AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Depuis l'adoption de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante par le Gouvernement provisoire de la République française, le droit pénal des mineurs est fondé sur la conviction profondément humaniste que tout mineur délinquant est un être en construction qui doit avant tout être protégé et éduqué.

Pour autant, il demeure des situations dans lesquelles, au regard de la personnalité du mineur ou de la gravité des infractions qu'il a commises, la prison paraît inévitable.

Conformément à l'article 37 de la Convention internationale des droits de l'enfant du 20 novembre 1989, qui stipule que « l'arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant [ne doit être] qu'une mesure de dernier ressort et être d'une durée aussi brève que possible », notre droit encadre très strictement l'incarcération des mineurs :

- celle-ci est interdite en-dessous de treize ans ;

- la juridiction pour mineurs doit respecter le principe de primauté de l'éducatif sur le répressif 1 ( * ) , qui lui impose de prononcer en priorité une ou plusieurs mesures éducatives. Si toutefois « les circonstances et la personnalité des mineurs l'exigent » 2 ( * ) , la juridiction peut prononcer une sanction ou une peine « en tenant compte de l'atténuation de leur responsabilité pénale ». En vertu de l'ordonnance du 2 février 1945, les peines encourues sont réduites de moitié 3 ( * ) ;

- enfin, s'il s'avère nécessaire d'incarcérer le mineur avant le jugement, la détention provisoire n'est possible que dans trois hypothèses : en matière criminelle, en cas de soustraction volontaire aux obligations d'un contrôle judiciaire ou d'une assignation à résidence avec surveillance électronique ou, s'agissant des seuls mineurs de seize à dix-huit ans, lorsque la peine correctionnelle encourue est égale ou supérieure à trois ans.

En 2002, la commission d'enquête du Sénat sur la délinquance des mineurs constatait : « aujourd'hui, l'incarcération demeure trop souvent le dernier recours, la fin de toute tentative éducative. L'enfermement des mineurs doit être repensé afin de revêtir une véritable dimension éducative et de s'inscrire dans un parcours dynamique vers la réinsertion » 4 ( * ) .

Traduisant cette préconisation, le législateur a créé, par la loi n°2002-1138 d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002, deux types de structures destinées à accueillir des mineurs délinquants ayant commis des infractions d'une gravité telle qu'un enfermement temporaire s'avère nécessaire : les centres éducatifs fermés (CEF) , d'une part, les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) , d'autre part :

- les premiers, entièrement confiés à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), ont été envisagés afin de proposer à des mineurs ancrés dans la délinquance une « dernière chance » avant la prison, se traduisant par une prise en charge éducative renforcée dans un cadre dit « contenant » ;

- les seconds, relevant de la compétence conjointe de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse, ont été conçus afin que le temps de détention des mineurs soit entièrement dédié au réapprentissage des principes fondamentaux de la vie en société et à leur réinsertion.

Ce faisant, le législateur a entendu créer deux structures chargées d'assurer une action éducative dans un cadre privatif de liberté - mettant ainsi un terme à une dichotomie qui s'était instaurée depuis la fermeture des centres fermés de l'Éducation surveillée à la fin des années 1970. Depuis lors en effet, la Protection judiciaire de la jeunesse, qui s'est substituée en 1990 à l'Education surveillée, avait recentré son action sur l'exécution des mesures judiciaires de milieu ouvert et la prise en charge éducative des mineurs en foyers - prise en charge qu'elle continuait d'ailleurs à assurer également au civil, au titre de la protection de l'enfance en danger, en dépit des lois de décentralisation de 1982-1983 qui avaient confié cette compétence aux conseils généraux -, laissant l'exécution des peines d'emprisonnement à la seule charge de l'Administration pénitentiaire.

La loi du 9 septembre 2002 a entendu rompre avec cette logique, qui aboutissait à priver les mineurs incarcérés de toute prise en charge éducative, d'une part en créant des structures de placement éducatif dites « fermées », destinées à offrir aux magistrats une alternative à l'incarcération, d'autre part en réintroduisant des éducateurs en prison, afin de faire de la privation de liberté un temps utile, consacré au relèvement éducatif du mineur - une « école avec des murs », selon les termes utilisés à l'époque pour décrire le nouveau dispositif.

Sans doute ces deux structures relèvent-elles de statuts juridiques différents : les CEF sont des établissements sociaux et médicosociaux, régis par la loi n° 2002-2 du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médicosociale, tandis que les EPM sont des établissements pénitentiaires à part entière, gérés par l'administration pénitentiaire et régis par le code de procédure pénale. Elles ont toutefois pour point commun d'accueillir des mineurs délinquants dans un cadre privatif de liberté et de mettre en oeuvre, dans un tel cadre, un projet éducatif . Toutes deux relèvent d'ailleurs du champ de compétences du Contrôleur général des lieux de privation de liberté.

La création de ces établissements en 2002 a suscité de très vives réserves chez une part importante des professionnels de l'enfance délinquante, qui ont fait valoir qu'il était impossible de conjuguer travail éducatif et privation de liberté. Cette controverse a été alimentée par les incidents qui ont émaillé l'ouverture des premiers centres éducatifs fermés en 2003, dans lesquels certains ont vu la démonstration que ces centres étaient voués à renouer avec les égarements des centres fermés d'antan - caractérisés notamment par un recours abusif à la contrainte physique et par un climat de violence permanent.

Neuf ans après l'adoption de la loi du 9 septembre 2002, huit ans après la création des premiers CEF et quatre ans après l'ouverture des premiers EPM, ces critiques se sont peu à peu atténuées, même si plusieurs intervenants - et notamment une importante organisation syndicale d'éducateurs - ont réitéré au cours de leur audition par vos rapporteurs leur conviction qu'aucun travail éducatif ne pouvait être mené dans un cadre fermé.

Aujourd'hui, 44 CEF et 6 EPM s'efforcent de mettre en oeuvre, à destination de mineurs fortement ancrés dans la délinquance ou ayant commis des actes d'une particulière gravité, un travail éducatif dans un environnement privatif de liberté.

Or, ces structures sont très mal connues et encore trop peu évaluées : elles mobilisent pourtant des moyens humains et financiers importants alors que leur efficacité au regard de la réinsertion des mineurs reste mal appréhendée.

Avec le recul permis par quelques années de fonctionnement, votre commission des lois a souhaité dresser un bilan de ces structures. A cette fin, elle a confié à nos collègues François Pillet et Jean-Claude Peyronnet le soin de procéder à une évaluation de ces établissements et de formuler des propositions susceptibles d'améliorer leur fonctionnement.

Conscients que la thématique de l'enfermement des mineurs délinquants suscite souvent des positions très contrastées, parfois non dénuées de partis-pris idéologiques, vos co-rapporteurs se sont pour leur part efforcés d'adopter une démarche pragmatique, fondée sur l'écoute attentive des professionnels chargés de la prise en charge de ces mineurs et sur l'observation des expériences mises en oeuvre dans les établissements chargés de les accueillir.

A cette fin, ils ont entendu une quarantaine de personnes, parmi lesquelles des représentants des principales organisations représentatives des magistrats, des éducateurs et des personnels pénitentiaires.

Ils ont également visité quatre CEF (Saint Venant, Liévin, Brignoles et Savigny-sur-Orge), trois EPM (Marseille, Porcheville et Quiévrechain) ainsi que le Centre de jeunes détenus de la maison d'arrêt de Fleury-Merogis.

Enfin, ils ont pris connaissance avec attention des travaux réalisés, dans le cadre de l'examen de la loi de finances, par nos collègues Nicolas Alfonsi et Jean-René Lecerf, rapporteurs pour avis respectivement des crédits de la protection judiciaire de la jeunesse et de ceux de l'administration pénitentiaire, ainsi que de ceux du Contrôleur général des lieux de privation de liberté et de l'ancienne Défenseure des enfants.

*

A l'issue de leurs travaux, vos co-rapporteurs souhaitent formuler plusieurs remarques d'ordre général.

En premier lieu, si ses modalités sont discutées, la légitimité de la privation de liberté pour certains mineurs - dans des circonstances qu'il appartient au législateur de définir - ne semble pas, dans son principe, être remise en cause. Comme l'observait la commission d'enquête du Sénat il y a une dizaine d'années, « l'enfermement des mineurs délinquants est parfois une nécessité. Il peut être une nécessité à l'égard de la société qui demande une protection vis-à-vis de jeunes particulièrement violents. Il peut être une nécessité à l'égard du mineur ancré dans un parcours d'auto-destruction » 5 ( * ) .

Il importe, en revanche, de clarifier les objectifs assignés à cet enfermement. Comme l'écrit M. Manuel Palacio, conseiller du directeur de l'Institut national des hautes études de sécurité, « la notion d'enfermement combine, mais n'articule pas, trois demandes bien distinctes : la sanction données à une transgression des règles sociales, la protection de la société face au danger que peut représenter un individu délinquant et la « rééducation-réinsertion » du délinquant mineur pour prévenir sa récidive » 6 ( * ) .

S'agissant des mineurs délinquants, les principes qui ont guidé l'édiction de l'ordonnance du 2 février 1945, auxquels vos co-rapporteurs sont profondément attachés, invitent à faire de la réinsertion l'horizon de toute privation de liberté infligée à un mineur délinquant, quelle que soit la gravité des actes commis.

Dans cette perspective, vos rapporteurs ont été amenés à s'interroger sur les points suivants : les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs répondent-ils aujourd'hui au cahier des charges fixé par le législateur en 2002 ? Ces expériences ont-elles su tirer les leçons des échecs du passé et mettre en oeuvre de véritables projets éducatifs ? A l'issue de l'enfermement, une réinsertion durable des mineurs dans la société est-elle possible ?

Seconde remarque : si le public des mineurs incarcérés ou accueillis dans les centres éducatifs fermés retient l'attention de l'opinion publique, il convient de garder en mémoire qu'il ne représente qu'une très petite minorité de mineurs délinquants. En 2009, sur les 214 612 mineurs mis en cause par les services de police et de gendarmerie, seuls 1 064 mineurs ont fait l'objet d'une décision de placement en CEF et 3 242 mineurs ont été placés sous écrou - soit seulement 2 % des mineurs mis en cause. 85 % des mineurs confiés à la protection judiciaire de la jeunesse sont suivis en milieu ouvert. Plus de 70 % des mineurs pris en charge ne réitèrent pas dans l'année qui suit la fin de celle-ci (voir annexe 2).

Toutefois, il est vrai que les mineurs qui font l'objet d'un placement en CEF ou d'une incarcération sont les mineurs les plus difficiles, ceux qui ont commis de nombreuses infractions et/ou des actes particulièrement graves. En général, ces mineurs cumulent une série de « handicaps » - familiaux, sociaux, scolaires, souvent psychologiques voire psychiatriques également - et auraient parfois, pour certains d'entre eux, mérité de faire l'objet dans l'enfance d'une prise en charge au titre de la protection de l'enfance en danger.

A cet égard, vos rapporteurs souhaitent rendre hommage aux personnels exerçant dans ces établissements, dont ils ont pu mesurer l'investissement et l'implication au cours de leurs visites et qui exercent leurs fonctions dans des conditions de travail et de sécurité souvent rudes.

*

A travers le présent rapport, vos co-rapporteurs souhaitent mieux faire connaître ces structures qui accueillent un public particulièrement difficile et dont l'éducation représente souvent une véritable gageure.

Ils formulent également, pour chacune des structures étudiées, un certain nombre de suggestions ou de propositions destinées à en améliorer le mode de fonctionnement.

A cet égard, à l'issue des auditions et visites auxquelles ils ont procédé, vos rapporteurs estiment que ces établissements apportent la preuve qu'un travail éducatif peut bien être mené dans un environnement privatif de liberté.

En particulier, il leur apparaît que, sous réserve de remplir un certain nombre de conditions, le dispositif des CEF mérite d'être pérennisé et même étendu afin de répondre aux demandes des juges des enfants.

Leur jugement est en revanche plus critique s'agissant des établissements pénitentiaires pour mineurs dont le mode de fonctionnement devrait être revu sur plusieurs points.

En tout état de cause, vos co-rapporteurs soulignent que, quelle que soit la qualité des prises en charge mises en oeuvre dans ces structures, celles-ci ne sont pertinentes qu'à la condition de s'inscrire dans un dispositif global et cohérent de prises en charge , permettant en particulier d'assurer un suivi cohérent des mineurs à l'issue du placement ou de la détention.

* *

*

I. LES CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS (CEF) : UNE EXPÉRIENCE À CONFORTER

Les centres éducatifs fermés (CEF) ont été conçus afin d'offrir aux magistrats une solution éducative alternative à l'incarcération à destination des mineurs délinquants les plus difficiles.

Ce sont de petites structures, pouvant accueillir une douzaine de mineurs 7 ( * ) . Elles relèvent de deux statuts différents : ce sont soit des établissements publics, dépendant directement de l'administration de la protection judiciaire de la jeunesse, soit des établissements privés, gérés par une association habilitée dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat.

Les mineurs placés y font l'objet d'une prise en charge éducative renforcée, assurée au quotidien par une équipe de 24 à 27 éducateurs, à laquelle s'ajoutent souvent un enseignant et, le cas échéant, un ou plusieurs personnels de santé.

A l'heure actuelle, 44 CEF sont en fonctionnement, 10 relevant du secteur public et 34 du secteur associatif habilité, pour un total de 488 places 8 ( * ) .

A. UNE ALTERNATIVE À L'INCARCÉRATION

1. Une prise en charge éducative renforcée
a) Des conditions de placement strictement définies

Les centres éducatifs fermés sont susceptibles d'accueillir des mineurs délinquants dans quatre cas de figure différents :

- avant le jugement, dans le cadre d'un contrôle judiciaire (voir encadré) ;

- au titre d'une condamnation à une peine d'emprisonnement assortie d'un sursis avec mise à l'épreuve ;

- dans le cadre d'un aménagement de peine, au titre soit d'un placement à l'extérieur, soit d'une libération conditionnelle.

Dans les faits, les mineurs sont souvent placés dans le cadre d'un contrôle judiciaire et/ou d'un sursis avec mise à l'épreuve. Les mineurs placés en CEF dans le cadre d'un aménagement de peine sont rares. Toutefois, les outils informatiques dont dispose la DPJJ ne lui permettent pas de connaître précisément le fondement juridique du placement.

Précisions sur le placement sous contrôle judiciaire des mineurs

Le contrôle judiciaire est une mesure qui consiste à astreindre une personne mise en examen à une ou plusieurs obligations, dont la violation est sanctionnée par le placement en détention provisoire.

Les règles applicables au contrôle judiciaire des mineurs sont plus strictes que celles applicables aux majeurs et sont définies aux articles 10-2, 11-1 et 11-2 de l'ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

Seuls les mineurs de treize à dix-huit ans peuvent être placés sous contrôle judiciaire.

Cette mesure est possible dans tous les cas en matière criminelle.

En matière correctionnelle, elle est également possible à l'encontre des mineurs de seize à dix-huit ans dès lors que ceux-ci encourent une peine d'emprisonnement.

En revanche, les mineurs de treize à seize ans ne peuvent être placés sous contrôle judiciaire en matière correctionnelle que dans l'un des deux cas suivants :

- soit la peine d'emprisonnement encourue est supérieure ou égale à cinq ans et le mineur a déjà fait l'objet d'une ou plusieurs mesures éducatives ou d'une condamnation à une sanction éducative ou à une peine ;

- soit la peine d'emprisonnement encourue est supérieure ou égale à sept ans.

Le projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, en cours d'examen par le Conseil constitutionnel après son adoption définitive par le Parlement, prévoit d'élargir les possibilités de placer un mineur de treize à seize ans sous contrôle judiciaire, dès lors que la peine d'emprisonnement encourue est supérieure ou égale à cinq ans et qu'il s'agit d'un délit de violences volontaires, d'agression sexuelle ou un délit commis avec la circonstance aggravante de violences - sans condition d'antécédents pénaux. L'objectif poursuivi par le Gouvernement est de permettre le placement en CEF de ces mineurs primodélinquants sans attendre une éventuelle réitération.

En 2010, près de 1 250 mineurs ont été placés en CEF - portant à près de 4 900 le nombre de mineurs concernés par le dispositif depuis les premières ouvertures de centres en 2003.

L'âge moyen d'arrivée en CEF est de 16 ans.

Nombre de mineurs placés

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Secteur public

20

39

46

56

125

193

211

321

Secteur associatif habilité

46

120

281

395

556

696

853

921

Total

66

159

327

451

681

889

1.064

1.242

Source : DPJJ

b) Une présence éducative permanente

Le fonctionnement des CEF est assuré par des équipes éducatives de 24 à 27 personnes, auxquelles s'ajoute parfois un enseignant mis à disposition par l'Éducation nationale, ainsi que des personnels de santé lorsque le CEF est dit « renforcé en santé mentale » (voir infra ). Le but est d'assurer une présence éducative renforcée, permettant une prise en charge très individualisée des jeunes. Par ailleurs, deux personnes au moins sont tenues d'être présentes la nuit, dont un éducateur.

D'après une enquête réalisée en janvier 2011 par la DPJJ sur 537 personnels travaillant en CEF, 56% d'entre eux ont moins de 40 ans ; 65% sont des hommes ; la moitié d'entre eux exercent les fonctions d'éducateur, 14% occupent un poste d'encadrant.

D'après les informations communiquées par le ministère de l'Education nationale, en 2010-2011, 41 enseignants étaient mis à disposition des CEF (34 professeurs des écoles, 5 enseignants du second degré et 2 contractuels) 9 ( * ) . 55% des CEF dispensent au moins 20 heures d'enseignement par mineur et par semaine.

L'importance du taux d'encadrement des mineurs placés en CEF se traduit dans le coût de prise en charge, qui est élevé : 640 euros par jour et par mineur en moyenne 10 ( * ) .

c) Une prise en charge individualisée et construite dans la durée

A l'inverse des temps d'incarcération, qui peuvent être très brefs (voir infra ), les modalités de placement en CEF ont pour objectif de permettre une prise en charge construite dans la durée.

Ainsi, si la durée du placement est fixée par la décision judiciaire, le cahier des charges des CEF prévoit néanmoins que celui-ci, lorsqu'il est prononcé dans le cadre d'un contrôle judiciaire, est fixé pour une durée maximale de six mois, renouvelable une fois .

Le temps de la prise en charge est décomposé en trois « modules » de deux mois chacun :

•  Un premier module de deux mois, appelé « module d'accueil », doit permettre à l'équipe éducative de procéder à une évaluation globale du mineur, portant tant sur sa personnalité, ses capacités d'intégration au groupe, que sur sa situation scolaire ou sa santé physique et mentale. A partir de ce bilan, un projet éducatif individuel doit être construit par l'équipe et formalisé dans un « document individuel de prise en charge ». Un rapport doit par ailleurs être adressé au magistrat en charge du respect de la mesure, dressant un état de la situation du mineur et formulant des propositions de prise en charge pendant le temps du placement. Dans le cadre de cette phase d'accueil, les sorties du mineur et ses relations avec l'extérieur sont strictement limitées - un contrôle constant du mineur à l'intérieur et à l'extérieur du centre devant être mis en place.

•  Un deuxième module de deux mois, consacré à la prise en charge intensive du mineur , vise, au vu du bilan d'accueil, à mettre en oeuvre des activités d'enseignement ou de formation professionnelle axées sur le réapprentissage des savoirs fondamentaux et la définition d'un projet de formation ainsi que, le cas échéant, des soins somatiques et un suivi psychologique. Des activités sportives doivent également être proposées au mineur. Lorsque cela paraît utile, l'équipe éducative peut recourir à des dispositifs extérieurs, tels que les classes relais, les dispositifs d'activité ou des dispositifs de droit commun, sous le contrôle permanent d'un ou de plusieurs personnels du centre - sauf assouplissement autorisé par le juge.

• Enfin, un troisième module de deux mois est consacré à la préparation de la sortie . Les établissements ou services appelés à prendre en charge le mineur après le placement (service de milieu ouvert, établissement de placement) sont en principe étroitement associés à l'élaboration d'un projet d'orientation. Ce dernier module doit permettre la mise en place des relais nécessaires auprès des organismes de droit commun du lieu de résidence des mineurs, notamment scolaires et médicaux. Le cas échéant, un allègement progressif des obligations découlant du placement peut être décidé par le juge, lequel est appelé à prendre « toute mesure permettant d'assurer la continuité de la prise en charge éducative du mineur en vue de sa réinsertion durable dans la société » (article 33 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante). A cette fin, un bilan de fin de parcours retraçant l'évolution du mineur par rapport aux objectifs fixés dans le projet éducatif individuel est adressé au magistrat ayant prescrit le placement au moment de la mainlevée de celui-ci.

Les familles sont, dans toute la mesure du possible, associées à toutes les étapes du placement par l'équipe éducative, dans les conditions définies par le juge. Le cahier des charges des CEF précise à cet égard que, sous réserve des prescriptions judiciaires, les mineurs doivent pouvoir recevoir la visite des membres de leur famille ainsi que correspondre avec eux. Il préconise également l'organisation de rencontres plus formalisées au sein des centres.

M. Francis Bailleau, directeur de recherche au CNRS, a attiré l'attention sur le fait que ce découpage formel en trois modules de deux mois chacun ne répondait pas nécessairement au mode de fonctionnement de jeunes ayant des difficultés à s'inscrire dans un temps hiérarchisé, et qu'il pouvait de ce fait s'avérer déstabilisant.

Les personnels de CEF rencontrés au cours des visites ont toutefois fait valoir que cette organisation ne constituait qu'un canevas à partir duquel les équipes éducatives organisent la prise en charge du mineur. En pratique, celle-ci peut être adaptée afin de tenir compte de la durée effective du placement, de la personnalité du mineur et de son projet de réinsertion.

Il convient par ailleurs de noter que les séjours peuvent être écourtés pour plusieurs raisons : incidents, condamnation à une peine de prison ferme dans le cadre d'une autre affaire, plus rarement passage du jeune à sa majorité, par exemple.

Au total et en moyenne, un tiers des mineurs restent moins de trois mois en CEF, un tiers restent entre trois et six mois, et un tiers restent plus de six mois.

D'après les informations communiquées par la DPJJ, 85% des CEF estiment que la durée optimale de prise en charge des mineurs se situe entre six et huit mois . Les deux mois supplémentaires par rapport à la norme de six mois seraient nécessaires pour consolider la mise en oeuvre des projets de sortie. Comme l'ont expliqué à vos co-rapporteurs plusieurs éducateurs rencontrés en CEF, la prolongation du placement est parfois sollicitée afin de permettre au mineur d'achever l'année scolaire au centre et d'envisager une inscription en septembre dans un nouveau dispositif.

d) La mise en oeuvre d'activités scolaires, éducatives et sportives dans le cadre des projets d'établissement

Comme l'indique le cahier des charges des CEF, « [ces derniers] ne peuvent [...] répondre à l'objectif d'insertion que leur fixe le législateur que si un projet éducatif construit, intensif et structuré permet d'assurer la prise en charge évolutive des jeunes qui y seront placés. Les activités de réapprentissage des savoirs fondamentaux, celles d'apprentissage des gestes professionnels, comme le travail pédagogique sur la santé et le corps à partir des activités sportives et d'une offre sanitaire pertinente, constituent ainsi les moyens indispensables à développer au sein de ces derniers » 11 ( * ) .

Les activités mises en oeuvre par l'équipe éducative doivent donc en principe s'inscrire dans le cadre d'un projet d'établissement, qui tient compte des possibilités offertes par le territoire dans lequel le centre est implanté ainsi que, le cas échéant, du réseau associatif dans lequel il s'inscrit.

•  Les activités scolaires proposées aux mineurs dépendent de leur âge : elles sont en effet obligatoires pour les moins de seize ans, astreints à l'obligation scolaire. Elles n'en sont pas moins également proposées aux plus de seize ans. En général, elles sont assurées par un professeur de l'Education nationale, détaché dans le centre (voir supra ). L'enseignement est fortement individualisé et adapté au niveau du mineur - ce qui conduit à la constitution de groupes de niveau.

Un rapport de l'Inspection générale de septembre 2008 a montré que peu de ces mineurs étaient illettrés, à l'exception des mineurs étrangers isolés. Ils ont en général un niveau équivalent à une classe de cinquième ou de quatrième. Toutefois, selon une étude menée actuellement par la DPJJ, 59% des mineurs placés en CEF en 2010 étaient déscolarisés à leur arrivée au sein de la structure.

L'enseignement dispensé en CEF vise à réinscrire ces mineurs dans un cursus normal. Lorsque cela est possible, ils sont préparés aux examens organisés par l'Education nationale. Ainsi, en 2010, 30% des mineurs accueillis en CEF ont préparé le certificat de formation générale (CFG) ; 80% d'entre eux l'ont obtenu.

Enfin, lorsque le niveau scolaire du mineur et sa personnalité le permettent, une scolarité à l'extérieur, dans un établissement de droit commun, peut être envisagée. Tel était par exemple le cas d'une jeune fille placée au CEF de Saint Venant lors de la visite de vos co-rapporteurs et scolarisée en classe de quatrième au collège attenant.

•  Les activités de formation professionnelle proposées aux mineurs paraissent extrêmement variables d'un centre à l'autre. Elles dépendent la plupart du temps des liens que l'équipe éducative et, le cas échéant, l'association gestionnaire, auront réussi à mettre en place avec les territoires dans lesquels le CEF est implanté.

Certains centres assurent en interne, sous la surveillance d'éducateurs techniques, des activités susceptibles d'initier les mineurs à une activité professionnelle : ateliers espaces verts permettant de sensibiliser les mineurs aux métiers des espaces verts, restaurant d'application permettant d'initier les jeunes aux métiers de la restauration, ateliers de mécanique et de menuiserie, etc.

Certains centres ont également réussi à nouer avec un certain nombre d'artisans, de PME et d'institutions publiques des partenariats permettant de proposer aux mineurs des stages en entreprise ou des stages de découverte professionnelle pour des périodes allant de quelques jours à un mois.

Ainsi le CEF de Saint Venant a-t-il été en mesure de placer une douzaine de jeunes au cours de l'année 2010 (soit un tiers de l'effectif accueilli) dans différentes entreprises (garages, restaurants, salon de coiffure, etc.) ou structures publiques (mairie, garderie).

Le CEF de Doudeville (Seine-Maritime), visité par notre collègue Nicolas Alfonsi il y a quelques mois, a également développé des partenariats avec une cinquantaine de PME offrant la possibilité de placer les jeunes filles accueillies en « stages de découverte professionnelle » à partir du troisième mois de placement 12 ( * ) .

Dans certains cas, ces stages peuvent déboucher sur la conclusion d'un contrat d'apprentissage à l'issue du placement.

•  Les activités éducatives proposées par les équipes éducatives, au besoin par le recours à des intervenants extérieurs, constituent des supports destinés à travailler sur le rapport du mineur au groupe, aux adultes et à lui-même. Elles sont extrêmement diverses. A Liévin, par exemple, l'équipe éducative propose aux mineurs des ateliers théâtre, photographie, graph, mosaïque, d'activité bois, un atelier d'écriture, des activités culinaires ainsi qu'un « chantier écosystème » (en partenariat avec une association organisant des chantiers bénévoles de restauration et de gestion des sites naturels), l'écriture d'un journal mensuel et une participation aux activités du Secours Populaire. A Liévin comme à Saint Venant, les mineurs se voient également proposer une activité d'équithérapie.

• Enfin, les activités sportives visent, aux termes du cahier des charges des CEF, « à servir de point de départ à une approche des questions relatives au respect du corps et à un travail sur la règle collective. Dans cette perspective, un temps de professionnels certifiés devra être prévu ».

Les CEF visités par vos co-rapporteurs disposaient ainsi tous d'installations sportives. Des conventions passées avec la mairie ou des associations sportives permettaient également aux jeunes de pratiquer des activités sportives à l'extérieur. Au CEF de Savigny-sur-Orge, par exemple, les jeunes suivent en moyenne deux heures de sports par jour, assurées par un professeur de sports présent à temps plein.

La participation aux activités proposées par l'équipe éducative est en principe obligatoire.


* 1 Principe que le Conseil constitutionnel a consacré comme principe fondamental reconnu par les lois de la République dans sa décision n°2002-461 DC du 29 août 2002.

* 2 Article 2 de l'ordonnance n°45-174 du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante.

* 3 S'agissant des mineurs âgés de seize à dix-huit ans, la juridiction pour mineurs peut toutefois écarter l'application de cette règle dans un certain nombre d'hypothèses.

* 4 « Délinquance des mineurs : La République en quête de respect », rapport n°340 (2001-2002) de M. Jean-Claude Carle fait au nom de la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, présidée par M. Jean-Pierre Schosteck, pages 158 et suivantes consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/r01-340-1/r01-340-11.pdf

* 5 Rapport précité.

* 6 Manuel Palacio, « L'enfermement des mineurs. Eduquer ou punir ? » in Cahiers de la sécurité n° 13 (juillet-septembre 2010).

* 7 La PJJ a récemment demandé à l'ensemble des CEF disposant d'une capacité d'accueil inférieure d'engager les travaux nécessaires pour porter le nombre de places à douze, auxquelles doit s'ajouter une place aménagée pour accueillir un mineur à mobilité réduite.

* 8 Places effectives au 1 er juin 2011. Ces chiffres ne tiennent pas compte des nouvelles ouvertures envisagées dans le cadre de la finalisation du programme initial (48 CEF prévus, pour un total de 576 places), ni du projet, annoncé récemment par le Gouvernement, de créer de nouveaux CEF par transformation d'unités éducatives d'hébergement collectif existantes.

* 9 Dans les CEF ne disposant pas d'un enseignant relevant de l'Education nationale, la scolarité est assurée soit par un éducateur scolaire, soit par un contractuel recruté à cet effet.

* 10 Cette donnée tient compte de l'enseignant éventuellement mis à la disposition de la structure par l'Éducation nationale. Hors Éducation nationale, le coût d'une journée de placement en CEF est en moyenne de 616,71 euros dans les CEF relevant du secteur associatif habilité, et de 659,36 euros dans les CEF relevant du secteur public.

* 11 Cahier des charges annexé à la circulaire de la DPJJ du 13 novembre 2008 visant à améliorer la prise en charge des mineurs placés en centre éducatif fermé.

* 12 Voir l'avis budgétaire n°116 - tome V (2010-2011) sur les crédits alloués à la PJJ par le projet de loi de finances pour 2011 de notre collègue Nicolas Alfons, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/a10-116-5/a10-116-51.pdf . Le CEF de Doudeville est le seul centre à n'accueillir que des jeunes filles.

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