B. LE PILOTAGE DÉCONCENTRÉ

1. Un cadre de coordination encore perfectible entre politique de la ville et éducation nationale

Dans son rapport remis à la commission des finances du Sénat en octobre 2007, la Cour a constaté que la politique de la ville n'avait pas véritablement trouvé sa place dans l'organisation des services déconcentrés de l'Etat, en dépit du rôle de coordination interministérielle exercé par les préfets. Ce constat général s'applique en particulier au domaine éducatif.

Les préfets doivent coordonner les actions menées par les services déconcentrés de l'Etat dans le champ de la politique de la ville :

- Au niveau régional, la politique de la ville constitue l'une des applications du rôle général de coordination interministérielle des préfets de région : les secrétariats généraux aux affaires régionales (SGAR) comprennent fréquemment des chargés de mission pour la politique de la ville ( 35 ( * ) ) ;

- Au niveau départemental, les préfets exercent également un rôle de coordination des services déconcentrés qui interviennent dans le domaine de la politique de la ville ( 36 ( * ) ).

Cette fonction de coordination est cohérente avec les dispositions de l'article 17 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements, aux termes duquel « le préfet de région a autorité sur les chefs des services déconcentrés, les délégués ou les correspondants à l'échelon régional des administrations civiles de l'Etat, quelle que soit la nature ou la durée de leurs fonctions. Il en va de même pour le préfet de département sur les chefs des services déconcentrés, délégués ou correspondants à compétence départementale. » Cependant, ainsi que le prévoit l'article 33-1° du même décret, cette autorité ne s'étend pas « au contenu et à l'organisation de l'action éducatrice ainsi qu'à la gestion des personnels et des établissements qui y concourent ».

La Cour avait recommandé, en 2007, de conforter le rôle des préfectures de région en matière de coordination interministérielle de la politique de la ville et de clarifier leur articulation avec les directions régionales de l'Acsé, afin de donner aux préfets de département un interlocuteur unique pour les délégations de crédits de la politique de la ville. Cette clarification a été opérée par la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, qui place les directions régionales de l'Acsé sous l'autorité du préfet de région, devenu délégué régional de l'agence : cette nouvelle organisation a rendu plus cohérent le cadre du pilotage interministériel.

Par ailleurs, en ce qui concerne l'éducation nationale, la constitution dans chaque réseau de l'éducation prioritaire (RAR ou RRS) d'un comité exécutif, prévue par la réforme de mars 2006, permet également de développer une fonction de coordination.  Un enseignant, secrétaire du comité exécutif, assure en effet systématiquement une mission de coordination du réseau, notamment vis-à-vis des instances de la politique de la ville : toutefois, le comité exécutif reste une instance exclusivement interne à l'éducation nationale.

En outre, chaque recteur a nommé un responsable de l'éducation prioritaire, le plus souvent un inspecteur d'académie ou son adjoint. Dans de nombreuses académies, un poste de chargé de mission à la fois compétent pour l'éducation prioritaire et pour la politique de la ville a même été créé au sein du rectorat, ce qui peut jouer un rôle favorable de coordination : ainsi, au sein de l'académie de Versailles, le chargé de mission participe personnellement aux comités de programmation des dispositifs de réussite éducative.

Enfin, une incertitude demeure sur le rôle susceptible d'être dévolu en matière de coordination aux 175 « délégués du préfet » créés dans le cadre de la dynamique « Espoir Banlieues » au contact des quartiers sensibles. La lettre de mission générale de ces délégués est, en effet, très large et peut, en principe, inclure un volet éducatif ( 37 ( * ) ). Ce document de cadrage doit être décliné de façon opérationnelle par les préfets : cependant, le positionnement de la dynamique « Espoir Banlieues » à l'égard des échelons déconcentrés de l'éducation nationale n'a pas été défini, ce qui peut poser à terme des problèmes de coordination.

2. La création par les acteurs de terrain de mécanismes de coordination

Par delà ces observations, l'enquête a cependant permis d'observer, dans les sites analysés, que les acteurs de terrain avaient su mettre en oeuvre des mécanismes de coordination opérationnels :

- L'académie de Lille souligne ainsi l'application intégrale de la circulaire du 24 mai 2006 précisant que le CUCS intègre et met en cohérence l'ensemble des dispositifs existant sur le territoire : projets de réussite éducative (PRE), contrats éducatifs locaux (CLE), Ecole ouverte, contrats d'accompagnement à la scolarité (CLAS), contrats d'éducation artistique, actions de lutte contre l'illettrisme, ateliers santé-ville (ASV), dispositif ville-vie-vacances, volet éducatif des contrats locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD). L'académie de Lille conclut que « le nouveau contrat cadre, global et cohérent s'attache à accompagner un projet éducatif global en faveur des enfants et des jeunes des quartiers les plus en difficulté » .

- L'académie d'Aix-Marseille a également fait part d'un bilan positif de la coopération locale. Dans les Bouches-du-Rhône, l'inspection académique est présente dans le comité de pilotage spécifique du « volet éducation du plan espoir banlieue » . Elle est représentée dans toutes les instances de coordination des dispositifs de la politique de la ville, dans le comité inter-service des services de l'Etat (CIS) piloté par le préfet, et dans chaque comité technique réuni par les sous-préfectures.

- L'académie de Versailles fait également état d'une bonne coordination locale. Dans les Yvelines, le pilotage par la préfecture et l'inspection académique du volet éducatif des CUCS, et en particulier du PRE, est jugé particulièrement satisfaisant par les deux acteurs depuis sa mise en place en 2005. Il se traduit par des réunions bilatérales régulières au cours de l'année, ainsi que par la présence conjointe de la sous-préfète à la ville et d'un inspecteur d'académie-adjoint aux comités de pilotage locaux des 18 dispositifs de réussite éducative. Dans le département de l'Essonne, l'éducation nationale est présente dans le volet éducatif des CUCS, dans le pilotage départemental des CLAS, dans la mise en oeuvre des PRE, et dans le cadre du CLSPD. En ce qui concerne le volet éducatif de la politique de la ville, l'inspection académique siège dans les comités techniques qui instruisent les dossiers de demande de subventions, dans la mesure où des établissements scolaires peuvent être impliqués en tant que porteurs ou de partenaires des actions.

Au total, l'articulation entre politique de la ville et éducation nationale dépend donc fortement de la bonne volonté individuelle des acteurs locaux : si cette coordination existe généralement, elle ne peut de ce fait échapper à tout risque d'aléa.

L'aléa de l'articulation des interventions dans les quartiers sensibles : deux exemples locaux

- Un exemple de coordination réussie : à Roubaix, la Cour a observé un exemple de coordination, dans le quartier d'habitat ancien dégradé de l'Hommelet, entre l'association « Hommelet Sport Culture », financée sur des crédits de la politique de la ville, et l'école du quartier, en accord avec le coordinateur du réseau d'éducation prioritaire. L'école propose des activités d'accompagnement à la scolarité, tandis que l'association propose des activités culturelles et sportives (origami, théâtre, apprentissage ludique de l'anglais organisé dans les locaux de l'école). Ces interventions complémentaires sont présentées conjointement par l'école et par l'association à l'occasion de la rentrée des classes.

- Un exemple de coordination insuffisante : aux Mureaux, l'équipe pédagogique du collège Jean Moulin a constaté qu'une activité d'équitation proposée par une association financée par la politique de la ville pouvait être ouverte aux élèves qui avaient été temporairement exclus de l'établissement pour des raisons disciplinaires. Selon l'équipe pédagogique, cette absence de coordination conduit à annihiler tout effet d'exemplarité, pour les élèves sanctionnés, des mesures disciplinaires prises à leur encontre. Toutefois, la préfète des Yvelines a estimé pour sa part, en réponse aux observations de la Cour, que des mesures d'exclusion provisoires pouvaient être accompagnées d'activités éducatives encadrées, afin d'éviter le désoeuvrement des élèves concernés.

* 35 L'article 8 du décret du 29 avril 2004 rappelle que le préfet de région « est assisté dans l'exercice de ses fonctions d'un secrétaire général pour les affaires régionales ».

* 36 L'article 9 du décret du 29 avril précité dispose que « sous réserve des compétences du préfet de région, le préfet de département met en oeuvre dans le département les politiques nationales et communautaires ». L'article 17 du même texte précise que le préfet de département a autorité « sur les chefs des services déconcentrés, délégués ou correspondants à compétence départementale ».

* 37 Lettre du 16 mars 2009 du ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville et de la secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville. Ce texte positionne les délégués du préfet comme « interlocuteurs techniques des collectivités territoriales, des associations et des autres acteurs locaux » .

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