Compte rendu du déplacement à Barcelone (31 mai et 1er juin 2006)

Composition de la délégation : M. Pierre André, rapporteur, M. Jacques Mahéas, vice-président, Mme Marie-France Beaufils, M. Yves Dauge et Mme Catherine Morin-Desailly

I. Entretien avec M. Joan Clos, maire de Barcelone

M. Joan Clos, maire de Barcelone , a indiqué la ville de Barcelone était marquée par une forte continuité en matière de gestion municipale, puisque depuis 1979, seulement trois maires se sont succédés.

Il a précisé que les problèmes essentiels se concentraient sur les jeunes âgés de 14 à 18 ans, 20 % de jeunes disparaissant du système éducatif à partir de 14 ans. S'agissant de l'immigration, Barcelone a connu une hausse récente de l'immigration, et comprend donc plutôt des immigrés de première génération. En outre, leur répartition géographique est équilibrée, puisqu'on compte environ 10 % d'immigrés par quartier, à l'exception du quartier de Ciutat Vella, situé au centre, qui en comprend environ 39 %.

Par ailleurs, la ville mène une politique ambitieuse en faveur de l'accession à la propriété : les locataires peuvent acheter leur logement au bout de 15 ans, avec l'obligation de rester dans le même quartier, afin de favoriser la mixité sociale. En principe, l'accédant qui souhaite revendre son logement doit le vendre à l'administration, mais en pratique, il revend sur le marché libre, en versant une compensation à celle-ci. Dans les quartiers populaires, l'accession sociale à la propriété a été fondamentale pour garantir la stabilité de la population et l'amélioration du quartier. En outre, la mixité logement / activités économiques est également favorisée, notamment par l'interdiction de réaliser des opérations purement résidentielles, et l'obligation d'avoir 50 % de l'opération destinée à l'activité économique, la partie résidentielle devant elle-même comporter 50 % de promotion publique.

II. Entretien avec Mme Eva Serra, architecte, et M. Jesus de la Torre de Barcelona Regional

Mme Eva Serra a indiqué que l'agglomération de Barcelone comptait 27 communes et 2,2 millions d'habitants, et que l'entité métropolitaine avait été supprimée en 1987, pour laisser place à une coordination très informelle, qui n'est pas toujours optimale. Cette situation est considérée comme handicapante, et une nouvelle corporation métropolitaine est en passe d'être créée.

L'une des politiques menée par le Gouvernement de Catalogne consiste à disperser les agents dans les quartiers, ce qui a un impact extrêmement positif sur ceux-ci.

M. Jesus de la Torre a insisté sur les efforts de la municipalité pour mettre en oeuvre la mixité sociale : les grands projets comptent 50 % de logements, dont 20 % de logements accessibles aux plus modestes. Il a souligné qu'il n'existait pas à proprement parler de politique de la ville en Espagne, et que ce pays n'avait pas eu d'immigration très importante. Il a évoqué le problème de l'appropriation des grands espaces publics par une partie de la population, dont l'usage aboutit à une certaine dégradation. Il existe dans la population une certaine réticence face à la densité urbaine, celle-ci étant associée au franquisme. Les grands projets urbains donnent lieu à des réunions assez houleuses avec les habitants, ceux-ci accusant parfois de spéculation les promoteurs. En tout état de cause, il a souligné que l'urbanisme ne pouvait pas remplacer l'action sociale.

III. Entretien avec M. Jordi Hereu, adjoint au maire chargé de l'immigration et M. Ramon Sanahuja, directeur technique

Après avoir souligné que la Catalogne avait été marquée par une forte immigration intérieure dans les années 1950-1960, M. Jordi Hereu a précisé qu'en 2006, l'immigration avait augmenté de 16 % en 2006, avec une très forte hausse de l'immigration sud-américaine. La politique urbaine active menée depuis 25 ans pour réhabiliter le centre ville a permis d'accueillir l'immigration, et la gauche met désormais l'accent sur les devoirs des immigrés. En 2002, un accord consensuel a défini les objectifs de la politique municipale sur ce sujet.

M. Jordi Hereu a estimé que les services publics de la ville, notamment s'agissant de l'accueil des immigrés, devaient être renforcés pour répondre à la demande et éviter les heurts entre populations autochtones et nouvelles, puisque la ville accueille chaque année 25.000 personnes. 50 % des immigrés connaissent déjà soit l'espagnol, soit le catalan. La ville offre également des services de médiation, d'accueil des mineurs étrangers non accompagnés et de contrôle des logements, avec 6.000 logements inspectés chaque année.

M. Jordi Hereu a ensuite évoqué les points suivants :

- toute personne habitant à Barcelone doit s'inscrire à la mairie, celle-ci devant conserver les données : les sans-papiers commencent donc par s'inscrire, pour avoir accès au système santé et au système scolaire ;

- la ville souhaite renforcer le travail des associations, qui jouent un rôle essentiel dans l'accueil : l'objectif est d'accompagner les immigrés de leur arrivée à leur intégration ;

- dans les années 1950, la décision a été prise de n'avoir qu'un seul réseau d'écoles, en catalan et non en espagnol ;

- la cohésion sociale dépend de la croissance économique : le modèle économique catalan a eu besoin des vagues d'immigration ;

- entre le multiculturalisme et l'assimilation, la ville tente de construire un modèle d' « interculturalité », fondé sur la mixité ;

- l'investissement dans l'urbanisme est très important car il permet aux citoyens de se réapproprier leurs territoires.

IV. Visite au quartier de Ciutat Vella et réunion à l'agence de développement de Ciutat Vella (focivesa) avec M. Carles Marti, conseiller du district et M. Joseph de Torres, directeur général de l'agence

Les responsables de l'agence ont d'abord rappelé à la délégation qu'au cours des années 70, le centre ville de Barcelone était dans un état d'abandon sur le plan économique et que l'arrondissement de Ciutat Vella connaissait une situation très dégradée, celle-ci se traduisant par un effondrement de la valeur des logements, un développement de la pauvreté, une dégradation de l'état sanitaire des populations, une augmentation de la consommation de drogues et la montée de la délinquance.

Le retour à la démocratie après la chute du franquisme a conduit les autorités à engager des actions de rénovation destinées à rétablir l'identité du centre ville .

Cette volonté politique s'est traduite par un projet adopté en 1985 pour modifier la situation : la ville, en liaison avec les acteurs socio-économiques concernés, a ainsi engagé des travaux d'urbanisme ambitieux programmés dans un projet général qui a ensuite été décliné au niveau des quartiers. Le départ spontané et les expulsions de certains habitants ont conduit à libérer des logements pour d'autres populations. La mairie a joué un rôle leader dans ce programme en liaison avec le gouvernement autonome, le gouvernement central et l'Union européenne, des crédits importants étant ainsi mobilisés pour ce programme de rénovation du centre ville, qui est encore en cours et orienté autour de deux volets :

- refaire du centre historique de Barcelone le vrai centre de la ville et lui redonner son identité ;

- améliorer les conditions de vie des habitants et promouvoir un renouvellement des populations, ce qui implique une amélioration de l'habitat, l'implantation de services publics et la construction d'équipements publics.

La ville a ainsi démoli une partie des quartiers concernés, élaboré un nouveau plan d'urbanisme, percé de nouvelles rues, développé notamment des écoles, des hôpitaux, des sites universitaires, des lieux commerciaux et plus largement relancé l'activité économique. Alors que la population du centre ville a compté jusqu'à 250 000 habitants, elle était tombée à 70 000 avant de remonter aujourd'hui à 105 000 personnes. Au titre de ce plan, 1 200 millions d'euros d'argent public ont été investis dans le quartier tandis que de nombreuses initiatives privées se sont développées, notamment dans le secteur hôtelier, alors que celui-ci était sinistré jusqu'au milieu des années 80. Ceci s'est traduit par une forte remontée des prix des logements, 60 % des bâtiments étant aujourd'hui restaurés.

Par ailleurs, alors que l'immigration était quasiment inexistante en 1985 (1 à 2 % de la population), une population d'origine étrangère a aujourd'hui investi certaines zones du district non encore rénovées. L'amélioration de la situation économique, le développement de l'Etat-providence (allocations de chômage...) et la baisse de la natalité ont engendré une nouvelle réalité urbaine : la population du quartier est ainsi désormais constituée pour un tiers d'anciens habitants, dont le niveau de vie s'est considérablement amélioré, pour un autre tiers de nouveaux arrivants et par un tiers d'immigrés, notamment originaires de pays non européens qui représentent de 20 à 48 % de la population selon les sous-quartiers du centre ville.

Cette situation a conduit à réorienter le programme initial de rénovation , compte tenu du fait que certaines demandes de logement ne peuvent plus être satisfaites et qu'une partie de la population résidente se trouve exclue du marché du logement ; certaines restrictions ont été ainsi édictées pour limiter l'ouverture de bars, de restaurants, d'hôtels et d'hébergements à vocation touristique. Au total, le centre ville ghettoïsé (dans les années 70) a fait place à un centre rénové et revitalisé où coexistent cependant des poches de pauvreté et des quartiers prospères.

Ce déclin s'était traduit par la fermeture des halles, jusqu'en 2002, par la désaffectation de la grande gare ferroviaire de France, par le fait que l'opéra était déserté par les habitants, par l'arrêt des activités portuaires concernant le transport des bois, mais aussi par une certaine vitalité culturelle underground...

La mairie s'est attachée à faire revenir des activités économiques, notamment portuaires, à développer les marchés de détail et la culture (musée d'art contemporain, universités, écoles, bibliothèques...).

La restauration des logements privés est financée pour partie, jusqu'à 40 % selon les programmes, à fonds perdus, par l'Etat et la ville, et les propriétaires privés se pressent désormais pour bénéficier de cette aide, lesquels habitent pour 50 % leur propre logement tandis que les autres peuvent les louer au prix du marché.

Les premiers immigrés installés en centre ville, plus aisés, sont en mesure d'acquitter ces loyers, tandis que les plus récents doivent se rabattre dans d'autres quartiers périphériques.

Certaines banques commencent à enregistrer de leur part des demandes de prêts pour l'accession à la propriété, ce qui s'explique sans doute par une législation espagnole favorable à cette formule : le prix du m 2 s'échelonne entre 3 000 et 6 000 euros et varie selon la qualité du bâti. A Barcelone, coexistent en effet d'anciens palais historiques et de l'« infra-logement », ce qui autorise une diversification exceptionnelle de la population, les plus riches côtoyant les plus pauvres.

S'agissant du logement public , 1 200 millions d'euros y sont consacrés afin de maintenir la population modeste en centre ville : le parc est constitué d'environ 5 000 appartements à loyer modéré en propriété publique.

La ville devrait engager une dernière grande opération afin de maintenir les habitants dans leur quartier : restauration d'immeubles vétustes en les équipant d'ascenseurs, aides aux propriétaires expulsés et dépourvus de ressources. Le quartier des anciens pêcheurs est soumis à une forte pression immobilière et touristique puisqu'un appartement de 30 m 2 se négocie autour de 6 000 euros le m 2 . Par ailleurs, la transformation du port de pêche, désormais affecté à la plaisance de luxe, a permis de créer 3 000 postes de travail.

Le statut de la FOCIVESA est celui d'une SEM financée à hauteur de 51 % par la mairie et de 49 % par des capitaux privés. Elle dispose de 30 salariés et a un coût de fonctionnement de l'ordre de 30 millions d'euros. Cette structure ne constitue qu'un outil, notamment d'ingénierie, la mairie fournissant les crédits d'investissement.

Le programme est financé à hauteur de 25 % par le gouvernement régional, de 30 % par l'Etat, de 3 % par l'Union européenne (la Catalogne ne relevant que de l'objectif 2) et le reste par la mairie. Si Barcelone peut être considérée comme une ville riche, les impôts des habitants représentent 20 % de son budget. L'organisation des Jeux olympiques a suscité un assainissement des finances de la ville, permettant notamment de financer le Forum.

Enfin, la prospérité du club de football de Barcelone a pour origine une cession avantageuse de son ancien terrain, après la période franquiste, et l'investissement de grandes entreprises, notamment immobilières, dans le club.

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V. Réunion au siège du district de Nou Barris avec M. Ferran Julian, conseiller du district

Le district de Nou Barris a été créé au cours des années 50, en périphérie de la ville de Barcelone, pour accueillir notamment les nouvelles populations venues du sud de l'Espagne.

Ce quartier était à l'époque dépourvu d'équipements collectifs mais disposait d'un fort tissu associatif traduisant une véritable solidarité des habitants. Le mouvement associatif, puissant pendant la période franquiste, a contribué par sa cohésion à favoriser le passage au retour de la démocratie.

Lors de la visite papale de 1952, qui devait s'effectuer sur la colline de Montjuich, 400 logements d'une superficie de 30 m 2 furent construits à la hâte en cinq mois par le gouvernement. Ceux-ci, d'une qualité médiocre, étaient promis à la démolition et leurs habitants sont en cours de relogement.

Si les constructions ne brillent pas par leur qualité et leur esthétique, l'environnement, notamment végétal, est particulièrement soigné. Le quartier comporte 800 logements construits dans les années 60 avec un ciment défectueux et des matériaux interdits en France, fragilisant en particulier les poutres porteuses, ce qui rend impossible toute restauration.

Le processus de démolition-reconstruction devait se réaliser sur une période de 8 ans. Les nouveaux immeubles sont édifiés à proximité des anciens dans le même site attractif situé entre les collines et la mer, qui est visible des nouveaux appartements.

Le plan de rénovation et de reconstruction a été engagé en concertation avec les familles, les associations, les services de la jeunesse et des sports.

Les nouveaux immeubles sont construits en tenant compte du fort ensoleillement et disposent d'une double ventilation et d'un système de récupération des eaux.

Pour mener à bien cette opération, la mairie rachète les logements promis à la démolition puis construit les nouveaux immeubles et procède à la vente des appartements.

La même démarche est entreprise dans un quartier voisin où les logements ne sont pas susceptibles d'être rénovés.

Il existe cependant un risque que la dépréciation de la valeur de certains logements suscite l'arrivée de nouvelles populations, notamment d'origine sud-américaine.

Le district de Nou Barris, à la suite d'une décision récente du gouvernement catalan, devrait bénéficier de 18 millions d'euros ; le quartier remodelé regroupe 3 000 habitants, confrontés aux conséquences du vieillissement, pour une population totale du district de 150 000 personnes.

Parallèlement à cette réunion, tenue dans les locaux historiques, imposants et rénovés d'un ancien hôpital psychiatrique, la délégation de la mission, sous la conduite de M. Ferran Julian, a pu effectuer la visite d'une partie du district de Nou Barris et des quartiers Turó de la Paira et Trinitat Nova où elle a pu constater la qualité des immeubles de remplacement et du site de leur implantation.

VI. Compte rendu du de la conférence européenne « régions et villes, partenaires pour la croissance et pour l'emploi » organisée à Barcelone du 1er au 2 juin 2006 par le gouvernement de Catalogne

Mme Elisabeth Helander, Directrice responsable de la coopération territoriale, des actions urbaines et des régions à la « DG Regio » à la Commission européenne a fait part des éléments suivants :

- la nouvelle programmation des fonds structurels est marquée par la volonté de renforcer la place des villes, et plus particulièrement celle des quartiers en difficulté ;

- l'objectif est également d'associer très étroitement les autorités locales, l'implication des acteurs locaux étant considérée comme très importante pour le succès des opérations ;

- la référence aux villes doit apparaître clairement dans les programmes stratégiques des États : si ceux-ci ne souhaitent pas le faire, ils doivent en donner les raisons ;

- les questions urbaines doivent être intégrées dans les programmes opérationnels, qui doivent établir une description claire des problèmes et définir les mesures envisagées ;

- le transport devient un élément de plus en plus essentiel dans ces programmes, mais les villes ne doivent pas en être seules responsables ;

- les zones éligibles seront définies en fonction de critères relatifs au taux de chômage, à l'exclusion, à la délinquance, à l'immigration et à l'habitat social ;

- l'un des objectifs est d'accroître l'effet levier des fonds européens ;

- par rapport à la dernière programmation, l'accent est davantage mis sur la capitalisation et la diffusion des expériences, avec une incitation pour les villes à s'intégrer au réseau Urbact.

Mme Agathe Cahierre, première adjointe au maire du Havre, Présidente du réseau URBAN en France, a souligné les points suivants :

- l'utilisation des fonds européens a permis, au Havre, le renouvellement et la redynamisation d'un quartier ;

- le fait d'être autorité de gestion a favorisé la gouvernance ;

- les nouveaux contrats urbains de cohésion sociale seront calqués sur le modèle des programmes Urban (fixation d'objectifs précisés et directement évaluables) ;

- le programme Urban est plus concentré et plus efficace que les financements issus de l'objectif 2 ; Urban ne rencontre pas non plus les difficultés de consommation des fonds du FSE, liées à la présence de petits maîtres d'ouvrage ;

- le réseau des 9 villes URBAN fonctionne très bien, et repose sur des échanges nombreux, au travers de réunions de travail, y compris sans les élus ; il dispose d'un site intranet et exerce un rôle important de lobbying auprès de la Commission européenne pour défendre le fait urbain ;

- le développement urbain repose sur l'investissement mais aussi sur les aides aux associations ;

- une formation des élus au fonctionnement des institutions européennes serait extrêmement opportune.

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