Compte rendu du déplacement à Marseille (17 et 18 mai 2006)

Composition de la délégation : MM. Alex Türk, président, Philippe Dallier, vice-président, M. Alain Dufaut, Mme Raymonde Le Texier, secrétaires, MM. Yves Dauge, Thierry Repentin et Mme Dominique Voynet.

I. Dîner en préfecture avec Mme Marcelle Pierrot, préfète déléguée pour l'égalité des chances et M. Bernard Susini, adjoint au maire de Marseille, délégué à la politique de la Ville et au Grand Projet de Ville

M. Susini a présenté les caractéristiques de la ville de Marseille susceptibles d'expliquer le traitement particulier des problèmes urbains et l'absence de conflit majeur, notamment lors de l'automne 2005. Classant les facteurs par ordre décroissant d'importance, il a d'abord évoqué le métissage de la population (toute la ville se retrouve dans la rue St Ferreol), l'accès facile aux plages du Sud de la ville et l'absence de barrière entre les populations. En ce qui concerne la politique de la ville mise en place au début des années 2000, il a précisé qu'elle reposait sur une détermination fine des territoires évitant l'émiettage des crédits et sur un travail de concertation approfondi avec toutes les mairies de quartiers qui a abouti à lister, par ordre de priorité de traitement, les handicaps des quartiers les plus défavorisés : la délinquance, le chômage, les insuffisances en matière d'éducation, l'habitat, la santé et la culture. Ces priorités ont ensuite été déclinées en actions qui ont fait l'objet d'une adaptation pour chacun des quartiers par les équipes de proximité. Un partenariat a été établi entre la ville, le conseil régional, le conseil général, le FASILD et l'Etat qui se sont engagés à établir leur politique dans la durée et à montrer leur cohésion face aux associations.

De ce fait, un accord financier a été trouvé sur les interventions de politique de la ville ainsi que sur un mode de fonctionnement par comité de pilotage qui permet une prise de décision collective, depuis 7 ans, sur le financement des associations , 25 à 30 % des actions n'étant pas renouvelées chaque année. Cette certitude de la sanction a permis une « moralisation » du « marché » des associations. L'examen des comptes de chaque association se fait par un cabinet d'expertise comptable. Au total, la ville de Marseille bénéficie d'un réseau associatif très fort qu'il faut « républicaniser ».

Sur la période de l'automne 2005, M. Susini a précisé que chaque agent de la politique de la ville avait joué un rôle de sentinelle. Seuls quelques incidents isolés ont eu lieu à la Cayolle et Air Bel. Dans les alentours de Marseille, des incidents ont été notés à Salon et Aix mais sans commune mesure avec ceux de la région parisienne.

Il a évoqué enfin la nécessité d' accompagner socialement le vaste programme de rénovation urbaine entrepris et indiqué que le montant des financements liés aux dossiers acceptés par l'ANRU pour la ville de Marseille s'établissait à 500 millions d'euros et pourrait atteindre 1,3 milliard. Il a précisé que la ville avait eu avec l'agence quelques dissensions concernant les démolitions.

M. Marhand, Directeur de cabinet de M. Guérini, président du conseil général a considéré qu'au-delà du soleil et de la plage, Marseille et de manière plus générale les Bouches-du-Rhône, bénéficient d'un tissu social particulier qui joue le rôle d'amortisseur. A Marseille le problème urbain est en centre-ville et non pas en banlieue. Toutefois, il convient de rester prudent sur l'exception marseillaise. En outre, Marseille a tiré profit de la présence d'une unité de prévention urbaine qui a permis de repérer les facteurs de tension et d'intervenir préventivement. L'UPU est efficace dans la mesure où elle est proche du réseau associatif. Le problème majeur est toutefois celui de l'emploi.

M. Henry Dardel, directeur régional du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations (FASILD) , a souligné le caractère « républicain » du tissu associatif à Marseille et les très rares dérives communautaristes, regrettant par ailleurs une tendance à l'ethnicisation de l'action sociale. Il a insisté sur l'importance des actions culturelles et soulevé la question particulière des immigrés âgés et isolés qui vivent sans reconnaissance sociale.

Mme Pierrot a exposé le plan à l'embauche des jeunes des quartiers difficiles . Une campagne d'identification de ces jeunes dans les fichiers de l'ANPE a commencé en janvier 2006. Elle a également valorisé l'opération « passeport pour l'emploi » menée avec Coca Cola et Décathlon et destinée aux jeunes des quartiers défavorisés du département, afin de les initier au monde du travail. Le programme s'articule autour de deux actions distinctes avec la découverte de l'environnement de production dans une industrie très automatisée et l'entraînement à l'entretien de recrutement.

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II. Réunion dans les locaux de l'entreprise BOUOD (ZFU des quartiers Nord)

La délégation s'est rendue le lendemain à l'entreprise BOUOD, à l'invitation de M. Hassan Bouod, chef d'entreprise et président de l'association des entrepreneurs de la zone franche de Marseille (EZF), en vue de participer à un débat réunissant chefs d'entreprises en ZFU, chefs d'établissements de lycées professionnels et collèges, éducateurs et associations .

Participants : Mmes et MM. Laure Ducottet (directrice des ressources humaines chez AOL), Gilles Benhamou (chef de travaux lycée professionnel régional « La Floride »), Josette Haon (lycée professionnel régional « la Viste »), Marcelle Pierrot (préfete déléguée), Jean Gutierez (Inspecteur d'académie adjoint), Anne-Marie Depierre (proviseur lycée Saint-Exupéry), Bernard Susini (Adjoint au maire de Marseille), Denis Barroero (proviseur lycée professionnel R. Caillé), Emmanuel Barey (Président Bleu électrique), El Hassan Bouod (Président EZF et BHM), Hervé Serekian (expert comptable, administrateur EZF), Ivane Cappelli (animatrice CCIMP Marseille), Gérard Berg (directeur CIO Marseille), Jean-Christophe Abgrall (proviseur lycée professionnel et technique régional L'Estaque), Ange Lopez (chef de travaux lycée professionnel et technique régional L'Estaque), Patrick Toulouse (gérant Cornadev, ex coordonnateur CLEE), Géraldine Garnier (chargée de développement et de communication COSMOS KOLEJ), Gwénaëlle Grousard (administratrice COSMOS KOLEJ), Jean-Paul Demany (chargé emploi et développement économique contrat de ville de Marseille), R-Marie Hergoualch (chargée de mission mairie de Marseille), Lucile Debaille (directrice pôle entreprise E2C), Lionel Urdy (directeur général E2C), Laurence Rouzaud (direction de la politique de la Ville Marseille), Pierre-Yves Debrenne (directeur de la politique de la Ville Marseille), Antonio Roig (manager libre-service Casino), Laurence Delattre (proviseur adjoint lycée Jean Perrin Marseille), Claude Coyo (proviseur lycée professionnel régional « Colbert »), Pierrick Breton (proviseur lycée professionnel régional « La Calade »), Guy Gros (CFA BTP Marseille), Philippe Amet (directeur adjoint lycée professionnel privé « Saint Henri »), Pierre Thibault (responsable pédagogique CFA automobile), Béhar Benaïba (Préfecture des Bouches du Rhône), Gilles Bourgonne (responsable associé AB Méditerranée), Philippe Desruelles (gérant de QUICK), Marie-José Garcia-Bienvenu (chef de projet ZFV-DDCAI), Jean-Paul Serres (chargé de mission à l'insertion, Formation et métier).

Dans un premier temps, M. Susini a dressé un panorama des quartiers Nord de Marseille et de la zone franche urbaine « Marseille Nord Littoral » qui couvre une partie des 15 e et 16 e arrondissements. Dans les années 1995, les quartiers Nord de Marseille qui comptent 100 000 habitants enregistraient une diminution du nombre de leurs habitants (- 7 000 par an) et de l'emploi salarié (- 2 000 par an) ainsi qu'un taux de chômage moyen de 29 % allant jusqu'à 40 % dans le 16 e arrondissement. La zone franche urbaine a été instituée pour faire revenir les entreprises en leur octroyant des avantages fiscaux qui bénéficient également aux quartiers où elles s'implantent. Cinq années après la création de la ZFU, les résultats sont probants : le taux de chômage a baissé à 18 % dans le 15 e et 19 % dans le 16 e. Le taux d'emploi local s'est établi à 38 %, au-delà de la contrainte légale, l'image des quartiers a changé (c'était celle de la désolation économique), l'immobilier d'entreprise s'est développé et certaines personnes ont souhaité se loger dans le quartier ce qui a favorisé la mixité sociale avec l'introduction du locatif privé et de l'accession sociale. Au total, la ZFU « Marseille Nord Littoral » est une réussite globale et collective que personne ne discute car tous y ont participé.

M. Hassan Bouod a rappelé les conditions dans lesquelles il a créé le groupe Bouod Hassan & Mohammed (BHM). Jugeant que l' insertion par l'économie est plus honorable que l'insertion par le social, et qu'il est nécessaire de penser l'insertion par l'économie, il a déclaré ne pas être favorable à la pérennisation de dispositifs particuliers mais au retour au droit commun. Les entreprises qui s'implantent en ZFU ne le font pas pour les seules incitations fiscales mais doivent avoir la fibre sociale. Elles travaillent en étroite collaboration avec les acteurs du quartier et sur des sujets multiples : les transports, la création d'une crèche privée pour les entreprises, le rapprochement école-entreprises, l'utilisation de la taxe d'apprentissage, l'offre de stages pour les habitants des quartiers défavorisés, les visites d'entreprises.

Sur le thème des relations école/entreprise , le but est de donner des repères et de démontrer qu'il existe un avenir, y compris pour ces quartiers. La visite de l'École supérieure de commerce « Euromed Marseille » organisée par EZF a été saluée car elle a permis que des lycéens des quartiers Nord rencontrent des étudiants en management. Le dialogue entreprises/écoles, n'implique aucune supervision des uns sur les autres mais il est plus qu'un simple parrainage. Il s'agit de diffuser l'esprit d'entreprise et, à ce titre, on pourrait prévoir d'intégrer dans les programmes scolaires des interventions d'entrepreneurs.

S'agissant de l'emploi des jeunes, M. Hassan Bouod s'est dit défavorable à une entrée trop rapide dans la vie active et à l'apprentissage à 14 ans. Les contrats jeunes qui offrent à des jeunes de 16 ans une rémunération au SMIC ne sont pas satisfaisants. En effet, des étudiants de BTS en alternance n'ont pas ce niveau de rémunération. De fait, un jeune en CAP est souvent mieux payé qu'un jeune disposant d'un diplôme Bac +2. Il faut donc trouver un modèle de rémunération adapté aux jeunes .

Une autre priorité reste de stabiliser les jeunes dans les filières qu'ils ont choisies. D'autres propositions ont été faites comme la limitation de l'effectif de formations en alternance dans la même entreprise ou la reconnaissance de la fonction de maître d'apprentissage dans les entreprises, qui passe sans doute par une rétribution de ces fonctions.

Au cours du débat qui a suivi, les points suivants ont été évoqués :

- les échanges écoles/entreprises reposent très souvent sur des initiatives personnelles de proviseurs. Il conviendrait de les institutionnaliser, de développer la connaissance du monde de l'entreprise auprès des enseignants et de faire de ce thème un élément du programme obligatoire dans l'éducation qui pourrait être confié à des chefs d'entreprises agréés ;

- la philosophie du collège unique , qui date des années 70 n'est plus adaptée aux jeunes et à la situation sociale et économique ;

- les lycées ont comme finalité la préparation au bac. Ils ont beaucoup de difficultés à intégrer la problématique des relations avec le monde de l'entreprise ;

- les jeunes des quartiers sont dans une grande misère culturelle et ne sortent pas de leur territoire ;

- les phénomènes d' absentéisme et de volatilité des orientations sont très importants. Les changements d'orientations touchent plus de 50 % des élèves après la première année dans les centres d'apprentissage ;

- l'éducation nationale est insuffisamment réactive face à l' émergence de nouveaux métiers . Il n'existe toujours pas d'offre de formation pour les emplois en centres d'appel ;

- l'école de la deuxième chance (E2C) qui est implantée à Marseille avec les soutien des collectivités territoriales et de l'Union européenne, a pour but d'assurer l'insertion professionnelle et sociale, par l'éducation et la formation, de jeunes adultes de 18 à 25 ans, sans diplôme ni qualification et sortis du système traditionnel d'éducation depuis au moins un an. C'est une expérience réussie qui rassemble des formateurs référents, des médiateurs et des chargés de mission pour les relations avec les entreprises ;

- l'âge de l'orientation des élèves est toujours le même alors que l'âge moyen d'entrée sur le marché du travail est passé de 15 à 25 ans ;

- la mission de l'école n'est pas de trouver du travail mais de former à un métier . Or le changement de métier au cours d'une vie professionnelle est devenu courant et pose le problème de la formation continue ;

- certains élèves sont repérés dès la classe de seconde pour être intégrés à des filières d'excellence dans des lycées « élitistes » ;

- la question des apprentissages de base reste posée : en CE1, 20 % des élèves sont en très forte difficultés dans les écoles classées en ZEP ; à l'entrée en 6 ème , ils sont 25 % dont un tiers sont originaires des Comores et un autre tiers sont tsiganes.

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III. Déjeuner de travail à la villa Pastré

Au cours d'un déjeuner de travail organisé à l'invitation de M. Jean-Claude Gaudin , maire de Marseille, les informations suivantes ont été apportées :

- la particularité de Marseille tient à des facteurs géographiques qui ont conduit à construire les grands ensembles au coeur de la ville et à l'effort consenti en faveur de la vie associative . Le rôle joué par l'OM comme facteur d'intégration n'est pas à négliger ;

- la ville a un potentiel fiscal très faible (294 euros par habitant) et 23 % des habitants y vivent sous le seuil de pauvreté ;

- l'association Marseille Espérance est une institution propre à Marseille, qui rassemble tous les dignitaires religieux et permet de définir, autour du maire, des positions communes sur certains évènements ;

- la ville bénéficie de la structuration très forte de ses 111 quartiers ;

- le travail réalisé auprès des jeunes, notamment pour des actions humanitaires ou de citoyenneté ou dans le cadre de l'opération des plages, a eu des effets certains à l'automne 2005 ;

- l'Unité de police urbaine, composée de 16 policiers en civil très intégrés à la population des quartiers a également joué un rôle déterminant de même que la reconversion des deux tiers des effectifs des renseignements généraux dans la surveillance des quartiers. De ce fait, le seuil de déclenchement aux émeutes existe bien à Marseille mais il est placé très haut.

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IV. Réunion au centre social « la Castellane »

La délégation s'est ensuite rendue au centre social « la Castellane » en vue de participer à un débat réunissant des éducateurs et associations, les responsables de centres sociaux et des fédérations d'éducation populaire .

Participants : Marcelle Pierrot (préfete déléguée), R-Marie Hergoualch (chargée de mission mairie de Marseille), Bernard Susini (adjoint au maire de Marseille), Laurence Rouzaud (direction de la politique de la Ville Marseille), Pierre-Yves Debrenne (directeur de la politique de la Ville Marseille), Nicole Bette (référente insertion sociale professionnelle centre social La Viste), Nadir Brya (directrice Pacquam - Promotion associations collège quartier à Marseille, soutien scolaire-), Mireille Mouraret (présidente Pacquam), T. Kader (association génération future -sports-), D. Aouameur (chef de service Association pour la réadaptation sociale), Marie-Odile Terne ( chef de service ARS), Léonie Guth (présidente centre social Air bel) , Antoine Dufour (directeur centre social Air bel), Eric Serre (directeur centre social La Garde), Mohammed Mbae (association B vice -culturelle-), Robert De Vita (chef de projet contrat de ville Notre Dame Limite), Nadil Ouslimani (travailleur indépendant), Cécile Brunet-David (coordonnatrice Pôle insertion centre social La Castellane), Naceur Oussedik (président du centre social La Castellane), Rachid Zekraoui (directeur financier et administratif du centre social La Castellane), Hélène Coiffet (chef de service éducatif Association départementale pour le développement des actions de prévention ADDAP 13), Fatima Rhazi (présidente fondatrice femmes d'ici et d'ailleurs), Fatiha Mennis (Présidente ni putes ni soumises 13), Jean-Yves Pichot (directeur centre social Les Rosiers), Bertrand Boureau (administrateur centre social Les Rosiers), Marie-Pierre Bigi (Union des Centres Sociaux), Nadine Riberi-Sarran (contrat de ville Nord-littoral), Dominique Girault (chef de projet contrat de ville Nord-littoral), Rémi Velian (Centre de culture ouvrière CCO).

M. Naceur Oussedik a présenté l'environnement du centre social La Castellane (quartier de 6600 habitants dont 42 % ont moins de 20 ans et où le taux de chômage dépasse 50 %) et ses activités. Dans un contexte où les parents sont souvent déculpabilisés par rapport à l'éducation de leurs enfants, le quartier qui manque d'équipements de proximité, notamment dans le domaine sportif, éprouve parfois un sentiment d'abandon. L'accompagnement social ne peut pas reposer sur la seule bonne volonté de certaines personnes mais doit se professionnaliser.

Au cours du débat qui a suivi, les points suivants ont été évoqués :

- certains quartiers comme Air Bel sont marqués par un phénomène de désindustrialisation et on constate une très forte dégradation de la situation depuis 3 ans avec une montée de la tension dans les cités ;

- des interrogations s'expriment sur la pérennité de la politique de la ville et des relations avec les associations qui font face à la complexité croissante des procédures et à la montée de la pauvreté ;

- la suppression de certaines subventions, en particulier régionales, a des effets très importants sur les populations qui peuvent bénéficier de l'action des associations ; de l'avis de nombreux intervenants, la diminution des moyens des associations est générale alors que les liens de proximité (police, emplois jeunes) ont disparu ; les associations souhaitent une visibilité à moyen terme ;

- la situation à Marseille présente cependant une particularité liée à un sentiment fort d'appartenance à la communauté marseillaise et aux identités marquées des quartiers qui ne sont pas des banlieues ;

- pour limiter les problèmes rencontrés dans les versements des subventions, il serait souhaitable de créer des fonds d'intervention spécifiques facilement mobilisables.

Enfin, la mission a reçu, de la part de l'OPAC de la ville de Marseille, des observations écrites sur le blocage de nombreux projets depuis 2000, qui serait lié à la fois au manque de cohérence entre les différents dispositifs (zone franche, Feder, ANRU) interdisant d'avoir une bonne visibilité à moyen terme et à l'accroissement significatif de la complexité des dossiers.

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