C. UNE PRATIQUE CONTRAIRE À L'INTÉRÊT GÉNÉRAL ?

Plusieurs personnes entendues par le groupe de travail ont mis en avant l'intérêt général de la société pour justifier le maintien de l'interdiction de la maternité pour autrui. Celle-ci y porterait atteinte au motif qu'elle entraînerait une contractualisation du droit de la filiation et représenterait un pas de plus vers la consécration d'un « droit à l'enfant », en transformant ce dernier en un simple produit du désir.

1. La crainte d'une contractualisation de la filiation

* Le droit de la filiation, un bien commun

S'appuyant sur les travaux du professeur Pierre Legendre 99 ( * ) , Pierre Lévy-Soussan, psychiatre, a expliqué lors de son audition que le droit de la filiation joue, dans les sociétés occidentales, la fonction de référence non négociable grâce à laquelle chaque individu peut se situer par rapport aux autres . Il permet en effet à chacun d'éprouver à la fois sa différence, puisque tout individu a ses propres parents, et son appartenance à une communauté qui l'englobe, puisque sa différence même est établie en application de règles communes à tous. Le droit de la filiation instaure ainsi un cadre « permettant à l'individu de trouver sa place dans une filiation où il ne peut jamais se désigner comme sa propre origine, mais en référence à celle-ci ». Une société qui remettrait ce cadre en cause ne serait bientôt plus qu'un agrégat d'individus étrangers les uns aux autres, puisque ces individus n'auraient plus de loi commune s'imposant à eux et leur permettant de se définir les uns par rapport aux autres.

Plusieurs personnes entendues par le groupe de travail ont rappelé que la Cour de cassation avait à plusieurs reprises invoqué le principe de l'indisponibilité de l'état des personnes pour déclarer illégale la maternité pour autrui. Or, ce principe ne vise-t-il pas à empêcher la contractualisation de la filiation, en s'opposant à toute convention consistant à attribuer à un enfant un état qui ne correspond pas à sa filiation réelle ?

* Légalisation de la maternité pour autrui ne rime pas avec contractualisation de la filiation

Il ne saurait être question de remettre en cause le principe d'un droit de la filiation non négociable, s'imposant à tous et distinct du droit des obligations.

En revanche, il est difficile d'admettre que toute légalisation de la maternité pour autrui, par son objet même, conduirait obligatoirement à contractualiser la filiation . En effet, il est tout à fait possible d'envisager, dans le prolongement des lois de bioéthique de 1994, une dérogation au droit commun de la filiation, qui encadrerait par la loi la maternité pour autrui et n'abandonnerait pas la filiation à la volonté des parties.

De même, comme l'a souligné lors de son audition François Terré, président de l'Académie des sciences morales et politiques, professeur émérite de l'université Paris 2, le principe d'indisponibilité de l'état des personnes est remis en cause lorsque les personnes elles-mêmes choisissent librement et sans contrainte de disposer de l'état de l'enfant, en lui attribuant une filiation comme bon leur semble. Mais, dès lors que cette filiation est fixée par la loi et que les individus ne peuvent s'y soustraire sous peine de sanction, le principe est préservé : l'enfant reçoit bien une filiation légalement imposée par la loi, indépendante de la volonté des individus, et donc indisponible.

Il s'avère donc tout à fait possible de légaliser la maternité pour autrui sans contractualiser le droit de la filiation et sans porter atteinte au principe de l'indisponibilité de l'état des personnes.

2. Le spectre d'un « droit à l'enfant »

* La reconnaissance d'un « droit à l'enfant » serait dangereuse

Plusieurs personnes entendues par le groupe de travail se sont interrogées sur la raison profonde d'une éventuelle légalisation de la maternité pour autrui et ont cru l'identifier en y voyant un pas supplémentaire vers la consécration d'un « droit à l'enfant ».

Une telle consécration serait une perversion de la notion de droits subjectifs. Elle reviendrait à considérer que tout désir crée un droit, alors que la fonction de la loi consiste au contraire à fixer une limite au désir. Un tel droit conduirait également à la déresponsabilisation des individus , qui ne se sentiraient plus tenus d'assumer ou d'affronter leur désir et ses tensions mais se tourneraient vers l'Etat pour qu'il y réponde. Enfin, le droit à l'enfant aboutirait inévitablemen t à réifier l'enfant , à le transformer en un simple objet auquel chacun aurait droit, fourni par l'Etat et destiné à soulager la souffrance des adultes.

* La légalisation de la maternité pour autrui n'implique pas nécessairement la reconnaissance d'un « droit à l'enfant »

Depuis les lois de bioéthique de 1994, le législateur est régulièrement suspecté de préparer peu à peu la reconnaissance du droit à l'enfant. Cependant, de tels soupçons ne sont pas de nature à justifier le maintien de la prohibition de la maternité pour autrui.

En effet, il faut ne connaître ni les textes de 1994, ni les débats parlementaires qui ont présidé à leur adoption, pour prêter au législateur une telle intention.

Lors de son audition, notre ancien collègue Claude Huriet, professeur de médecine, président de l'Institut Curie, a souligné au contraire qu'en 1994 le législateur avait souhaité privilégier l'intérêt de l'enfant à naître, plutôt que le « droit à l'enfant », et cherché à « donner à l'enfant à naître le plus de chances d'épanouissement possible », en posant des conditions d'ordre médical et social à la mise en oeuvre d'une procréation médicalement assistée.

Ainsi, la procréation médicalement assistée n'a jamais été conçue comme le support d'un nouveau droit universel à l'enfant, mais toujours comme un moyen de lutte contre la stérilité médicale des couples .

Elle constitue, selon le mot du doyen Jean Carbonnier, « l'ultime remède 100 ( * ) », comme en témoigne la rédaction de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique : « L'assistance médicale à la procréation est destinée à répondre à la demande parentale d'un couple. Elle a pour objet de remédier à l'infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué ou d'éviter la transmission à l'enfant ou à un membre du couple d'une maladie d'une particulière gravité ».

La maternité pour autrui peut tout à fait s'inscrire dans ce cadre.

* 99 Pierre Legendre, Leçons IV, L'inestimable objet de transmission, Etude sur le principe généalogique en Occident, Paris, Fayard, 1985.

* 100 Jean Carbonnier, Droit civil, tome 2, La famille, l'enfant, le couple, page 235. Thémis, PUF, 21 ème édition, 2002

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