DEUXIÈME TABLE RONDE : LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION ET LES AUTORITÉS PUBLIQUES

M. Claude BIRRAUX

Afin de vous détendre et de rester éveillés, je demande à ceux qui ne sont pas encore montés à la tribune de nous rejoindre, notamment mon ami Jacques Pelissard, député du Jura et président de l'Association des maires de France. M. Alain Grimfeld parlera sur le thème du principe de précaution et les autorités publiques ; il est président du Comité de prévention et de précaution auprès du ministère de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer. M. Grimfeld, pour dix minutes.

A. M. ALAIN GRIMFELD, PRÉSIDENT DU COMITÉ DE PRÉVENTION ET DE PRÉCAUTION AUPRÈS DU MINISTÈRE DE L'ÉCOLOGIE, DE L'ÉNERGIE, DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE LA MER

Merci beaucoup, Monsieur le Président. Je voudrais me positionner comme président de ce Comité de la prévention et de la précaution parce que c'est pour nous, membres de ce Comité, un poste privilégié qui permet un regard continuellement actualisé en ce qui concerne les relations entre santé et environnement, auxquelles je me bornerai puisque ce sont les objectifs de l'action et des missions de ce Comité. Il a été créé le 30 juillet 1996, placé auprès du ministre d'État de l'Écologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire et maintenant de la mer. Il est composé de dix-huit à vingt-deux personnalités dans les domaines de l'environnement et de la santé : il ne s'agit pas de la santé environnementale mais de la santé et de l'environnement, pour souligner les liens entre la santé humaine, l'espèce humaine décidant de ce qu'elle va faire pour elle-même et pour le reste du vivant, avec une volonté d'interdisciplinarité où les relations entre recherche et société sont particulièrement actives. Il se situe comme un organe de réflexion préalable à l'action réglementaire et de contrôle avec une fonction de veille, d'alerte et d'expertise pour les problèmes de santé liés aux perturbations de l'environnement. En pratique, c'est un organe de réflexion et de conceptualisation en amont de la prise de décision et de l'action. Je ne vais pas insister sur les caractéristiques du principe de précaution qui ont déjà été soulignées par les orateurs précédents, notamment Christine Noiville, il s'agit bien d'un principe d'action. Sinon, nous reviendrions tellement en arrière que je me demande pourquoi cette tribune existerait.

A quelle situation fréquente le décideur doit-il faire face ? Les décisions publiques doivent souvent être prises dans un environnement incertain où le décideur ne connaît pas l'ensemble des facteurs qui concourent à déterminer les conséquences de ses actions. Lorsqu'un danger est identifié et que ses effets éventuels pour la collectivité peuvent être appréciés, la société fait face d'emblée à un risque, au sens de probabilité et survenue de dommages - survenue des dommages et non réalisation des dommages. J'ai participé à une réunion interministérielle, en tant que responsable à l'époque, au ministère de la Santé, où j'ai bien insisté sur le terme « survenue » et non réalisation du dommage, en tout cas dans un premier temps puisque « réalisation du dommage » sous-entendait une intention ; or personne n'a l'intention de voir survenir des dommages dans l'environnement et notamment sur la santé. Mais cela n'a pas été retenu et le texte porte « réalisation d'un dommage », ce qui est très préjudiciable, à mon sens, à la compréhension et à l'application du principe de précaution. Il s'agit non seulement de la probabilité de survenue du dommage mais aussi de l'ampleur du dommage à la santé et/ou à l'environnement.

L'évaluation du risque dont nous avons parlé tout à l'heure va permettre d'éclairer les décisions publiques en envisageant les différents scénarios possibles et en estimant leur probabilité de survenue puisque c'est bien la problématique qui nous intéresse dans les deux domaines liés, santé et environnement. A ce stade se différencient, pour certains de manière non tranchée mais continue, précaution et prévention ; en tout cas, pour certains, elles font partie d'une variable continue selon que l'on connaît ou non la cause du danger : respectivement, quand il s'agit de prévention, on connaît la cause du danger, ce qui n'est pas le cas en matière de précaution, on ne connaît pas, dans un premier temps, la cause du danger. Dès lors, l'incertitude peut se situer à deux niveaux, incertitude sur la cause, qui peut conduire à une attitude de précaution, et incertitude sur le risque, qui peut exister en cas de prévention et de précaution.

Prenons l'exemple que nous vivons tous actuellement, la grippe A/ H1N1, à laquelle nous ne pouvons échapper - je plaisante... La cause est connue : elle est virale ; la prévention est vaccinale. Le risque concernant la prévention va dépendre du pouvoir pandémique du virus, qui va en partie conditionner la politique vaccinale et les autres moyens pour endiguer la pandémie. Il s'agit bien de prévention et non de précaution. Pour nombre d'émissions télévisuelles que l'on subit actuellement, on entend beaucoup parler du principe de précaution dans l'application du vaccin, ce qui est un non-sens. Le risque concernant la précaution va dépendre des effets indésirables du vaccin si le principe de précaution se pose. Compte tenu des caractéristiques pathogènes de la pandémie d'une part et de la ou des causes de mauvaise tolérance du vaccin de l'autre, faut-il ou non vacciner ? Et qui ? On peut être, y compris dans un système de prévention, dans un questionnement concernant l'évaluation de l'incertitude à ce niveau. Cela aboutira à la détermination des populations prioritaires, à risque, vulnérables : vous connaissez tous ces propos.

Plus avant encore, y a-t-il une relation dans le cas du principe de précaution entre les champs électromagnétiques dont on vient de parler et la survenue de tumeurs cérébrales notamment chez l'enfant ? Pédiatre, je suis particulièrement sensible à cette problématique. La relation causale n'est pas clairement établie, nous sommes alors en situation d'incertitude dite radicale, véritablement radicale ; ce terme est très largement employé maintenant car dans l'état actuel des connaissances, on ne sait pas s'il y a une relation causale entre les émissions par les champs électromagnétiques et la survenue de tumeurs cérébrales. Dans l'éventualité où cette relation existerait, nous n'avons aucun élément nous permettant d'évaluer les risques, alors que le dommage, la tumeur du cerveau, est grave, plus ou moins réversible en fonction des disponibilités thérapeutiques et coûteux en termes d'assurance maladie.

L'application est la suivante : doit-on déclencher ou non le principe de précaution ? Telle est la problématique appliquée de l'environnement à la santé humaine. Cette démarche de précaution nécessite toujours, quelle que soit la décision prise, on l'a bien compris, un programme associé de recherche pour faire avancer la connaissance. Cela a été dit à l'instant dans la mesure où le principe de précaution est un principe d'action et de continuité dynamique : nous n'allons pas rester « les bras ballants » devant une méconnaissance. A chaque fois que l'on applique le principe de précaution - on verra qu'il peut et doit être révisable -, il est constamment flanqué d'un programme de recherche. De manière générale, l'incertitude constitue une dimension fondamentale de nombreuses situations de risque, notamment dans le domaine santé et environnement ; ce n'est qu'en intégrant cette dimension que le décideur public peut engager des actions cohérentes et efficientes, efficacité au sens « résultat » du terme et efficientes au sens « LOLF » du terme, c'est-à-dire compatibles avec un coût consenti en conformité avec les principes généraux de gouvernance et en liaison avec les attentes de la société. Finalement, cette démarche de précaution repose sur une démarche de triangulation qui comporte les politiques, les experts, les médias avec un centre de gravité (que nous avons tous calculé lorsque nous étions à l'école) réalisé par la population. Nous nous demandions tout à l'heure ce que veut dire « démocratie participative ». Dans l'état actuel des choses, étant donné la difficulté de conception du principe de précaution dans toute sa rigueur scientifique et son applicabilité, si l'on ne fait pas participer le citoyen (ce n'est pas le lieu d'en discuter), je ne vois pas comment ce principe pourrait être efficient.

Dans l'exemple de l'amiante, alors que l'on savait parfaitement depuis une trentaine d'années les relations de cause à effet, on a attendu pour mettre en place un large principe de prévention et non plus de précaution, qui coûte des milliers de malades atteints de mésothéliome, un des cancers les plus graves et les plus douloureux, difficilement, pour ne pas dire non, traitable, accordant au malade une durée de vie extrêmement courte, et coûtant un milliard d'euros par an à la France.

Dans les décisions publiques, face à l'incertitude, on peut proposer d'abord de clarifier les règles : c'est l'évaluation du risque, pertinente et rigoureuse, avec un maximum d'exhaustivité, comme on l'a dit tout à l'heure, selon un processus continu adapté à l'évolution des connaissances scientifiques, selon une procédure contradictoire. Cela signifie de manière pluriforme, pluridisciplinaire et interdisciplinaire en exigeant que les avis scientifiques soient fondés sur des principes d'excellence, d'indépendance et de transparence, comme l'a dit Christine Noiville tout à l'heure, selon la CJCE, et selon des sources qualifiées et respectées, selon l'OMC.

Dans la décision publique, face à l'incertitude, il faut proposer d'améliorer les outils ; au sein du Comité de prévention et de précaution, nous proposons de mettre en place une instruction spécifique, avec désignation par la puissance publique d'un responsable unique identifié chargé de la gestion politique de la question depuis la mise en place de l'instruction jusqu'à l'élaboration des décisions quant aux mesures à prendre, avec une inscription qui doit être, comme je viens de le dire, pluraliste et pluridisciplinaire. En clair, dans la phase d'alerte, la réaction doit être rapide avec établissement de la plausibilité du risque, sur laquelle nous avons insisté, et par la suite, dans la phase dite lente, les procédures d'instruction et de révision doivent être plus longues, selon les connaissances scientifiques du moment et celles qui sont acquises.

Il faut voir l'utilité des Comités et Commissions mis en place - problématique très actuelle aussi. Je terminerai sur l'impact du Comité de prévention et de précaution depuis 1996, humblement, sans faire d'autosatisfecit. Depuis 2004, le bilan du CPP s'énonce et s'égrène ainsi : un avis sur les perturbateurs endocriniens à l'origine de la structuration et du lancement en 2005 du programme national de recherche piloté par la DECATRE, un avis sur le principe de précaution remis à M. Serge Lepeltier à l'époque qui a accompagné le calendrier parlementaire de l'adoption de la Charte de l'environnement et de son adossement à la Constitution, un avis sur les incinérateurs pris en compte par le ministère chargé de l'Ecologie en termes de mise aux normes des installations concernées, un avis sur les nanoparticules et les nanotechnologies avec des recommandations présentées le 19 octobre 2006 au séminaire gouvernemental d'échanges sur les risques correspondants auquel participait la Direction de la prévention des pollutions et des risques (DPPR), la Direction générale de la santé (DGS), et la Direction des relations du travail (DRT). Le dernier avis du CPP, pour la fin de l'année, après celui sur les retours d'expérience après catastrophe naturelle et industrielle, en préparation, qui nous est demandé par le ministère à qui nous le remettrons en fin d'année, est précisément sur « La décision publique face à l'incertitude : clarifier les règles, améliorer les outils ». Je vous remercie de votre attention.

M. Claude BIRRAUX

Toutes les interventions contribuent à nous rendre cette notion un peu plus claire et je me demandais si, les uns et les autres, vous pourriez faire une formation profitable à destination des présentateurs du journal de 20 heures ! Cela m'amène à donner la parole à Jacques Pelissard, député, président de l'Association des maires de France.

Page mise à jour le

Partager cette page