N° 246

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2008-2009

Annexe au procès-verbal de la séance du 4 mars 2009

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des Affaires européennes (1) sur l' Union européenne et les droits de l'Homme ,

Par M. Robert BADINTER,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Hubert Haenel , président ; MM.  Denis Badré, Michel Billout, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Pierre-Yves Collombat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.

INTRODUCTION

« La reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde. »

Préambule de la Déclaration universelle des droits de l'Homme

2008 a été l'occasion de célébrer le 60 e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'Homme.

Votre rapporteur avait eu l'honneur de présider, en 1998, la mission sur le 50e anniversaire , dans un climat d'euphorie lié à la chute du mur de Berlin. Prenait ainsi fin le long, constant et très dur conflit idéologique qu'ont vécu les hommes de notre génération. Il opposait les tenants des droits de l'Homme, dans leur version tocquevillienne, modernisée par Raymond Aron, et les tenants des droits de l'Homme qualifiés de « socialistes », c'est-à-dire les tenants des droits de l'Homme formels contre les droits de l'Homme réels.

La guerre froide avait ainsi contribué à l'émergence d'une opposition irréductible entre les uns et les autres au sein des instances internationales. Deux blocs idéologiques s'affrontaient au sujet des droits de l'Homme, ce conflit se répétant au sein de chaque forum ou de chaque instance universitaire. Cette opposition a pris fin avec l'effondrement des sociétés communistes, et, pendant une dizaine d'années environ, on a assisté à un triomphe oecuménique des droits de l'Homme.

Pour ceux qui ont foi dans les droits de l'Homme, il est nécessaire de toujours prendre en considération deux caractères sans lesquels les droits de l'Homme ne sont pas respectés : leur universalité et leur indivisibilité.

Leur caractère universel signifie que les droits de l'Homme concernent « tout homme », c'est-à-dire tout être humain. Comme le soulignait le grand juriste René Cassin, principal initiateur et rédacteur de la Déclaration Universelle, il s'agit de « protéger tout homme et protéger les droits de tous les hommes. »

Sur le caractère indivisible, il faut souligner que si les droits élémentaires de la personne humaine ne sont pas garantis dans l'ordre économique et social, on ne peut pas parler véritablement de respect des droits de l'Homme. Dans la décennie qui vient de s'écouler, il y a eu des progrès des droits économiques et sociaux, mais ils demeurent encore très insuffisants au regard des besoins de l'humanité. L'extrême pauvreté dans le monde a diminué passant de 1,3 milliard d'êtres humains vivant avec moins d'un dollar par jour, en 1998, à 1,1 milliard aujourd'hui. Des avancées sérieuses ont été enregistrées dans la lutte contre l'illettrisme et surtout dans le combat contre la famine. Nous sommes en grand péril environnemental , notamment pour l'eau, qui constitue un problème qui n'est pas suffisamment perçu et qui est pourtant essentiel. La lutte contre les pandémies a également donné de nombreux résultats, même si des progrès restent à accomplir, notamment en ce qui concerne le sida ; Chacun garde à l'esprit la grande querelle concernant la disponibilité des médicaments permettant de combattre cette maladie.

Comparant ce qu'était la situation en 1998 avec celle de 2008, on peut affirmer que le continent européen a continué à être la région du monde où les droits civils et politiques, c'est-à-dire ceux que l'on appelle communément les droits de l'Homme, sont le mieux assurés . Il faut insister beaucoup sur ce constat dont les Européens devraient tirer plus de fierté (I).

Mais, faisant cette comparaison, on peut aussi mesurer que, sur le plan international, nous sommes entrés dans une période radicalement différente. Le changement s'est opéré à l'occasion des attentats du 11 septembre 2001, même s'il appartiendra à l'Histoire de confirmer cette hypothèse. Un nouveau clivage en matière de droits de l'Homme s'est dès lors fait jour entre les tenants de l'universalisme et ceux du différentialisme. L'Union européenne est directement confrontée à ce nouveau clivage dans les instances internationales (II).

I. LE SYSTÈME EUROPÉEN DE PROTECTION DES DROITS DE L'HOMME : UN SYSTÈME EFFICACE EN DÉPIT DE CERTAINS MOTIFS DE PRÉOCCUPATION

A. UN SYSTÈME DE PROTECTION EFFICACE

A partir de la seconde guerre mondiale, l'Europe a réussi, d'abord dans la confrontation avec les États de l'ancien bloc de l'Est, et puis ensuite par des développements au sein du Conseil de l'Europe, à assurer ce qui est la marque véritable des droits de l'Homme : non seulement leur proclamation , mais aussi leur garantie et leur effectivité.

L'Europe est, à cet égard, la région la plus avancée du monde . Nous y bénéficions d'un cadre juridique solide, d'institutions et de garanties juridictionnelles, comme il n'en existe sur aucun autre continent.

1. Le cadre normatif

La protection des droits fondamentaux a pendant longtemps relevé du Conseil de l'Europe dont tous les États membres de la Communauté européenne étaient membres. C'est au sein du Conseil de l'Europe que fut conclue, en 1950, la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et que fut instituée la Cour européenne des droits de l'Homme.

Dans le cadre de l'Union européenne, le traité de Maastricht (1993) a précisé que « l'Union européenne respecte les droits fondamentaux, tels qu'ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et tels qu'ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres en tant que principes généraux du droit communautaire. »

Le traité d'Amsterdam (1997) a renforcé le statut des droits fondamentaux en instituant une procédure de suspension des droits découlant du traité en cas de violation « grave et persistante » par un État membre. Le traité de Nice (2003) a ensuite donné à l'Union la capacité d'intervenir préventivement en cas de risque clair de violation grave des valeurs communes.

Après que le Conseil européen de Tampere (1999) eut adopté des priorités en vue de la création d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, une importante avancée a résulté de la proclamation de la Charte européenne des droits fondamentaux par le conseil européen de Nice en octobre 2000. La Charte contient à la fois des droits civils et politiques, des droits économiques et sociaux ainsi que des droits dits de « nouvelle génération » comme ceux relatifs à la bioéthique.

En dépit de son caractère déclaratif, la Cour de justice, le tribunal de première instance et la Cour européenne des droits de l'Homme font référence à la Charte.

C'est au fond un peu le même processus que celui poursuivi par le Conseil d'État sous la III e République dans son travail de définition des principes fondamentaux de la République, qui ont aujourd'hui valeur constitutionnelle. Le Conseil d'État construisait sa jurisprudence en fonction de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen qui n'avait pas, à ce moment-là, valeur constitutionnelle. On retrouve la même technique de référence. On utilise une déclaration ou une charte, pour en faire un droit positif à partir de ses dispositions essentielles.

Le traité de Lisbonne , dont on espère une prochaine entrée en vigueur, prévoit de donner toute sa force juridique à la Charte des droits fondamentaux.

Le traité d'Amsterdam a par ailleurs conféré à la Communauté des compétences spécifiques pour prendre des mesures destinées à combattre la discrimination fondée sur le sexe, la race, la religion, le handicap, l'âge et l'orientation sexuelle. En 2000, le Conseil a usé de ces nouvelles compétences pour prendre des mesures de lutte contre les discriminations : discriminations sur le lieu de travail, égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, programme d'action 2001-2006 portant sur tous les motifs de discrimination.

La notion de citoyenneté européenne , affirmée par le traité de Maastricht, a été précisée avec la directive du 29 avril 2004 sur le droit des citoyens de l'Union et de leur famille de se déplacer et de résider librement sur le territoire des États membres. Cette directive instaure notamment un droit permanent de séjour qui, après cinq ans de résidence continue dans l'État membre, n'est plus subordonné à aucune condition de séjour.

L'Europe s'est par ailleurs dotée, à travers le Conseil de l'Europe, de protocoles , de conventions ou de textes de référence qui représentent à chaque fois des systèmes de garanties ou des points d'ancrage.

Au cours des dix dernières années, a ainsi été adopté le 13 e protocole concernant l'abolition de la peine de mort en toute circonstance, aujourd'hui en vigueur.

Ce protocole a été ratifié par la France, constitutionnalisé aussi grâce à une initiative du président Chirac. Issu de la loi n° 2007-239 du 23 février 2007, que votre rapporteur avait eu l'honneur de rapporter au Sénat, l'article 66-1 de la Constitution dispose désormais que « nul ne peut être condamné à mort. »


Le Protocole n° 13
à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme
et des Libertés fondamentales, relatif à l'abolition de la peine de mort
en toutes circonstances

La Convention européenne des droits de l'Homme admet la peine de mort comme exception au droit de toute personne à la vie proclamé à l'article 2. Elle prévoit ainsi que « le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi ».

Le protocole n° 6 additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme signé le 28 avril 1983 prévoit, à l'article premier : « La peine de mort est abolie. Nul ne peut être condamné à une telle peine, ni exécuté. » Il précise cependant qu'un « État peut prévoir dans sa législation la peine de mort pour des actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ». Le protocole n'a pas pour effet de supprimer la réserve prévue à l'article 2 mais d'en limiter l'application « aux seuls actes commis en temps de guerre ou de danger imminent de guerre ».

Le protocole n° 13 additionnel à la Convention européenne des droits de l'Homme, conclu à Vilnius le 3 mai 2002 et entré en vigueur le 1 er juillet 2003, abolit la peine de mort en toutes circonstances. Comme dans le protocole n° 6, il n'est possible « ni de déposer des réserves, ni de demander une dérogation au titre de l'état d'urgence en vertu de l'article 15 de la Convention européenne des droits de l'Homme. »

Quarante-six des 47 États membres ont ratifié le protocole n° 6 (la Russie l'a signé mais ne l'a pas encore ratifié) et 41 États ont ratifié le protocole n° 13 dont 24 États membres de l'Union européenne. L'Azerbaïdjan et la Fédération de Russie sont les seuls pays à ne l'avoir ni signé, ni ratifié.

L'ultime pas serait sans doute franchi avec la modification de l'article 2 de la Convention qui admet la peine de mort comme exception au droit de toute personne à la vie proclamé à l'article 2. La portée de cette dérogation au droit à la vie n'a cessé cependant d'être réduite par les textes conventionnels suivants ainsi que par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, plus particulièrement depuis l'arrêt Ocalan rendu le 12 mars 2003 qui, à partir d'une interprétation évolutive de la Convention, conclut que « la peine de mort en temps de paix en est venue à être considérée comme une forme de sanction inacceptable, voire inhumaine, qui n'est plus autorisée par l'article 2 » .

Tous les États membres de l'Union ont aboli la peine de mort pour tous les crimes . La Charte des droits fondamentaux , adoptée lors du Conseil européen de Nice de décembre 2000 proclame en son article 2 : « Toute personne a droit à la vie. Nul ne peut être condamné à mort, ni exécuté. »

Cette même période a également vu l'adoption de deux conventions du Conseil de l'Europe, l'une d'ores et déjà entrée en vigueur sur la lutte contre le trafic des êtres humains , et l'autre sur la protection des enfants contre les abus sexuels qui n'a pas encore recueilli le nombre de ratifications suffisantes, mais qui va le recueillir.


La Convention du Conseil de l'Europe
sur la lutte contre la traite des êtres humains

La Convention du Conseil de l'Europe sur la lutte contre la traite des êtres humains a été adoptée par le comité des ministres le 3 mai 2005. Elle a été ouverte à la signature le 16 mai 2005. Elle est entrée en vigueur le 1 er février 2008. Cette convention affirme que la traite constitue une violation des droits de la personne humaine et constitue une atteinte à la dignité et à l'intégrité de l'être humain et que, par conséquent, il est nécessaire de renforcer le niveau de protection de toutes les victimes de la traite. La Convention vise toutes les formes et types de traite (nationale, transnationale, liée ou non au crime organisé, aux fins d'exploitation). Elle met en place un mécanisme de contrôle , afin d'assurer une mise en oeuvre efficace de ses dispositions par les Parties. Enfin, la Convention intègre l'égalité entre les femmes et les hommes.

La Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels

La Convention du Conseil de l'Europe pour la protection des enfants contre l'exploitation et les abus sexuels a été ouverte à la signature le 25 octobre 2007. Elle doit recueillir 5 ratifications incluant au moins 3 États membres du Conseil de l'Europe pour entrer en vigueur. Cette Convention est le premier instrument à ériger en infraction pénale les abus sexuels envers les enfants, y compris lorsqu'ils ont lieu à la maison ou au sein de la famille, en faisant usage de la force, de la contrainte ou de menaces. Outre les infractions plus généralement rencontrées dans ce domaine - abus sexuels, prostitution enfantine, pornographie enfantine, participation forcée d'enfants à des spectacles pornographiques -, le texte traite aussi de la mise en confiance d'enfants à des fins sexuelles (« grooming ») et du « tourisme sexuel ».

Des progrès ont aussi été enregistrés en ce qui concerne les textes de référence . C'est ainsi qu'ont été adoptées des règles pénitentiaires européennes.


Les règles pénitentiaires européennes

Adoptées par le Conseil de l'Europe, pour la première fois en 1973, révisées en 1987 puis en 2006, les règles pénitentiaires européennes visent à harmoniser les politiques pénitentiaires des États membres du Conseil de l'Europe et à faire adopter des pratiques et des normes communes. Ces 108 règles portent à la fois sur les droits fondamentaux des personnes détenues, le régime de détention, la santé, l'ordre et la sécurité des établissements pénitentiaires, le personnel de l'administration pénitentiaire, l'inspection et le contrôle des prisons. Bien que ces recommandations ne présentent aucune valeur contraignante pour les États, elles constituent un outil de référence commune pour l'administration pénitentiaire dans les États membres du Conseil de l'Europe.

2. Le cadre institutionnel

L'Europe a par ailleurs créé des institutions spécialement dédiées à la question des droits de l'Homme. Sur une recommandation du Parlement européen, la Commission a mis en place (2002) un réseau d'experts en matière de droits fondamentaux, chargé notamment d'établir un rapport annuel sur la mise en oeuvre par les États membres des droits énoncés par la Charte (dernier rapport disponible en 2005).

Compte tenu de l'importance de la collecte et de l'analyse des données relatives aux droits de l'Homme en vue de définir la politique de l'Union dans ce domaine, la création d'une agence européenne des droits fondamentaux a ensuite été décidée (décembre 2003). Elle a succédé à l'Observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes (EUMC), instauré en 1997.

Dans le cadre du Conseil de l'Europe, ces dix dernières années ont vu le renforcement de la Cour européenne des droits de l'Homme, mais aussi l'émergence du commissaire aux droits de l'Homme qui a été institué au sein du Conseil de l'Europe en 1999. Celui-ci a joué, dans les dernières années, un rôle majeur à l'intérieur du Conseil de l'Europe, notamment en matière pénitentiaire.


Le Commissaire aux droits de l'Homme

L'initiative de créer cette institution a été prise par les chefs d'État et de gouvernement du Conseil de l'Europe lors de leur deuxième Sommet des 10 et 11 octobre 1997, à Strasbourg. Une résolution, adoptée le 7 mai 1999 par le Comité des Ministres, institue la fonction de Commissaire et son mandat. M. Alvaro Gil-Robles a été le premier Commissaire du 15 octobre 1999 au 31 mars 2006. L'actuel Commissaire, M. Thomas Hammarberg , a pris ses fonctions le 1er avril 2006. Le Commissaire aux droits de l'Homme est une institution indépendante au sein du Conseil de l'Europe. Il a pour mission de promouvoir la prise de conscience et le respect des droits de l'Homme dans les 47 États membres du Conseil de l'Europe.

Par décision du Conseil du 19 avril 2007, l'Union européenne a adopté un programme spécifique dénommé « Droits fondamentaux et citoyenneté », doté d'un budget de 93,8 M€ pour la période 2007-2013.


Le programme « droits fondamentaux et citoyenneté » (2007-2013)

Établi par la décision 2007/252/CE du Conseil du 19 avril 2007 dans le cadre du programme général « droits fondamentaux et justice », ce programme spécifique vise à promouvoir le développement d'une société européenne fondée sur le respect des droits fondamentaux. Ce programme vise notamment à combattre le racisme, la xénophobie et l'antisémitisme, à favoriser une meilleure compréhension entre les religions et les cultures ou encore à créer les structures pertinentes afin de favoriser un dialogue interconfessionnel et multiculturel au niveau communautaire. Le programme doit en particulier soutenir les projets transnationaux d'intérêt communautaire présentés par une autorité ou un organisme d'un État membre, une organisation internationale ou non gouvernementale.

Cependant, le Parlement européen a souligné, à plusieurs reprises, que la défense des droits de l'Homme, devrait faire l'objet d'un traitement unifié au sein des institutions communautaires , notamment à l'intérieur de la Commission. Il faudrait réunir les compétences dans les mains d'un commissaire aux droits de l'Homme . On pourrait certes objecter à cette proposition que le Conseil de l'Europe a lui-même un commissaire aux droits de l'Homme. Mais c'est une nécessité pour l'Union européenne.

3. Le rôle de la jurisprudence européenne

Avant même que le traité de Maastricht n'officialise le respect des principes contenus dans la convention européenne des droits de l'Homme, la Cour de Justice des Communautés européennes les avait déjà érigés en principes communautaires . Tel fut le cas pour le droit de propriété, le libre exercice des activités économiques et professionnelles, le respect de la vie privée et familiale, du domicile et de la correspondance, le principe d'égalité, notamment l'interdiction des discriminations selon la nationalité ou le sexe. Pour la Cour, les exigences découlant de la protection des droits fondamentaux lient les États membres lorsqu'ils mettent en oeuvre des réglementations communautaires.

Il faut saluer cette action de la Cour de Justice qui a tenu, à plusieurs reprises, à prendre des positions sur les droits fondamentaux. Elle a notamment considéré qu'il lui appartenait de vérifier la légalité, au regard du traité, de règlements qui trouvaient leur origine dans des résolutions du Conseil de sécurité. Par ce biais, la Cour de Luxembourg se reconnaît le pouvoir de veiller à ce que la mise en oeuvre de résolutions du Conseil de sécurité ne puisse méconnaître les droits fondamentaux des Européens.


L'arrêt de la Cour de Justice du 3 septembre 2008 Yassin Abdullah Kadi
et Al Barrakaat International Foundation/Conseil et Commission

En vertu de résolutions du Conseil de sécurité des Nations, tous les États membres de l'Organisation des Nations Unies doivent geler les fonds et autres actifs financiers contrôlés directement ou indirectement par des personnes ou entités désignés par le comité des sanctions du Conseil de sécurité comme étant associés à Oussama Ben Laden, à Al-Qaida ou aux Taliban. Au sein de la Communauté, le Conseil a adopté le règlement du 27 mai 2002 ordonnant le gel des fonds et autres avoirs économiques des personnes et entités figurant sur une liste annexée à ce règlement. Cette liste est modifiée régulièrement pour tenir compte des changements de la liste récapitulative établie par le comité des sanctions du Conseil de sécurité. Par des arrêts en date du 21 septembre 2005, le Tribunal de première instance avait jugé que les juridictions communautaires n'avaient, en principe, aucune compétence (à l'exception de certaines règles impératives de droit international dénommées jus cogens ) pour contrôler la validité du règlement en cause, étant donné que les États membres sont tenus de se conformer aux résolutions du Conseil de sécurité selon les termes de la Charte des Nations Unies, traité international qui prime sur le droit communautaire.

Par son arrêt du 3 septembre 2008, la Cour de Justice a annulé ces arrêts considérant que le Tribunal avait commis une erreur de droit. En effet, selon la Cour, le contrôle juridictionnel de la validité de tout acte communautaire au regard des droits fondamentaux doit être considéré comme l'expression, dans une communauté de droit, d'une garantie constitutionnelle découlant du traité CE en tant que système juridique autonome à laquelle un accord international ne peut pas porter atteinte. Le contrôle de légalité assuré par le juge communautaire porte sur l'acte communautaire visant à mettre en oeuvre l'accord international en cause et non sur ce dernier en tant que tel. Un arrêt d'une juridiction communautaire qui déciderait qu'un acte communautaire visant à mettre en oeuvre une résolution du Conseil de sécurité est contraire à une norme supérieure relevant de l'ordre juridique communautaire, n'impliquerait pas une remise en cause de la primauté au plan du droit international, de cette résolution. Pour ces motifs, les juridictions communautaires doivent donc assurer un contrôle, en principe complet , de la légalité de l'ensemble des actes communautaires au regard des droits fondamentaux lesquels font partie intégrante des principes généraux du droit communautaire, y compris sur les actes communautaires qui, tel le règlement en question, visent à mettre en oeuvre des résolutions du Conseil de sécurité.

Une procédure préjudicielle d'urgence , entrée en vigueur le 1 er mars 2008, permettra à la Cour de Justice de répondre dans des délais très brefs sur des questions où sa réponse est déterminante dans des cas sensibles, par exemple pour apprécier la situation juridique d'une personne privée de sa liberté ou encore lors d'un litige concernant l'autorité parentale ou la garde d'enfants.

La Cour européenne des droits de l'Homme a rendu des arrêts d'une portée considérable, dont celui sur la peine de mort qu'elle a déclarée incompatible en toute circonstance avec la Convention européenne (arrêt Ocalan du 12 mars 2003), avec les conséquences à en tirer en matière d'extradition. La Cour européenne a aussi retenu le principe que les droits fondamentaux doivent être respectés en toutes circonstances. Ce qui signifie notamment l'interdiction absolue de la torture . Ce qui constitue aussi un rappel à l'ordre pour des États qui ne sont pas tous membres du Conseil de l'Europe.

L'activité de la Cour européenne des droits de l'Homme (dont plus de la moitié des arrêts concernent quatre pays : la Turquie, l'Italie, la France et la Pologne) est montée en charge, à la suite de l'entrée en vigueur en 1998 du Protocole n° 11 à la convention européenne des droits de l'Homme. Ce protocole consacre le droit de recours individuel et le caractère obligatoire de la juridiction de la Cour.

Alors que la Cour avait rendu 837 arrêts en près de quarante ans d'existence, elle en a rendu 1 500 pour la seule année 2007. Le nombre d'affaires pendantes est d'environ 95 000 contre 7 771 fin 1998. La jurisprudence de la Cour s'est ouverte à des domaines nouveaux comme la bioéthique, l'environnement ou l'éducation. Elle a affirmé sa jurisprudence en matière de protection des étrangers y compris dans le contexte de lutte contre le terrorisme. Cependant ce droit de recours individuel ne se concilie pas avec un traitement rapide et efficace des requêtes, faute de la ratification par la Fédération de Russie du Protocole n° 14 qui tend à rendre plus efficace le fonctionnement de la Cour. A l'occasion des dix ans de la « nouvelle Cour », le président Costa a évoqué plusieurs pistes pour l'avenir, notamment une plus grande subsidiarité entre systèmes nationaux et contrôle européen et le développement des arrêts pilotes.

Nous avons donc cette construction jurisprudentielle constante depuis tant de décennies par les grandes cours européennes, qui n'existe pas aussi largement ailleurs, du respect juridictionnel des principes fondamentaux.

La convention européenne est dans le même temps mieux mise en oeuvre par le juge national. Les législateurs vont dans le même sens en traduisant dans la loi nationale les effets à tirer de ses arrêts.

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