B. UNE PROPOSITION DE DIRECTIVE QUI ÉLARGIRAIT SUBSTANTIELLEMENT LA PLACE DE L'AVOCAT DANS LA PHASE PRÉPARATOIRE DU PROCÈS PÉNAL EN FRANCE

1. Une proposition qui va au-delà des choix retenus par le législateur dans la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue

Telle qu'elle se présente à l'heure actuelle, cette proposition de directive rendrait nécessaire, si elle est adoptée, non seulement une nouvelle modification de la loi française, mais également un abondement significatif des crédits consacrés à l'aide juridictionnelle.

En effet, par la loi du 14 avril 2011, le Parlement français a adapté le régime de la garde à vue aux exigences posées par la Cour européenne des droits de l'homme tout en préservant les conditions d'efficacité des enquêtes. A cet égard, l'assistance d'un avocat « taisant » au cours de l'interrogatoire, la possibilité, dans un certain nombre d'hypothèses, d'entendre une personne soupçonnée d'avoir commis une infraction en dehors du cadre de la garde à vue dès lors qu'elle a la possibilité de quitter à tout moment les locaux de police ou de gendarmerie ou encore la possibilité de reporter l'intervention de l'avocat pour permettre des investigations urgentes tendant au recueil ou à la conservation des preuves devraient être revues en cas d'adoption de la proposition de directive. Cette loi a par ailleurs ouvert à la personne soupçonnée le droit de faire prévenir un proche, mais non de communiquer avec une personne de son choix.

Il convient de rappeler que, dans sa décision n°2011-191/197/195/196/197 QPC du 18 novembre 2011, le Conseil constitutionnel, estimant que la garde à vue était une mesure de contrainte nécessaire à certaines opérations de police judiciaire, a jugé les dispositions de la loi du 14 avril 2011 conformes à la Constitution, considérant notamment que celles-ci assuraient, entre le respect des droits de la défense et l'objectif de valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d'infractions, une conciliation qui n'est pas déséquilibrée.

Par ailleurs, notre droit pénal ne prévoit pas la présence de l'avocat pour les autres mesures d'enquête ou de collecte de preuves, particulièrement dans le cadre de l'enquête de flagrance et de l'enquête préliminaire.

Enfin, en l'état du droit, le contrôle des lieux de détention relève de l'autorité judiciaire et du Contrôleur général des lieux de privation de liberté, et non des avocats des personnes écrouées.

2. Une proposition qui suscite certaines réserves

Dans une note, établie conjointement avec les autorités belges, irlandaises, néerlandaises et britanniques et datée du 22 septembre 2011, le Gouvernement français a fait part au Conseil de ses plus vives réserves quant à cette proposition de directive, soulignant en particulier un risque de « difficultés substantielles pour la mise en oeuvre effective des enquêtes et des procédures pénales ».

Dans cette note, le Gouvernement français fait valoir que la présence d'un avocat pour toute mesure d'enquête dès lors que la présence de la personne mise en cause est requise ou permise (par exemple pour la prise d'empreintes digitales) ou pour toutes les infractions, mêmes pour des faits mineurs, aurait des conséquences financières importantes. Il considère que ce déséquilibre risque également d'entraîner des retards importants au stade des enquêtes, sans pour autant apporter de réelle valeur ajoutée pour la personne mise en cause. Au-delà des droits de la personne mise en cause à avoir accès à un avocat, il considère que d'autres éléments doivent être pris en compte pour assurer un procès équitable, et notamment la durée de la privation de liberté, le délai de présentation à une autorité judiciaire, le rôle des autorités judiciaires dans le cadre des investigations ou encore la possibilité de bénéficier d'une aide judiciaire. En tout état de cause, il souligne que tout texte communautaire sur le droit à l'accès à un avocat devrait prendre en compte les conséquences financières qu'il est susceptible de générer comme ses implications sur les systèmes nationaux en matière d'aide judiciaire.

Ces réserves ont été réitérées devant la délégation de votre commission par M. Philippe Etienne, représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne. Ce dernier a notamment regretté le choix fait par la Commission européenne de dissocier la question de l'accès à l'avocat dans le cadre des procédures pénales de celle du financement et de l'harmonisation des conditions d'accès à l'aide juridictionnelle. En matière pénale comme en toute autre, la Commission européenne ne devrait pas se désintéresser de l'impact budgétaire de ses propositions législatives. Cette question est d'autant plus prégnante que les systèmes d'aide juridictionnelle des États membres se caractérisent par leur grande diversité.

Il a par ailleurs souligné l'ambiguïté de certaines dispositions de la proposition de directive, muette sur le seuil de gravité des infractions auxquelles elle s'appliquerait (serait-elle applicable dans tous ces éléments pour les infractions les plus mineures ?) ou sur les conséquences à tirer d'une absence de l'avocat notamment.

En toutes hypothèses, il a considéré essentiel de veiller à ce que la proposition de directive ne risque pas d'entraver l'efficacité des enquêtes, particulièrement en matière de terrorisme.

M. Jean-René Lecerf a par ailleurs rappelé que les droits des différents pays de l'Union européenne étaient assez disparates sur ce sujet. En France, le droit à l'avocat pendant la garde à vue résulte d'une réforme toute récente, que la directive remettrait déjà en cause.

M. Jean-Pierre Sueur a rappelé que la commission des lois du Sénat était très attachée à la protection des droits de la défense, une large présence de l'avocat constituant une garantie essentielle de respect de ces droits.

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