CONCLUSION

Le prochain élargissement de la zone euro va se dérouler dans un contexte macro-économique différent de celui qui a présidé à la mise en place de l'euro. Les pays concernés sont encore en transition vers le monde capitaliste à un moment où la globalisation de l'économie accentue la compétition internationale et réduit les marges de manoeuvre budgétaires de l'Europe.

La politique de régulation budgétaire et monétaire de la zone euro, qui a été mise en place il y a plus d'une décennie dans le cadre du traité de Maastricht, ne peut à elle seule assurer à l'Europe la croissance nécessaire pour le succès de l'élargissement de la zone euro. Des politiques de recherche, des politiques régionales et d'aménagement du territoire sont indispensables pour accompagner les pays candidats à l'euro dans leur démarche de convergence avec les économies des pays qui ont adopté la monnaie unique.

Mais avant de pouvoir envisager l'adhésion à l'euro des dix nouveaux États membres, des réformes s'imposent d'abord au sein de la zone euro elle-même pour améliorer la gouvernance économique en Europe : réformes de l'État, plus grande flexibilité des marchés et meilleure réactivité des institutions communautaires.

Pour autant, les gouvernements des États candidats à l'euro restent les seuls responsables pour conduire leurs économies vers une convergence réelle avec celles de la zone euro et pour éviter les risques non négligeables de pertes de compétitivité et de récession économique qui pourraient résulter de taux d'entrée dans l'euro inadaptés. Une adhésion précipitée et mal préparée aurait des conséquences incalculables, non seulement pour ces pays, mais aussi pour l'euro lui-même.

C'est pourquoi le Conseil des ministres de l'économie et des finances doit intervenir dans la détermination des cours pivots du nouveau système de change européen afin de veiller à ce que ne soient pas seulement prises en compte les indications monétaires fournies par les marchés et pour éviter que les nouveaux adhérents ne prennent des risques excessifs pour l'avenir.

Voir l'avenir de la zone euro à travers les seules considérations de technique monétaire serait une vision réductrice de l'élargissement de l'Union européenne à un moment où l'Europe doit retrouver le chemin de la croissance et du mouvement.

EXAMEN EN DÉLÉGATION

La délégation s'est réunie le mercredi 2 juin 2004 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par le rapporteur, M. Xavier de Villepin, le débat suivant s'est engagé :

M. Maurice Blin :

Le Royaume-Uni, la Suède et le Danemark, qui ne font pas partie de la zone euro, enregistrent des performances, en termes d'emploi comme de taux de croissance, qui sont aussi bonnes, voire meilleures, que celles des pays qui ont adopté l'euro. Les nouveaux adhérents qui, comme les États baltes, sont sous influence britannique, s'interrogent ainsi sur la nécessité, pour eux, de rallier l'euro, alors que la France et l'Allemagne, les deux grands pays du continent, restent à la traîne, tandis que la Grande-Bretagne se porte bien. Ces pays peuvent-ils durablement bénéficier des avantages de l'Europe tout en évitant de se lier à l'euro ?

M. Robert Del Picchia :

Il me semble que la comparaison ne doit pas se faire en partant du point de vue britannique. La question que nous devons plutôt nous poser est de savoir si nos économies se porteraient aussi bien sans l'euro. Les succès du Royaume-Uni ne résultent pas de sa non adhésion à l'euro, mais sont plutôt les conséquences de la politique thatchérienne, poursuivie par ses successeurs.

M. Lucien Lanier :

Je remercie très vivement Xavier de Villepin pour son exposé qui a été non seulement clair, mais franc. Il n'a pas eu peur de présenter la situation telle qu'elle est. Pour autant, je me demande si des politiques d'accompagnement des politiques de régulation - en fait des politiques d'assistance - seront suffisantes pour remédier aux problèmes que nous constatons. Si le mal est plus profond, ne faudrait-il pas que le Conseil des ministres de l'économie et des finances prenne des mesures plus radicales plutôt que d'envisager des remèdes fondés sur l'assistanat ?

M. Hubert Durand-Chastel :

Vous nous avez parfaitement montré qu'il n'y avait pas de solution unique pour traiter les problèmes économiques actuels de l'Europe dans le cadre de l'élargissement. Pour autant, ne faudrait-il pas chercher une plus grande convergence de la gouvernance économique en Europe ? Ne faudrait-il pas obtenir de l'eurogroupe, qui n'a pas jusqu'à présent vraiment répondu à nos attentes, une action plus énergique ?

M. Xavier de Villepin :

Lors de notre réunion de la semaine dernière, j'avais évoqué cette question : pourquoi la zone euro présente-t-elle des résultats moins bons que ceux de la Grande-Bretagne, du Danemark et de la Suède, trois pays qui sont restés en dehors de l'euro ? Robert Del Picchia répond - ce qui est juste - que la Grande-Bretagne a bénéficié du redressement opéré pendant l'ère Thatcher. Mais cette réponse ne me semble pas suffisante. En effet, la politique économique du Royaume-Uni repose, pour l'essentiel, sur l'abandon de l'industrie au profit des seuls services. Que ce soit ou non une bonne politique, il est sûr que ce n'est pas le choix de la France, qui veut le maintien d'une présence industrielle. J'en veux pour preuve le traitement des dossiers Alstom face à Siemens et Sanofi-Synthelabo face à Aventis. Deux exemples qui rappellent étrangement la grande époque de la politique industrielle de la France du Président Georges Pompidou.

J'ai été frappé par un article récent publié dans la presse britannique, qui montre à quel point la politique industrielle du Royaume-Uni est opposée à celle de la France, par exemple dans le domaine de l'armement. Les Britanniques, qui n'attachent guère d'importance à la nationalité des propriétaires de leur industrie, ont autorisé Thalès à racheter Racal et sont prêts à vendre leurs usines d'hélicoptères aux Italiens. Qui d'entre nous voudrait voir disparaître Thalès, EADS ou la SNECMA, actuellement convoitée par l'américain General Electric ? À tort ou à raison, nous croyons que, dans le monde de demain, une industrie se maintiendra sur notre territoire et nous pensons que notre pays ne doit devenir ni une pure économie de services, ni un musée du tourisme pour les étrangers en visite ; nous voulons que le drapeau tricolore flotte sur les champions nationaux de notre industrie. Je ne dis pas que les Français ont raison et que les Britanniques ont tort ; je constate que les réponses sont différentes selon les pays et leurs stratégies industrielles. Il y aura encore de la diversité dans l'Europe de demain, et l'Europe ne sera grande que si elle admet cette diversité.

M. Robert Del Picchia :

Je partage naturellement cette analyse. Quant aux politiques d'accompagnement dans le cadre de l'élargissement de la zone euro, elles sont nécessaires car il en va de la crédibilité de l'euro. Faute de ces politiques, les marchés financiers réagiront.

M. Xavier de Villepin :

Si nous n'avions pas eu l'euro ces dernières années, il est certain que nous aurions été dans l'obligation de pratiquer des dévaluations importantes.

M. Maurice Blin :

Je voudrais encore faire deux observations dans ce débat qui est très riche.

Tout d'abord, la situation actuelle de l'industrie en France n'est pas comparable à celle de l'industrie britannique d'avant l'ère Thatcher qui était alors à bout de souffle dans des secteurs comme la sidérurgie ou l'automobile. Les Britanniques n'avaient pas le choix. Leur industrie ne pouvait pas survivre dans l'état où elle se trouvait. Ce n'est le cas, aujourd'hui, ni de la Snecma, ni de Thales.

Quant à l'euro, on peut se demander s'il n'a pas masqué la dégradation de notre appareil de production. Sans l'euro, il est probable que nous aurions pris conscience plus rapidement de la situation réelle de notre économie. Grâce à la souplesse de l'euro, la France et l'Allemagne ont évité une crise révélatrice qui aurait pu provoquer un sursaut. Mais la crise larvée est bien là. L'euro pèse lourd et l'Europe s'enfonce doucement, avec la France et l'Allemagne, dans la crise.

M. Serge Lagauche :

Vous comprendrez bien que je ne partage pas toutes les analyses qui viennent d'être formulées. Certaines comparaisons me paraissent peu fondées et je m'étonne que l'on évoque la Chine, qui vit d'autres problèmes. En revanche, la France, c'est vrai, n'a pas tenu ses engagements, par exemple en matière d'économies d'énergie. Il va bien falloir réagir contre des errements, comme celui des 4 x 4 dans les villes, alors qu'il faudrait promouvoir les vélos électriques comme le font les Chinois. La France est capable de réagir ; elle peut progresser, à condition de stimuler la recherche et à condition de réaliser les réformes qui s'imposent.

À l'issue de ce débat, la délégation a autorisé la publication de ce rapport.

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