COMPTE RENDU DES TRAVAUX DU MERCREDI 14 MARS 2007

..

PREMIÈRE TABLE RONDE : LA TVA SOCIALE COMME ALTERNATIVE AU MODE DE FINANCEMENT DE LA PROTECTION SOCIALE

M. Jean Arthuis, président

Mesdames et Messieurs, j'ai le plaisir de vous accueillir ce matin dans le cadre d'une commission élargie à l'ensemble de nos collègues et ouverte à la presse et au public, pour suivre deux tables rondes sur la TVA sociale.

La commission des finances du Sénat, mais elle n'est pas la seule, s'intéresse depuis longtemps à la recherche d'un autre mode de financement de certaines branches de la protection sociale, en particulier les branches famille et maladie. Nous sommes nombreux à considérer qu'en faisant peser sur le travail, et donc sur la production, le poids de ce financement, à l'heure de la mondialisation de l'économie, nous prenons le risque d'encourager un certain nombre d'opérations de nomadisme économique, de délocalisation d'activités et d'emplois. D'autres modes de financement sont possibles. Nous pourrions envisager un impôt assis sur le patrimoine, mais je ne suis pas sûr que son rendement serait considérable. De plus, il pourrait constituer un encouragement à d'autres formes de délocalisation de patrimoines. Nous pourrions également imaginer de recourir à un impôt sur le revenu. Mais nous souhaitons surtout entendre nos invités de ce matin évoquer un impôt sur la consommation et donc la TVA.

Cette matinée se déroulera en deux temps, à travers deux tables rondes. La première sera consacrée au thème de la TVA sociale comme alternative au mode de financement de la protection sociale. Chacun a compris que la préoccupation majeure porte d'abord sur la compétitivité, c'est-à-dire la croissance et la création d'emplois. La seconde table ronde portera sur l'impact de la TVA sociale sur l'économie et l'emploi en France. Elle permettra d'effectuer des travaux pratiques, notamment à partir de l'exemple allemand.

S'agissant de la première table ronde, je tiens à remercier les intervenants de leur présence :

- M. Julien Damon, chef du département « questions sociales » du Centre d'analyse stratégique en remplacement de Mme Sophie Boissard, excusée ;

- M. Alain Estival , membre du comité directeur de l'Union professionnelle artisanale (UPA), en remplacement de M. Pierre Martin, excusé ;

- M. Jean-Paul Fitoussi , professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ;

- M. Christian Saint-Etienne , professeur des universités, membre du Conseil d'analyse économique ;

- M. Pascal Salin , professeur d'économie à l'Université Paris-Dauphine ;

- M. Michel Taly , avocat associé au cabinet Arsène.

Nous disposons environ d'une heure et demie pour cette première table ronde. J'invite donc nos participants à prendre la parole, si possible de manière relativement concise. Si certains parmi vous souhaitent réagir aux propos de tel ou tel intervenant, nous pourrons naturellement vous donner la parole. Je souhaite que, dans un second temps, nous puissions vous soumettre à la question. Les sénateurs ici présents souhaiteront certainement vous interroger, notamment le rapporteur général. M. Julien Damon, pouvez-vous prendre la parole ?

M. Julien Damon, chef du département « questions sociales », Centre d'analyse stratégique

Je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser Mme Sophie Boissard, directrice générale du Centre d'analyse stratégique, l'ex Commissariat général du Plan, qui ne peut être parmi nous aujourd'hui.

Afin de planter le décor, je vais évoquer les récents rapports ayant porté sur le financement de la protection sociale. Depuis un quart de siècle, il existe en effet une forme de tradition française qui consiste à produire des rapports sur le système de financement de notre protection sociale. A l'occasion de ses voeux en janvier 2006, le Président de la République avait souhaité qu'un nouveau mode de prélèvement reposant sur une assiette plus large, plus favorable à l'emploi et pouvant se substituer aux cotisations sociales assises sur les salaires soit étudié. J'évoquerai les travaux issus de ce souhait du Président de la République, rappellerai l'avis du Centre d'analyse stratégique qui synthétise les avis contenus dans ces rapports et tenterai enfin en quelques phrases de cerner les avantages et désavantages de la formule « TVA sociale «.

Les travaux récents n'ont pas porté sur la TVA sociale mais sur cinq pistes de réformes qui ont été mises à l'étude. La première réside dans une modulation des cotisations en fonction du rapport entre masse salariale et valeur ajoutée. La deuxième piste repose sur la création d'un prélèvement assis sur la valeur ajoutée produite par les entreprises : la cotisation sur la valeur ajoutée (CVA). La troisième piste étudiée concerne le coefficient emploi-activité (CEA), qui consiste en la création d'un prélèvement nouveau portant sur le chiffre d'affaires diminué de la masse salariale. La quatrième piste est celle de la contribution patronale généralisée (CPG), qui consiste en la création d'un nouveau prélèvement proportionnel et frappant les éléments de rémunération directe ou indirecte aujourd'hui exonérés de cotisations sociales. La dernière piste a trait à l'affectation d'une partie des recettes de la TVA au financement des différents régimes de sécurité sociale, la TVA sociale.

Les mérites et inconvénients de chaque piste ont été comparés, notamment au regard de leurs effets, que nous avons tentés de modéliser sur l'emploi. Le Conseil d'analyse économique et le Conseil d'orientation pour l'emploi, qui avaient été saisis de ces travaux d'expertise, ont chacun abouti à des conclusions réfutant certaines des options et soulignant l'intérêt de certaines des autres options, dont la TVA sociale. A partir de prémisses communes - notamment parce que les modèles d'analyse économique sont communs -, ces rapports ont abouti à des conclusions en partie divergentes.

S'agissant des points communs, toutes ces instances se sont félicitées de la réouverture du débat sur le mode de financement de la protection sociale, dans une économie totalement différente de celle de l'après-guerre, époque durant laquelle les compromis du financement de la sécurité sociale à la française ont été établis. Ces rapports ont également noté qu'une réforme des ressources affectées à la protection sociale ne peut être valablement mise en oeuvre sans remettre en question l'ampleur et la structure des dépenses. Une réflexion sur le financement ne peut ainsi avoir de sens que si l'on prend en considération les dépenses et l'effort que la collectivité entend consentir au bénéfice de la protection sociale. Ces instances ont également indiqué que toute réforme du financement de la protection sociale devait s'inscrire dans un processus garantissant l'équilibre financier des régimes sociaux et la compétitivité de l'économie française. Enfin, ces différents rapports ont constaté qu'aucune des cinq voies de réforme expertisées ne leur semblait s'imposer de manière certaine, faute d'indications stables et définitives, en particulier en termes d'emplois.

Au-delà de ces éléments de convergence, il convient de souligner que le Conseil d'analyse économique s'est montré pour sa part réticent à l'introduction d'une CVA quelle qu'en soit la formule, et à la mise en place d'une cotisation patronale généralisée. Sont à privilégier selon lui la piste de l'affectation d'une partie de l'impôt sur les sociétés au financement de la protection sociale et/ou la piste d'un relèvement de la CSG ou la piste de la TVA sociale. Cependant, aucune de ces trois solutions ne fait l'unanimité parmi les membres du Conseil d'analyse économique. Pour sa part, le Conseil d'orientation pour l'emploi a retenu trois pistes de réforme : la modulation du barème des cotisations, la création d'une cotisation patronale généralisée et la TVA sociale, en sachant qu'elle présente un risque inflationniste. L'avis du Centre d'analyse stratégique est une forme de « cantique des cantiques « en la matière, soit la synthèse des synthèses des synthèses. Il précise que le mouvement de fiscalisation de la protection sociale, compte tenu du processus d'universalisation de la sécurité sociale et du regard que nous devons porter sur les actions de nos partenaires européens, constitue un mouvement qui semble inéluctable, voire à prolonger. La France est également engagée dans ce mouvement de fiscalisation depuis une quinzaine d'années : alors que le financement fiscal de la protection sociale était nul en 1960 ; en 1990, 80 % du financement de la protection sociale passait par le vecteur des cotisations. Aujourd'hui, nous en sommes à un peu plus de 60 %.

En tout état de cause, le Centre d'analyse stratégique a souligné que le poids du financement de la protection sociale reste particulièrement élevé en France au regard de la situation des autres pays de l'Union européenne. A cet égard, les marges de manoeuvre demeurent faibles. Subsiste en outre le problème du coût du travail, en dépit des politiques d'allègement des charges. En outre, il faut certainement transférer tout ou partie de ce financement vers d'autres bases taxables, en particulier pour les politiques qui sont désormais non assurantielles, l'assurance maladie et la branche famille. De ce point de vue, le Centre d'analyse stratégique estime que la TVA sociale n'est pas une mauvaise solution, observant néanmoins que notre taux normal de TVA demeure élevé. La création d'une forme de TVA sociale Outre-Rhin s'est ainsi établie à partir d'un niveau initial de TVA beaucoup plus faible que dans le contexte français.

M. Jean Arthuis

Vous venez de faire référence à l'initiative allemande, qui ne coïncide pas complètement avec l'idée de TVA sociale. Trois points supplémentaires de TVA ont été introduits en Allemagne : deux points pour combler le déficit budgétaire de l'État et un point pour réduire les cotisations sociales. Le seul véritable exemple de TVA sociale est l'exemple danois, dans lequel les charges sociales ont été supprimées et où la TVA est passée à 25 %.

M. Julien Damon

Il est possible de retenir deux définitions de la TVA sociale : une définition stricto sensu et une définition lato sensu . Stricto sensu , il s'agit de conférer des points de TVA au financement de la protection sociale, en allègement des charges sociales. Lato sensu , il ne s'agit que de quelques points de TVA en plus qui peuvent être affectés à ce financement. Le système allemand correspond donc à l'introduction d'une forme de TVA sociale, pour un tiers.

Je souhaite enfin présenter les désavantages et les avantages de cette formule. Le premier argument défavorable à la TVA sociale porte tout d'abord sur le risque inflationniste et l'amputation d'une partie du pouvoir d'achat des consommateurs. Le deuxième argument en défaveur de la TVA sociale se méfie d'une théorie balistique des finances publiques, qui ferait qu'en passant d'un impôt direct à un impôt indirect, les vases communicants fonctionneraient parfaitement. Or ceci n'a rien d'évident. Une autre critique est adressée à la TVA sociale. Dans la mesure où celle-ci ressemble à une forme de dévaluation, cette mesure est critiquée comme étant protectionniste et constituant une arme de concurrence fiscale, alors que nous sommes engagés dans un mouvement d'intégration à une zone monétaire unique. Une autre réserve prononcée sur la mise en oeuvre de la TVA sociale est la suivante : étant une forme de fiscalisation de certains pans de la protection sociale, elle remettrait en question la gouvernance de la protection sociale, en particulier le paritarisme dans la branche famille et la branche assurance maladie. Enfin, certains considèrent que le TVA sociale est un prélèvement obligatoire sous une autre forme et qu'elle ne sert à rien si elle n'est pas attachée à une réduction des dépenses.

Je souhaite maintenant détailler quelques arguments en faveur de la TVA sociale. Ses partisans estiment qu'il s'agit d'une ressource de substitution pour la protection sociale permettant de mettre, à côté du travail et du capital, la consommation à contribution et donc de ne pas faire peser les charges de la protection sociale sur le seul travail et le seul capital. Dans la mesure où la TVA sociale s'applique non seulement aux productions françaises, mais aussi aux produits importés, elle permettrait de réaliser une forme de « coup double » : une diminution des prix à l'exportation par l'allègement des cotisations et une augmentation des prix des produits importés, en sachant que le consommateur français paye toujours.

M. Jean Arthuis

Il est exact que le consommateur paye toujours.

M. Julien Damon

Enfin, il existe un dernier argument fort en faveur de la TVA sociale dans sa version complète. Ainsi, cette TVA sociale permettrait d'ôter tout ou partie des lignes figurant sur les bulletins de salaires, offrant ainsi une vertu de simplicité et de lisibilité du financement.

Je souhaite achever mon exposé en évoquant un point crucial : la question de la TVA repose sur des théories de la justice. La TVA peut être considérée d'un certain point de vue comme un impôt plus égalitaire et d'un tout autre point de vue comme un impôt inégalitaire, les options libérales et interventionnistes se confrontant nettement sur ce sujet depuis des décennies, voire des siècles.

M. Philippe Marini, rapporteur général

Je souhaite effectuer un bref commentaire. Je rappelle que lorsque l'on accole les termes « sociale » et « TVA », le lien peut sembler paradoxal, dans la mesure où la TVA est un impôt proportionnel.

« Social par destination » signifie « financement permettant d'assurer la pérennité des régimes sociaux », en sachant que la dépense sociale est une dépense inéluctablement croissante pour des raisons de démographie et de progrès technologiques. La TVA peut être considérée comme sociale car concourant à la compétitivité des entreprises et donc à la création d'emplois. En effet, pour ceux qui estiment que cette idée doit être approfondie et même concrétisée, la finalité de l'exercice est bien l'emploi. Dans la comparaison des avantages et des désavantages de la TVA sociale effectuées par le Centre d'analyse stratégique, je n'ai pas entendu prononcer le mot « emploi ». J'ai même entendu citer parmi les arguments en défaveur de la TVA sociale l'idée d'une « initiative de concurrence fiscale ». Or ceci m'a sidéré. Je m'étonne que le Centre d'analyse stratégique cite dans les arguments défavorables le fait qu'il s'agisse d'une initiative de concurrence fiscale, ce qui voudrait dire que la délocalisation des activités en raison des impôts plus bas pratiqués chez les autres est vertueuse.

M.  Jean Arthuis

Voilà une forme d'angélisme qu'il faut effectivement combattre. A présent, je donne la parole à Jean-Paul Fitoussi.

M. Jean-Paul Fitoussi, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)

Merci, Monsieur le Président. Je souhaite vous faire part de quelques remarques générales en préalable. Nous vivons une mondialisation dans un monde constitué d'États-nations, lesquels ont pour fonction éminente de protéger leur population. Cependant, protection ne signifie pas protectionnisme : la protection vise à satisfaire au contrat social fondant le « vivre ensemble » dans chaque État nation. Cependant, chacun de ces États protège sa population selon des modalités différentes. Il est assez normal que les pays en développement usent du protectionnisme, en raison de leur pauvreté et de l'absence de recettes fiscales leur permettant d'instituer une protection sociale. De la même manière, il est normal que les pays riches protègent leur population par le système de protection sociale. La question du mode de financement de ce système de protection sociale se pose actuellement.

Je ne vais pas reproduire les propos de M. Damon, puisque certaines des conclusions qu'il a formulées figuraient dans la note que j'avais réalisée pour le Conseil d'analyse économique, dans laquelle je soulignais que la question était éminemment problématique. Le problème de concurrence fiscale se pose. En effet, dans le cadre de l'existence d'une monnaie unique, la concurrence fiscale et sociale entre les États membres risque d'aboutir à un jeu à somme négative. Ainsi, l'initiative prise par l'Allemagne peut être reproduite par la France, mais également par l'Italie ou l'Espagne. In fine , nous ne saurons alors pas quels sont les vainqueurs, ni les perdants. Même si la TVA sociale apparaissait comme étant le meilleur moyen à notre disposition, il faudrait alors qu'il soit coordonné à l'échelle européenne pour ne pas provoquer cet effet négatif. Si la France devait proposer la TVA sociale comme système de financement de la protection sociale, elle devrait d'abord le proposer au Conseil européen, de manière à ce que cette mesure puisse être conduite de concert.

Dès le moment nous aboutissons à cette conclusion, nous sommes conduits à nous demander si la TVA sociale n'est pas en réalité un substitut à une politique de change. Ainsi, si elle est réalisée à l'échelle de la zone euro, elle a un effet de dépréciation de l'euro par rapport aux autres monnaies du monde. Nous pouvons donc nous demander si une politique de change intelligente ne permettrait pas de remédier aux problèmes du financement de nos systèmes de protection sociale.

Je n'évoquerai à présent que les points ne figurant pas dans ma note pour le Conseil d'analyse économique, laquelle est publiée sur son site Internet. Supposons que nous acceptions d'instituer un système de TVA sociale. Dans ce cas, nous accepterions de modifier les prix relatifs dans notre économie, en faveur des industries dont la masse salariale est importante et en défaveur des industries pour lesquelles les dépenses en capital sont élevées. En réalité, la TVA a, du point de vue de la réallocation des ressources productives, le même effet que la cotisation sur la valeur ajoutée. Est-ce une mauvaise idée que de procéder à une telle réallocation des ressources en faveur des industries à masse salariale élevée ? Tout dépend en réalité de la manière dont le problème est analysé. Dire que l'on redistribue les ressources en faveur des industries dont la masse salariale est élevée revient à leur permettre de baisser leurs prix, puisqu'elles gagnent davantage en économies de cotisations sociales qu'elles ne perdent du fait de la TVA à laquelle elles seront soumises. Cependant, cela ne signifie pas que l'on favorise le travail non qualifié, mais que l'on favorise le travail. Ce faisant, l'accumulation de capital physique est défavorisée, mais nul ne sait ce qu'il advient de l'accumulation du capital immatériel. En effet, cette question fait l'objet d'incertitudes. Par exemple, quel est le degré de complémentarité entre le travail et le capital immatériel ? Quel est le degré de complémentarité entre le travail et le capital matériel ? S'il existe une forte complémentarité entre le travail et le capital immatériel, le jeu sera gagnant, car nous savons que l'avenir réside dans l'économie de la connaissance. Il s'agirait alors d'une manière de mettre en oeuvre une incitation forte à l'accomplissement du programme de Lisbonne.

Cependant, pour le moment, nous ne disposons pas d'indications statistiques sur le sujet. Personnellement, mais ce n'est qu'une intuition, je crois qu'il faut en finir avec les discours et passer à l'acte. Je suis favorable à un système qui avantage le travail par rapport au capital physique, car ce faisant, il avantage l'accumulation de capital immatériel.

M.  Jean Arthuis

Vous êtes donc favorable à un allègement des cotisations sociales.

M. Jean-Paul Fitoussi

Je ne suis pas favorable à un allègement des cotisations sociales, mais à un changement de base de ces cotisations. Je ne suis pas favorable à l'abaissement du degré de protection qu'offre le système.

M. Jean Arthuis

Il s'agit bien du déplacement du financement du travail vers un autre mode de financement.

M. Jean-Paul Fitoussi

Exactement.

M. Jean Arthuis

Cet autre mode de financement peut ainsi être la consommation.

M. Jean-Paul Fitoussi

Effectivement. Cet autre mode pourrait également être la contribution sur la valeur ajoutée, mais cela impliquerait la création d'une autre base fiscale.

M. Jean Arthuis

Pardonnez-moi, mais la contribution sur la valeur ajoutée constitue un encouragement à aller produire la valeur ajoutée ailleurs. Il s'agit donc d'un impôt de délocalisation. Vous réinventez la taxe professionnelle, en quelque sorte.

M. Philippe Marini

Il s'agit effectivement du même débat que celui qui intervient dans le cadre de la taxe professionnelle.

M. Jean-Paul Fitoussi

Je tiens à achever mon exposé en évoquant un point particulier, qui me paraît très important. En Europe, nous souffrons d'un manque de gouvernement et d'un manque de gouvernance. Si nous permettons que la seule modalité d'action de chacun des pays de la zone euro soit la concurrence fiscale et sociale, nous ne savons pas où nous nous dirigeons. Nous ne savons pas où nous serons dans dix ans. Aujourd'hui, nous sommes sous contraintes, puisque la concurrence fiscale et sociale a déjà débuté. Par conséquent, des délocalisations se produisent sous l'effet de cette concurrence sociale et fiscale. Si nous souhaitons choisir la TVA sociale, nous devons la proposer à l'ensemble des pays européens. Si l'Europe ne souhaite pas nous suivre, nous devons la mener seuls.

M. Jean Arthuis

Je vous remercie.

M. Christian Saint-Etienne, professeur des universités, membre du conseil d'analyse économique

Il convient d'abord de définir le champ d'action possible de ce transfert. De mon point de vue, il ne s'agit en aucun cas de transférer la totalité du financement de la protection sociale mais nous ne pouvons envisager que le transfert d'une partie du financement des dépenses d'assurance maladie et familiale pour des raisons politiques et économiques. Ces systèmes ont été mis en place en 1945, lorsque nous étions dans une économie fermée. Or nous vivons aujourd'hui dans une économie ouverte. Ensuite, le travail était en 1945 le principal moyen d'intégration dans le système économique et dans le système de protection sociale. Il était également la source principale de création de valeur. Aujourd'hui, nous agissons dans un monde complètement ouvert et une grande partie des citoyens accèdent à la protection sociale sans avoir nécessairement une contrepartie de travail. Il n'est donc plus justifié que nous ayons un financement fondé sur le travail pour la maladie et la politique familiale. Ce financement doit être assuré par des impôts généraux.

En conséquence, je pense que deux impôts clés pourraient jouer un rôle décisif dans un transfert éventuel de financement de la protection sociale : la CSG et la TVA sociale. Le pragmatisme doit dominer la réflexion. Quelle est la part maximale possible de transfert sur la TVA ? A partir du moment où nous ne souhaitons utiliser la TVA sociale que pour un financement de la dépense maladie et de la dépense familiale et qu'il s'agit de financer à dépenses constantes, la TVA sociale et la CSG constituent d'excellents impôts. Ainsi, la TVA sociale permet d'imposer les entrepreneurs chinois comme les entrepreneurs français pour les produits vendus en France, ce qui me semble souhaitable et équitable. La CSG concerne quant à elle tous les revenus de transfert. Or un des problèmes majeurs que nous rencontrons en France tient au fait que les revenus directs constituent une part de plus en plus faible de notre revenu national. En outre, la part de la population active occupée est beaucoup trop faible, puisqu'elle ne représente que 41 % de la population totale en France, alors que dans les autres pays, cette proportion s'échelonne entre 45 et 50 %. Si nous voulons atteindre l'objectif fondamental de nous donner dans les cinq à sept années à venir les 3 millions d'emplois productifs qui nous manquent, la question essentielle consiste à savoir comment alléger le poids du travail productif tout en continuant à financer la protection sociale. Sous toutes ces réserves, je suis favorable à une tranche supplémentaire de TVA.

Ensuite, devons-nous travailler à partir de la base de la structure de TVA actuelle ou devons-nous la modifier ? En théorie économique, rien ne justifie les taux réduits. Nous devrions donc avoir un taux unique. Nous avons en effet mis en place un taux réduit pour des raisons politiques évidentes. Nous ne pouvons pas revenir en arrière et personne ne suggère de revenir à taux unique de 20 %, même si cela serait pourtant idéal sur le plan de l'efficacité. Par ailleurs, nous sommes soumis à une autre contrainte : compte tenu de la législation européenne, il est impossible d'avoir plus de trois taux de TVA. Je serais donc favorable à une convergence des deux taux les plus bas vers un taux unique de 8 % et l'établissement d'un taux supérieur maximal de 22 % à 23 %, dans la mesure où nous ne sommes pas dans la même situation que le Danemark. Sous réserve de négociations au niveau européen, il serait peut-être possible d'introduire un taux intermédiaire de 15 % réservé à toutes les activités à forte composante de main d'oeuvre, ce qui nous permettrait d'augmenter plus facilement le taux supérieur sur une base factuelle et de le réserver à des produits de plus en plus importés. A partir du moment où les constructeurs automobiles français ne sont plus capables de tenir le marché national, puisque leur part de marché est tombée à 55 % et que la quasi-totalité de l'électronique est importée, il n'est sans doute pas inintéressant d'établir un taux supérieur, vers 22 ou 23 %, puisque l'on ne taxerait finalement que les producteurs étrangers. D'après moi, il faut aborder ce sujet sur la base d'un ensemble de considérations factuelles.

M. Jean Arthuis

Le taux intermédiaire ne devrait-il pas plutôt s'appliquer à l'économie de proximité, c'est-à-dire celle qui n'est pas soumise à la concurrence internationale ?

M. Philippe Marini

Vous pensez sans doute à l'hôtellerie et à la restauration.

M. Jean Arthuis

Effectivement, je pense aux secteurs qui risquent de se « délocaliser « dans l'économie parallèle, l'économie « grise ».

M. Christian Saint-Etienne

J'envisageais le taux de 15 % pour les activités à forte intensité de main d'oeuvre et pour les activités essentiellement effectuées par les très petites PME, dont la tentation de fraude est très élevée. Je préfère donc taxer à 15 % plutôt que favoriser une telle fraude.

M. Jean Arthuis

Professeur Salin, pouvez-vous à présent intervenir ?

M. Pascal Salin, professeur d'économie à l'Université Paris-Dauphine

Je vous remercie de m'avoir invité, d'autant que plus que vous connaissez mon hostilité à l'égard de la TVA sociale. Je tiens d'ailleurs à m'en expliquer. Je souhaite surtout souligner qu'il s'agit d'une réforme inutile, car la TVA, contrairement à ce que l'on dit en général, n'est pas un impôt sur la consommation. Ainsi, on croit qu'il s'agit d'un impôt sur la consommation dans la mesure où l'on a pris l'habitude, à tort, de rembourser la TVA à l'exportation et de la faire payer à l'importation. En réalité, il s'agit d'un impôt sur le revenu. A cet égard, son nom est très clair. Il s'agit d'une TVA, une taxe sur la valeur ajoutée. Qu'est-ce que la valeur ajoutée ? Cette valeur ajoutée correspond à ce que l'entreprise crée comme valeur au-delà de ce qu'elle a acheté à l'extérieur. La contrepartie de la valeur ajoutée concerne les salaires, les profits et les intérêts. La TVA taxe les revenus et a exactement la même assiette que la CSG ou que l'impôt sur le revenu. C'est pourquoi il n'est pas nécessaire de changer le financement et de passer de la CSG à une TVA sociale ou des cotisations sociales à une TVA. D'après moi, la seule réforme dotée de sens est celle qui consiste à passer d'un système de répartition à un système d'assurance, en faisant en sorte que la cotisation ne soit pas proportionnelle au revenu et à la création de richesses, mais au risque, comme dans tout système d'assurance. Le système actuel est destructeur car il détruit les incitations à produire de la richesse, à travailler, à épargner, à investir et à innover en raison de la proportionnalité entre la cotisation et la production de richesse. En contrepartie, nous recevons les bienfaits de l'assurance quels que soient les efforts menés. Nous ne sortirons pas d'une situation de faible croissance conjuguée au chômage tant que nous n'aurons pas radicalement modifié le système, en adoptant un véritable principe assurantiel. Il est nécessaire de séparer le problème de la répartition et celui de l'assurance. Dans le dernier système, les gens sont incités à produire des richesses pour payer leurs cotisations d'assurance. D'après moi, la seule réforme qui mérite d'être discutée est celle-ci. Toutes les autres réformes prennent la forme d'un « mistigri «, qui consiste à passer d'un type d'impôt à un autre, en revenant d'ailleurs au même point de départ, dans la mesure où il n'existe finalement qu'une seule assiette fiscale, la création de richesse par les entreprises s'exprimant justement par la valeur ajoutée.

Pourquoi d'ailleurs faudrait-il faire contribuer davantage le capital, à supposer que cela soit possible ? Je rappelle en effet que dans le cas de la CSG, le capital paye : la CSG est, comme l'impôt sur le revenu, assise sur l'ensemble des revenus : les salaires, les revenus d'intérêt et les profits. De ce point de vue, il n'y aurait pas de changement. Par ailleurs, il est possible de démontrer que les cotisations sociales pèsent sur les salaires et les profits, même si certains pensent qu'elles pèsent uniquement sur les salaires. En effet, l'impôt est prélevé sur l'échange ayant lieu entre l'employeur et le salarié. Les problèmes d'incidence sont bien connus : une partie du poids de la fiscalité est ainsi supporté par chacun des échangistes. La notion de capital est compliquée. Le capital est, d'après moi, le choix du futur. En voulant faire peser un peu plus le financement sur le capital, nous taxons donc en réalité le choix du futur. Par exemple, un salarié paye des impôts à différents titres (impôt sur le revenu, CSG, cotisation sociale) pour financer la protection sociale, qui est en réalité une protection individuelle collectivisée. Si le salarié décide d'épargner, il sera à nouveau taxé pour avoir choisi le futur, alors qu'il ne sera pas taxé s'il consomme. L'idée selon laquelle il faut élargir l'assiette pour taxer davantage le capital et faire en sorte qu'il contribue davantage au financement de ce qui est appelé « la protection sociale « me paraît être tout à fait contestable. Contrairement à ce que certains prétendent aujourd'hui, il existe déjà une sur-taxation du capital en France. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles la croissance est faible : il ne peut y avoir de croissance sans accumulation du capital. N'essayons pas de taxer davantage le choix du futur, c'est-à-dire le choix de la croissance.

Je m'inscris également en faux contre des idées souvent exprimées en matière de TVA et de commerce extérieur. C'est un tort d'avoir pris la décision de rembourser la TVA à l'exportation. En effet, et une fois de plus, la TVA est un impôt sur la valeur ajoutée, exactement identique à l'impôt sur le revenu, du point de vue économique. Par conséquent, pourquoi rembourser la TVA mais ne pas rembourser l'impôt sur le revenu ? On peut démontrer à partir de la théorie du commerce international que les deux systèmes - remboursement et non remboursement - sont équivalents : une des propositions fondamentale de la théorie du commerce international, qui n'a jamais été contestée, est la suivante : subventionner une exportation revient à subventionner une importation. Ainsi, lorsque l'on rembourse la TVA à l'exportation, on la rembourse en réalité à l'importation. Dans le même ordre d'idée, lorsque nous faisons peser la TVA à l'importation, nous la faisons également peser à l'exportation. Il s'agit donc d'un jeu à somme nulle et il est illusoire de penser que nous stimulerons les exportations en déplaçant le financement vers une TVA remboursable à l'exportation. Par ailleurs, je suis opposé à l'idée qu'il est bon de stimuler les exportations, idée tirée du corpus keynésien, lequel est d'après moi erroné. La croissance ne s'explique pas par l'augmentation de la demande, mais par les incitations productives. Par conséquent, je souhaite que ces dernières ne soient pas détruites.

M. Jean Arthuis

Je vous remercie de cette contribution. Nous n'avons pas organisé cette table ronde dans le but de n'entendre que des propos favorables à la TVA sociale. Votre conclusion inspire largement la majorité des membres de la commission des finances du Sénat : nous sommes plutôt favorables à une économie de l'offre. A présent, je souhaite entendre le point de vue d'un praticien, en l'occurrence d'un avocat, M. Michel Taly.

M. Michel Taly, avocat associé, cabinet Arsène

J'interviendrai plus en tant qu'ancien fonctionnaire chargé de politique fiscale qu'en tant qu'avocat fiscaliste. En matière de technique fiscale, la TVA sociale est assez simple, puisqu'il ne s'agit que de modifier un taux. Figurent aujourd'hui dans la salle plusieurs anciens ministres que j'ai eu l'honneur de servir à Rivoli ou à Bercy. Ils connaissent donc notre aptitude à trouver des problèmes là où eux n'en avaient pas vus. Par conséquent, je vais m'essayer à cet exercice.

Il n'existe pas de taux maximal. Par conséquent, il est possible de fixer un taux à 25 ou 30 %. Il n'existe pas non plus de distorsion de concurrence, sauf pour les régions frontalières, puisque dans le régime actuel, les transactions intracommunautaires fonctionnent avec un remboursement de la TVA payée avant l'exportation et un paiement de la TVA par l'importateur. Il est donc possible de vivre avec des différences de taux importantes d'un pays à l'autre sans distorsion de concurrence, sauf pour les frontaliers qui peuvent traverser la frontière pour acheter ou consommer des services dans le pays voisin.

En revanche, il convient d'être attentif à deux aspects. Le premier est relatif à la structure des taux : le rapport entre le taux normal et le taux réduit deviendrait franchement excessif si nous augmentions le taux normal sans modifier le taux réduit. En effet, la différence entre les deux taux de constitue déjà pour de nombreux prestataires de service un appel formidable à vouloir bénéficier d'un taux de 5,5 %. Ensuite, nous devons faire attention aux phénomènes de fraude : la fraude est d'autant plus rentable que l'impôt éludé est élevé. Plus le taux d'imposition est élevé, plus les mécanismes d'évasion et de fraudes fiscales sont rentables.

Ensuite, cette réforme pourrait comporter deux types de transferts selon qu'ils soient voulus ou non. Les transferts voulus interviendraient si nous choisissions délibérément, en construisant la réforme, de ne pas être neutres pour les consommateurs résidents français. Très souvent, l'idée de neutralité est au contraire mise en avant, aboutissant à un système curieux, établi sur une proportion de 80/20 : 20 % des emplois et ressources de biens et services viennent de l'extérieur ou y repartent et 80 % émanent de la production nationale, consommée localement. Si cette neutralité est bien recherchée, l'effet équivalent à un droit de douanes sur 2 à 3 points de TVA est opéré sur 20 % des flux. Si, à l'inverse, un effet est recherché sur les 80 % restants, des transferts entre catégories sont réalisés en jouant sur le type de cotisations supprimées.

En termes de technique fiscale, je souhaite plutôt évoquer les transferts qui n'auront pas été forcément voulus. Nous allons probablement supprimer des charges sociales déductibles, puisque la seule charge sociale non déductible est une partie de la CSG. Dans ce cas, soit l'on supprime les cotisations des employeurs, soit les cotisations des salariés. Au rang des transferts non voulus peuvent également figurer des éléments non fiscaux qui portent sur la maîtrise des marges. Or dans une économie ouverte et non administrée, les marges ne sont guère maîtrisées. Par ailleurs, des reconstitutions de marges fantasmées peuvent également voir le jour. Ce phénomène a ainsi été observé lors du passage à l'euro.

Si les cotisations des employés sont supprimées, des problèmes se poseront pour l'impôt sur le revenu.

M. Jean Arthuis

Il n'existe pas de cotisations des employés à vocation familiale et très peu de cotisations maladie.

M. Michel Taly

Dans ce cas, il faudra jouer sur la CSG.

M. Jean Arthuis

La CSG a été précisément construite pour que l'ensemble des revenus participent au financement de la protection sociale. La mutation est déjà intervenue pour les prélèvements qui étaient réalisés sur les salaires. Dans ce cas, on joue alors sur les cotisations employeurs.

M. Michel Taly

S'il s'agit des cotisations employeurs, des transferts voulus interviennent entre actifs et non actifs.

M. Jean Arthuis

Vous avez précédemment évoqué la proportion de 20 % et de 80 %. De notre côté, nous sommes surtout préoccupés par la dynamique des activités et des montants partant à l'étranger au détriment de la France.

M. Michel Taly

En tant qu'habitué de la gestion des transferts, j'estime que la création d'un droit de douane de 2 ou 3 % en changeant totalement la donne sur l'ensemble de la consommation (les 1.500 milliards d'euros de biens et services produits et consommés localement), va nécessairement entraîner des conséquences.

M. Philippe Marini

Il est certain qu'il ne s'agirait pas d'une micro réforme, effectuée en catimini. Pour pouvoir la mener à bien, il est nécessaire de faire preuve d'un certain culot. Il ne s'agit pas d'une réforme technique

M. Jean Arthuis

A présent, je cède la parole à Alain Estival, qui représente l'Union professionnelle artisanale, et donc l'économie de proximité.

M. Alain Estival, membre du comité directeur de l'UPA

En préambule, je tiens à vous présenter les excuses de Pierre Martin, président de l'UPA, qui ne peut être présent aujourd'hui. L'UPA est la première entreprise de France, une entreprise qui crée de l'emploi. Comme tous les Français, j'ai vibré lorsque j'ai entendu qu'Airbus allait supprimer 10.000 emplois. Simultanément, nous avons créé 10.000 emplois en six ans dans le secteur des taxis. Cet exemple montre bien que les TPE créent de l'emploi, tandis que les grandes entreprises ne le font plus vraiment aujourd'hui. Ainsi, en sept ans, l'artisanat a créé 430.000 emplois salariés, dont une grande partie par le secteur du bâtiment, grâce à l'abaissement de la TVA. Ces créations d'emploi sont intervenues malgré le poids des charges sociales qui pèsent sur le travail. A cet effet, l'UPA défend la politique d'allégement de charges patronales, car c'est une politique efficace en matière de création d'emploi. Je profite également de ma présence au Sénat aujourd'hui pour évoquer un sujet qui m'a particulièrement choqué : il s'agit, dans le cadre de la réforme du barème de l'impôt sur le revenu, de l'établissement d'une fiscalisation à 25 % de plus pour les TPE en nom propre. Cette mesure est inique.

La TVA sociale semble constituer une réponse limpide et efficace pour l'import et l'export. En revanche, la situation est plus compliquée pour l'économie domestique. En effet, la TPE est sujette à des pressions bancaires et salariales auxquelles elle ne peut satisfaire aujourd'hui. Si demain, la TVA est élevée en contrepartie d'un abaissement des charges sociales sur les salaires, les TPE ne devraient pas en profiter pour diminuer leurs prix, mais pour augmenter les rémunérations de leurs salariés. Je n'ai pas d'état d'âme en ce qui concerne un protectionnisme supposé: les États-Unis se protègent bien, y compris par le biais du Small business Act .

L'UPA est assez favorable à la TVA sociale, mais elle considère qu'il ne s'agit pas de la seule réponse à apporter au problème des charges sociales. En outre, il serait nécessaire de procéder à une clarification entre la partie assurantielle et la partie relative à la solidarité nationale, notamment les charges d'allocations familiales. La TVA sociale doit donc être complétée par d'autres éléments ne relevant pas de la fiscalité, par exemple le dialogue social. L'UPA a ainsi signé un accord en matière de dialogue social, qui ne peut être appliqué car les grandes entreprises refusent que l'UPA s'entende avec les cinq grandes organisations syndicales. En outre, il serait nécessaire de tenir compte du ratio entre la masse salariale et le chiffre d'affaires. Par exemple, dans le secteur des taxis, le chiffre d'affaires s'élève à 3 milliards d'euros, pour 1,4 milliard d'euros de masse salariale. Enfin, lorsqu'il est question de TVA sociale, il est souvent fait référence aux expériences scandinaves. De fait, les relations sociales sont différentes en Scandinavie : la société est mue par la recherche du consensus et non la recherche du conflit. Par conséquent, l'UPA est favorable à ce modèle sociétal.

M. Jean Arthuis

Je vous remercie. Il est à présent temps de donner la parole aux sénateurs afin qu'ils puissent interroger les différents intervenants.

M. Philippe Marini

Je souhaite poser deux questions principales. La première porte sur l'effet change ; la seconde sur la gouvernance de la sécurité sociale et les évolutions institutionnelles à envisager. S'agissant de l'effet change, Jean-Paul Fitoussi nous a indiqué que si la politique de change de la zone euro était modifiée, le problème serait résolu. Croit-il vraiment à une prise de conscience spontanée de chacun des États de la zone euro et à l'émergence rapide -car tous les jours des emplois sont menacés dans notre pays- de cette autre politique de change, de ce consensus européen permettant d'équilibrer les objectifs et les pouvoirs de la Banque centrale européenne (BCE) par un corps politique ?

Ma deuxième question porte sur les aspects institutionnels. Nous sommes tous frappés par le fait que la place de la fiscalité n'a cessé de s'accroître dans le financement des régimes sociaux. Dès lors, le dualisme existant depuis 1996 entre les lois de financement de la sécurité sociale et les lois de finances de l'État ne doit-il pas être relativisé ? Ne faut-il pas considérer que l'exercice de TVA sociale est de ce point de vue un révélateur et que le vote des impôts, prérogative essentielle du Parlement, légitime un autre système de décision ?

Enfin, j'aurais souhaité que nous creusions la distinction entre les régimes sociaux qui demeurent d'inspiration beveridgienne - qui ont vocation à être financés par l'impôt et dont le Parlement doit être réellement décideur - et les régimes sociaux dont la vocation est plus assurantielle et qui doivent logiquement continuer à s'équilibrer par un système de cotisations. J'aurais souhaité que les intervenants réagissent à ces idées, en concluant par le fait que ce n'est pas parce que le financement serait davantage fiscalisé - donc étatisé - que les partenaires sociaux perdraient leur place autour de la table. Dans un récent rapport, j'ai ainsi indiqué qu'il était tout à fait possible de concevoir des agences disposant d'une délégation de l'État, mais également marquées par une implication réelle et institutionnelle des partenaires sociaux. Celles et ceux qui font preuve d'une vision manichéenne - le conservatisme actuel sur toutes les positions actuelles avec les partenaires sociaux ou le saut dans l'inconnu sans les partenaires sociaux - se méprennent et, là aussi, j'aurais souhaité que ces idées puissent puissent faire l'objet de réactions de notre table ronde.

M. Jean Arthuis

M. Fitoussi, quel est votre pronostic sur la capacité de la zone euro à établir une politique de change et une politique économique ?

M. Jean-Paul Fitoussi

Cette capacité n'est pas liée à la volonté politique des gouvernements. Cependant, je tiens à souligner qu'elle ne dépend pas de la BCE, laquelle agit dans le cadre d'un mandat qui la contraint de rechercher la stabilité des prix.

M. Jean Arthuis

La BCE est bien seule.

M. Jean-Paul Fitoussi

Les traités ne tranchent pas de manière claire la responsabilité de la politique de change. Nous savons cependant que d'autres solutions pourraient être trouvées en cas d'une décision unanime des 27 États membres. Mais est-il possible d'obtenir une telle unanimité ?

M. Jean Arthuis

Il serait cependant possible de trouver d'autres solutions avant que l'Europe ne soit capable de conduire une grande politique de change.

M. Jean-Paul Fitoussi

Il est toujours possible de l'exiger.

M. Jean Arthuis

Je rappelle cependant que la « maison brûle », compte tenu du nombre d'emplois délocalisés. Qui souhaite réagir à la question de M. Marini sur la place de fiscalité et de la gouvernance ?

M. Christian Saint-Etienne

Si nous acceptons l'existence d'une distinction entre une protection sociale individuelle et une protection sociale collective, la protection sociale individuelle serait constituée par la retraite, les accidents du travail et l'assurance chômage, relevant du travail. Le système français actuel est marqué par un grand attachement de la population à la répartition. Si nous pouvons envisager un système complémentaire de fonds de pension, la répartition demeurera néanmoins le coeur du système. Dans le cadre de cette protection sociale individuelle, les syndicats occupent une place naturelle dans la cogestion, sous réserve que le système soit à la fois plus efficace et plus lisible.

En revanche, la protection sociale collective et citoyenne n'est plus fondée sur le travail et elle est déjà largement financée, de facto , par l'impôt. Ce financement devrait encore s'accroître pour la part patronale des cotisations sociales, notamment sur la santé et la famille. Nous pourrions imaginer que les syndicats demeurent dans la gouvernance à titre de conseil au même titre que d'autres intervenants. Cependant, il n'y a pas de raisons particulières qu'ils restent co-gestionnaires du système de santé et du système de politique familiale, puisque le travail n'est plus le principal élément de financement de ces deux politiques.

Pourquoi les syndicats veulent-ils demeurer dans la protection sociale ? Cette volonté est liée à leur faiblesse en France. Les syndicats tirent ainsi l'essentiel de leur financement de la cogestion de la protection sociale, qui accueille d'ailleurs une grande partie de leurs militants. Dans le cadre de la refondation intellectuelle appelée par M. Marini, nous pourrions nous interroger. Puisque nous avons mis en place un système de financement des partis politiques, pourquoi ne pas établir un système de financement direct des syndicats ? Nous pourrions donc envisager de financer les syndicats à hauteur d'un milliard d'euros et de les sortir de la gestion de la sécurité sociale pour économiser 10 autres milliards.

M. Jean Arthuis

M. Damon, vous nous avez indiqué que le Centre d'analyse stratégique craignait que l'introduction de la TVA sociale n'entraîne la disparition de la gestion paritaire.

M. Julien Damon

Le Centre d'analyse stratégique estime que cette introduction ne peut être envisagée qu'en négociant avec les partenaires sociaux leur place future dans l'architecture d'un paritarisme rénové. Il serait par exemple envisageable de développer la fonction de surveillance que ces partenaires sociaux exercent déjà par ailleurs.

M. Jean Arthuis

Il est nécessaire de clarifier le mode d'intervention des syndicats, mais il n'est pas question d'évincer quiconque. Il convient donc de dissiper cette crainte.

M. Jean-Pierre Fourcade, sénateur des Hauts-de-Seine

L'impact sur les prix à la consommation n'est-il pas plus fort si nous appliquons la TVA sociale plutôt que si nous augmentons les taux de CSG ? Ensuite, la mise en place de la TVA sociale ne serait-elle pas le meilleur moyen de casser la bulle immobilière actuelle, ce qui aurait cependant des conséquences en matière d'emploi, d'activité et de croissance ? Enfin, compte tenu des enjeux financiers, ne vaudrait-il pas mieux, pour lutter contre les délocalisations, commencer par transférer, non pas les cotisations sociales, mais la taxe professionnelle sur la TVA ?

M. Pascal Salin

L'impact sur les prix est inexistant : les prix sont déterminés par la confrontation entre l'offre et la demande de biens contre monnaie. Sans création monétaire, il n'y a pas d'inflation. C'est la raison pour laquelle la TVA est payée par la rémunération des facteurs de production. De fait, une hausse de TVA se reporte en amont sur les rémunérations. Si les producteurs pouvaient augmenter les prix à leur guise en raison de la modification de TVA, pourquoi ne l'auraient-ils pas fait plus tôt, de manière à obtenir des profits plus élevés ? En réalité, ils ne l'ont pas fait plus tôt parce qu'ils ne le pouvaient pas, le marché n'acceptant pas des prix plus élevés. Par conséquent, il ne faut pas craindre une hausse de l'inflation.

M. Jean Arthuis

Imaginons le cas d'un produit français dont le prix est aujourd'hui de 100 euros hors taxes. Grâce à l'exonération des cotisations d'assurance maladie et des allocations familiales, le prix devrait être ramené à 95 euros. Aujourd'hui, avec une TVA à 19,6 %, le prix final est de 119,6 euros. Avec une TVA à 25 %, le prix final serait de 118,75 euros. Par conséquent, aucun risque d'inflation ne devrait voir le jour, à condition d'avoir un large débat préalable.

M. Jean-Paul Fitoussi

Je ne crois pas non plus au risque d'inflation. Cependant, il faut comprendre que certains prix doivent augmenter : les prix des entreprises consommant peu de masse salariale. Simultanément, certains prix devraient baisser. Dans la mesure où il existe une asymétrie des évolutions de prix, il y aura un léger effet sur l'inflation, qui n'est cependant pas à craindre, dans la mesure où l'inflation ne menace pas, à l'heure actuelle. La question que nous avons posée dans nos rapports tenait à l'éventuelle réaction de la BCE face à cette légère inflation. En effet, l'une des raisons de la hausse de taux d'intérêt par la BCE a été liée à l'augmentation de la TVA en Allemagne. A supposer que les États membres parviennent à mener à bien cette réforme de la TVA, qu'adviendrait-il si la BCE décidait d'apprécier l'euro de 5 % ? Nous nous serions ainsi battus pour réduire le coût du travail de 2 %, mais cette action serait alors annulée par l'intervention de la BCE.

M. Jean Arthuis

La taxe professionnelle est d'une certaine manière un impôt de production, comme les cotisations assises sur les salaires.

M. Jean-Pierre Fourcade

L'addition des cotisations sociales maladie et famille représente un poids de TVA sociale beaucoup plus important que le transfert de la taxe professionnelle. Par conséquent, les effets sur les prix et les craintes inflationnistes seront plus faciles à négocier avec nos partenaires dans le cas d'un transfert de la taxe professionnelle que dans le cas d'un transfert des cotisations sociales vers la TVA. Je crains qu'une opération de transfert étalée dans le temps ne fournisse pas les effets économiques escomptés.

M. Jean Arthuis

Il faut intervenir massivement.

M. Philippe Marini

Les travaux de la commission des finances montrent effectivement que l'exercice n'en vaut la peine que s'il est suffisamment massif et s'il exerce un effet de levier macroéconomique suffisant. Nous sommes conscients des problèmes de niveau relatif des prix d'un secteur à un autre. Nous sommes également au fait des conditions variables d'arbitrage de la marge dégagée entre la politique commerciale, la politique salariale et la politique actionnariale au sein de l'entreprise. Cependant, nous estimons que ces risques et le choix d'un scénario totalement nouveau ne se justifient que si nous ambitionnons d'appliquer une mesure de première grandeur, suscitant un « choc de confiance ». Ce choc devrait avoir un effet suffisamment massif et rapide sur l'emploi pour pouvoir modifier les anticipations des acteurs économiques.

M. Jean Arthuis

Je rappelle à cet égard que 5 points de TVA représentent entre 40 et 45 milliards d'euros. Si les masses à déplacer sont considérables, je ne suis pas sûr qu'il faille exonérer de cotisations d'assurance maladie et de cotisations au titre de la branche famille les emplois de la sphère publique, puisqu'ils ne sont pas délocalisables. De fait, il est envisageable d'opérer une première distinction entre les salaires confrontés au marché et ceux qui ne le sont pas.

Mme Nicole Bricq, sénatrice de Seine-et-Marne

Au sein de ce débat, je tiens à être à la fois lucide et loyale. Loyale dans la mesure où j'accepte l'exercice de parler de la TVA et de son affectation sociale, alors qu'il eût été préférable, peut-être, de replacer cet impôt dans le paysage fiscal global. Lucide également, car, dans la mesure où nous sommes en période électorale, ce débat ne peut être neutre. À ce jour j'ai lu attentivement ce que MM. Sarkozy et Bayrou ont dit et écrit sur le sujet, et l'on voit bien pour l'instant qu'ils n'ont pas encore arrêté leur choix entre la CSG, la cotisation sur la valeur ajoutée et la TVA sociale. Quant à Ségolène Royal, elle ne s'est pas exprimée sur le sujet, mais le parti socialiste s'est, dans sa majorité, plutôt prononcé en faveur de la CVA. Sur cette question, je suis minoritaire au sein de mon parti.

Pour ce qui concerne la TVA, j'ai trois questions à poser. C'est un impôt très tentant : il est massif -vu son produit-, et plastique -c'est-à-dire dynamique puisqu'il est lié à la consommation, laquelle se porte plutôt bien-. Il dispose également de vertus défensives et je sais, Monsieur le Président, que vous y tenez, notamment par rapport aux importations. Il aurait également une vertu parce que cet impôt est européen. M. Fitoussi y a insisté et je partage pleinement cette insistance. Vu toutes ces vertus, la TVA sociale est cependant une espèce d'» auberge espagnole » : chacun envisage des finalités différentes, qu'il s'agisse de baisse de charges, d'importation ou de financement de la protection sociale.

M. Jean Arthuis

Cependant, l'objectif final est le même, puisqu'il porte sur l'emploi.

Mme Nicole Bricq

Oui, bien sûr. Mais il en ressort des hésitations et une confusion du débat. Plusieurs questions m'apparaissent essentielles. Quelles sont les conséquences de l'introduction de cette TVA sociale sur la compétitivité ? En effet, le principal problème de notre pays réside à mon avis dans la perte de la compétitivité des entreprises dont on connaît bien les problèmes. Ensuite, quelles sont les conséquences de ce choix sur la compétitivité ? Le journal « Les Echos » a ainsi publié un audit très complet sur les investissements, mettant en lumière la faiblesse des investissements privés par rapport aux investissements publics. On peut dire que la TVA n'est pas un impôt sur la consommation, que c'est un impôt sur les revenus, mais cela aggrave encore le cas. Enfin, ma dernière question a trait au problème de la justice. M. Saint-Etienne propose une modulation à partir de trois taux (8 %, 15 % et 22 %), laquelle devrait permettre d'améliorer la compétitivité des entreprises. De ce fait, les entreprises pourraient dégager des marges pour mieux payer leurs salariés. Cependant, rien ne garantit que cette amélioration profite réellement aux salariés, par le biais d'une augmentation de leurs salaires, compte tenu du rapport de force entre les organisations syndicales et les organisations patronales. Je veux donc connaître exactement l'impact sur la justice de l'augmentation d'un impôt sur la consommation, compte tenu de la structure même de la consommation et compte tenu du fait que ceux qui ont le moins n'épargnent pas ou épargnent peu. L'impact sur la justice est très important, surtout si on le replace dans l'ensemble du paysage fiscal. Ce sont trois questions essentielles pour faire un choix politique.

M. Jean Arthuis

Je vous remercie. Qui veut répondre sur l'impact sur la compétitivité ? Je donne la parole à M. Fitoussi.

M. Jean-Paul Fitoussi

Nous avons déjà indiqué que l'augmentation de la TVA équivaut à une dépréciation réelle de la monnaie « française «, ce qui devrait permettre dans un premier temps d'améliorer la compétitivité. Simplement, il existe deux modalités de compétitivité : la compétitivité-prix, dans laquelle nous sommes aspirés en raison du système de concurrence fiscale mis en place dans la zone euro, et la compétitivité-productivité. Cette dernière passe par la réduction des coûts unitaires et par l'augmentation de la compétence et de la productivité du travail. La réforme n'aurait donc pas d'intérêt si elle demeurait statique. Au contraire, elle doit permettre de dégager une plus grande liberté d'action, à la fois en termes de marges des entreprises et d'augmentation des salaires. Dans ce cas, la réforme pourrait être favorable à l'investissement et nous réinscrire au sein d'un cercle vertueux de l'amélioration de la compétitivité et de la productivité par l'augmentation du pouvoir d'achat.

M. Pascal Salin

D'après moi, cette TVA sociale n'aura pas d'effet sur la compétitivité, puisque j'ai expliqué que les changements éventuels de financement ne modifiaient pas fondamentalement l'assiette des prélèvements. Le problème majeur n'a pas trait à la compétitivité, mais à la croissance, lequel s'explique par les incitations productives. Ensuite, il est exact que la France souffre d'une grande carence en matière d'investissement. En conséquence, il convient d'éviter de surcharger la taxation du choix du futur. Or pour le moment, le financement de la protection sociale ou des dépenses publiques pèse trop sur le choix du futur. Il convient donc de ne pas l'accroître.

M. Jean Arthuis

Nous sommes tous d'accord pour considérer que les dépenses publiques doivent être réduites.

M. Philippe Marini

La réduction des dépenses publiques doit s'apprécier en fonction des tendances de fond qui sont à l'oeuvre. On peut, selon nos orientations, pour ceux qui sont plus libéraux, souscrire à l'idée de réduire globalement les dépenses publiques. Mais qui peut prétendre aujourd'hui qu'il est possible de réduire le poids réel de la dépense sociale ? Il faut bien rappeler que la sphère des finances publiques comprend l'État, la sécurité sociale et les collectivités territoriales. Nous parlons ici du financement de la seconde sous-sphère du secteur public, c'est-à-dire de la sécurité sociale. Qui prétendra qu'il est possible de diminuer la dépense sociale, même si elle est gérée de manière plus performante et si nous faisons, notamment, l'économie de surcoûts de système comme ceux qui ont été évoqués par le Professeur Saint-Etienne ?

M. Jean Arthuis

Sur la justice, je m'interroge sur les propos du Professeur Salin. Ce qui a changé, c'est que nous vivons maintenant dans une économie mondialisée et, en quelque sorte, les personnes qui consomment des produits importés s'exonèrent en tant que citoyens d'une participation au financement de la protection sociale. Seuls ceux qui consomment des produits issus du travail français participent, en tant que consommateurs, à ce financement de la protection sociale.

M. Pascal Salin

J'ai précédemment expliqué que puisque tous les impôts sont prélevés au niveau de la production, le fait d'importer n'a pas de conséquence de ce point de vue. J'ai par ailleurs entendu qu'il était bon de faire financer en partie la protection sociale ou les dépenses publiques par les producteurs chinois. Cela me paraît en grande partie immoral : s'ils ne profitent pas de la protection en question, pourquoi les faire payer ? Ceci dit, les droits de douane font payer les producteurs étrangers. Les autres impôts sont des impôts sur les revenus et sont en réalité prélevés au sein du pays.

M. Jean Arthuis

Il n'existe quasiment plus de droits de douane.

M. Pascal Salin

Nous sommes donc dans une situation morale, d'un point de vue fiscal.

M. Jean Arthuis

Nous devons gérer la cohésion sociale et nous ne pouvons pas nous résigner à voir se multiplier le nombre de personnes qui perdent leur travail et qui se désespèrent.

M. Philippe Marini

Nous ne pouvons pas en rester aux théories d'Adam Smith.

M. Jean Arthuis

Aujourd'hui, l'avantage compétitif est tel que certains pays sont compétitifs sur tous les produits, ce qui est nouveau.

M. Joël Bourdin, sénateur de l'Eure

Ma première question concerne les aspects externes de la TVA sociale, qui est un système de distorsion visant à introduire des différences. Cela me rappelle étrangement la situation de l'entre-deux guerres au XX ème siècle, qui a été marquée par une concurrence internationale des droits de douane. Certains disaient que les droits de douanes étaient protecteurs, d'autres qu'ils ne l'étaient pas et on s'en est allés vers une concurrence des droits de douane. Tous les historiens ont ainsi insisté sur l'aspect destructeur de la mise en place d'entraves au commerce extérieur. Nous sommes aujourd'hui dans un système de type « théorie des jeux « : les autres pays peuvent reproduire les mesures que nous mettons en place. Par conséquent, les schémas sont dynamiques. Que se produira-t-il ensuite si nous sommes résolument favorables à une discrimination de ce type ? Il y aura obligatoirement des réactions.

J'entendais tout à l'heure M. Fitoussi, et il avait raison, dire que si l'on doit évoluer vers un système de discriminations, autant que cela se fasse dans un système européen, ce qui est logique. Mais j'ai cru comprendre qu'il disait aussi : pourquoi pas au niveau national ? Je pense que ce serait désastreux. Si l'on introduit des discriminations entre pays européens à partir de la TVA, effectivement, on réintroduit un nouveau système de change, des entraves, etc.

Ma deuxième remarque concerne l'aspect interne. La réforme prévoit de réduire la cotisation patronale et de la transformer grâce à un système de financement par la TVA. Qu'en sera-t-il des prix ? Beaucoup ont répondu que les prix seraient stables et qu'il n'y aurait pas d'inflation. Il existe quand même des marchés du travail. Je ne suis pas certain que, lorsque l'on aura effectivement diminué les cotisations patronales, les prix diminueront. Il y aura, là encore, des réactions et je me demande ce qu'il adviendra du pouvoir d'achat si la TVA augmente et si les prix baissent peu ? Est-ce que tout le monde pourra s'y retrouver ? Est-ce qu'en termes de pouvoir d'achat, il n'y aura pas un problème ?

M. Philippe Marini

La situation actuelle étant parfaite, il ne faut rien bouger...

M. Joël Bourdin

Non, Monsieur le rapporteur général, je n'accepte pas ce genre d'argument. Je ne dis pas que la situation est parfaite, mais que si on doit la changer, on droit trouver quelque chose d'encore plus parfait.

M. Yves Fréville, sénateur d'Ille-et-Vilaine

Dans le cadre de notre système de répartition, ce débat a le mérite de clarifier un certain nombre de questions. Il y a l'effet « change », l'effet « prix relatifs », l'effet « transfert » et l'effet « investissement ». Sur l'effet « change », je partage largement le point de vue de Jean-Paul Fitoussi. Quel est l'ordre de grandeur de la variation des prix liée à l'effet « change » par rapport aux fluctuations actuelles des changes ? J'ai l'impression que l'effet change sera minime et pourra être compensé.

Ensuite, je m'interroge sur les prix relatifs internes. La TVA va-t-elle introduire une plus grande neutralité dans les choix entre travail qualifié et travail non qualifié, à la différence du système actuel qui n'est pas neutre ? Je suis partisan d'une plus grande neutralité. Ma troisième observation concerne le niveau des prix absolus. Ma question concerne le secteur public. Je comprends très bien qu'il puisse exister dans le secteur privé un relatif équilibre entre les baisses pour les uns et les hausses pour les autres. Cependant, ne risquons-nous pas d'être confrontés à une demande brutale d'augmentation des traitements des fonctionnaires ? Il n'y a pas de raison que nous ayons des prix qui baissent dans le secteur public. Enfin, à l'inverse de Pascal Salin, je crois que la TVA porte sur la consommation. L'investissement est détaxé. La TVA sociale permettrait-elle de réduire un peu le coût de l'investissement par rapport au coût des produits de consommation ?

M. Jean Arthuis

A mon avis, la réponse à cette dernière question est positive. Le coût qui s'incorpore dans le prix de l'investissement sera réduit du montant des exonérations.

M. Serge Dassault, sénateur de l'Essonne

L'instauration de la TVA sociale a pour objet de réduire les coûts de production. Aujourd'hui, ces coûts représentent le double du salaire net -pour un salarié qui reçoit 1.000 euros de salaire net, l'entreprise doit payer le double et ces coûts de production sont trop élevés pour les entreprises par rapport à ceux de nos concurrents. Par quoi peut-on les remplacer ? Dans les charges sociales, soit 300 milliards d'euros, figurent la part concernant le salarié (200 milliards d'euros) et la part relative à la sécurité sociale (100 milliards d'euros). Autant il serait admissible que les entreprises payent les charges concernant leurs salariés, autant il est inadmissible que les salaires supportent une partie des charges de la sécurité sociale. Cela n'a rien à voir avec l'activité. Nous devons remplacer 100 milliards d'euros, mais la TVA sociale ne pourra jamais à elle seule y parvenir.

M. Jean Arthuis

Si nous déduisons les cotisations sociales des salariés du secteur public et si nous ne retenons que les salariés du secteur marchand, la masse est de l'ordre de 65 milliards d'euros.

M. Serge Dassault

Sur les 300 milliards d'euros, il y a 200 milliards qui concernent les salariés et 100 milliards qui concernent la sécurité sociale. Il faut faire payer les entreprises car ce n'est pas aux contribuables ni à l'État de le faire. Mais dans le fonctionnement de l'entreprise, la répartition des charges doit passer des seuls salaires, comme aujourd'hui, à une partie sur les salaires et une partie sur un autre coefficient qui correspondrait au chiffre d'affaires, ce qui n'est pas équivalent à la valeur ajoutée. Quelle est la part de la TVA sociale que nous pouvons accepter pour réduire ces 100 milliards d'euros ?

Mme Marie-France Beaufils, sénatrice d'Indre-et-Loire

Il me semble que les difficultés de financement sont en grande partie liées au faible niveau des salaires et à l'affaiblissement du nombre d'emplois. Je ne partage pas les propos du sénateur Dassault : une bonne protection sociale permet aux salariés d'être en bonne santé, ce qui constitue un élément essentiel pour l'ensemble de l'activité économique. Il est donc normal que l'entreprise contribue à la protection sociale.

Par ailleurs, j'ai plus entendu aujourd'hui des affirmations qu'une véritable démonstration du fait que cette TVA sociale ne pèserait pas sur les prix et donc sur le pouvoir d'achat de la grande majorité des salariés. Nous devons être clairs. Ce serait la première fois qu'une augmentation de taxe, quelle qu'elle soit, ne serait pas répercutée et rien dans ce que vous avez dit ne m'a convaincue sur le fait qu'elle ne serait pas répercutée. Qui supportera le plus cette répercussion ? Ce sont ceux qui ont les plus bas niveaux salariaux et donc, à partir de ce moment là, nous serons face à une réelle difficulté.

Une fois de plus, nous laissons de côté quelque chose qui, selon moi, pèse beaucoup plus lourdement sur l'activité de nos entreprises, à savoir le coût du capitalisme financier et sa recherche de rentabilité à court terme.

M. Jean Arthuis

Le dernier intervenant de cette table ronde sera le sénateur Alain Vasselle.

M. Alain Vasselle, sénateur de l'Oise

M. le président, je vous remercie d'avoir associé à cette table ronde les membres de la commission des affaires sociales du Sénat. La mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale que j'ai l'honneur de présider se penche notamment sur la question de la TVA sociale. Nous avons ainsi entamé une série d'auditions hier.

J'ai trois questions, dont une a sans doute plus sa place dans la deuxième table ronde. Elle est en effet relative à l'impact de la TVA sociale sur l'emploi, le pouvoir d'achat et la consommation, et rejoint les questions de nos collègues Joël Bourdin et Jean-Pierre Fourcade. Je souhaite recueillir l'avis des experts sur l'impact que représenterait la TVA sociale en termes de dynamique pour notre économie et les recettes fiscales de l'État. Cette TVA sociale permettra-t-elle d'améliorer ces recettes fiscales et quel sera son impact sur les prélèvements obligatoires ? Ce sera neutre à mon avis mais il y a peut-être un impact que je ne mesure pas. Ensuite, si nous retenons cette TVA sociale, nous allons évoluer vers un système d'impôt se substituant à un système de cotisations. En raison du changement de nature de la recette, la tentation serait grande de fusionner une partie du budget de la sécurité sociale avec le budget de l'État. Faut-il en conclure que, compte tenu de la nature de l'impôt, l'ensemble des dépenses des branches maladie et famille serait désormais gérées par le budget de l'État, sans affectation a priori des recettes correspondant à la TVA sociale et à la CSG ?

M. Jean Arthuis

Pour ma part, sur cette dernière question, je n'ai pas entendu dire qu'il était envisagé de fusionner la gestion proprement dite. Les recettes deviennent fiscales, mais la gestion serait maintenue. Les partenaires sociaux y auraient leur place pour lever cette crainte. Vous savez comment est présenté le budget de l'État. Nous avons différents prélèvements sur les ressources fiscales : un prélèvement pour l'Union européenne, un prélèvement pour les collectivités territoriales et il y aurait ainsi un prélèvement pour la sécurité sociale.

Cette première table ronde est maintenant achevée. Je remercie les différents intervenants : M. Julien Damon, chef du département « questions sociales » du Centre d'analyse stratégique ; M. Alain Estival, membre du comité directeur de l'Union professionnelle artisanale (UPA) ; M. Jean-Paul Fitoussi, professeur des universités à l'Institut d'études politiques de Paris, président de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ; M. Christian Saint-Etienne, professeur des universités, membre du Conseil d'analyse économique ; M. Pascal Salin, professeur d'économie à l'Université Paris-Dauphine et M. Michel Taly, avocat associé au cabinet Arsène, qui s'est également exprimé en tant qu'ancien directeur de la législation fiscale.

Page mise à jour le

Partager cette page