F. L'URGENCE À COMBATTRE LES CRIMES DITS « D'HONNEUR »

L'intérêt de l'Assemblée parlementaire pour la question des crimes d'honneur s'est déjà traduit en 2003 par l'adoption d'une résolution condamnant le développement de ce phénomène sur l'ensemble du continent. Commis à l'encontre des femmes et des filles, ces crimes se multiplient au sein des communautés patriarcales et intégristes. Ces crimes revêtent diverses formes qu'il s'agisse d'agressions, de séquestration ou d'ingérence dans le choix d'un époux. Ils reposent sur une négation des droits de l'Homme au nom de la suprématie d'un ordre social précis, valorisant le rôle de l'homme.

M. Jean-Claude Frécon (Loire - SOC) a rappelé la difficulté rencontrée pour lutter contre de telles « habitudes » culturelles :

« J'approuve tout à fait le projet de résolution que nous présente notre collègue M. Austin, à la fois pour sa fermeté sur les principes et pour les propositions qu'il formule afin d'éradiquer les crimes dits « d'honneur ». Son rapport fait froid dans le dos ; il est aussi riche de nombreux enseignements.

Il en dit long, d'abord, sur les souffrances, physiques et psychologiques, et sur les violences dont sont victimes les femmes dans le monde, et en Europe. On pourrait spontanément se dire que cette violence est d'autant plus dramatique et choquante qu'elle se produit au sein de la famille. Pourtant, les études statistiques nous apprennent que, même dans les démocraties occidentales, les actes de violence sont avant tout intrafamiliaux. Je rappelle qu'une enquête menée en France il y a quelques années, montrait que, pour les femmes, les lieux publics étaient plus sûrs que le couple.

Toutefois, contrairement aux crimes communément appelés passionnels, les crimes dits « d'honneur » sont prémédités, ce qui les rend d'autant plus graves. Ils ne sont pas commis sous le coup de la colère, mais relèvent souvent d'une décision familiale. Curieuse conception de l'honneur que de tuer délibérément ses propres enfants au nom de ces « passions tristes » que sont la jalousie et la perception d'offense liée à l'adultère !

On constate que l'adultère féminin trouble les lignages et les transmissions, alors que l'adultère masculin n'est généralement pas perçu comme gênant. Qui plus est, le concept d'honneur varie souvent selon le sexe de la personne : celui de la femme recouvre traditionnellement la virginité, la modestie ou l'amour désintéressé, tandis que l'honneur masculin est considéré comme la capacité de défendre l'honneur de la femme. C'est bien commode !

Autre enseignement de ce rapport, la survenue des crimes dits « d'honneur » dépend largement du consensus social qui existe sur le statut des femmes et les libertés dont elles jouissent, ou pas. Mais le relativisme culturel ne justifie rien - et le rapport insiste sur ce point : il s'agit bien d'une forme, particulièrement archaïque, de domination masculine.

En instaurant un climat de terreur, avec des victimes pour l'exemple, l'objectif est d'amener les femmes à se soumettre à l'ordre moral de la collectivité, souvent implicite, mais toujours dicté par les hommes. Or, le code de l'honneur est implacable : les femmes soupçonnées n'ont généralement aucune possibilité de se défendre. Une simple allégation suffit à salir l'honneur de l'homme et justifie donc le meurtre de la femme.

Mais notre action a des limites.

Sans vouloir tomber dans un pessimisme excessif, il est particulièrement difficile de lutter efficacement contre la force des préjugés et la prégnance des stéréotypes. Les crimes dits « d'honneur » sont une pratique ancienne consacrée par la culture plus que par la religion. La femme victime d'un tel crime est considérée comme la coupable, tandis que l'homme apparaît comme la partie lésée et bénéficie du soutien de la population. L'idée que l'honneur d'une famille dépend de la virginité d'une jeune fille ou de la fidélité d'une femme mariée est profondément ancrée dans les mentalités. De ce point de vue, les dispositions législatives que nous pourrions adopter, et qui, bien sûr, sont indispensables, seront, je le crains, extrêmement longues à produire leurs effets. Soyons conscients que c'est un travail de très longue haleine qui nous attend, les mentalités évoluant lentement.

Raison de plus pour le dire haut et fort et pour agir avec beaucoup de convictions.»

La multiplication de ces crimes en France, en Suède, au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Allemagne et en Turquie a conduit la commission sur l'égalité des chances pour les femmes et les hommes à proposer un nouveau texte. Celui-ci s'articule autour de plusieurs principes :

• inciter les États membres à mettre en oeuvre un plan national d'action pour condamner les violences faites aux femmes, y compris la violence commise au nom d'un prétendu honneur ;

• impliquer les autorités religieuses afin de les inviter à condamner de semblables pratiques ;

• former les policiers et les magistrats à la complexité de ces crimes ;

• soutenir les organisations non gouvernementales dédiées à ce combat.

Le projet de recommandation a été adopté à l'unanimité.

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