Compte rendu du déplacement aux Pays-Bas (5 et 6 avril 2006)

Composition de la délégation : MM. Pierre André, rapporteur, et André Vallet, vice-président.

I. Dîner à l'ambassade de France à La Haye avec des parlementaires néerlandais

A l'invitation de M. Jean-Michel Gaussot, Ambassadeur de France aux Pays-Bas, la délégation sénatoriale a participé à un dîner auquel participaient, outre l'Ambassadeur, quatre sénateurs, M. Van Raak (SP), Mme Dupuis (VVD), Mme Vedder (CDA) et M. Hessing (LPF), ainsi que deux députés, M. Meijer (PVDA) et Mme Sterk (CDA).

Au cours de ce dîner, il est apparu notamment que l'urbanisme différait fortement entre les deux pays. Aux Pays-Bas, les quartiers difficiles sont insérés au coeur des grandes villes et ne constituent pas de véritables ensembles urbains « ghettoïsés ». L'approche semble également différente dans le traitement des problèmes puisque la politique néerlandaise associe les problèmes des grandes villes à ceux de l'intégration des minorités ethniques et de l'islamisme. Elle s'intéresse avant tout à la place des « allochtones » dans les quatre grandes villes du « Randstad » qui désigne la conurbation qui regroupe Amsterdam, Rotterdam, La Haye et Utrecht.

Les discussions ont montré que la politique de la ville n'est véritablement apparue qu'il y a dix ans aux Pays-Bas, c'est-à-dire avec retard par rapport à la France. Cette politique est planifiée sur cinq ans (2005-2009), elle s'appuie sur la contractualisation entre l'État représenté par le Ministère de l'Intérieur et 31 municipalités et repose sur trois piliers principaux que sont l'économie, l'urbanisme et l'intégration.

Les échanges ont ensuite porté sur les différences culturelles et administratives entre les deux pays, les néerlandais insistant sur la place éminente qu'ils accordent à la concertation et sur l'organisation décentralisée de la police qui est également mieux intégrée dans la vie des quartiers difficiles et moins autoritaire aux Pays-Bas qu'en France selon des parlementaires néerlandais.

Les parlementaires néerlandais ont regretté que l'accord signé en 1998 signé entre les deux gouvernements afin de favoriser la coopération en matière de politique de proximité n'ait pas produit autant de résultats qu'escompté.

A l'issue de ces échanges, les parlementaires néerlandais ont reconnu qu'ils étaient préoccupés par les évènements qui s'étaient déroulés au mois de novembre dans les banlieues françaises. Ils ont estimés que ces évènements étaient susceptibles de se dérouler aux Pays-Bas, à une plus petite échelle, en observant par exemple que près de 40 % de la population de Rotterdam n'était pas d'origine néerlandaise. Ils ont évoqué le problème des pénuries de main d'oeuvre en observant que les jeunes issus de l'immigration étaient peu nombreux à suivre des formations techniques alors même que des besoins importants existaient.

II. Entretien avec M. Alexander Pechtold, ministre de la rénovation administrative et des relations au sein du royaume, chargé de la politique de la ville

Poursuivant ses travaux le 6 avril, la délégation sénatoriale a été reçue par M. Alexander Pechtold, Ministre de la Rénovation administrative et des Relations au sein du Royaume, chargé de la politique de la ville en présence de M. Schouw, Directeur du Centre de connaissances sur la politique de la ville, et de M. Schartman, Directeur chargé du logement social.

Au cours de cet entretien, M. Alexander Pechtold a souligné l'actualité de la question des quartiers en difficulté en estimant que ce thème, qui concernait toute l'Europe, avait aussi vocation à rapprocher la France et les Pays-Bas. Il a expliqué que, suite aux évènements qui avaient eu lieu en France en novembre, il s'était interrogé sur le fait de savoir si une transposition aux Pays-Bas était possible et a expliqué que des études avaient été demandées sur ce risque notamment aux services de sécurité. Ceux-ci ont estimé qu'il existait également aux Pays-Bas un problème d'exclusion qui se transmettait de génération en génération. Cette situation concernant particulièrement les allochtones, ils ont estimé que des émeutes similaires à celles qui avaient eu lieu en France pouvaient également se dérouler aux Pays-Bas.

M. Alexander Pechtold a observé les difficultés déjà rencontrées par le passé avec des jeunes d'origine nord-africaine et marocaine renforçaient les conclusions de ces études. Il a expliqué que plusieurs réunions avaient alors été organisées avec les autorités municipales pour examiner les conséquences des évènements qui s'étaient déroulés en France et qu'elles avaient permis d'aboutir à quatre conclusions :

- la nécessité pour les autorités d'éviter qu'au fil du temps se cumulent des problèmes dans un même quartier ;

- l'utilité de promouvoir une amélioration de la qualité de vie dans les quartiers en difficulté en travaillant à la fois sur les logements et sur l'environnement ;

- l'exigence de développement économique afin d'augmenter le nombre d'emplois disponible ;

- et le besoin de respect des populations concernées qui appelle la définition de stratégies politiques visant à ne pas humilier les habitants des quartiers en difficulté.

M. Alexander Pechtold a évoqué ensuite la formation dispensée à ces jeunes en s'interrogeant sur son adéquation aux situations rencontrées.

M. Pierre André , rapporteur, a alors présenté la politique menée en France depuis une dizaine d'années en faveur des grandes villes qui visait à apporter une réponse globale concernant aussi bien l'économie, le social que le logement.

M. André Vallet a évoqué ensuite la question des moyens financiers consacrés à l'éducation en s'interrogeant sur l'état de l'opinion concernant la nécessité d'aider les quartiers en difficulté.

M. Alexander Pechtold a ensuite insisté sur la nécessité de créer des opportunités pour les jeunes dans les quartiers en difficultés en observant que 40 % d'entre eux étaient sans emploi et ne finissait pas leur formation. Il a évoqué les problèmes de discriminations. Il a expliqué que le gouvernement avait mobilisé un milliard d'euros pour conduire des actions en faveur des habitants de ces quartiers et qu'il y avait un consensus sur la nécessité de cette action.

M. Schouw a évoqué les mesures engagées pour rendre les habitants plus responsables de leur quartier visant notamment à augmenter le nombre des propriétaires. Il a insisté sur les bénéfices obtenus de la réintroduction de concierges dans les immeubles. Il a expliqué que 60 millions d'euros avaient été consacrés à un programme intitulé « votre quartier » pour que les habitants puissent eux-mêmes conduire des actions permettant d'améliorer leur qualité de vie.

Il a ensuite expliqué que les autorités publiques avaient sans doute commis une erreur en pensant dans les années 1980 et 1990 que des habitants de cultures très différentes pouvaient, sans difficulté, vivre ensemble. Il a estimé que cela avait été la cause d'un grand échec, ce qui avait amené à changer de logique pour promouvoir la détermination de règles communes qui s'appliquent à tous.

M. Pierre André a considéré qu'il y avait un débat en France sur l'intérêt de favoriser l'accession à la propriété des logements sociaux et a expliqué que les communes qui s'engageaient sur cette voie étaient pénalisées.

M. Schartman a expliqué que les grandes villes pouvaient compter jusqu'à 70 % de logements sociaux et qu'il existait un seuil obligatoire légal de 30 %. Il a indiqué que, lors des opérations de restructuration des quartiers en difficulté, les autorités favorisaient la mixité entre le locatif et l'accession à la propriété.

M. André Vallet a indiqué que la politique de la ville menée en France était interministérielle et qu'elle avait permis d'obtenir certains résultats notamment en faveur du retour d'une certaine convivialité dans de nombreux quartiers. Il a néanmoins reconnu qu'il existait un climat parfois difficile entre les jeunes et la police.

M. Alexander Pechtold a précisé que l'interministérialité était également de mise aux Pays-Bas puisque neuf ministres sur les treize que compte le gouvernement y apportent leur concours. Concernant les relations des jeunes avec la police, il indiqué qu'elles étaient très différentes, la police néerlandaise étant moins autoritaire, et les autorités ayant favorisé le recrutement de jeunes issus de l'immigration dans la police.

M. Pierre André s'est interrogé sur l'évolution de la politique européenne en faveur des villes après avoir observé que la suppression du FSE et du programme URBAN avait occasionné une baisse de 20 à 30 % des crédits. Il s'est interrogé sur les actions qui étaient menées à travers le fonds doté de un milliard d'euros.

M. Alexander Pechtold a expliqué que le plan quinquennal en faveur des villes mobilisait en tout, compte tenu des actions de l'ensemble des ministères, près de 4 milliards d'euros auxquels il convient d'ajouter des fonds européens. Il a observé qu'aux Pays-Bas les quartiers difficiles faisaient partie des villes alors qu'en France ils correspondent à des villes entières, ce qui posaient des difficultés particulières. Il a proposé que les Pays-Bas et la France prennent une initiative commune qui pourrait prendre la forme d'un symposium sur la politique de la ville organisé à l'automne aux Pays-Bas qu'il pourrait présider avec Mme Catherine Vautrin.

M. Schartman a expliqué que le programme URBAN devrait être poursuivi à travers les programmes généraux menés par la Commission européenne.

M. Pierre André a fait part de son intérêt à l'idée d'une initiative commune franco-néerlandaise et a indiqué qu'il était prêt à venir présenter les conclusions de son rapport à cette occasion.

III - Entretien à la mairie de Rotterdam

La délégation sénatoriale a été reçue à Rotterdam par le maire, M. Ivo Opstelten qui a présenté la « méthode Rotterdam » appliquée depuis quatre ans qui vise à mettre en oeuvre des actions aux effets mesurés grâce à la définition d'indicateurs et à associer les citoyens à leur réalisation. Il a indiqué que les 105 priorités du programme concernaient à la fois la sécurité, le logement, la jeunesse, le développement économique et l'intégration avec un impératif de résultat. Il a insisté sur les 88 objectifs concrets et mesurables qui avaient été définis.

M. Ivo Opstelten a expliqué, par ailleurs, que dans le cadre d'un second programme intitulé « Rotterdam persévère », des initiatives additionnelles avaient été mises en oeuvre qui concernaient le manque d'emplois dans les centres-villes, la concentration des personnes défavorisées dans certains quartiers, la disponibilité des services publics et la lutte contre la délinquance. Il a observé que 81 objectifs sur 88 avaient été atteints et que la spirale descendante avait été enrayée.

Il a évoqué l'amélioration de la sécurité, la fermeture des zones « réservées » à la prostitution, la construction de 3.000 logements supplémentaires et la mise en accession à la propriété de 13.500 logements. Des zones de développement économique, « kanzenzones », sur le modèle des zones franches urbaines françaises ont également été créées. Il a expliqué que la « loi Rotterdam » permettait de limiter l'arrivée de personnes en difficulté dans les quartiers, qu'un nouveau type d'écoles avait été créé, qu'un réseau local d'assistance avait été mis en place pour s'occuper des personnes qui ont des problèmes multiples et que des actions étaient menées pour favoriser l'intégration des minorités culturelles.

M. André Vallet a demandé des précisions sur l'ouverture des écoles à des intervenants extérieurs au milieu scolaire et sur la désaffection rencontrée pour les métiers manuels.

M. Pierre André a souhaité savoir si la municipalité avait rencontré des difficultés pour faire accepter son programme visant à inciter les classes moyennes à acquérir des logements dans les quartiers sensibles.

M. Ivo Opstelten a expliqué que le programme d' « école élargie » reposait sur l'organisation d'activités préscolaires et postscolaires dans les bâtiments de l'école dans le cadre d'un projet défini de concert entre le ministère et les associations. Il a aussi considéré que de nombreux jeunes ne voulaient pas exercer de métiers pénibles.

Concernant la politique de restriction d'accès des locataires aux quartiers difficiles, il a déclaré qu'elle avait été soutenue par tous, au Conseil municipal comme au parlement et que ces restrictions ne concernaient que les locations.

M. André Vallet a souhaité savoir si des débats avaient lieu sur l'islam et quels en étaient les conclusions.

M. Ivo Opstelten a expliqué que l'islam a longtemps été l'objet d'une méconnaissance et une source d'inquiétude pour de nombreux habitants de Rotterdam mais que des actions d'explication sous la forme d'une dizaine de soirées débat avaient permis de mieux connaître cette religion et de discuter de sujets sensibles comme la place de la femme. Il a indiqué qu'il existait une volonté de poursuivre ces débats dans les quartiers.

Il a ensuite évoqué le « code de Rotterdam » qui détermine des règles de comportement et comprend également un programme d'intégration qui prévoit un apprentissage du néerlandais ainsi qu'une connaissance de l'histoire de la ville.

Il a expliqué qu'il existait une question relative au « pouvoir d'absorption » d'un quartier en termes de personnes sans opportunités en observant qu'à partir d'un moment, ceux qui en avaient les moyens s'en allaient. Il a considéré qu'il fallait agir à la fois pour construire de meilleurs logements, détruire les logements vétustes, assurer une meilleure répartition des personnes démunies, favoriser l'accès à la citoyenneté et améliorer les infrastructures de transport.

*

* *

Au cours du déjeuner de travail offert par le maire de Rotterdam, M. Gérard Spierings, un des sept « mariniers de ville » de Rotterdam, du nom des troupes d'élite néerlandaises, a présenté son action qu'il mène sous l'autorité directe du maire.

Responsable d'un quartier, le « marinier de ville » a pour objectif d'atteindre des résultats concrets et immédiats qui sont évalués sur une échelle de 1 à 10. Il est le seul décideur dans le quartier dont il a la responsabilité, son action combine prévention et répression, en coordonnant l'action de la police, des travailleurs sociaux, des services municipaux et des associations.

Il passe beaucoup de temps à recouper et réunir les informations dont disposent l'ensemble des services. Il veille par exemple à la sécurité des travailleurs sociaux. Il peut aussi décider de la suppression des prestations sociales pour les familles au comportement nocif. Il dispose d'un budget d'un million d'euros.

IV. Visite dans les quartiers de Feijenoord et Pendrecht

La délégation, accompagnée de nombreux journalistes, s'est ensuite rendue dans les quartiers de Feijenoord et Pendrecht, quartiers difficiles en cours de rénovation. A Feijenoord, des rencontres ont eu lieu avec les responsables de la mairie d'arrondissement et les responsables d'un « guichet jeunes ».

Dans le quartier de Pendrecht, les responsables locaux ont expliqué que l'objectif avait été de modifier la composition de la population en faisant passer le nombre des foyers propriétaires de 10 % à 40 %, ce qui avait nécessité notamment des investissements dans un centre commercial et dans des écoles. Le développement économique a été encouragé par une coopération public-privé dans laquelle cinq entreprises de la région avaient apporté 50 % des fonds.

LES MESURES APPLIQUÉES AU PAYS-BAS ET À ROTTERDAM
EN MATIÈRE DE POLITIQUE DE LA VILLE

- Planification de la politique de la ville sur 5 ans et contractualisation des objectifs entre le Ministère de l'Intérieur et 31 communes

- L'encouragement à l'accession sociale à la propriété des logements sociaux

- Adoption de la « Loi Rotterdam » qui permet de limiter la concentration de personnes en difficulté aux mêmes endroits et d'inciter les classes moyennes à acquérir des logements dans des quartiers en difficulté pour rétablir la mixité

- Mise en oeuvre d'actions de développement économique grâce à une coopération public-privé qui associe des entreprises au financement des projets

- Mise en place d'une « école élargie » qui propose des activités pré et post-scolaires en concertation avec les associations

- Le retour des concierges dans les habitats collectifs à caractère social

- La définition de règles communes applicables à tous dans les quartiers multiculturels

- La création d'une enveloppe de 60 millions d'euros pour permettre aux habitants des quartiers en difficulté de prendre des initiatives pour améliorer leur qualité de vie

- L'incitation des jeunes des quartiers en difficulté à suivre des formations techniques et manuelles pour lesquelles il existe une offre d'emplois non satisfaite

- La définition de stratégies politiques visant à ne pas humilier les habitants des quartiers en difficulté

- Création à Rotterdam des « mariniers de ville » qui ont autorité sur un quartier pour rétablir la sécurité et peuvent coordonner l'action des services publics

- Adoption du « code de Rotterdam » qui détermine des règles de comportement et comprend un programme d'intégration qui prévoit un apprentissage du néerlandais ainsi qu'une connaissance de l'histoire de la ville

Page mise à jour le

Partager cette page