C. QUELLE RESPONSABILITÉ PÉNALE ?

Force est de constater que, pour l'instant, le bilan judiciaire de l'affaire de l'amiante ne permet pas de tirer toutes les leçons de cette expérience tragique ; le renouvellement de ce type de situation n'est, en conséquence, pas exclu à l'avenir.

Le recours aux juridictions pénales est important dans ces affaires de santé publique dans la mesure où, pour les victimes, c'est souvent le dernier recours et la seule façon pour elles, même quand elles sont indemnisées, d' obtenir la transparence sur les éventuelles responsabilités en cause .

En outre, cette recherche de responsabilité apparaît d'autant plus importante pour les victimes qu'il existe une tentation de la diluer dans une responsabilité générale où, in fine , plus personne ne serait responsable. Au cours de son audition, le garde des Sceaux, M. Pascal Clément, s'est toutefois engagé auprès de la mission « à ce que ces procédures [pénales] puissent être menées à leurs termes dans des conditions satisfaisantes ».

Il convient en effet d'éviter, dans le drame de l'amiante notamment, que la personne qui, sans violer intentionnellement la loi pénale ni causer un dommage sans en avoir eu conscience, prendrait un risque de façon délibérée tout en espérant que ce risque ne provoque aucun dommage, ne soit pas sanctionnée.

Même s'il existait déjà une jurisprudence, parfois ancienne, sur la responsabilité pénale du chef d'entreprise, y compris en matière de respect des règles de sécurité, le débat en la matière s'est focalisé, au cours des travaux de la mission, sur la « loi Fauchon » qui n'épuise pourtant pas le sujet. Pour les associations de défense des victimes, en effet, le « blocage » des poursuites serait dû à l'inadaptation des dispositions introduites par cette loi.

1. Plusieurs plaintes jusqu'ici conclues par des non-lieux

a) Des procédures pénales au point mort : pourquoi ?

Le ministère de la justice ne connaît pas le nombre total de procédures engagées devant les juridictions pénales à l'encontre de chefs d'entreprise dont les salariés ont travaillé l'amiante, du fait de l'organisation décentralisée des parquets, même si, comme l'a précisé M. Alain Saffar, sous-directeur de la justice pénale spécialisée à la direction des affaires criminelles et des grâces, « dès lors que des informations judiciaires sont ouvertes, c'est-à-dire dès lors qu'un juge d'instruction a été saisi, il est vrai que les parquets pensent à faire remonter l'information afin que nous puissions suivre l'évolution de l'instruction ».

Une soixantaine d'affaires ont ainsi été suivies à la chancellerie pour ce type de situation, dont un certain nombre se sont achevées par des non-lieux, et le ministère en suit actuellement 17 . Sur les 17 informations judiciaires en cours ouvertes sous les chefs d'empoisonnements, d'homicides ou de blessures involontaires , deux ont été ouvertes en 1996, quatre en 1997, deux en 1998, une en 1999 et huit en 2000.

M. François Desriaux, président de l'association de défense des victimes de l'amiante (ANDEVA), a rappelé que « les premières plaintes en matière pénale ont été déposées en juillet 1996, sous l'impulsion de l'ANDEVA. Neuf ans plus tard, aucune procédure n'a abouti. Aucun procès de l'amiante n'a encore eu lieu. Force est de constater que les instructions en cours sont au point mort ».

M. Alain Saffar a rappelé les motifs de non-lieu dans les affaires liées à l'amiante.

Tout d'abord, les faits sont souvent très anciens et les expositions très longues, ce qui, du point de vue de la recherche des preuves, n'est pas toujours de nature à faciliter la tâche : « Quand on a du mal à établir l'exposition précise dans une ambiance amiantée, c'est au stade de la preuve que la victime ou la personne qui se présente comme telle aura du mal à faire valoir ses droits ».

Ensuite, quand bien même elle aurait réuni ces preuves par une série de témoignages, le décès de la personne qui a été mise en cause entraîne l'extinction de l'action publique à son égard et la fin de la recherche de sa responsabilité pénale.

Par ailleurs, il se pose un certain nombre de situations et de problèmes de prescription de l'action publique. Pour l'homicide et la blessure involontaires qui sont des délits, le délai de prescription est de trois ans.

Par conséquent, dès lors qu'une victime est décédée, si elle n'avait pas engagé l'action au pénal avant son décès ou si ses ayants droit n'engagent pas l'action au pénal dans le délai de trois ans, on va lui opposer la prescription.

Me Jean-Paul Teissonnière a lui aussi déploré ce blocage des procédures pénales : « Les procédures pénales qui sont en cours ont été déclenchées par les plaintes des victimes et elles ont beaucoup de difficultés à progresser, même s'il est prononcé un certain nombre de mises en examen soit pour homicide involontaire, comme c'est le cas à Valenciennes, soit pour empoisonnement, comme c'est le cas à Clermont-Ferrand, pour le dernier président-directeur général de la société Amisol, mais aucune de ces procédures n'a été engagée par le ministère public ».

Or, le parquet obéit à un principe de hiérarchie qui est rappelé par l'article 36 du code de procédure pénale, qui indique que le ministre de la justice peut dénoncer aux parquets généraux les infractions à la loi pénale dont il a connaissance et leur enjoindre d'engager des poursuites. C'est le ministère de la justice qui est le responsable de l'action publique et des politiques d'action publique.

Dans ces circonstances, Me Jean-Paul Teissonnière a exprimé son incompréhension : pourquoi, « face à des centaines ou des milliers de jugements pour faute inexcusable rendus par les juridictions de sécurité sociale sous l'empire de l'ancienne définition de la faute inexcusable dont les conditions étaient plus difficiles à remplir que celles qui sont actuellement posées par la « loi Fauchon », aucun procureur de la République, aucun procureur général ni aucun garde des sceaux ne [s'est] avisé d'enjoindre d'engager des poursuites, comme le code de procédure pénale leur en laissait la possibilité » ? Selon lui, « il y a là une difficulté supplémentaire et une incompréhension qui est très largement partagée par les victimes ». Il s'est d'ailleurs montré très inquiet de la réaction des différents gardes des Sceaux face à la question de l'amiante. Pourtant, M. Alain Saffar a indiqué que les instructions données par le garde des Sceaux aux parquets, qui sont prévues par le code de procédure pénale, tendent à l'engagement de poursuites, « ce qui va dans le sens qui est souhaité par les victimes ».

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