B. VALORISER LA CITOYENNETÉ FISCALE

1. Promouvoir un comportement fiscal socialement responsable de la part des entreprises

Proposition n° 6 : Inclure le civisme fiscal des entreprises dans le champ de leur responsabilité sociale

La responsabilité sociétale des entreprises désigne leur contribution aux enjeux du développement durable. La démarche consiste pour les entreprises à prendre en considération les impacts sociaux et environnementaux de leur activité pour adopter les meilleures pratiques possibles et contribuer ainsi à l'amélioration globale de la société et à la protection de l'environnement. La RSE vise donc à associer logique économique, responsabilité sociale et écoresponsabilité.

Promue depuis une dizaine d'années aux niveaux international et européen, cette démarche est concrètement encouragée au plan national : dès 2001, la loi relative aux nouvelles régulations économique dite « NRE » 510 ( * ) a institué l'obligation, pour les sociétés cotées, d'inclure des informations sociales, environnementales et sociétales dans le rapport annuel du conseil d'administration ou du directoire. La loi dite « Grenelle 2 » a étendu cette obligation à certaines sociétés non cotées. Le décret pris en application de cet article, paru le 24 avril 2012, précise la nature des informations à publier et prévoit par ailleurs que la vérification de ces informations devra être effectuée par un organisme tiers indépendant accrédité.

Dans l'idée que le comportement fiscal d'une entreprise participe également au bon fonctionnement de la société, chacun assumant sa juste part, votre rapporteur propose d'envisager l'instauration d'une forme de publicité pour les agissements fiscaux des entreprises. Ceci pourrait s'imaginer par l'inclusion de la dimension fiscale dans les exigences de responsabilité sociale des entreprises. Ces informations, destinées aux parties prenantes de l'entreprises (actionnaires, salariés, ONG, riverains, etc.), nourriraient l'émergence d'une véritable gouvernance fiscale des entreprises que propose par ailleurs votre rapporteur.

2. S'appuyer sur la démocratie sociale, voie inexplorée de la lutte contre l'évasion fiscale

Proposition n° 7 : Renforcer les prérogatives des institutions représentatives du personnel en matière de prévention de la fraude et de l'évasion fiscales

Les schémas d'optimisation fiscale sont susceptibles d'avoir un impact sur la situation des salariés des groupes ou entreprises concernés (l'intéressement et la participation des salariés sont réduites en même temps que les bénéfices réalisés en France, alors même que les montages d'optimisation peuvent constituer des préalables à des délocalisations d'implantations françaises, etc.). De ce fait, il paraît légitime que les institutions représentatives du personnel puissent avoir un droit de regard sur la politique fiscale des entreprises.

Aussi, des prérogatives au profit des comités d'entreprise (CE) devraient être prévues en la matière. Les comités d'entreprise devraient être informés et consultés annuellement sur la politique fiscale de l'entreprise . Par ailleurs, ces derniers devraient bénéficier de l'assistance d'un expert-comptable ou d'un fiscaliste, payé par l'employeur, en cas de changement du statut juridique de la société (qui peut annoncer une restructuration à finalité fiscale), de délocalisation d'une part substantielle du bénéfice imposable, etc.

Dès lors qu'il ne s'agit en aucun cas d'une problématique exclusivement nationale, il serait souhaitable qu' un projet soit porté au niveau de l'Union européenne tendant à ce que des prérogatives comparables soient accordées aux comités d'entreprise européens (CEE).

De cette manière, les représentants du personnel pourraient constituer des « garde-fous » contre la fraude et l'évasion fiscales , leur proximité avec la gestion quotidienne de l'entreprise, leur permettant de mettre en évidence, les cas échéant, les comportements frauduleux ou abusifs.

Proposition n° 8 : Responsabiliser les organes dirigeants et délibérants des entreprises

La minimisation du taux effectif d'imposition ressort comme un critère de bonne gestion des entreprises. Il peut favoriser des excès d'autant que les conditions de la responsabilité des organes dirigeants n'apparaissent pas entièrement stabilisées.

Les réponses au questionnaire de votre rapporteur indiquent en outre que la gestion fiscale n'est pas « cristallisée » dans des documents dédiés.

L'information donnée aux actionnaires sur ce point ressort comme souvent embryonnaire, ou, à tout le moins, furtive.

Il serait souhaitable de vérifier que la responsabilité des déviances puisse incomber pleinement aux organes dirigeants et que les actionnaires soient saisis d'informations sur la charge fiscale des entreprises et sa répartition mondiale le cas échéant au moyen d'une communication particulière portant sur ces points.

La gouvernance fiscale des entreprises s'en trouverait sans doute améliorée.

Une déclaration formelle de conformité dans le domaine fiscal est d'ailleurs à l'étude au sein de l'OCDE. Elle conférerait une certaine précision au régime général de responsabilité des dirigeants.

Proposition n° 9 : Développer l'enseignement de la fiscalité

Les impôts et leurs contreparties devraient être compréhensibles dans les grandes lignes aux élèves sortant du secondaire.

Quant aux enseignements du supérieur ils pourraient comprendre quelques approfondissements tandis que les enseignements spécialement consacrés à la fiscalité, plutôt que de porter exclusivement sur des techniques, devraient être complétés par une approche économique de l'impôt respectueuse de la diversité des savoirs disponibles dont l'étendue axiologique n'est pas à démontrer.

3. Promouvoir un État exemplaire

Intensifier la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale a pour corollaire nécessaire un État exemplaire ; il en va de la crédibilité et de l'acceptabilité de l'action publique en ce domaine . Outre la nécessité d'éliminer les conflits d'intérêts identifiés dans les différents process de la gestion fiscale, qui implique un audit général des règles de composition de tous les organismes concourant à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscale et peut conduire à réexaminer les règles de mobilité applicables aux agents et dirigeants de ces organismes, un certain nombre de propositions découlent de cette exigence.

Proposition n° 10 : Demander à l'Agence des participations de l'État (APE) la réalisation d'un audit portant sur la situation fiscale des entreprises où l'État est actionnaire dont les conclusions sont transmises au Parlement

Un État exemplaire doit nécessairement se préoccuper de la situation fiscale des entreprises dans lesquelles il détient des participations . De ce fait, la réalisation d'un audit par l'Agence des participations de l'État (APE) doit permettre de recenser la présence de ces entreprises dans les États et territoires non coopératifs (ETNC), mais également de mettre en évidence les éventuels schémas d'optimisation développés par ces dernières (y compris les opérations de transfert du siège social hors de France, etc.).

Proposition n° 11 : Soumettre la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) à l'obligation de déclarer au service TRACFIN les sommes dont elle soupçonne qu'elles proviennent d'une fraude fiscale

Afin de s'assurer de la conformité aux obligations fiscales du financement de la vie politique française , il semble opportun de soumettre la Commission nationale des comptes de campagne et des finances politiques (CNCCFP) à l'obligation de déclarer au service de lutte anti-blanchiment, TRACFIN, les sommes qu'elle a eu à connaître dans le cadre de ses missions de contrôle des comptes de campagne ainsi que des partis politiques et dont elle soupçonne qu'elles proviennent d'une fraude fiscale .

Proposition n° 12 : Conforter la « circulaire Baroin »

La « circulaire Baroin », née des observations du rapport de M. Jean Bassères, chef de l'inspection Générale des Finances, successif à l'un des volets de « l'affaire Bettencourt », écarte toute saisine du ministre pour instructions particulières. Elle part d'excellents principes mais, si sa violation éventuelle est soumise à la responsabilité politique, difficile à mettre en oeuvre, son efficacité pourrait être renforcée par les formes complémentaires usuelles de responsabilité ainsi que par une meilleure transparence de la programmation du contrôle fiscal.

Proposition n° 13 : Clarifier la politique pénale en matière fiscale

La définition annuelle de la politique pénale en matière fiscale devrait être systématiquement concertée et publiée.

Les décisions découlant du principe d'opportunité des poursuites qui s'appliquent doublement en matière fiscale, au niveau du ministre du budget et du Parquet, y revêtent en outre des enjeux particuliers puisque les voies parallèles de saisine de la justice ne sont pas ouvertes en matière fiscale.

Enfin, le choix des voies d'instruction (information judiciaire ou enquête préliminaire) peut faire naître des soupçons, même infondés, ce qui impose que les décisions des formations d'instruction tendant à ne pas poursuivre soient particulièrement motivées. Le Conseil supérieur de la magistrature devrait proposer les moyens adaptés à la levée de tout doute pouvant résulter des singularités des procédures suivies en ces matières.


* 510 Loi n° 2001-420 du 15 mai 2001.

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