CHAPITRE II :

L'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS,
DES SYMPTÔMES DE CONCURRENCE FISCALE,
LA FRANCE MAL PLACÉE

Le contour des prélèvements sur les entreprises est très difficile à dessiner. A des prélèvements directs particulièrement dispersés selon qu'ils touchent les sociétés ou des entreprises individuelles, les entreprises en général ou les entreprises évoluant dans un secteur donné, effectués au niveau national ou au niveau local, il faut ajouter des prélèvements plus indirects qui, établis sur les propriétaires de l'entreprise ou sur ses créanciers, affectent de façon significative la vie des entreprises.

D'importants progrès de méthode restent à entreprendre pour asseoir plus solidement la catégorie des prélèvements sur les entreprises et les comparaisons présentées dans ce chapitre le sont sous cette importante réserve.

Tout comme pour les prélèvements obligatoires en général, l'imposition des entreprises ne semble pas avoir connu de nettes modifications en Europe. C'est du moins la conclusion à laquelle invite la considération des évolutions relatives au poids de l'impôt sur les sociétés dans le PIB. Ce résultat est de nature à étonner si on se réfère aux analyses théoriques qui établissent un risque élevé de concurrence fiscale en matière d'imposition des entreprises.

Aussi bien, un raffinement de l'analyse s'impose et la prise en compte d'autres données conduisent à des conclusions sensiblement différentes.

Il convient d'abord de relever qu'une stratégie de baisse des taux légaux d'imposition des sociétés a été partagée par la plupart des pays européens. Si, en pratique, cette stratégie n'a pas toujours été suivie d'une baisse de la pression fiscale, on ne peut pour autant la considérer comme relevant d'un simple affichage.

Dans la plupart des pays, elle semble avoir débouché sur des allégements fiscaux effectifs. Par ailleurs, elle témoigne, en soi, d'une détermination compétitive qui, même si ses résultats concrets, appréhendés globalement, sont ambigus, semble animer de nombreuses pratiques fiscales concurrentielles à dimension microéconomique.

A défaut de pouvoir entièrement étayer les préoccupations engendrées par la perspective d'une intensification de la concurrence fiscale, les données disponibles montrent que les pays européens sont inégalement attractifs de ce point de vue et que la France occupe une position peu favorable.

I. UNE BAISSE DES TAUX LÉGAUX UN ÉLARGISSEMENT DE L'ASSIETTE

Comme pour les prélèvements sur les revenus des ménages, l'imposition des sociétés a évolué dans le sens d'une diminution des taux légaux et, souvent, d'une extension de l'assiette d'imposition.

Une très forte baisse des taux légaux d'imposition des sociétés est intervenue en Europe entre 1986 et 2001 avec, en moyenne, un allégement de près de 30 % par rapport au taux observé en 1986.

TAUX NOMINAUX DE L'IMPÔT SUR LES SOCIÉTÉS

 

1986

1991

1995

1998

2001

Différence 1986-2001

Différence 1991-2001

Allemagne

56,0

50/36

45/30

45/25

25,0

- 31,0

- 25/- 11

Autriche

50,0

30,0

34,0

34,0

34,0

- 16,0

+ 4

Belgique

45,0

39,0

39,0

39,0

39,0

- 6,0

0

Danemark

50,0

38,0

34,0

34,0

30,0

- 20,0

- 8

Espagne

35,0

35,0

35,0

35,0

35,0

- 0,0

0

Finlande

33,0

23,0

25,0

28,0

29,0

- 4,0

+ 6

France

45,0

42,0

33,3

41,6

36,4

- 8,6

- 5,6

Grèce

49,0

46,0

35/40

35/40

35,0

- 9,0

- 11

Irlande

50,0

43,0

40,0

32,0

20,0

- 30,0

- 23

Italie

36,0

36,0

36,0

37,0

36,0

- 0,0

0

Luxembourg

40,0

33,0

33,0

30,0

30,0

- 10,0

- 3

Pays-Bas

42,0

35,0

35,0

35,0

35,0

- 7,0

0

Portugal

42/47

36,0

36,0

34,0

32,0

- 15,0

- 4

Royaume-Uni

35,0

34,0

33,0

31,0

30,0

- 5,0

- 4

Suède

52,0

30,0

28,0

28,0

28,0

- 24,0

- 2

Union européenne

44,3

36,7

35,1

34,9

32,0

- 12,4

- 4,7

Etats-Unis

46,0

34,0

35,0

35,0

35,0

- 11,0

+ 1

Japon

50,0

50,0

47,5

46,4

46,4

- 3,6

- 3,6

Note : Le taux est celui de l'impôt du gouvernement central et la moyenne pour l'Union européenne est non pondérée.

Source : OCDE

Ce mouvement s'est nettement modéré au cours de la décennie 1990-2000 avec même, dans quelques cas, un renversement de tendance (Autriche, Finlande).

Toutefois, c'est bien la baisse des taux d'imposition qui constitue la caractéristique essentielle des réformes de l'impôt sur les sociétés intervenues en Europe dans le proche passé.

Parallèlement, dans de nombreux pays, les régimes d'imposition dérogatoires ont été banalisés, qu'il s'agisse du régime des amortissements, des provisions ou encore des bénéfices distribués. Pour autant, outre l'existence dans tous les pays de procédures exceptionnelles (voir le II), certains pays ont emprunté la voie d'une diversification des modalités d'imposition des entreprises.

A. L'ALLEMAGNE, UNE RÉDUCTION DES TAUX, UN ÉLARGISSEMENT DE L'ASSIETTE.

En Allemagne , les taux d'imposition ont été continûment réduits au cours de la période et cette tendance se poursuit dans la réforme récemment adoptée.

IMPOSITION DES BÉNÉFICES

Impôt sur les bénéfices

Autres

Incitations fiscales/exonérations

Avant 2001

 
 

1988-1994 1 :

(distribués : 36 %,
non distribués: 50 %)

1994-1999 1 :

(d : 30 %, nd : 45 %)

1999- 2000

Distribués : 30 % (31,65 % 2 )

Non distribués : 40 % (42,23 % 2 )

Les entreprises peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt (différence entre 30/40 %) en cas de distribution différée de bénéfices.

Taxe professionnelle :

Même base que l'impôt sur les bénéfices depuis 1997.

Taux de base fédéral (5 %) et coefficient fixé par les municipalités.

Impôt déductible de sa base,

Exempt de la surtaxe de solidarité.

Impôt sur le patrimoine :

Suppression en janvier 1997.

Impôt foncier :

1,5 % en moyenne de la valeur fiscale du bien.

Amortissements : linéaire ou dégressif. Accéléré : certains types d'investissement seulement.

-- Exonération des provisions pour pensions de vieillesse.

-- Durcissement du régime d'amortissement en 1999.

Pertes :

Entreprises résidentes :


-- ordinaires : report en arrière
(<2 mill. DM, 1 à partir 2001) ; report en avant indéfini
(>2 mill DM, 1 à partir 2001)

-- en capital : limité.

Entreprises non résidentes : restriction de la déductibilité des pertes à partir de janvier 1999.

Janvier 2001

 
 

Taux uniforme de 25 % (26,375 % 2 )

Suppression de l'imputation et remplacement par système du demi revenu.

Pas de modification

Pertes :

Entreprises résidentes :

-- ordinaires : report en arrière
(<1 mill. DM à partir 2001)

-- report en avant indéfini
(1 à partir 2001)

1. Introduction de la surtaxe de solidarité de 5,5 % introduite en 1993.

2. Y compris surtaxe de solidarité.

Dans le nouveau système, les bénéfices des entreprises sont imposés au niveau de l'entreprise et les dividendes sont imposés au niveau de l'actionnaire ; le crédit d'impôt disparaît. En contrepartie, le taux d'imposition des bénéfices est uniforme à 25 %, soit un taux d'imposition total de 39,3 % en incluant la surtaxe de solidarité et la taxe professionnelle assise sur les bénéfices, contre 52,3 % (bénéfices réinvestis) et 43,6 % (bénéfices distribués) en 2000. Il n'y a plus d'élimination complète des doubles-impositions ; seule la moitié des dividendes reçus par les actionnaires (personnes physiques) est incluse dans leur base imposable et les dividendes interentreprises ne sont plus soumis à l'impôt. Mais, l'exonération des dividendes versés par des filiales étrangères détenues à hauteur de plus de 10 % par des sociétés résidentes est désormais étendue à l'ensemble des dividendes en provenance de sociétés non résidentes .

C'est également pour compenser la suppression du système d'imputation complète que le gouvernement a modifié le régime d'imposition des plus-values de cessions de participation . Les plus-values peuvent en effet être considérées comme des profits accumulés, ayant déjà été soumis à l'impôt sur les sociétés, si bien que leur taxation au moment de la cession de participation induirait une double taxation.

L'exonération des plus-values s'appliquait déjà dans le cas des cessions de participations étrangères depuis 1994 pour les participations supérieures à 10 % du capital. Pour le gouvernement, cette mesure permet donc aussi de traiter désormais de manière équivalente les investissements en Allemagne et à l'étranger et d'éviter la multiplication de sociétés holding dans d'autres pays européens.

Avec cette réforme, il s'agit de renforcer l'attractivité fiscale du territoire allemand.

Combinée à cette inspiration, la poursuite d'une plus grande neutralité fiscale marque la réforme. La base d'imposition est élargie par la suppression d'un certain nombre de règles dérogatoires en matière d'amortissements et de provisions. L'application d'un taux uniforme d'imposition des bénéfices est plus favorable au réinvestissement des bénéfices, puisque les bénéfices non distribués étaient auparavant imposés à un taux supérieur à celui des bénéfices distribués. La réforme vise donc à accroître le taux d'autofinancement des entreprises, jugé trop faible en comparaison internationale.

Pour préciser les ordres de grandeur, des simulations ont été réalisées par le Conseil des Sages en novembre 2001. Ces simulations distinguent 3 modes de financement (autofinancement, émission d'actions, endettement) et 5 types d'investissement (intangibles, bâtiments, machines, placements financiers, stocks) et permettent notamment de mesurer l'impact de la réforme sur le taux moyen effectif d'imposition, entendu comme le taux d'imposition que supporte un investissement type qui rapporterait avant impôt une rentabilité de 20 % (voir chapitre sur la réforme de l'imposition des bénéfices).

La baisse du taux d'imposition légal se traduit par une baisse du taux moyen effectif d'imposition (tous types d'investissement et tous types de financement confondus) de 3,2 points . Elle est plus faible que la réduction du taux d'imposition légal ( 13 points pour les bénéfices non distribués, 4,3 points pour les bénéfices distribués) en raison du durcissement du régime d'amortissement . Alors qu'avant réforme le taux d'imposition était supérieur en cas d'autofinancement, l'harmonisation des taux conduit à aligner le taux d'imposition moyen d'un investissement type financé par autofinancement sur celui d'un investissement type financé par émission d'action (38,8 %). Le taux d'imposition moyen reste en 2001 le plus élevé des grands pays européens .

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