II. DES INCERTITUDES QUANT À LA POURSUITE DE LA CROISSANCE ET À L'AVENIR DE L'IRLANDE AGRICOLE

Parmi les risques auxquels l'Irlande est confrontée du fait de son mode de développement, la délégation a aussi étudié ceux pesant spécifiquement sur la vocation agricole traditionnelle du pays.

A. LES FRAGILITÉS INHÉRENTES AU MODE DE CROISSANCE IRLANDAIS

a) Des goulots d'étranglement de plus en plus contraignants

La croissance irlandaise bute traditionnellement sur deux goulots d'étranglement : les infrastructures et l'énergie.

S'agissant des infrastructures , si le niveau d'équipement du pays a considérablement progressé à la faveur des fonds structurels européens et de l'activité du secteur du BTP, il n'a toutefois pas crû aussi rapidement que l'économie.

Cette situation, que les membres de la délégation ont pu constater pour les infrastructures routières, vaut pour l'ensemble des modes de transport ainsi que pour les infrastructures environnementales, telle la gestion des eaux ou des déchets 30 ( * ) . Il n'y a dès lors rien de surprenant à ce que l'OCDE classe l'Irlande au 28 e rang de ses membres pour son équipement en infrastructures.

Bien qu'anciennes, ces difficultés n'ont fait l'objet que d'une prise de conscience très récente manifestée par l'adoption, fin 2005, du plan « Transports 21 » qui prévoit sur dix ans une dépense de 34 milliards d'euros. Le budget 2006 a porté la marque de cet effort même si, comme le secrétaire d'Etat aux travaux publics irlandais a pu l'expliquer à la délégation, le cadre législatif irlandais n'est pas toujours parfaitement adapté à la réalisation rapide des projets.

S'agissant de l' énergie , un facteur de fragilité est la forte dépendance du pays vis-à-vis du pétrole importé . Si, pendant de nombreuses années, l'Irlande a maîtrisé sa dépendance énergétique en développant ses tourbières, en construisant un barrage sur la rivière Shannon et en développant des plateformes off-shore, il apparaît aujourd'hui que toutes les ressources hydroélectriques ont été exploitées, que le gaz est utilisé au maximum et que les tourbières n'ont plus guère d'avenir économique.

Outre la rapidité du développement de l'économie, une des causes de cette situation réside dans le sous-investissement en infrastructures permettant d'exploiter le très grand potentiel du pays en matière d'énergie éolienne 31 ( * ) .

En effet, un rapport officiel du Sustainable Energy Ireland révèle que si son exploitation était correctement développée, l'Irlande pourrait un jour exporter l'excédent de son énergie éolienne qui, à l'heure actuelle, ne fournit que 5 % de l'électricité.

b) Depuis plusieurs années, l'essentiel de l'expansion repose sur l'immobilier

Le retour en 2004 de la croissance, après la parenthèse de 2001-2003, est dû pour l'essentiel au dynamisme du seul secteur de la construction. Ce dernier tente en effet, avec plusieurs années de retard, de répondre à la demande causée par le premier boom entre 1993 et 2000. Ainsi, 80.000 nouveaux logements ont été construits en 2005, contre 160.000 au Royaume-Uni, pays comptant pourtant 15 fois plus d'habitants que l'Irlande.

Cette tension s'est traduite par une augmentation de 330 % des prix de l'immobilier en termes réels 32 ( * ) au cours des dix dernières années .

Une des questions essentielles est donc de savoir si une partie de cette hausse ne provient pas d'une bulle spéculative, qui exposerait le pays à un risque d'effondrement des prix dont un des signes avant-coureurs serait la baisse récente des rendements locatifs dans l'immobilier résidentiel. Si les avis sur ce point sont partagés 33 ( * ) , les membres de la délégation estiment qu'il convient de suivre cette question avec le plus grand intérêt, compte tenu de l'ampleur des conséquences que pourrait avoir un tel scénario.

En effet, outre qu'un coût d'arrêt très net serait donné à la croissance actuelle et affecterait très fortement le niveau des recettes fiscales, la chute des prix pourrait avoir des conséquences sociales dramatiques, et ce pour deux raisons essentielles.

D'une part, parce que les ménages financent aujourd'hui leurs acquisitions par des prêts hypothécaires sur 30 à 40 ans basés sur l'intégralité de la valeur des biens sur le marché au moment de la transaction. Une baisse des prix affecterait donc directement la solvabilité des ménages et pèserait sur leur consommation.

D'autre part, parce que le secteur de la construction absorbe depuis 2004 plus du tiers de l'immigration, la moitié de ces flux concernant des ouvriers polonais. En plus de ses effets généraux sur l'emploi, l'effondrement du secteur pourrait contrarier l'insertion de cette main d'oeuvre dans la société irlandaise, confrontant le pays à des difficultés encore inédites.

Outre les risques économiques ou les contraintes physiques qu'elles représentent, les fragilités internes du mode de croissance irlandais contribuent à augmenter les coûts de production du pays.

Or, la préservation de la compétitivité nationale constitue aujourd'hui le principal enjeu de l'avenir économique du pays.

B. LE DÉFI MAJEUR DU MAINTIEN DE LA COMPÉTITIVITÉ

a) L'Irlande est devenu un pays relativement cher

Malgré l'amélioration continue de la productivité de la main d'oeuvre 34 ( * ) , l'Irlande est aujourd'hui un pays où il est plus coûteux de s'installer qu'en France, et ce notamment du fait du prix de l'immobilier et de salaires devenus supérieurs à la moyenne de l'Union européenne, dont il résulte une inflation proche de 5 % depuis de nombreuses années.

Il n'est d'ailleurs pas impossible que le poids des dépenses publiques ne vienne lui aussi accroître les coûts de production tant, comme en matière d'infrastructures, le budget de 2006 a marqué la volonté de combler le retard constaté en matière de dépenses de solidarité et de réduction des inégalités 35 ( * ) .

L'ensemble de ces facteurs commence à peser sur la compétitivité de l'Irlande et sur sa capacité à préserver des emplois peu ou moyennement qualifiés en particulier depuis l'entrée des nouveaux Etats membres dans l'Union européenne. Un des exemples particulièrement emblématique de cette redistribution des cartes a été le transfert en Pologne de plusieurs centaines d'anciens emplois irlandais provenant du département comptabilité de Philips.

Dès lors s'impose à l'Irlande la nécessité de se spécialiser vers des activités à plus forte valeur ajoutée . La délégation a été frappée de constater à quel point l'ensemble des responsables irlandais semblaient convaincus de cette obligation.

Les interlocuteurs rencontrés ont d'ailleurs mis en évidence que l'Irlande n'avait cessé d'effectuer une remontée vers des activités à plus forte valeur ajoutée, passant des centres d'appels et des usines d'emballage d'ordinateurs au début des années 1990 à des services financiers sophistiqués, à la mise au point de logiciel ou de nouveaux produits pharmaceutiques dans les années 2000.

Toutefois, si les Irlandais ont démontré leur capacité à modifier rapidement leurs types d'activités, il est loin d'être certain qu'ils disposent aujourd'hui des ressources nécessaires à une orientation vers des activités de très forte valeur ajoutée.

En effet, malgré de nombreux atouts en termes de qualification et d'enseignement supérieur, l'Irlande souffre d'une insuffisance en matière de recherche et de développement . Elle n'y consacre en effet qu'1 % de son PIB, contre 1,9 % pour la moyenne européenne et 2,2 % pour la France 36 ( * ) .

Pour combler ce retard, le pays a mis en place, quelques jours avant le début de la mission 37 ( * ) , la Science Foundation Ireland , institution chargée d'être le fer de lance d'une politique de soutien à l'enseignement supérieur, à la recherche scientifique et à l'innovation.

Cette politique devra relever le double défi du retard à rattraper et des délais courts laissés pour ce faire par l'âpreté de la compétition mondiale en matière d'économie de la connaissance.

Toutefois, il n'est pas interdit de penser que le pari peut être gagné compte tenu de la réactivité déjà démontrée par l'Irlande, de l'existence d'une solide base résidentielle déjà sur son sol et de sa capacité à se spécialiser sur quelques créneaux porteurs suffisants pour assurer la prospérité d'un pays de quatre millions d'habitants sans avoir à mener des recherches dans toutes les disciplines et les domaines.

Sur cette question, il est apparu que les responsables irlandais rencontrés par la délégation manifestaient un optimisme sincère, à l'image de celui qui fut perceptible d'une façon plus générale, à l'occasion de ce séjour à Dublin.

b) Les risques liés à une très large dépendance extérieure

Il est apparu clairement au cours de la mission que les risques de délocalisation liés à la perte de compétitivité étaient d'autant plus forts que le développement de l'Irlande était dès l'origine très dépendant des investissements de grands groupes internationaux , et ce pour trois ordres de raisons essentiels.

Tout d'abord, les centres de décision desdits groupes ne sont pas situés en Irlande et sont dès lors sans doute moins attachés au fait d'y maintenir des activités.

Ensuite, les activités actuellement localisées en Irlande ne constituent généralement qu'un élément très partiel du processus global de production. Tel est très clairement le cas pour les activités d'externalisation de services.

Enfin, l'implantation en Irlande n'a pas pour but de se rapprocher du marché national irlandais, ou même du marché britannique, mais de réexporter vers l'ensemble de l'Union européenne, comme cela est ainsi désormais possible à partir des pays d'Europe centrale et orientale.

Aussi, un des facteurs de vulnérabilité particulier de l'Irlande réside dans la parité entre l'euro et le dollar . En effet, dans le cas où elle chuterait brutalement, cela pourrait conduire les groupes américains 38 ( * ) -qui fournissent la base de l'appareil productif irlandais- à freiner leurs investissements ou à compenser les surcoûts en recherchant des pays européens aux coûts de production plus bas.

Outre une politique globale de maintien de la compétitivité, l'Irlande cherche à promouvoir le développement des entreprises d'origine irlandaises, tant les entreprises locales disposant d'un chiffre d'affaires supérieur à un milliard d'euros font encore figure d'exception 39 ( * ) .

Il convient toutefois de noter que le mode de développement choisi avec succès par l'Irlande depuis vingt ans ainsi que la taille du pays rendront sans doute très difficile la remise en cause de sa dépendance massive vis-à-vis des groupes étrangers.

Si des risques et incertitudes existent quant à la poursuite du miracle économique irlandais la délégation est toutefois revenue de cette mission avec un optimisme raisonné pour ce pays dont la taille et les structures permettent une forte réactivité face aux problèmes nouveaux.

En revanche, cette confiance est beaucoup moins de mise s'agissant du maintien de la position de l'Irlande au sein de l'Europe agricole.

C. UNE AGRICULTURE TRADITIONNELLEMENT FORTE, AUJOURD'HUI PARENT PAUVRE DU « TIGRE CELTIQUE »

1. Une agriculture traditionnellement très présente

L'image traditionnelle faisant de l'Irlande une « île verte », au sens propre comme au sens figuré, est tout à fait fondée, puisque plus de 70 % de la surface du pays 40 ( * ) est consacrée à l'agriculture.

De plus, le pays compte un nombre d'exploitations par km 2 et un taux d'emploi dans le secteur agricole environ deux fois supérieurs à ceux de la France 41 ( * ) .

En effet, l'Irlande demeure un pays de fermes familiales de taille modérée 42 ( * ) consacrées essentiellement aux productions animales. Celles-ci représentent 80 % de la production agricole, (et 60 % pour les seules filières bovines, de viande et de lait).

Si cette réalité demeure prégnante, elle tend toutefois à s'infléchir de façon accélérée depuis les années 80.

2. Un déclin accéléré tant en termes relatifs qu'absolus

L'agriculture irlandaise est restée à l'écart du miracle économique. Ceci s'explique tout d'abord par le fait que l'expansion, concentrée sur quelques activités de l'industrie et des services 43 ( * ) , a conduit mécaniquement à une diminution de la part de l'agriculture dans l'économie, en proportion de l'augmentation des autres secteurs.

L'agriculture dans l'économie irlandaise

1975

1985

Part dans le PIB

17 %

2,7 %

Part dans l'emploi total

24 %

5,7 %

Part des exportations

21 %

5,2 %

Mais l'Irlande ne se contente pas de subir de façon accélérée le processus de montée en puissance relative d'autres branches. Le pays connaît aussi une baisse du secteur agricole en termes absolus, qui se manifeste depuis 2004 par un début de diminution du cheptel 44 ( * ) , et surtout par un recul très sensible de la production.

La baisse des productions en 2005

Secteur

Valeur de la production

Volume de la production

Viande bovine

- 0,3 %

- 4,2 %

Lait

- 5,4 %

- 3,3 %

Ovins

- 9,9 %

- 2,6 %

Céréales

- 26 %

- 27,9 %

Source : Office central de statistiques irlandais.

Face à ce constat, la délégation a cherché à savoir si ce phénomène correspondait :

- soit à un simple rattrapage brutal de l'évolution connue par la France après 1945, auquel cas il devrait se ralentir ;

- soit à un mouvement encore inachevé risquant d'aboutir à une diminution massive de la part de l'agriculture en Irlande.

Au retour de la mission, le pronostic penche plutôt vers la seconde hypothèse, et ce à la fois du fait de l'évolution générale de l'économie du pays et des orientations prises en matière de politique agricole.

D. AU CONTEXTE ÉCONOMIQUE GÉNÉRAL S'AJOUTE L'EFFET DES CHOIX IRLANDAIS EN MATIÈRE DE POLITIQUE AGRICOLE

1. Le maintien de la pression des autres secteurs

L'Irlande est un exemple emblématique d'application de certaines théories économiques 45 ( * ) selon lesquelles un pays a mécaniquement tendance à consacrer ses facteurs de production aux secteurs dans lesquels il dispose d'une spécialisation internationale, c'est-à-dire qui génèrent l'essentiel des exportations. Dans le cas de l'Irlande, les facteurs de production ont ainsi tendance à délaisser le secteur agricole pour être employés dans les domaines des services et de l'industrie.

- S'agissant de la main d'oeuvre , l'attrait du miracle économique a entraîné un exode agricole se manifestant aujourd'hui par une inquiétante démographie. Ainsi, les jeunes de moins de 35 ans ne représentent que 11 % de la population active agricole , contre 24 % en France. Le non remplacement des très nombreux agriculteurs âgés 46 ( * ) risque fort, dès lors, de se traduire par la disparition d'exploitations, qui pourrait à son tour aggraver la chute de la production dans les toutes prochaines années.

En effet, l'attachement traditionnel au modèle de l'exploitation agricole familiale ne laisse pas entrevoir de mouvement massif de concentration des exploitations.

La délégation a eu la possibilité de s'entretenir longuement de ces questions avec une famille d'éleveurs irlandais tout à fait représentative du phénomène : l'exploitant était en effet âgé de 56 ans et son fils unique n'envisageait pas de reprendre l'exploitation, mais de s'orienter vers une carrière d'ingénieur dans le secteur informatique.

- Quant à l'autre facteur de production essentiel que constitue la terre , il est lui aussi victime de la pression exercée indirectement par les secteurs économiques en expansion à travers la flambée des prix du foncier.

C'est ainsi la mort dans l'âme qu'un éleveur du Leinster a exprimé à la délégation l'idée selon laquelle une des options financièrement les plus intéressantes à l'avenir serait peut-être de vendre ses terres à des promoteurs immobiliers. Le fait que l'exploitation visitée soit située à 60 kilomètres de Dublin ne saurait en faire un cas particulier lié au problème spécifique de la capitale. En effet, la faible superficie de l'Irlande conduit à ce que la pression foncière liée aux prix immobiliers des deux grandes villes soit sensible sur une grande part du pays.

La deuxième grande menace qui pèse sur l'agriculture irlandaise ne se trouve pas dans le reste de l'économie mais elle est inhérente à la politique du secteur lui-même.

2. Les risques provenant d'un moindre intérêt à produire

a) Le choix du découplage total

Dans le cadre de l'accord de Luxembourg intervenu en juin 2003 pour réformer la politique agricole commune (PAC), l'Irlande a fait le choix du découplage total entre les primes versées en provenance du budget communautaire et la production en constituant autrefois le support.

Depuis le 1 er janvier 2005, ce système s'applique à l'ensemble des productions agricoles irlandaises, sur la base de références de production historiques.

Ce changement a été une des causes immédiates de la baisse de la production, en particulier de la filière laitière, le nombre de vaches y étant dédiées ayant diminué de 3,4 % dès l'année 2005. Les analyses font clairement ressortir un phénomène d'arrêt de la production des plus petits exploitants, ces derniers continuant de percevoir 17,5 cents par litre lors de la vente de leurs quotas ainsi que leurs droits à paiement unique (DPU) jusqu'en 2013. Une telle évolution étant déjà perceptible quelques mois après l'introduction du découplage total, on ne peut que craindre une poursuite de cette tendance, et même son accélération dans les années qui viennent. La structure de la production et des exportations irlandaises pourrait d'ailleurs jouer en ce sens.

Ce risque est d'autant plus grand que les cours de la viande bovine, principale production du pays, sont aujourd'hui relativement élevés et donc susceptibles d'une évolution défavorable, laquelle renforcerait les effets désincitatifs du découplage total.

b) Les risques du marché

Cet effet désincitatif pourrait d'autant plus jouer que les revenus tirés de la vente des produits agricoles seraient affectés.

Or, ce risque est très présent dans la mesure où l'agriculture irlandaise est essentiellement tournée vers l'exportation, à laquelle sont destinés huit bovins sur dix.

Au-delà de l'éventualité d'une baisse des cours mondiaux, l'Irlande pourrait voir ses débouchés remis en question par un éventuel accord de libéralisation, soit dans le cadre des négociations actuelles entre l'Union européenne et le Mercosur, soit dans le cadre plus général de l'OMC.

L'arrêt des négociations menées en 2005 et 2006 à Genève avait d'ailleurs été accueilli avec soulagement par les milieux agricoles irlandais, qui craignaient les conséquences d'un accord. En effet, la dernière offre de l'Union européenne aurait provoqué la disparition de 60 % des exploitations laitières à l'horizon 2015, seules 6 % des exploitations d'élevage et 17 % de celles existant dans les grandes cultures demeurant alors rentables.

E. LA DÉLÉGATION S'INTERROGE SUR LES ÉVOLUTIONS FUTURES DE LA STRATÉGIE AGRICOLE IRLANDAISE

Les membres de la délégation de notre commission ont débuté leur mission en gardant très présent à l'esprit le fait que l'Irlande avait très souvent partagé les positions françaises dans le cadre des négociations agricoles, tant au niveau de l'Europe que de l'OMC.

Ils ont donc été très sensibles aux risques d'évolution de cet allié traditionnel. Ces évolutions pourraient concerner ses objectifs aussi bien que ses intérêts.

a) Des objectifs plus ruraux qu'agricoles

Une des premières contradictions repose dans la façon dont s'articulent, d'une part, le recul de la production agricole et du nombre d'exploitations et, d'autre part, la forte caractéristique rurale du pays, liée en particulier à sa très faible densité de population.

En fait, cette contradiction se résout par une orientation vers une stratégie de développement rural plutôt que vers une politique agricole stricto sensu . A ce titre, il est tout à fait significatif que cette stratégie de développement rural -à laquelle a été consacrée la moitié de la présentation faite à la délégation au ministère de l'agriculture- prévoit entre autres le développement de l'emploi agricole à temps partiel.

Par ailleurs, l'accent a semblé davantage mis sur la compétitivité de l'industrie agro-alimentaire 47 ( * ) , plutôt que sur le maintien de la viabilité de l'activité de production agricole primaire. Il s'agit davantage de maintenir la population des villages que de promouvoir la production à la ferme.

b) Les intérêts irlandais évoluent vis-à-vis de la PAC

Si l'Irlande a longtemps figuré parmi les défenseurs de la PAC, il est possible que cette position s'infléchisse du fait non seulement de ses évolutions internes mais aussi de raisons budgétaires.

D'une part, l'Irlande verra son taux de retour financier devenir négatif à compter de 2013, année à partir de laquelle les nouveaux pays de l'Union européenne bénéficieront de l'intégralité des aides directes 48 ( * ) .

D'autre part et surtout, la situation budgétaire de l'Irlande pourrait lui permettre de soutenir ses agriculteurs dans un cadre strictement national.

L'intérêt pour une telle option ressort d'ailleurs de certaines prises de positions des autorités irlandaises, d'autant plus qu'elle leur permettrait de remplacer le système de références historiques totalement découplées par un dispositif d'aide peut-être plus adapté aux objectifs de développement rural du pays.

c) Une position tendue au sein de l'OMC

Au-delà du seul cadre européen, la position de l'Irlande sur les questions agricoles au sein de l'OMC pourrait elle aussi évoluer rapidement. Cette dernière se caractérise aujourd'hui par une tension entre, d'une part des effets dramatiques immédiats qu'aurait une libéralisation du marché des productions bovines et d'autre part un très fort intérêt à obtenir des avancées en matière d'exportation des services.

Si le pays s'en tient aujourd'hui à un statu quo et demeure proche des positions françaises, il est très probable qu'il pourrait changer de camp dès lors qu'un accord de libéralisation dans le secteur bovin interviendrait à l'OMC ou avec le Mercosur.

L'Irlande n'aurait alors plus rien à perdre, c'est-à-dire plus de réel intérêt à continuer de partager la position française de défense de la PAC dans les enceintes internationales.

D'ailleurs, sans même attendre cette éventualité, les responsables irlandais n'ont pas caché aux membres de la délégation qu'ils seraient dès aujourd'hui enclins à changer de position à l'OMC, dès lors que la contrepartie serait le terme de réelles discussions dans le secteur des services.

Compte tenu de l'attachement de notre commission à la défense du modèle agricole européen et de l'importance de disposer d'alliés solides sur ces sujets, la délégation revient d'Irlande avec un grand nombre d'interrogations, voire d'inquiétudes, quant au positionnement à venir de ce pays.

Cet appel à la vigilance ne remet bien évidemment pas en cause le caractère éminemment sympathique et attachant de ce pays avec lequel les Français disposent incontestablement de très réelles affinités.

*

* *

Ce rapport d'information, validé à l'unanimité des membres de la délégation, a été présenté à la Commission des affaires économiques au cours de sa réunion du mercredi 13 décembre 2006 qui l'a, elle aussi, adopté à l'unanimité.

* 30 Ceci a d'ailleurs été confirmé lors de la rencontre avec des industriels français du secteur opérant en Irlande

* 31 La plus grande ferme éolienne au monde est actuellement en construction sur la côte est de l'Irlande, près de Arklow, et de nombreux emplacements isolés dans l'ouest du pays montrent un potentiel réel pour l'implantation de ce type de fermes.

* 32 C'est-à-dire même une fois déduit l'effet de l'inflation, par ailleurs élevée en Irlande.

* 33 Alors que la revue The Economist envisage ce scénario comme probable, l'OCDE estimait en juin 2006 que la flambée des prix s'expliquait en grande partie par l'augmentation des richesses et le bas niveau des taux d'intérêt réels.

* 34 Les rapports annuels de la Commission européenne sur la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne, publiés le 12 décembre 2006, ont fait état d'une amélioration de la productivité de la main d'oeuvre irlandaise, qui est passée d'un indice 126,3 en 2000 à un indice 137,5 en 2005, 100 correspondant à la moyenne de l'Union européenne en 2000.

* 35 Conformément au cadre tracé par le nouveau « pacte national » adopté en 2006, l'effort augmente très sensiblement en matière d'aide sociale, de santé, d'aide à l'enfance ou de financement des retraites.

* 36 L'objectif européen dans le cadre de la stratégie de Lisbonne étant, pour mémoire, d'atteindre 3 % du PIB à l'horizon 2010.

* 37 Le 18 juin 2006.

* 38 Ils représentent 80 % de l'investissement étranger et génèrent ainsi 60 % des exploitations irlandaises.

* 39 Les principales étaient CRH, Kerry Group, Elan et Ryan AG.

* 40 Cinq millions d'hectares sur 6,9.

* 41 153.300 fermes pour l'Irlande contre 614.000 pour la France, alors que la superficie des pays varie de 1 à 7. De même, l'Irlande emploie à titre permanent 111.500 personnes contre 965.000 pour la France, pourtant quinze fois plus peuplée.

* 42 La taille moyenne des exploitations est de 29 hectares, contre 45,3 en France.

* 43 Pour mémoire : les technologies de l'information et de la communication, les services financiers, l'industrie pharmaceutique et maintenant la construction.

* 44 - 0,2 % pour le cheptel bovin et - 6,1 % pour le cheptel ovin en 2004, que la hausse de 1,5 % du cheptel porcin est loin de compenser.

* 45 En vertu du théorème de Hechscher, Ohlin et Samuelson (dit « H.O.S »).

* 46 Les plus de 55 ans représentant 42 % de la population active agricole, contre 21,4 % en France.

* 47 Qui représente 8,5 % du PIB, des emplois et des exportations du pays.

* 48 Comme c'est d'ailleurs le cas des autres bénéficiaires historiques de la PAC, comme la France.

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