b) Les résultats perfectibles du contrôle des contribuables les plus fortunés

Spécialisée dans le contrôle fiscal externe des particuliers les plus fortunés , la direction nationale des vérifications de situations fiscales ( DNVSF ) présente des résultats jugés décevants par la Cour.

Son champ de compétence est délimité par trois principales séries de critères :

- elle traite tout d'abord les dossiers des particuliers disposant d'un revenu global au moins égal à 770 000 euros, d'actifs taxables à l'ISF supérieurs à 6,9 millions d'euros ou de recettes supérieures à 1,22 million d'euros liées à l'exercice d'une profession non commerciale ; elle contrôle également les contribuables à la notoriété avérée ; depuis 2011, la DNVSF a une compétente exclusive dans le contrôle des « dossiers à très fort enjeu », qui concernent des revenus supérieurs à 2 millions d'euros et un actif brut supérieur à 15 millions d'euros ; les contribuables concernés sortent de la compétence des directions territoriales pour relever de la compétence exclusive de la DNVSF ;

- le second critère d'intervention tient à la complexité de la situation fiscale de certains contribuables qui relèvent par exemple d'au moins deux conventions internationales, leurs revenus étant issus de différents pays ;

- enfin, relèvent du champ de compétences de la DNVSF les contribuables qui font l'objet d'une instance judiciaire.

Synthèse des observations présentées en 2012 par la Cour des comptes sur les performances de la direction nationale des vérifications de situations fiscales (DNVSF)

L'analyse des droits rappelés par la DNVSF révèle, sur dix ans, une baisse du rendement du contrôle, après une forte croissance au début des années 2000. Les droits nets et les pénalités s'élevaient en 2000 à 319 millions d'euros, environ 500 millions d'euros en 2002-2004 et environ 270 millions d'euros en 2008-2009. Il convient cependant de relativiser le « pic » du début des années 2000 en rappelant que les rectifications ont ensuite fait l'objet de dégrèvements parfois très significatifs.

Le taux de recouvrement n'est pas un indicateur de pilotage suivi en interne. Peu significatif, car il ne comprend pas l'impôt sur le revenu, il est par ailleurs faible : en 2009, le taux de recouvrement final des droits et pénalités émis en 2007, 2008 et 2009 s'élevait à 13,5 %. Au 31 décembre 2009, seuls 15,3 % des droits et pénalités émis en 2007 avaient été recouvrés contre 45 % pour l'ensemble de la DGFIP . La mise en place d'un pôle de recouvrement spécialisé en avril 2011 vise à améliorer cette situation. Pour l'instant, la part des contrôles répressifs est plus faible à la DNVSF que dans les directions de contrôle fiscal (DIRCOFI).

La diminution des montants recouvrés contraste avec la hausse des patrimoines et des revenus financiers les plus élevés bien qu'il n'existe pas de lien démontrable entre l'enrichissement et la hausse de la fraude. On peut signaler que plusieurs parlementaires de la commission d'enquête sénatoriale se sont interrogés sur l'impact des modifications intervenues dans la législation fiscale susceptibles de venir réduire la base taxable.

La DNVSF reconnaît la conjonction de facteurs, tels que le caractère plus mouvant et plus complexe de la fraude et une programmation des contrôles plus difficile que par le passé. Les très hauts revenus et les plus grandes fortunes font, en général, l'objet de contrôles fiscaux externes, et les contrôles aboutissent assez fréquemment à une absence de rectification. Un contrôle sur pièces est cependant effectué au moins une fois tous les trois ans par les services locaux, dans le cadre du contrôle des dossiers à fort enjeu portant sur les contribuables les plus aisés (près de 150 000 personnes). Cependant, la DGFIP admet elle-même que ce type de contrôle est peu adapté à ces contribuables au profil spécifique. En effet, les directions territoriales, qui ont l'obligation de « couvrir » ces dossiers à fort enjeu, sont souvent mal outillées pour appréhender des dossiers particulièrement complexes.

La vision globale de la situation fiscale de ces très hauts revenus pâtit, d'autre part, de la fréquente segmentation des tâches , la gestion des trois fiscalités - personnelle, professionnelle et immobilière - étant rarement articulée de façon optimale dans les directions locales. La DNVSF inscrit en moyenne, tous les ans, un peu plus d'une dizaine des 500 plus grosses fortunes professionnelles à sa programmation des examens de situations fiscales personnelles (34 sur la période 2007-2009), soit annuellement 2,3 % du total constitué par cette catégorie des contribuables. Il s'agit, certes, d'examens de la situation fiscale personnelle (ESFP), et non de simples contrôles sur pièces, mais ce chiffre est très faible : la probabilité pour un contribuable fortuné d'être contrôlé en ESFP est d'une fois tous les 40 ans . Ce taux est lui-même variable au sein de cet ensemble, plus faible dans les cinquante premières places du classement (un seul contribuable) et plus fort pour les contribuables qui se situent entre les 50 e et 200 e rangs (environ six ESFP par an pour une population de 150 personnes, soit 4,2 % du total vus chaque année). Seize des trente-quatre affaires contrôlées par la DNVSF (figurant dans le classement des 500 plus grandes fortunes) au cours de la période 2007- 2009 sont issues de l'auto-programmation, soit 47 % du total.

Les autres directions sont à l'origine d'un nombre marginal de contrôles. Sept proviennent des directions parisiennes (trois pour les Hauts-de-Seine sud et nord, trois pour Paris-Ouest, un pour Paris-Nord). Aucun dossier n'émane des Yvelines. L'origine des huit autres dossiers se répartit entre les services du Puy-de-Dôme, de l'Allier, de la Haute-Garonne, des Alpes-Maritimes, de l'Orne, de Nord-Lille, et de la DIRCOFI Rhône-Alpes. Parmi vingt deux dossiers de contribuables fortunés au sein de ce sous-ensemble, la Cour a constaté que sept ont abouti à une absence de rectification. Le taux de conformité est donc de 32 %, supérieur de 12 points à celui observé pour l'ensemble des ESFP traités par la DNVSF. Sur les quinze dossiers ayant donné lieu à des rectifications, huit ont été réglés avec une transaction. Cette proportion est très supérieure au niveau observé en général. Elle peut trouver son explication dans la difficulté d'appréhender de façon juridiquement certaine la frontière entre la fraude et l'optimisation fiscales.

La compétence de la DNVSF n'est que subsidiaire. Aussi la direction effectue-t-elle en fait des « sondes » à travers un tissu fiscal qu'elle connaît assez mal, faute d'assurer sur lui un contrôle répété et fréquent à l'instar de ce que pratiquent ordinairement les directions territoriales. Malgré le développement de l'auto-programmation, la DNVSF peine à disposer d'un historique complet des dossiers. En outre, les informations qui lui parviennent sont souvent très partielles, lui interdisant de disposer d'une vue d'ensemble des sources de revenus souvent extrêmement éclatées à travers des structures professionnelles ou personnelles très diverses et des territoires différents. Face à cette évolution défavorable, la DGFIP et la DNVSF ont mis en place au début de l'année 2010 une expérimentation visant à doter le service d'une compétence exclusive en matière de contrôle fiscal, de bureau ou externe, pour une fraction des dossiers à fort enjeu. Cette expérimentation est de nature à permettre un renforcement de l'efficacité de la programmation et, conséquemment, du contrôle effectué par la DNVSF. Pensée comme pouvant permettre une meilleure connaissance de ce tissu fiscal et une plus grande diversification des outils d'intervention du service (ESFP, vérification générale, contrôle sur pièces), elle apparaît comme une source possible de progrès. Le bilan réalisé à fin 2011 devrait conduire à doter la DNVSF d'un véritable portefeuille propre, qu'elle passera régulièrement en revue, au lieu d'être saisie ponctuellement de propositions de contrôle par d'autres directions sans disposer toujours de toutes les informations requises, ni de l'historique des dossiers.

Interrogé sur les raisons de la baisse du rendement des contrôles de la DNVSF, son directeur, M. Thierry Nesa, a apporté trois précisions.

La première raison, essentielle, se rattache aux difficultés de programmation des contrôles : la procédure de l'examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, qui était initialement l'apanage de la DNVSF, a été progressivement étendue à l'ensemble des directions territoriales, qui ont vraisemblablement conservé certaines affaires au lieu de les transmettre à la direction nationale.

Deuxièmement, M. Thierry Nesa a signalé que les méthodes des vérificateurs en matière de fausse domiciliation des personnes commencent à être connues. Pour ce qui est des faux expatriés, la direction parvient à en identifier une vingtaine par an, contre une quarantaine de tentatives. Les contribuables s'adaptent et ne laissent aucune trace : « ils n'ont pas de bail à leur nom et logent, par exemple, trois ou quatre fois par semaine dans leur ancien domicile donné à leurs enfants ». Les traditionnelles fraudes aisément détectables et qui permettaient de rappeler des montants de droits élevés ont ainsi laissé place à des techniques plus sophistiquées : l'optimisation progresse, facilitée par la libre circulation des capitaux, l'ouverture des frontières et les possibilités de « treaty shopping » qui en résultent. L'optimisation a donc succédé aux « fraudes basiques et frontales qui produisaient rapidement des chiffres de recouvrement énormes. »

Enfin, une proportion importante des redressements concernait les activités faussement exercées à l'étranger, et en réalité déployées sur notre territoire par le biais d'établissements stables. Or ces dossiers, qui ne relevaient pas de la vocation de la DNVSF, notamment lorsqu'il s'agissait d'activités industrielles, ont été réorientés vers les directions régionales spécialisées en matière d'impôts commerciaux.

« Passer à la vitesse supérieure » sur les dossiers à fort enjeu : face à ce constat, une réflexion a été engagée sur le devenir de la DNVSF et sur la façon dont elle pouvait couvrir le portefeuille des dossiers à très fort enjeu avant de faire l'objet de suggestions de la part de l'Inspection générale des finances. Constatant que le contrôle triennal n'est plus aussi efficace que par le passé, la DGFIP a estimé opportun de franchir un palier supplémentaire pour mieux traiter les dossiers extrêmement complexes et à fort enjeu en spécialisant des équipes pour déployer tout le savoir-faire de l'administration sur cette cible. Plus précisément il s'agit de ne plus se limiter à la méthode de l'examen approfondi de situation fiscale personnelle pour s'efforcer de comprendre la stratégie patrimoniale globale sous-jacente du contribuable en élargissant les investigations à toutes les entités qu'il détient (sociétés holding, sociétés civiles de portefeuille ou sociétés civiles immobilières). De telles stratégies, dont les composantes prises isolément apparaissent inattaquables, pourront être remises en cause si l'administration démontre que le montage dans son ensemble est constitutif d'abus de droit, voire de la fraude. Un « contrôle du bureau », qui consiste en une analyse critique et globale des déclarations fiscales, sera effectué pour ces dossiers. Il se conjuguera avec un contrôle sur pièces des structures. L' ensemble des impôts - impôt sur le revenu et impôts patrimoniaux, droits de succession, ISF, droits de donation -, sera examiné .

Comme l'a fait observer le directeur de la DNVSF, à partir d'un certain niveau de richesse, la stratégie patrimoniale vise principalement à minimiser les droits d'une succession future , car ces impôts sont relativement élevés. Les titulaires de patrimoines très importants ont donc tendance à se pencher, de leur vivant, sur les droits de succession plutôt que sur les moyens d'optimiser les prélèvements à l'ISF dont le taux avoisine 1 à 1,5 %. Après un décès, c'est entre 40 et 60 % d'un patrimoine constitué sur plusieurs générations qui peut, en une seule fois, être prélevé par l'État.

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