2. Vers un régime d'asile européen commun ?

Après une première phase d'harmonisation des politiques d'asile, la Commission européenne a présenté en juin 2007, conformément au programme de La Haye de 2004 qui prévoit une harmonisation complète des politiques d'asile d'ici 2010, un Livre vert sur l'établissement d'un régime européen commun d'asile. Cette priorité coïncide avec le Pacte européen pour les migrations annoncé par le Gouvernement français qui devrait comporter un engagement spécifique en faveur d'un régime européen d'asile.

La Commission européenne devrait présenter un programme d'action au printemps 2008, de façon à ce que les premières propositions législatives soient déposées dans le courant de l'année 2008 pour une adoption en 2010. Ce calendrier apparaît toutefois optimiste.

Si un consensus se dégage pour harmoniser le régime de l'asile, des divergences importantes demeurent quant aux voies et moyens pour atteindre cet objectif.

Des systèmes nationaux très hétérogènes

En dépit d'un rapprochement des législations (notion de pays sûrs, d'asile interne, condition d'accueil des demandeurs d'asile) et de procédures similaires (traitement de la demande par un organe administratif puis un appel devant une autorité judiciaire), le constat est sans appel : le niveau de protection reste très hétérogène entre les Etats membres. En 2007, le taux de reconnaissance du statut de réfugié en dernière instance s'élevait ainsi à 30 % en France contre 1,5 % en Pologne. La répartition par nationalité des demandeurs d'asile ne permet pas d'expliquer ces différences. Ainsi, le taux de reconnaissance en première instance pour les demandeurs d'asile irakiens variait en 2007 de 85 % en Allemagne ou en Suède à 13 % au Royaume-Uni ou 0 % en Grèce.

Ces divergences sapent la confiance réciproque entre Etats membres. Ainsi, la Suède a-t-elle demandé l'arrêt des renvois vers la Grèce des demandeurs d'asile en application de la Convention de Dublin.

L'association France Terre d'asile attire également l'attention sur la tendance de certains Etats membres à accorder de préférence le bénéfice de la protection subsidiaire plutôt que le statut de réfugié en application de la Convention de Genève. Aux Pays-Bas, les protections subsidiaires représentent 90 % des protections accordées, en Italie 73 %, au Royaume-Uni 26 %. Or ces formes de protection qui devaient rester marginales et couvrir les seuls cas n'entrant pas dans le cadre de la Convention de Genève offrent des droits moindres que la qualité de réfugié. L'association France Terre d'asile souhaiterait que le futur pacte européen des migrations et de l'asile encourage les Etats membres à replacer la convention de Genève au coeur des systèmes d'asile européen.

Les solutions

La solution la plus ambitieuse consisterait en la création d'un OFPRA européen chargé de l'examen des demandes d'asile sur l'ensemble du territoire européen. Toutefois, si ce projet doit rester l'objectif à atteindre, les personnes entendues par votre rapporteur estiment que les conditions ne sont pas réunies pour envisager sa mise en oeuvre à moyen terme. Il est d'ailleurs probable que l'objectif d'un OFPRA unique ne figurera pas dans le futur pacte européen sur les migrations et l'asile. En outre, si France Terre d'asile ou la CIMADE approuvent également cet objectif, c'est sous la réserve que l'harmonisation se fasse sur le standard du mieux disant.

A défaut, d'autres solutions sont envisagées.

A court terme , c'est-à-dire à échéance de la présidence française de l'Union européenne, un bureau d'appui européen devrait être créé qui aurait notamment pour mission d'apporter une assistance en cas d'afflux massif de demandeurs d'asile dans un Etat membre. Il devrait également favoriser l'échange d'informations sur la situation politique dans certains pays. La Commission européenne devrait publier une étude de faisabilité au cours de cet été, de sorte que la création de ce bureau soit inscrite dans le futur pacte européen.

L'association France Terre d'asile a exprimé le souhait que le HCR ou les ONG puissent être associés à ce bureau d'appui afin que les ONG du pays confronté à un afflux de réfugiés puissent également recevoir un renfort.

A moyen terme , les projets sont plus flous.

Selon M. Jean-François Cordet, directeur général de l'OFPRA, les principaux efforts devraient porter sur :

- l'harmonisation et le partage de la documentation géographique. Il a indiqué que l'Allemagne était en pointe, sa documentation étant entièrement informatisée et partiellement partagée avec la France ;

- l'harmonisation des jurisprudences de cours supérieures de l'asile afin de dégager quelques grands principes communs, lesquels seraient ensuite déclinés par les organismes administratifs comme l'OFPRA. La Cour de justice des communautés européennes pourrait jouer un rôle important à cet égard. Il faudra suivre par exemple l'avis de la Cour saisie d'une question préjudicielle par les Pays-Bas sur le champ d'application de la protection subsidiaire 39 ( * ) .

En revanche, l'objectif de fixer une liste commune des pays d'origine sûrs semble abandonné. Des listes nationales différentes devraient par conséquent continuer à coexister illustrant l'impossibilité de traiter d'une manière identique les demandes d'asile émanant de ressortissants originaires d'un même pays. On notera par ailleurs que dans un arrêt récent 40 ( * ) , la Cour de justice des communautés européennes a décidé que cette liste devrait être adoptée par le Conseil en codécision avec le Parlement européen et non après la simple consultation de celui-ci comme le prévoit la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1 er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les Etats membres.

Toutefois, certaines différences de traitement entre les Etats membres sont moins le fait des législations que des disparités dans les moyens financiers et humains. Ainsi, les délais de traitements varient beaucoup, la France ayant un des délais les plus courts. De même, si l'harmonisation du statut des demandeurs d'asile est en bonne voie, les moyens mis en oeuvre pour respecter ce statut sont en revanche très disparates (création de CADA, allocation financière versée aux demandeurs d'asile...).

Ce constat rejoint celui de l'association France Terre d'asile pour laquelle avant d'approfondir l'harmonisation il convient d'appliquer les directives en vigueur. La commission européenne a d'ailleurs initié plusieurs procédures en manquement, notamment contre les Etats membres 41 ( * ) qui retiennent les demandeurs d'asile dans des centres fermés.

La crainte d'un refoulement des demandeurs d'asile aux frontières de l'UE

Le renforcement des contrôles aux frontières de l'Union européenne a pour effet collatéral d'interdire ou de compliquer l'accès de certains demandeurs d'asile de bonne foi au territoire européen. Les projets en cours de réalisation ou d'étude pour renforcer encore le contrôle ne devraient pas inverser cette tendance.

A cet égard, aussi bien l'association France Terre d'asile que la CIMADE dénoncent le non respect du principe de non refoulement des demandeurs d'asile lors de certaines opérations de l'agence Frontex aux frontières maritimes.

En effet, les opérations de l'agence Frontex en pleine mer pour le compte de certains Etats posent le problème de la législation applicable et du statut de l'étranger recueilli. Par ailleurs, il semble que les agents participant à ces opérations ne soient pas formés pour admettre des étrangers au titre de l'asile.

Des études sont en cours pour clarifier le droit applicable et préciser l'Etat responsable de l'étranger recueilli (ex : cas d'un navire italien recueillant un étranger au large des côtes espagnoles).

Le problème de l'accessibilité du territoire européen anime aussi les réflexions sur la délocalisation de l'examen des demandes d'asile en dehors de l'Union européenne . Toutefois, selon les personnes entendues par votre rapporteur, aucun projet n'a encore été élaboré. Un tel système ne pourrait fonctionner que si un OFPRA européen était créé.

En outre, la Commission européenne encourage la mise en place de programmes de réinstallation pour accueillir dans l'espace européen des réfugiés installés dans d'autres pays. Ce mécanisme de solidarité à l'égard des pays qui accueillent un grand nombre de réfugiés doit toutefois être conçu selon l'association France Terre d'asile comme un dispositif complémentaire d'accès à la protection et non comme une alternative destinée à limiter l'accès direct de demandeurs d'asile dans l'espace européen.

La France s'est engagée avec le HCR à accueillir une centaine de réfugiés en 2008.

Les évolutions de la carte de l'asile en Europe

En 2007, on observe un déplacement des demandeurs d'asile vers les pays périphériques de l'Union européenne. Ainsi, la demande d'asile continue à baisser dans les pays d'accueil traditionnels (-11 % en Autriche, -10,5% en France, -9% en Allemagne) tandis qu'elle croit fortement en Grèce (+105 %) 42 ( * ) , en Italie (+35 %) ou en Pologne (+61%).

Cette évolution vers une répartition plus homogène des demandes d'asile en Europe fait dire à l'association France Terre d'asile que le règlement de Dublin fixant l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile devrait être révisé. Les rapports d'évaluation de la Commission européenne démontrent en effet que ce système marche assez mal. Plutôt que de renvoyer les demandeurs d'asile vers l'Etat responsable de sa demande d'asile, l'association France Terre d'asile propose de mettre en place un système de compensation financière entre pays qui prendrait en charge les éventuels surcoûts liés à l'accueil et à l'examen proprement dit de la demande d'asile. On notera également que des Etats membres ont cessé de renvoyer des demandeurs d'asile en application du règlement de Dublin vers certains Etats membres ayant une politique d'attribution du statut de réfugié trop divergente de la leur. Le gouvernement français est en revanche favorable à une amélioration du mécanisme de Dublin sans toutefois remettre en cause ses grands principes.

Il faut enfin évoquer ici les débats au sein du Conseil JAI sur la proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2003/109/CE afin d'étendre son champ d'application aux bénéficiaires d'une protection internationale 43 ( * ). En effet, les réfugiés et les bénéficiaires d'une protection subsidiaire ne peuvent actuellement bénéficier du statut de résident de longue durée en vertu de la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée 44 ( * ) . Ce statut acquis au bout de cinq années de résidence légale et ininterrompue dans un Etat membre permet à l'étranger et à sa famille de s'installer plus facilement dans un autre Etat membre.

Les débats portent :

- sur le champ d'application exacte de la directive : faut-il seulement viser les réfugiés ou également les bénéficiaires de la protection subsidiaire ou d'autres formes de protections complémentaires ?

- sur l'égalité de traitement entre ces catégories, notamment en ce qui concerne la durée de résidence exigée.

Sur cette base, le Conseil JAI du 18 avril dernier a demandé à la présidence slovène d'élaborer un texte de compromis.

Cette proposition de directive introduira une plus grande mobilité des réfugiés au sein de l'Union européenne. Toutefois, cette mobilité ne doit pas être assimilée à un mécanisme communautaire de transfert de protection impliquant la reconnaissance mutuelle des décisions en matière d'asile. Compte tenu du niveau insuffisant d'harmonisation des procédures d'asile des États membres, la Commission européenne a renoncé à en faire la proposition 45 ( * ) .

* 39 Demande de décision préjudicielle présentée par le Nederlandse Raad van State le 17 octobre 2007 - M. et N. Elgafaji / Staatssecretaris van Justitie (affaire C-465/07).

* 40 Arrêt du 6 mai 2008 - affaires C-133/06 Parlement/Conseil. De manière générale, la Cour rappelle que chaque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées par le traité. Elle estime que reconnaître à une institution la possibilité d'établir des bases juridiques dérivées, reviendrait à lui attribuer un pouvoir législatif qui excède ce qui est prévu par le traité.

* 41 Malte et la Grèce. La Grèce a notamment déjà été condamnée par le Cour de justice des communautés européennes pour non transposition dans le délai prescrit de la directive 2003/9/CE du Conseil du 27 janvier 2003 relative à des normes minimales pour l'accueil des demandeurs d' asile dans les États membres (arrêt du 19 avril 2007 dans l'affaire C-72/06 Commission/Grèce). La France a pour sa part transposé l'intégralité des directives adoptées.

* 42 La Grèce (25.110 demandeurs d'asile, mineurs accompagnants compris) figure désormais au quatrième rang européen pour le nombre de premières demandes d'asile enregistré derrière la Suède, la France et le Royaume-Uni.

* 43 COM (2007) 298 final du 06/06/2007.

* 44 Cette directive a été transposée par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration.

* 45 Les transferts de responsabilité en matière de protection existent néanmoins. Ils sont régis par la Convention de Genève de 1951 et, le cas échéant, par l'accord européen sur le transfert de la responsabilité à l'égard des réfugiés conclu dans le cadre du Conseil de l'Europe.

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