3. Un dispositif destiné à des mineurs délinquants multirécidivistes et multiréitérants
a) Un public accueilli qui semble répondre dans l'ensemble aux prescriptions du cahier des charges

Aux termes de l'exposé des motifs de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, la création des CEF visait à répondre à trois phénomènes : « un rajeunissement des auteurs d'infractions, une particulière désocialisation de certains mineurs qui apparaissent très souvent sans repères éducatifs et une augmentation des mineurs multirécidivistes pour lesquels la réponse pénale apportée apparaît souvent trop tardive ».

Aussi le cahier des charges des CEF dispose-t-il que « les centres éducatifs fermés sont destinés à la prise en charge exclusive des mineurs de treize à dix-huit ans délinquants multirécidivistes ou « multiréitérants » ».

Dans son rapport précité, Mme Dominique Versini, ancienne Défenseure des enfants, a considéré qu'une partie du public accueilli en CEF ne correspondait pas aux prescriptions ainsi définies dans le cahier des charges : « le premier constat fait par les professionnels et les chercheurs consultés, et confirmé lors de la visite du CEF de Liévin [...] est celui du caractère primodélinquant d'une grande partie des jeunes accueillis, ou à tout le moins de leur parcours très réduit. [...] Sur le plan national, plus du quart des jeunes accueillis (26%) ne correspondraient pas au profil initialement prévu pour ces centres, voire 42% si on y ajoute les adolescents n'ayant jamais été condamnés plus de deux fois et majoritairement à des mesures éducatives » 16 ( * ) .

Au terme des auditions et visites auxquelles ils ont procédé, vos co-rapporteurs estiment que ce constat doit sans doute être nuancé.

D'après M. Francis Bailleau, directeur de recherche au CNRS effectuant actuellement une recherche sur l'enfermement des mineurs délinquants, ce constat serait vérifié dans la région du grand Sud-Ouest (notamment au CEF de Mont-de-Marsan, dans les Landes), où le nombre de places disponibles en CEF est particulièrement élevé pour une délinquance juvénile régionale globalement inférieure à la moyenne nationale. De ce fait, les juges des enfants seraient incités à y placer des mineurs ne présentant pas le profil requis par le cahier des charges.

Ce constat, qui doit probablement se vérifier dans quelques autres centres, ne paraît toutefois pas refléter la situation de l'ensemble des CEF.

Au niveau national, le ministère de la Justice fait valoir que 74% des mineurs placés en CEF ont été plusieurs fois condamnés au moment de leur entrée en CEF .

La part restante de 26% est celle de mineurs qui n'ont pas de condamnation inscrite au casier judiciaire au moment de leur entrée en CEF - ce qui ne signifie pas pour autant qu'ils sont nécessairement primodélinquants : en effet, une des caractéristiques majeures de la délinquance juvénile est, s'agissant de mineurs fortement ancrés dans la délinquance, la commission, aux alentours de 15-16 ans en général, de nombreuses infractions dans un temps très rapproché. Du fait des délais d'instruction, de jugement et d'inscription de la condamnation au casier judiciaire national parfois très longs, certains mineurs peuvent avoir déjà commis plusieurs infractions sans qu'aucune n'ait encore été inscrite au bulletin n°1.

Par ailleurs, dans cette part de 26% se trouvent probablement également une part non négligeable de mineurs ayant commis des faits de nature criminelle : dans ce cas, si le profil du jeune ne répond pas stricto sensu à celui d'un mineur multirécidiviste ou multiréitérant, le placement en CEF se justifie pleinement puisqu'il vise à éviter une incarcération qui pourrait s'imposer, eu égard à la gravité des faits commis.

Au total, les représentants de la Convention nationale des associations de protection de l'enfant (CNAPE), qui fédère la plupart des associations gestionnaires des CEF privés, ont pour leur part estimé que, dans l'ensemble, le public accueilli en CEF répondait bien aux critères définis par le législateur en 2002.

Vos co-rapporteurs ont également pu vérifier que tel était le cas des mineurs accueillis dans les CEF qu'ils ont visités. Ainsi, par exemple :

- la direction du CEF de Saint Venant a indiqué que la plupart des mineurs accueillis avaient été placés après avoir commis des violences ou des vols aggravés, ou encore des infractions à la législation sur les stupéfiants. Aucun n'était primodélinquant, sauf en matière criminelle ;

- 80% des mineurs accueillis au CEF de Brignoles en 2010 avaient déjà été condamnés plus de deux fois et 85% d'entre eux incarcérés au moins deux fois. 23 des 27 jeunes accueillis en 2010 avaient précédemment été placés dans une structure relevant de la PJJ. Cinq mineurs avaient déjà été placés en CEF avant leur arrivée au CEF de Brignoles ;

- sur les 40 mineurs placés au CEF de Savigny-sur-Orge en 2010, plus du tiers avait déjà connu une période de détention. 70% avaient déjà connu un ou plusieurs placements antérieurs.

Toutefois, les équipes éducatives rencontrées ont confirmé avoir été à plusieurs reprises sollicitées par des juges des enfants souhaitant placer en CEF un mineur ne répondant manifestement pas aux critères posés dans le cahier des charges. Du fait de la pénurie du nombre de places en CEF, elles ont indiqué qu'il n'était généralement pas donné suite à de telles demandes.

b) Des adolescents présentant de graves carences éducatives

Le public accueilli en CEF - comme en détention du reste - est le plus souvent un public d'adolescents cumulant de graves carences éducatives avec des difficultés familiales, sociales et psychologiques.

Ainsi que l'explique la direction du CEF de Liévin, « les jeunes accueillis au CEF présentent des caractéristiques communes, tant dans le champ culturel et social que dans le champ de la psychopathologie. Ils sont souvent à la frontière du judiciaire, du social et du psychiatrique. Parmi les carences ou les problèmes familiaux, on peut retrouver, entre autres, la misère sociale (chômage), la détresse psychologique, la difficulté à instaurer des limites et des repères de la violence, de la maltraitance. En quête d'estime de soi, pris dans des conflits et situations complexes, ils s'installent dans un cercle vicieux de l'échec permanent. En échec scolaire, avec le sentiment de ne pas avoir de place dans la société, le « statut » de délinquant leur permet d'être « reconnu », d'appartenir à un groupe ».

Ces jeunes présentent des caractéristiques communes : besoin de satisfaire immédiatement un désir, passages à l'acte violents, culpabilité limitée, oscillation entre sentiment de toute-puissance et d'infériorité, dépendance (à la cigarette, à l'alcool, aux stupéfiants), lacunes scolaires, immaturité, etc.

c) La question de l'accueil des jeunes filles en CEF

Une récente étude de l'Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) a attiré l'attention sur l'augmentation importante de la délinquance des jeunes filles au cours des années récentes, qui demeure malgré cela minoritaire au sein de la délinquance des mineurs (voir annexe 2).

Parce qu'elles représentent une faible part de l'ensemble des jeunes confiés à la PJJ, la prise en charge des mineures délinquantes, notamment en CEF, nécessite un certain nombre d'adaptations.

Le nombre de mineures placées en CEF est assez faible (6% de l'effectif des mineurs accueillis en moyenne).

De ce fait, un seul centre s'est spécialisé dans l'accueil des jeunes filles délinquantes - il s'agit du CEF de Doudeville (Seine-Maritime). Il accueille en conséquence des jeunes filles provenant de l'ensemble du territoire national, outre-mer inclus, ce qui ne facilite pas les relations avec les familles.

Par ailleurs, une dizaine de CEF sont en théorie mixtes, sous réserve de pouvoir héberger au moins deux ou trois jeunes filles en même temps 17 ( * ) .

L'accueil des mineures soulève parfois des inquiétudes quant aux problématiques liées à la sexualité et au respect de l'autre, au mode de prise en charge et à la configuration des locaux. Ainsi par exemple le CEF de Savigny-sur-Orge, théoriquement mixte, n'a-t-il accueilli que des garçons depuis son ouverture.

Toutefois, d'après les informations communiquées par la DPJJ, la majorité des CEF accueillant des filles ne connaissent pas de difficultés particulières pour gérer la mixité.


* 16 Rapport précité, pages 35-36.

* 17 Voir l'avis budgétaire précité de notre collègue Nicolas Alfonsi, page 44 et suivantes.

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