Audition de Mme Jacqueline COSTA-LASCOUX,
membre du Haut conseil à l'intégration,
directrice de l'Observatoire des statistiques
de l'immigration et de l'intégration (OSII)
(13 décembre 2005)

Présidence de M. Georges OTHILY, président

M. Georges Othily, président .- Merci, madame Costa-Lascoux, d'avoir répondu à notre invitation. Vous allez être entendue par notre commission d'enquête sur les immigrés en situation irrégulière.

Conformément aux termes de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, Mme Jacqueline Costa-Lascoux prête serment.

M. Georges Othily, président .- Pour commencer votre audition, je vous propose de nous faire un exposé liminaire, après quoi le rapporteur et nos collègues vous poseront quelques questions.

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- Monsieur le Président, mesdames et messieurs les Sénateurs, je vais certainement vous décevoir sur un sujet aussi complexe qui évolue rapidement et qui, il y a encore trois jours, faisait l'objet de discussions très polémiques à Bruxelles.

Par définition, l'immigration irrégulière ne peut être dénombrée, certes, mais il me semble plus important de dire qu'elle se diversifie en fonction de l'évolution actuelle des flux migratoires et que ce que nous observions au moment de l'affaire des sans-papiers de Saint-Bernard est déjà daté par rapport à ce que nous observons aujourd'hui. J'aimerais donc souligner cette rapidité d'évolution.

Par ailleurs, chaque pays a ses illégaux. Il y a quelques jours, nous avons assisté, à Bruxelles, à un échange un peu vif entre les représentants de la France et les représentants allemands, parce que les Allemands parlaient de l'Europe de l'Est alors que les Français pensaient surtout aux flux illégaux venus du continent africain ou dans les DOM-TOM. Cela pose donc un problème dès que l'on commence à faire des comparaisons internationales.

C'est pourquoi il m'a semblé nécessaire, modestement, de préciser la typologie des situations d'irrégularité avant de dégager quelques données susceptibles de faire des estimations chiffrées, comme vous me l'avez demandé en tant que directrice de l'Observatoire statistique de l'immigration et de l'intégration.

Je commence donc par cette typologie des situations de l'immigration irrégulière, ou illégale, comme on le dit parfois.

Sociologiquement, on peut distinguer les clandestins et les irréguliers. Par irréguliers, j'entends ceux qui, à un moment donné, ont eu une condition juridique régulière et qui peuvent l'avoir perdue.

Quant aux clandestins, c'est le cas classique de personnes qui tentent de franchir clandestinement des frontières et de s'installer sur un territoire étranger sans être munis de l'autorisation d'entrée et de l'autorisation de séjour. Le cas classique, si j'ose dire, est celui de la personne qui prend ses responsabilités et tente sa chance.

J'évoquerai aussi -c'est un cas très préoccupant qui se développe aujourd'hui- ceux qui entrent par des filières d'immigration clandestine et qui peuvent être de plus en plus victimes du trafic d'êtres humains avec différentes formes de pratiques frauduleuses. Ce sont des situations criminelles qui nécessitent la coopération de toutes les instances policières et judiciaires de contrôle du côté des auteurs de ces filières d'immigration clandestine, mais elles peuvent aussi avoir des conséquences humanitaires d'une extrême gravité nécessitant une coopération internationale dans le domaine de l'humanitaire.

Une autre situation très spécifique se développe dans tous les pays de l'Union européenne : la situation des mineurs sans répondant légal et non accompagnés qui arrivent sans aucun papier. J'avais mis l'accent, il y a quelques années, sur les possibilités de développement de ces mineurs qui sont là parfois pour amorcer des flux d'immigration clandestine.

Ce sont les trois cas de clandestinité.

Enfin, il y a les irréguliers et, tout d'abord, parmi ceux-ci, ceux que l'on pourrait appeler les « sans-papiers ». Si vous le permettez, je distinguerai, dans ma typologie, les différents cas suivants :

- les étrangers qui sont entrés régulièrement avec un visa et qui n'obtiennent pas le titre de séjour sollicité ;

- ceux qui sont entrés avec un visa « Schengen » de court séjour donnant libre accès à l'espace Schengen et qui circulent (nous n'avons quasiment pas de données à leur sujet) ;

- ceux qui n'ont obtenu que des documents de séjour précaire : autorisation provisoire de séjour (APS), convocation, récépissé de demande de titre de séjour (juridiquement, on est très proche de la situation d'irrégularité si on se maintient avec une APS qu'on ne peut pas renouveler éternellement, mais ce sont quand même ces titres de séjour précaires dont vont se saisir des employeurs et on peut donc connaître une situation d'irrégularité du séjour alliée à une régularité du contrat de travail parce qu'on a commencé par une APS) ;

- les étrangers mineurs qui sont entrés tout à fait régulièrement au titre du regroupement familial, mais qui ne vont pas se présenter en préfecture au moment où ils vont accéder à la majorité et qui n'auront donc pas de titre de séjour ;

- ceux qui n'obtiennent pas le renouvellement de leur titre provisoire ou temporaire et qui se maintiennent sur le territoire (au titre de l'Observatoire statistique de l'immigration et de l'intégration, nous travaillons avec le ministère de l'intérieur et nous ne cessons de demander des chiffres sur les renouvellements et les changements de titre de séjour, ce qui est possible avec l'outil Infocentre, mais, lorsqu'on connaît la cellule statistique du ministère de l'intérieur, on ne peut pas s'étonner de ne pas avoir les chiffres étant donné la faiblesse des moyens en personnel et même le caractère spartiate de leurs conditions de travail sous les combles du ministère ; c'est la qualité des personnes et les conditions de travail qui ne permettent pas toujours d'apporter ces éléments) ;

- ceux qui ont été en situation régulière, mais qui ont perdu leurs papiers : certains les ont déchirés et d'autres se les sont fait dérober (comme vous le savez, un défaut de preuve de la régularité du séjour vaut très souvent de tomber dans ce qui est considéré comme une situation d'irrégularité alors que nous ne sommes qu'au niveau de la preuve : un droit sans preuve, surtout en cette matière, conduit très vite à la privation du droit) ;

- les personnes, de plus en plus nombreuses, qui sont démunies d'état-civil ou d'existence juridique (que pouvons-nous faire à partir du moment où les migrations sont planétaires et viennent soit de pays où il n'y a pas d'état-civil fiable et où l'état-civil peut s'acheter, soit de pays où, par exemple, une femme qui est répudiée peut se trouver parfaitement dépourvue de toute existence juridique prouvée et où un enfant né hors mariage n'a pas d'existence juridique ?)

Autre point différent : celui des ressortissants des dix nouveaux Etats-membres de l'Union européenne qui, depuis le 1 er mai 2004, sont soumis à des mesures transitoires de deux à sept ans les obligeant, s'ils souhaitent exercer une activité économique en France, à solliciter un titre de séjour valant autorisation de travail. Nos enquêtes sur le terrain montrent que tous ne demandent pas le titre. C'est une situation à examiner qui est différente de celle des autres. Ils devraient avoir un titre s'ils ont une activité alors qu'ils n'ont pas de titre.

Je ne parle pas de tous ceux qui ont des visas étudiant et qui, finalement, ne demandent pas le titre, mais nous verrons ce qui va se passer avec les projets de réformes proposés.

Je pense qu'il est très important d'avoir cette typologie parce que cela nous donne les moyens de mesurer les choses en fonction de ces différentes situations.

Mon deuxième point concerne la mesure de cette immigration irrégulière. Je dis bien irrégulière et non pas clandestine car les clandestins sont une catégorie à l'intérieur des irréguliers, même s'ils sont tous dépourvus de titre, et j'ai fait là une typologie à la fois sociologique et juridique.

L'immigration irrégulière peut être estimée à partir de certaines données correspondant à ces diverses formes de migration irrégulière. Certaines données sont vérifiables mais partielles et d'autres constituent des moyens indirects de comptage. Je distingue donc les deux types de sources. Vous avez déjà dû entendre parler de tout cela, mais j'ai essayé de répertorier les éléments sur lesquels nous aimerions travailler et cela correspond aux demandes de l'Observatoire vis-à-vis des différents ministères. Derrière chaque mode de comptabilité, il y a très souvent des propositions et des demandes faites au ministère.

Les premières sont des mesures fiables mais partielles.

Nous avons tout d'abord le nombre de personnes interpellées, poursuivies ou condamnées pour infraction au séjour qui se trouvent en détention, par exemple. Nous pourrions avoir des chiffres bien mieux élaborés sur ces questions. Ayant moi-même travaillé pendant dix-huit mois à la maison d'arrêt de la Santé et ayant fait l'accueil des détenus trois soirs par semaine, j'ai vu à quel point on pourrait améliorer certaines choses.

Je tiens notamment à mettre l'accent sur la question du cumul d'infractions. Le fait de ne pas posséder de titre est souvent constaté mais aussi, très souvent, à l'occasion d'autres infractions qui, elles, demandent des preuves. Il serait donc intéressant de voir comment, aujourd'hui, le cumul d'infractions joue sur la question de l'irrégularité du séjour.

Ensuite, nous avons le nombre de personnes qui ont fait l'objet d'une décision d'éloignement du territoire (reconduite à la frontière, expulsion, interdiction du territoire, mesure judiciaire ou administrative) comparé à celui des mesures réellement effectuées. Le ministère de l'intérieur travaille beaucoup sur ce point et je ne le développerai donc pas.

Enfin, nous avons le nombre de décisions prises en application de l'accord de réadmission, même s'il est infime. En tout cas, ce sont des données qui nous permettent de mesurer non seulement l'activité des services ou des titres, mais aussi des personnes.

A côté de ces sources fiables mais partielles, nous avons les sources indirectes qui nous permettent de connaître ou d'approcher un peu mieux la question de l'immigration irrégulière. Dans leur majorité, ces sources ne portent pas directement sur des personnes physiques, si ce n'est pour la question des déboutés du droit d'asile. Elles sont indirectes parce qu'on va en faire une interprétation, à partir de ces chiffres, en pensant qu'une partie plus ou moins importante va correspondre à des personnes qui vont rester sur le territoire, mais ce n'est qu'une interprétation.

La première source correspond au nombre des demandes de titre de séjour déposées comparé au nombre de demandes de titres rejetées et de renouvellements refusés. Quand on disposera d'un tableau plus précis -on y arrive progressivement-, on aura une indication des personnes qui vont se trouver en effet dans une situation irrégulière, sans savoir si elles resteront ou si elles partiront d'elles-mêmes, voire si elles feront l'objet d'une mesure d'éloignement.

La deuxième source est celle des attestations d'accueil pour une durée inférieure à trois mois. Nous disposons maintenant du nombre d'attestations présentées pour validation, d'attestations validées et d'attestations refusées. C'est une indication. Je m'en suis entretenue avec l'Association des maires, mais il n'est pas évident d'avoir des données très précises.

La troisième source est celle qui correspond aux infractions relevées par les inspecteurs du travail. En effet, on peut être en situation régulière en matière de séjour et être en situation irrégulière en matière de travail, mais cela fait au moins quinze ans que nous réclamons d'avoir des données plus fiables concernant l'irrégularité dans le domaine du travail.

Quatrième source (cela devient classique grâce au rapport au Parlement) : les déboutés du droit d'asile présents sur le territoire au moment de la demande et pour lesquels il n'y a pas eu de reconduite à la frontière. Il semblerait, d'après les associations et les enquêtes locales, qu'un nombre non négligeable reste sur le territoire français mais, là encore, ce sont des interprétations.

Nous pouvons aussi comparer le nombre de mineurs entrés au titre du regroupement familial au nombre de ceux qui, à leur majorité, ont obtenu un titre de séjour. Il est d'ailleurs intéressant de croiser ces deux éléments. J'en parlais avec le Collectif associatif civisme et démocratie (CIDEM), au sujet de l'inscription sur les listes électorales.

Autre source intéressante, même si beaucoup de choses restent à faire : le nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat (AME), la loi du 25 juillet 1999 ayant porté création de la couverture maladie universelle et l'AME ayant été prévue particulièrement pour les personnes ne remplissant pas les conditions de stabilité et de régularité du séjour. Nous savons maintenant que ce sont majoritairement des étrangers en situation irrégulière et quelques SDF. Le décret d'application de la loi de juillet 1999 a tardé à venir et beaucoup de juristes ont approuvé le principe en disant toutefois que l'application de la loi posait problème.

Aujourd'hui, c'est un élément très important à prendre en compte, mais j'y apporte deux nuances : d'une part, les étrangers en situation irrégulière ne sont pas ceux qui recourent le plus aux soins médicaux ; d'autre part, certains peuvent avoir été régularisés, y compris au titre de l'aide médicale. Cela peut donc être intéressant, mais il faut faire très attention aux interprétations.

Là encore, on comprend les réticences de l'éducation nationale : les enfants dont les parents sont en situation irrégulière bénéficient -c'est à l'honneur de la France d'ailleurs- d'un droit à l'éducation, et j'espère que l'on maintiendra ce droit à la scolarité, mais les estimations du nombre de mineurs scolarisés dont les parents sont en situation irrégulière ne peuvent être faites qu'à la louche et c'est à l'occasion d'affaires qui ont fait la une des journaux que l'on s'aperçoit que, finalement, il y en aurait 15 000, 18 000 ou 20 000.

Parmi les sources, nous disposons aussi des résultats des mesures mises en oeuvre pour lutter contre les trafics de main-d'oeuvre. A cet égard, je laisserai le ministère de l'intérieur vous apporter toutes ses sources car je n'aurai pas l'outrecuidance de faire son travail. Il en est de même pour l'analyse de l'activité des services et des coûts de la lutte contre l'immigration irrégulière. C'est une façon d'aborder la question.

Je signale simplement qu'au cours de l'une des réunions qui se sont tenues récemment à Bruxelles, j'ai été étonnée d'entendre le représentant du Home Office vanter les mérites d'un rapport que celui-ci avait établi sur l'immigration irrégulière et qui était presque entièrement consacré aux avantages économiques de l'immigration irrégulière pour l'économie britannique. C'est une autre façon d'aborder la question et je le signale, parce que c'est aussi une façon de relativiser les approches chiffrées... (Rires.)

M. Georges Othily, président .- Pourrons-nous avoir communication de ce rapport ?

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- Bien sûr. Il est possible de le demander au Home Office.

M. Georges Othily, président .- Il n'est pas habituel que l'on vante les aspects positifs de l'immigration.

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- Cela aura eu au moins le mérite de vous faire sourire dans ce catalogue un peu rébarbatif.

J'en arrive à des sources encore plus indirectes -et je prends là ma casquette de chercheur au CNRS- : les indicateurs de pression migratoire. Il est difficile de passer des placements en zone d'attente et des refus d'admission sur le territoire à ce qui pourrait être des interprétations sur le nombre d'étrangers en situation irrégulière en France. Cela peut être des indicateurs de pression migratoire, mais le lien logique avec le nombre d'irréguliers en France n'est pas évident.

Enfin, je terminerai par la question des territoires et départements d'outre-mer, qui est une grande interrogation. Il n'y a pas longtemps, j'ai été auditionnée par la commission des lois à l'Assemblée nationale sur Mayotte, puisque j'avais eu l'honneur et la joie d'y faire une mission sur la question de l'état-civil et des migrations.

Le CICI a déjà proposé des mesures extrêmement partielles et, manifestement, quand on en parle, c'est souvent avec des discours très dramatisés, mais nous avons relativement peu de choses, en dehors, par exemple, du nombre de naissances à l'hôpital de Mamoudzou. C'est donc une question entière et je ne m'aventurerai pas à dire que nous avons les outils de mesure de l'immigration irrégulière dans les DOM-TOM.

J'ai épuisé mon temps, monsieur le Président, et je suis désolée d'avoir fait un exposé en forme de catalogue. Je suis maintenant prête à répondre à vos questions.

M. Georges Othily, président .- Je vous remercie, madame. Votre exposé a été très clair et je pense qu'avec les pistes que vous avez proposées, nos collègues auront certainement des questions à vous poser.

M. Louis Mermaz .- Le début de la sagesse est de dire que nous savons que nous ne savons rien, comme l'a dit le grand Socrate, mais vous nous avez apporté très peu d'indications chiffrées, madame. En dehors des hypothèses d'enfants scolarisés et des naissances de l'hôpital de Mayotte, nous sommes dans le flou le plus total. Pourriez-vous donc essayer, en tant que chercheur, d'approcher quelques réalités chiffrées pour nous permettre d'avoir des renseignements ?

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- En tant que chercheur, non. C'est justement parce que je suis une scientifique que je ne peux pas le faire.

M. Louis Mermaz .- Et comme membre du Haut conseil ?

Mme Jacqueline Costa-Lascoux.- Justement...

M. Louis Mermaz .- Si vous ne le savez pas, qui le saura ? Cependant, il est très important, pour notre travail, que vous disiez que vous ne le savez pas.

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- C'est une question de principe. Le Haut conseil à l'intégration, travaillant sur la question de l'intégration, a décidé très clairement, avec l'accord du conseil scientifique de l'Observatoire statistique de l'immigration et de l'intégration, dans lequel on trouve M. Charpin, directeur de l'INSEE, le directeur de l'INED et tous les représentants des instituts scientifiques et des grandes administrations, qu'il s'en tiendra à l'immigration régulière, en sachant que, pour la première fois depuis deux ans, le rapport de l'Observatoire ne fait plus l'objet de polémiques. En effet, pour la première fois, il a travaillé avec toutes les administrations sur l'immigration régulière, contrairement à ce qui se passait depuis quinze ou vingt ans, ce qui a fait la une des journaux. Nous disposons ainsi maintenant, sur l'immigration régulière, des données les plus fiables possible qui ont été validées par les différentes administrations et les instituts de recherche.

Sur l'immigration irrégulière, nous avons des pistes, des demandes et des propositions, mais c'est dans le rapport au Parlement que l'on va s'engager dans les estimations chiffrées.

M. Charles Gautier .- Je suppose quand même que vous avez accès à ces chiffres.

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- En tant que directrice de l'OSII, je travaille avec le ministère de l'intérieur, le ministère des affaires sociales, le ministère de l'éducation nationale, etc., et je précise d'ailleurs que notre rapport est sur Internet depuis dix jours, mais je participe aussi, modestement, à l'élaboration du rapport au Parlement.

M. Alain Gournac .- Vous parlez au nom de l'OSII, qui est l'Observatoire des statistiques. De quelles statistiques disposez-vous et quelles statistiques établissez-vous ?

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- Il s'agit de l'Observatoire statistique de l'immigration et de l'intégration et non pas « des statistiques ».

M. Alain Gournac .- Certes, mais comment peut-on avoir une approche de l'immigration et de l'intégration si tout votre travail est fait en dehors des chiffres ? Où sont les chiffres ?

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- J'ai parlé de l'immigration régulière. Pour la première fois depuis deux ans, monsieur le Sénateur, vous avez des chiffres validés sur les visas, sur l'asile, sur les flux de travail, sur le motif de travail et sur le motif familial. Vous avez également le tableau récapitulatif qui est présenté à titre officiel par la France et tous ces chiffres seront repris dans le rapport au Parlement. C'est grâce à l'Observatoire statistique de l'immigration et de l'intégration que les flux réguliers seront les mêmes dans le rapport au Parlement et dans les travaux de l'Observatoire.

M. Jean-François Humbert .- C'est une bonne nouvelle.

M. Alain Gournac .- C'est vrai, mais cela ne nous fait pas du tout avancer.

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- Dans le rapport au Parlement, vous avez aussi un chapitre sur l'immigration clandestine sur lequel je dois apporter une précision importante. Je préférerais que ce soit quelqu'un du ministère de l'intérieur qui vous le dise, mais je peux également le faire ici.

M. Georges Othily, président .- Vous pouvez le dire ici : nous sommes à huis clos et vous avez juré de dire toute la vérité et rien que la vérité... (Rires.)

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- A trois jours de la remise au Premier ministre du rapport de l'Observatoire statistique de l'immigration et de l'intégration, M. Stéfanini nous a avertis qu'il y avait un problème dans les chiffres du ministère de l'intérieur concernant différents titres de séjour et qu'il fallait faire des vérifications. Il s'agit d'une véritable interrogation. Il faut savoir que, depuis sept ou huit ans, les données du ministère de l'intérieur faisaient l'objet d'une sous-traitance à des sociétés de services informatiques qui, comme c'est tout à fait normal en informatique, font des redressements. C'est à l'occasion de la contestation de quelques chiffres de redressement que l'on s'est posé des questions sur certains chiffres qui paraissaient curieux.

Je vous en donne un qui ne porte pas trop à conséquences : vous savez que nous avons environ 17 000 saisonniers en France. Or il n'y en avait que 3 dans le Var, qui est le département le plus consommateur de saisonniers !... (Rires.)

Mme Catherine Tasca .- Enfin un chiffre !... (Rires.)

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- Cela s'explique très bien : à la préfecture, on cochait plutôt la case des autorisations provisoires de travail.

Voilà ce que je peux vous répondre. Cela explique nos interrogations sur certaines catégories.

Nous ne souhaitions pas l'ébruiter devant la presse, mais, de façon très courageuse, M. Stéfanini, au nom du ministère de l'intérieur, a pris la décision de vérifier à nouveau ces éléments chiffrés et donc de repousser la remise du rapport au Parlement à la fin du mois de janvier 2006.

Voilà les informations dont je dispose, et je précise que ce n'était qu'un exemple parmi d'autres.

Mme Alima Boumediene-Thiery .- J'ai l'impression que vous n'avez pas parlé de ce qu'on appelle de manière impropre les doubles peines mais dont on peut avoir les chiffres par le ministère de la justice, puisqu'on sait que ce sont des interdictions qui n'ont pas été exécutées. J'aimerais donc savoir où vous les placez et pourquoi vous n'en avez pas parlé.

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- Les mesures d'éloignement du territoire sont très complexes en France parce qu'elles sont nombreuses, qu'elles peuvent être prises aussi bien par l'autorité judiciaire que par l'autorité administrative et qu'il peut y avoir des phénomènes de pluralité de mesures. Il est vrai aussi que la double peine n'existe plus...

Mme Alima Boumediene-Thiery .- Normalement.

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- Nous n'avons donc pas de chiffres sur ces questions correspondant à l'année 2004, du moins à ma connaissance.

M. Alain Gournac .- J'ai encore une question à vous poser, madame. Excusez-moi, mais de qui dépendez-vous ? Le Haut conseil à l'intégration est-il une autorité indépendante ?

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- C'est la Haute autorité de lutte contre les discriminations (HALDE), présidée par M. Schweitzer, qui est une autorité indépendante, ce qui n'est pas le cas du Haut conseil à l'intégration, qui a été créé en 1989, qui est composé de vingt personnes et qui a été présidé successivement par M. Marceau Long, qui était alors vice-président du Conseil d'Etat, Mme Simone Veil, M. Roger Fauroux et Mme Blandine Kriegel.

L'Observatoire, quant à lui, est dirigé par un membre du Haut conseil à l'intégration et il en dépend. Un nouveau décret va sortir (il est actuellement en discussion avec le Premier ministre) pour établir justement l'Observatoire à l'intérieur du Haut conseil.

M. Charles Gautier .- Cela veut-il dire que l'Observatoire est un service du Haut conseil à l'intégration ?

Mme Jacqueline Costa-Lascoux.- Tout à fait.

M. Philippe Dallier .- Pourriez-vous nous dire de quels moyens et de quelles sources dispose votre Observatoire en propre pour assumer les tâches qui lui sont confiés ?

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- Les sources viennent de tous les ministères. Il y a trente membres dans le groupe statistique de l'Observatoire, plus l'INED, plus l'INSEE et, à la demande, nous pouvons avoir des statistiques d'un organisme plus particulier.

Nous avons pour mission la collecte, la mise en cohérence et la diffusion des données statistiques et c'est une mission qui nous a été confiée par la loi. Par ailleurs, nous sommes un organisme de réflexion et de proposition.

Quant aux moyens, il y a, dans l'équipe permanente, si j'ose dire, une chargée de mission, assez régulièrement une stagiaire de Sciences Po, de l'INSEE ou d'un autre organisme et moi-même en tant que directrice. Nous devons aussi avoir bientôt un directeur adjoint qui est professeur des universités, le groupe statistique étant composé des représentants de ces instituts de recherche des administrations.

Quant au conseil scientifique, il comprend M. Alex Türk, M. Jean-Michel Charpin et M. François Héran, plusieurs membres de l'administration, notamment M. Fratacci, du ministère de l'intérieur, et il est présidé par Mme Hélène Carrère d'Encausse, secrétaire perpétuelle de l'Académie Française, mais je vous ferai parvenir tous les documents avec le rapport.

M. Georges Othily, président .- Mes collègues et moi-même n'ayant plus d'autres questions, je vous remercie beaucoup, chère madame, de nous avoir fait cet exposé schématique très bien mené auquel mes collègues ont été très sensibles, même si nous n'avons pas eu toutes les réponses que nous attendions. Nous serons donc très attentifs aux documents que vous nous enverrez.

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- Je vous ai offert simplement les différentes pistes de possibilités, mais je peux développer tout cela.

M. Alain Gournac .- Si vous nous envoyez les documents, nous allons pouvoir les examiner.

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- Vous aurez tout cela et je vais continuer à travailler notamment avec le ministère de l'intérieur. Nous faisons des propositions aux différents ministères afin d'avoir des données plus fiables à partir des pistes que j'ai indiquées.

M. Georges Othily, président .- Pourrons-nous avoir le rapport qui sera remis dans trois jours ?

Mme Jacqueline Costa-Lascoux .- Bien sûr, et si vous avez des questions complémentaires, je suis prête à y répondre.

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