2. Un cadre privatif de liberté : l'ambiguïté de la notion de « centre fermé »

Aux termes de leur cahier des charges, les CEF sont une alternative à l'incarcération offerte à des mineurs multiréitérants ou ayant commis des faits d'une particulière gravité, « destinés à prévenir la persistance et le renouvellement des comportements délinquants par le retrait du milieu social habituel des mineurs qu'ils induisent ». Pour autant, ces centres relèvent de la catégorie des établissements sociaux et médico-sociaux, et non de celles des établissements pénitentiaires.

De fait, leur fermeture repose avant tout sur une conception juridique de la privation de liberté : c'est la parole du juge plus que les murs de l'établissement qui fonde la privation de liberté.

a) Une fermeture juridique

Aux termes de l'article 33 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, « au sein [des CEF], les mineurs font l'objet des mesures de surveillance et de contrôle permettant d'assurer un suivi éducatif et pédagogique renforcé et adapté à leur personnalité. La violation des obligations auxquelles le mineur est astreint en vertu des mesures qui ont entraîné son placement dans le centre peut entraîner, selon le cas, le placement en détention provisoire ou l'emprisonnement du mineur ».

Comme le relevaient nos anciens collègues Jean-Pierre Schosteck et Pierre Fauchon, rapporteurs de la loi n°2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice : « il s'agit de décourager la tentative de fugue et de sanctionner les faits de violence à l'intérieur des centres, non par une fermeture physique (mur d'enceinte, barreaux, miradors), mais par une menace judiciaire forte » 13 ( * ) .

Ainsi le cahier des charges des CEF précise-t-il que les mineurs peuvent sortir du centre pour les besoins de l'action éducative ou pour des activités d'insertion, ou encore pour répondre aux convocations des autorités administratives ou judiciaires. Lors de la visite du CEF de Brignoles par exemple, les mineurs venaient de passer une partie de la journée à pratiquer des activités sportives à l'extérieur du centre.

Toutefois, sous réserve des prescriptions judiciaires, aucune sortie, qu'elle soit individuelle ou collective, ni aucun hébergement en dehors du centre ne peut intervenir sans l'accompagnement d'un ou plusieurs encadrants.

De fait, la capacité d'aller et venir du mineur en dehors du centre dépend entièrement du magistrat ayant ordonné le placement, lequel peut, par exemple, autoriser des retours temporaires en famille ou des activités à l'extérieur au vu de l'évolution positive du mineur en cours de placement. Le juge est également seul habilité à accorder des droits de visite et d'hébergement aux familles. Il peut enfin astreindre le mineur à plusieurs obligations ou interdictions au cours du placement. L'équipe éducative est tenue de lui signaler tout incident. Le cas échéant, tout manquement à la parole du juge peut se traduire, sur décision de ce dernier, par l'incarcération du mineur 14 ( * ) .

b) La progressive mise en place de dispositifs de sécurité

Au vu du public particulièrement volatile accueilli, souvent peu enclin à respecter la parole de l'adulte, ce dispositif de fermeture strictement juridique n'a pas manqué de montrer rapidement ses faiblesses. Dès l'ouverture des premiers centres, des fugues accompagnées d'incidents se sont produites, qui ont été d'autant plus mal ressenties par la population locale que ces centres avaient été présentés comme devant être « fermés ».

Ces incidents ont incité l'administration de la PJJ à recommander la mise en place de dispositifs de sécurité.

A l'heure actuelle, le cahier des charges des CEF précise : « l'emprise du centre devra être clôturée et ne comporter qu'un accès unique actionnable par télécommande. Les grillages de clôture devront comporter un retour. L'enceinte de clôture sera doublée à l'intérieur d'une haie vive. Un système de barrière infrarouge sera installé. Des dispositifs de contrôle des mouvements seront également mis en place [...]

« Les accès aux différents espaces devront pouvoir être maîtrisés par les encadrants en toute circonstance ».

D'après les informations communiquées par la DPJJ, la moitié des structures ont choisi de compléter ce dispositif par l'installation de systèmes de vidéosurveillance, afin de contrôler les accès et les déplacements.

CEF de Brignoles (Var)
(grille d'entrée et bâtiment hébergeant les mineurs)

Le but de ces dispositifs est essentiellement de prévenir les fugues.

Lors de son audition par vos co-rapporteurs, Mme Odile Barral, représentante du Syndicat de la magistrature, a dénoncé l'ambiguïté sous-jacente à la mise en place de tels dispositifs, alors même que les CEF ne relèvent pas de la catégorie des établissements pénitentiaires et des prescriptions qui s'attachent à l'incarcération.

Vos co-rapporteurs ont toutefois pu constater, dans les quatre CEF qu'ils ont visités, que les systèmes de sécurité ainsi installés étaient loin de faire de ces centres des forteresses. En particulier, le grillage de clôture entourant les centres qu'ils ont visités leur a paru pouvoir être franchi sans difficultés insurmontables par un mineur déterminé à prendre la fuite. Les dispositifs ainsi installés paraissent ainsi fonctionner davantage comme un signal envoyé aux mineurs que comme de réels dispositifs d'enfermement.

CEF de Liévin (Pas-de-Calais)

c) La question des fugues

Dans son rapport de juin 2010 consacré aux CEF, Mme Dominique Versini, ancienne Défenseure des enfants, s'est inquiétée de ce que « le non-respect des obligations du placement qui peut entraîner l'incarcération du mineur vise, en premier lieu, [...] les comportements de fugue : or [...] celle-ci n'est nullement une infraction et ne peut être considérée comme telle » 15 ( * ) . Ce constat l'a conduite à préconiser la suppression de toute possibilité d'incarcération du mineur pour cause de fugue.

En l'état actuel des textes, toute fugue constitue en fait un manquement aux obligations du placement et doit faire systématiquement l'objet, de la part de la direction du centre, d'un rapport au magistrat qui apprécie les suites à donner et peut, le cas échéant, ordonner l'incarcération du mineur.

En pratique toutefois, la réaction des équipes éducatives et des magistrats face aux fugues est loin d'être uniforme.

Tout d'abord, la notion même de fugue recouvre plusieurs types de situations différentes :

- certaines fugues ont lieu « ab initio », sur le trajet menant le jeune vers le centre dans lequel le juge vient d'ordonner son placement. Dans ce cas, il peut arriver que les équipes éducatives ne voient jamais le mineur. Ainsi, sur les 28 mineurs placés au CEF de Liévin en 2010, cinq ont fugué à la sortie de l'audience ou le premier jour de leur accueil au centre. Sur les 40 mineurs placés au CEF de Savigny-sur-Orge cette même année, neuf ont fugué dès le tribunal ou dans les trois jours suivant leur arrivée ;

- certaines fugues sont en réalité des « sorties non autorisées » : le mineur s'absente pendant quelques heures, parfois un jour ou deux, avant de rentrer spontanément au centre. Ainsi, le jour où vos co-rapporteurs ont visité le CEF de Savigny-sur-Orge, le mardi 21 juin, plusieurs mineurs étaient « sortis » afin de participer à la fête de la musique - ce qui n'a toutefois pas manqué de susciter la perplexité de vos rapporteurs quant à l'efficacité des mesures de surveillance dont ils étaient censés faire l'objet...

- enfin, il arrive que le mineur s'enfuie réellement du centre, pour des motifs qui peuvent toutefois varier. Comme l'a indiqué l'équipe éducative du CEF de Brignoles, « un jeune qui fugue du centre pour rentrer dans sa famille parce qu'il ne bénéficie pas de permissions de sortie, ce n'est pas la même chose qu'un jeune qui fugue pour commettre des délits ».

Interrogées sur la façon dont les juges des enfants gèrent cette question des fugues, Mmes Evelyne Monpierre et Marie-José Marand-Michon, représentantes de l'Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille (AFMJF), ont souligné qu'à la différence des violences ou dégradations commises au sein du centre, la fugue ne pouvait en aucun cas être considérée comme une infraction. Elles ont rappelé que le CEF offrait un cadre de vie particulièrement contraignant, voire déstabilisant pour des mineurs souvent privés de tout repère et qu'à cet égard, il était important d'apprécier la fugue au regard de la personnalité du mineur, de sa situation personnelle et du travail éducatif dont il a fait l'objet. Elles ont pour leur part considéré qu'une incarcération ne devrait être envisagée que lorsque les fugues sont répétées ou qu'elles dénotent une réelle volonté de faire échec au placement.

D'après les informations communiquées par la DPJJ, obtenues à partir des réponses fournies par 59% des CEF, 18% des mineurs accueillis en 2010 ont été incarcérés par révocation du contrôle judiciaire ou du sursis avec mise à l'épreuve. Dans 45% des cas, la fugue a justifié la révocation. Au total, donc, environ 8% des mineurs placés en CEF en 2010 auraient été incarcérés à la suite d'une fugue .

En tout état de cause, il paraît néanmoins important de conserver la possibilité de l'incarcération - garante de l'autorité de la parole du juge - tout en laissant le juge des enfants apprécier la situation au regard des circonstances de l'espèce. Comme l'indiquait l'équipe éducative du CEF de Brignoles, « on ne peut pas banaliser la fugue au risque - et on a pu le vérifier - de laisser croire aux jeunes que dans un CEF, et contrairement à ce qui a été dit à l'audience, on peut quitter le centre sans avoir à rendre des comptes ».

Il apparaît toutefois que si la réponse des juges des enfants est propre à chacun d'entre eux, en règle générale, lorsque la fugue ne s'accompagne pas de la commission d'infractions, le magistrat laisse à l'établissement le soin de gérer la réponse.

Le règlement de fonctionnement du CEF de Liévin prévoit ainsi qu' « en cas de sortie non autorisée, une déclaration d'absence irrégulière est envoyée au service de police de Liévin ainsi qu'au procureur de la République près du tribunal de grande instance de Béthune. Cette déclaration sera aussi transmise au magistrat qui vous a placé. A votre retour de fugue, des sanctions seront prises comme par exemple coucher 21 heures et interdiction de sortie pendant une semaine ».


* 13 Rapport n°370 (2001-2002) de MM. Jean-Pierre Schosteck et Pierre Fauchon, fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 24 juillet 2002, consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l01-370/l01-3701.pdf .

* 14 Dans sa décision n°2002-461 DC du 29 août 2002, le Conseil constitutionnel a validé le dispositif des CEF après avoir relevé notamment « qu'il [ressortait] de l'ensemble des dispositions nouvelles et [des] travaux parlementaires [que] la dénomination de « centres fermés » traduit seulement le fait que la violation des obligations auxquelles est astreint le mineur, et notamment sa sortie non autorisée du centre, est susceptible de conduire à son incarcération par révocation du contrôle judiciaire ou du sursis avec mise à l'épreuve ».

* 15 Défenseure des enfants, « Enfants délinquants pris en charge dans les centres éducatifs fermés : 33 propositions pour améliorer le dispositif », juin 2010, pages 18 et suivantes.

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