b) L'incompréhension des victimes

Me Jean-Paul Teissonnière a également mis en évidence la déception et l'incompréhension des victimes consécutives à ce blocage judiciaire : « Il faut se mettre à la place des victimes de l'amiante qui, après avoir appris que le drame qu'elles vivent aurait été évitable, se heurtent aujourd'hui à une absence de volonté d'aboutir à un examen réel des responsabilités et de l'enchaînement des faits devant le juge pénal ». Cette incompréhension est d'autant plus grande que de très nombreuses procédures civiles ont conclu sans exception à l'existence d'une faute. Les victimes vivent cette situation comme un déni de justice au plan pénal.

C'est la raison pour laquelle la question du pénal est posée dans des termes aussi importants à l'heure actuelle. Elle constitue l'une des revendications majeures de l'ANDEVA et une demande forte des victimes, « sans doute parce que [...] la question de la prévention est actuellement au centre des préoccupations » a estimé Me Jean-Paul Teissonnière.

Au cours de son déplacement à Dunkerque, la délégation de la mission a entendu le témoignage particulièrement poignant de deux « veuves de l'amiante » qui ont exprimé le sentiment de gâchis familial et social engendré par l'amiante et qui n'aurait jamais dû survenir si leurs maris avaient travaillé ailleurs. Elles ont souhaité un procès pénal de l'amiante qui permettrait de désigner les responsables, non par souci de vengeance, mais pour qu'un tel drame ne se reproduise plus jamais.

M. François Martin, président de l'association de défense des victimes de l'amiante (ALDEVA) de Condé-sur-Noireau, présente ainsi les aspects positifs, pour les victimes, de la procédure pénale : « La procédure pénale doit également pouvoir aller à son terme. Elle est essentielle à la réparation morale du préjudice subi par les victimes de l'amiante. Ces dernières ont besoin de comprendre et de connaître les responsabilités. Une condamnation pénale aura également valeur d'exemplarité. Nul ne souhaite que cette catastrophe sanitaire se reproduise ».

M. François Malye, journaliste, auteur de Amiante : 100.000 morts à venir , au cours de son audition, a souligné « la vertu de la pédagogie » d'un jugement pénal. Il a ajouté : « L'absence de jugement prononcé au terme d'une procédure pénale pose aujourd'hui problème. Un procès doit avoir lieu. Je conçois mal que le plus grand scandale de santé publique puisse ne pas être jugé ». Il a d'ailleurs estimé que les victimes, qui « veulent que justice soit rendue [...] sont déterminées. Elles n'abandonneront ni n'oublieront tant que la procédure pénale ne sera pas allée à son terme ».

Il a d'ailleurs indiqué qu'« il n'est pas exclu que les victimes attaquent la justice pour dysfonctionnement. Le risque existe au regard de l'incapacité de la justice française à juger cette affaire. La CEDH pourrait être saisie et pointer la responsabilité de l'appareil judiciaire dans la mesure où certaines instructions sont en cours depuis neuf ans ».

Il s'est également interrogé sur l'opportunité pour le ministère de la justice de voir s'ouvrir le « procès de l'amiante » : « Le garde des Sceaux devrait tout d'abord exiger des procureurs qu'ils fassent leur travail. [...] La défaillance de la justice est ici flagrante. Il n'y aucune volonté d'ouvrir ce procès. Personne n'ose y penser au regard de conséquences jugées dévastatrices ».

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