III. LA GESTION ET L'EXÉCUTION DU SPE

La Cour des comptes relève les i nsuffisances liées à la gestion du SPE, du point de vue notamment de l'application des règles de la concurrence . Elle estime en effet que l'institution par la loi de 1996 d'un service public de l'équarrissage n'a pas donné lieu à la création d'une instance propre de pilotage, de gestion ou de contrôle d'un système géré pour l'essentiel au niveau local.

Selon le schéma théorique, dans chaque département, le préfet passe les marchés publics de prestations avec les industriels agréés ou, le cas échéant, prend les arrêtés de réquisition. Les services déconcentrés du ministère de l'agriculture instruisent les dossiers d'agrément des sociétés d'équarrissage et assurent l'inspection des établissements. Responsable de l'instruction des dossiers constitués par les sociétés d'équarrissage pour le paiement des prestations, ils sont ainsi chargés du contrôle du service fait.

Toutefois, la Cour des comptes constate que le SPE, qui repose aussi en principe sur la passation de marchés locaux se caractérise en fait par l'absence de concurrence, la grande opacité des données économiques du secteur et la difficulté du contrôle du service fait .

A. L'IMPUISSANCE DE L'ETAT À FAIRE JOUER LES RÈGLES DE LA CONCURRENCE

La Cour des comptes souligne qu'en instituant l'équarrissage comme un service régi par l'Etat et organisé sur des territoires exclusifs d'intervention attribués par arrêté préfectoral, la loi du 31 décembre 1975 a assuré la couverture exhaustive du territoire par les sociétés opératrices. Elle constate cependant que cette loi a abouti, en fait, à la mise en place d'un duopole dominé par deux filiales d'entreprises à l'époque publiques 7 ( * ) . Cette situation, confortée par la concentration économique du secteur et la privatisation des deux principales sociétés, a, en pratique, compromis la mise en oeuvre du principe de concurrence .

Ainsi, la Cour des comptes note que la concentration de l'industrie de l'équarrissage et les monopoles territoriaux dont disposent leurs établissements agréés, ajoutés à la dispersion et à la complexité des circuits de transport et de traitement des déchets et des cadavres, placent l'administration en situation défavorable et empêchent non seulement la concurrence de s'exercer mais aussi les prix de se former librement .

Dès lors, la Cour des comptes constate que, la concurrence ne trouvant pas à s'appliquer dans la grande majorité des départements et, devant l'urgence, les préfets ont eu systématiquement recours, dès 1997, à la réquisition des entreprises d'équarrissage . Cette procédure peut être justifiée par des nécessités d'ordre public, incontestables en matière de sécurité alimentaire, mais elle est normalement réservée à des situations exceptionnelles. Or, dans les faits, la procédure de réquisition a été utilisée comme un mode de gestion permanent, les arrêtés de réquisition étant assortis de décision de prix fixés pour de longues périodes .

La Cour des comptes relève que ce recours à la réquisition a entraîné d'importantes conséquences sur la transparence et le coût du système : dans la pratique, les autorités sont privées des références qui leur permettraient de fixer l'indemnisation sur la base d'un prix commercial, elles incorporent dans les indemnités tous les éléments produits par les équarrisseurs sans pouvoir les discuter. Les prix établis par l'administration lui sont en fait imposés par les entreprises, ce qui ouvre la voie à des abus 8 ( * ) .

A cet égard, la Cour des comptes observe que depuis 1997, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a été saisie de plusieurs indices de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur de l'équarrissage , tant pour les activités entrant dans le cadre du SPE que pour celles relevant du secteur privé. Elle a constaté que les tarifs relevant du SPE sont plus élevés que ceux des prestations correspondantes exercées à titre privé , pour lesquelles la concurrence semble effectivement avoir exercé un effet modérateur, notamment dans les zones où la concurrence transfrontalière peut s'exercer. D'après la réponse fournie par la DGCCRF aux questions de la Cour des comptes, « certains de ces indices ont fait l'objet d'un classement, soit parce que les éléments qu'ils apportaient n'étaient pas suffisamment précis pour justifier une enquête, soit parce que les délais afférents à une enquête et à la saisine éventuelle du Conseil de la concurrence étaient trop longs et inadaptés au traitement d'une situation du marché de l'équarrissage en évolution rapide ».

Ainsi, la Cour des comptes relève que, de fait, plusieurs enquêtes ont été classées en dépit du sérieux des indices et des constats, compte tenu d'une appréciation juridique négative sur la possibilité de saisir le Conseil de la concurrence ou - dans un seul cas - de raisons d'opportunité .

En outre, elle note que les services reconnaissent que l'instauration d'un système d'appels d'offres nationaux à lots départementaux en 2006 ne suffira pas à instaurer d'emblée la concurrence dans une activité dominée par deux grands groupes nationaux , juxtaposant des monopoles territoriaux suscités à l'origine par l'Etat et où les barrières à l'entrée de nouveaux intervenants sont élevées en raison de la lourdeur des investissements exigés par la réglementation. Dans une telle situation, l'Etat aura la tâche difficile de conduire une politique d'achats publics établie sur des informations de prix pertinentes, en évitant que la situation de monopole des entreprises les conduise à s'entendre sur les prix et la répartition des lots.

* 7 Elf Aquitaine et Entreprise minière et chimique.

* 8 Ainsi, la Cour des comptes fait référence à une entreprise d'équarrissage installée en Bretagne qui a inclus dans ses demandes d'indemnités des investissements à venir, pour des montants élevés, qui n'ont finalement pas été réalisés en totalité.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page