi, on observe des différences de taux entre régions urbaines et rurales, qui peuvent s'expliquer par des préférences différentes dans certains domaines (transport, culture, etc.). Par ailleurs, la concurrence fiscale contraint les collectivités locales à une politique budgétaire efficace et à une modération des taux.

2. Selon une seconde interprétation, ce phénomène proviendrait de disparités de développement économique. Il pourrait aggraver ces disparités, un cercle vicieux (taux élevé, émigration, taux plus élevé pour financer les biens publics, etc.) pouvant s'enclencher. On observe parfois des taux plus élevés dans les communes et régions les plus pauvres, mais cela n'est pas systématique.

Revenons maintenant à la question initiale (que se passe-t-il si les taux sont fixes ?).

1. Selon la première interprétation, les préférences locales en matière de taux ne seraient pas respectées. Il se pourrait qu'il y ait trop ou trop peu de crédits disponibles dans les caisses municipales par rapport aux souhaits politiques des citoyens.

2. Selon la seconde interprétation en revanche, la dynamique d'appauvrissement et de taux élevé pourrait être évitée.

Il faut enfin souligner qu'un taux unique peut présenter un désavantage pour les zones rurales. En effet, ces dernières disposent souvent de faibles taux, ce qu'elles utilisent comme outil de développement. Harmoniser les taux a donc pour conséquence de priver les zones rurales d'un de leurs principaux instruments dans la compétition interrégionale.

4) Dans la France d'aujourd'hui, les citoyens ressentent-ils le lien entre le niveau de la pression fiscale locale et le service rendu par les collectivités locales ?

Je ne paye pas d'impôts en France.

5) Comment arriver à une plus grande responsabilité politique en matière de vote des taux ?

En général, plus l'autonomie est forte, plus la responsabilisation est importante. En sens inverse, plus les recettes proviennent de l'Etat central, plus la responsabilisation est faible. Dès lors, il est possible de distinguer deux stratégies.

1. Transparence: les autorités locales doivent montrer le lien entre fiscalité et prestations locales, montrer la structure des services locaux.

2. Bien aménager l'architecture fiscale du pays. Souvent les transferts sont liés à la fiscalité locale, p.ex. il y a une forte relation négative ou positive entre les recettes fiscales et les transferts. Une relation mal axée peut créer de mauvaises incitations, comme le montre l'expérience des pays de l'OCDE : les collectivités locales peuvent demander des taux trop élevés (ou trop bas, selon l'architecture) car elles savent qu'un manque de recettes sera couvert par l'Etat national.



6) L'importance du point de vue de la gestion d'une part importante de ressources fiscales dans les ressources totales est-elle la même pour toutes les tailles de collectivités ou pour toutes les catégories de collectivités ?

Pour une collectivité locale, la fiscalité propre présente généralement une charge administrative plus importante que les transferts qui, en général, arrivent en bloc. En outre, les coûts par habitant de l'administration fiscale diminuent avec la taille d'une collectivité locale. Pour les petites collectivités, l'administration d'un service fiscal peut présenter une charge excessive par rapport aux recettes. La solution est que l'Etat central gère les impôts locaux, ou que soit mise en place une «gestion partagée», c'est-à-dire une administration commune entre des collectivités locales.

Comme le montre le graphique ci-avant, il est possible de distinguer deux modèles :

- le modèle anglo-saxon, avec une forte dépendance des collectivités territoriales vis-à-vis de la taxe foncière (beaucoup de gris) ;

- le modèle européen, avec une plus forte dépendance vis-à-vis des impôts sur le revenu, soit des personnes physiques, soit des entreprises (beaucoup de bleu).

La France est un peu exceptionnelle avec une taxe particulière, la taxe professionnelle. Les taxes sur les entreprises en général sont en régression dans les pays de l'OCDE ; cela vaut également pour le niveau local.



7) Quelles sont les assiettes fiscales qui vous paraissent les mieux à même de favoriser une politique dynamique de développement local ?

C'est la question la plus pertinente car elle relie la sphère fiscale a la sphère économique. Les pays en train de réformer leur architecture fiscale se la posent pertinemment. On ne se demande pas quel impôt nuit le moins ou alors quel est le meilleur impôt pour profiter du développement économique, mais plus activement, lequel favorise le développement économique.

Un « bon impôt local » doit répondre à divers critères :

- relation étroite entre l'impôt et les prestations ;

- bases non mobiles ;

- impôt non redistributif et bases non concentrées géographiquement ;

- impôt non sujet à des cycles conjoncturels.

Les différents impôts - taxe foncière, impôt sur le revenu personnel, impôts sur les entreprises (accises, taxe professionnelle etc.) - présentent donc des avantages et inconvénients différents du point de vue de la dynamisation du développement local.

a) La taxe foncière

La taxe foncière a pour avantages d'être non mobile, et de présenter un lien étroit entre prestations et impôt.

En revanche, elle ne croît pas assez avec le PIB, présente un coût important de mise en place (cadastre) et incite peu au développement économique.

Elle est discutée au Québec.

b) L'impôt sur le revenu

L'impôt sur le revenu augmente avec le PIB et incite au développement économique.

En revanche, il repose sur des assiettes délocalisables et est progressif.

Il est discuté en Suisse, surtout dans les grandes villes.

c) Taxe professionnelle ou sur le revenu des entreprises (chiffre d'affaire, taxes de vente)

La taxe professionnelle est étroitement liée aux services publics qu'elle finance (infrastructures).

En revanche, sa distribution géographique est inégale et ses recettes sont sensibles au cycle conjoncturel. C'est pourquoi elle est en déclin dans les pays de l'OCDE.

En général, dans la mesure où l'expérience des pays de l'OCDE ne permet pas de mettre en évidence de taxe optimale, une combinaison de différentes taxes semble la meilleure solution pour favoriser à la fois le développement local et la stabilité financière des collectivités locales.


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