N° 95

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 31 octobre 2012

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission d'information (1) de la commission des lois (2) sur les rassemblements festifs et l'ordre public ,

Par M. André REICHARDT et Mme Corinne BOUCHOUX,

Sénateurs.

() Cette mission d'information est composée de : M. André Reichardt et Mme Corinne Bouchoux

(2) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Sueur , président ; MM. Jean-Pierre Michel, Patrice Gélard, Mme Catherine Tasca, M. Bernard Saugey, Mme Esther Benbassa, MM. François Pillet, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Nicolas Alfonsi, Mlle Sophie Joissains , vice-présidents ; Mme Nicole Bonnefoy, MM. Christian Cointat, Christophe-André Frassa, Mme Virginie Klès , secrétaires ; MM. Alain Anziani, Philippe Bas, Christophe Béchu, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Cécile Cukierman, MM. Michel Delebarre, Félix Desplan, Christian Favier, Louis-Constant Fleming, René Garrec, Gaëtan Gorce, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Jacques Hyest, Philippe Kaltenbach, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, Antoine Lefèvre, Mme Hélène Lipietz, MM. Roger Madec, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Hugues Portelli, André Reichardt, Alain Richard, Simon Sutour, Mme Catherine Troendle, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La consommation excessive d'alcool lors de certains rassemblements étudiants, qu'il s'agisse de soirées, de week-ends d'intégration, ou de fêtes organisées par des associations lors de divers événements de la vie étudiante, constitue à la fois un problème de société et un problème d'ordre public qui suscite une inquiétude croissante.

Cette consommation excessive prend parfois, en effet, la forme de ce que l'on a pu qualifier en anglais de « binge drinking », c'est-à-dire le fait de chercher à obtenir l'ivresse dans le plus court délai possible. Elle peut alors avoir pour conséquence extrême des accidents graves, des comas éthyliques, des violences, voire des décès.

M. Jean-Pierre Vial a déposé le 8 avril 2011 une proposition de loi relative à l'encadrement des « soirées étudiantes ».

Le texte avait ainsi pour objet de prévoir une déclaration des « rassemblements festifs étudiants en lien avec le déroulement des études » au chef d'établissement puis au préfet, celui-ci devant engager un processus de concertation à l'issue duquel il pouvait, en l'absence de mesures prises par les organisateurs pour assurer un bon déroulement de l'événement, interdire celui-ci. Ce dispositif, inspiré de celui en vigueur pour les « rave parties », visait à lutter contre le phénomène de l' « alcoolisation massive » des étudiants et ses conséquences parfois graves.

Le rapport établi par M. André Reichardt sur cette proposition de loi a été examiné par votre commission le 8 novembre 2011.

Votre commission, consciente des conséquences parfois graves de la consommation excessive d'alcool lors d'événements festifs organisés par des étudiants, a toutefois pris en compte les difficultés juridiques et pratiques que posait le texte proposé.

A l'issue d'un large débat, votre commission a donc estimé qu'il convenait de prendre le temps d'une réflexion plus globale et a donc décidé, à l'unanimité, de ne pas établir de texte et de soumettre au Sénat une motion tendant au renvoi en commission de la proposition de loi. Le 15 novembre 2011, le Sénat adoptait donc, à l'initiative de votre commission, une motion de renvoi en commission.

Pour respecter l'engagement pris en commission, un groupe de travail a été créé afin d'approfondir cette question, en suivant plusieurs lignes directrices :

- il est nécessaire de ne pas limiter la réflexion aux étudiants, non seulement pour éviter un risque de stigmatisation mais aussi parce que ceux-ci ne représentent qu'un peu plus de 50% d'une classe d'âge. Or, il est patent que le problème de la consommation extrême d'alcool ne concerne pas que les étudiants mais l'ensemble d'une génération (cf. ci-dessous) ;

- le champ de compétences de votre commission l'amène à étudier la question de la consommation ponctuelle d'alcool en priorité du point de vue de ses conséquences en termes d'ordre public et, pour les éventuelles mesures qui viendraient encadrer cette pratique, sous l'angle des libertés publiques. Bien entendu, il est impossible en l'espèce de négliger le fait que l'essence de ce phénomène est plutôt d'ordre social et sanitaire, mais ces aspects ne feront pas l'objet de préconisations précises du groupe de travail, qui devra en revanche en tenir compte comme éléments de contexte ;

- il est nécessaire de s'appuyer sur l'observation très concrète des pratiques existant déjà en matière de prévention ou de lutte contre l'alcoolisme massif. Ces pratiques sont d'abord celles de la société civile, associations, mutuelles, syndicats étudiants, qui sont loin d'ignorer le problème et qui ont déjà développé de nombreuses actions destinées à sensibiliser et à faire évoluer les comportements. Elles sont également celles des collectivités territoriales, dont certaines ont pris toute la mesure du phénomène et tentent de « reprendre la main » sur certains événements festifs.

Depuis l'examen de la proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Vial en commission des lois, plusieurs événements ont contribué au maintien dans l'actualité de la question du « binge drinking ». Jeannette Bougrab, secrétaire d'Etat auprès de la jeunesse et de la vie associative, avait décidé de lancer, en mars 2012, un plan d'action comportant des mesures de prévention et de répression dont l'interdiction de l'alcool dans les établissements d'enseignement supérieur.

La série de décès tragiques, notamment à Bordeaux en 2012, n'ont fait que confirmer l'actualité de la question de l'alcoolisation massive dans l'espace public et conforter la pertinence de l'élargissement de la réflexion à l'ensemble des jeunes.

Ainsi, vos rapporteurs ont souhaité prendre la mesure des initiatives déjà en cours, examiner la législation actuelle et évaluer les possibilités d'évolution de cette législation.

I. L'HYPERALCOOLISATION DES JEUNES : UN PHÉNOMÈNE DE SOCIÉTÉ EN PROGRESSION

A. UNE FORTE CONSOMMATION D'ALCOOL DES JEUNES RÉPANDUE AU NIVEAU EUROPÉEN

La consommation massive et rapide d'alcool, qui est parfois qualifiée de « binge drinking », serait un comportement en forte progression, dont l'émergence suscite l'inquiétude des pouvoirs publics.

Les comportements de « binge drinking » ou « intoxication alcoolique aiguë » ont d'abord été constatés en Europe du Nord (Royaume-Uni, Irlande, Danemark), puis progressivement dans le reste du continent. S'il n'existe pas de définition officielle et précise de ce phénomène, il est généralement décrit comme une consommation de grandes quantités d'alcool pendant une brève période de temps, de manière ponctuelle ou répétée, afin d'obtenir rapidement un état d'ivresse. L'organisation mondiale de la santé (OMS) recommande une consommation ponctuelle maximale de quatre « verres standards » comme étant une « consommation de moindre risque » : le « binge drinking » commencerait donc lorsque cette limite est franchie.

Les données les plus récentes nous sont fournies par la dernière enquête ESPAD ( European school survey project on alcohol and other drugs ) menée entre avril et juin 2011 dans 36 pays 1 ( * ) .

Cette enquête permet de comparer les différents niveaux d'usages de substances psychoactives des adolescents scolarisés dans la plupart des pays européens. La France y participait pour la quatrième fois.

L'enquête a été réalisée selon une méthodologie standardisée identique dans tous les pays participants et reposant sur un questionnaire auto-administré commun. En France, l'enquête est conduite par l'observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) en partenariat avec le ministère de l'Éducation nationale et avec la collaboration de l'institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) et de l'institut national de prévention et de l'éducation à la santé (INPES).

L'enquête française concernait les adolescents scolarisés dans les établissements publics et privés du second degré (collèges, lycées d'enseignement général et technique, lycées professionnels). Au total, 195 établissements ont participé à l'enquête : 2 572 élèves nés en 1995 et donc âgés de 15-16 ans ont été interrogés.

Bien que cette enquête ne concerne pas les étudiants, elle donne de bonnes indications car plusieurs personnes entendues par vos rapporteurs ont souligné que les habitudes de consommation d'alcool de ces étudiants étaient en général prises au lycée.

Quels sont les enseignements de cette enquête ?

- La consommation globale d'alcool est en hausse depuis 2003, 67 % des jeunes de 15-16 ans ayant déclaré une consommation dans le mois précédant l'enquête, contre 58 % en 2003.

- La France se classe ainsi au neuvième rang des pays européens, les plus gros consommateurs étant les Allemands, les Grecs, les Danois et les Tchèques.

- Le pourcentage d'alcoolisations ponctuelles importantes en France a fortement augmenté entre 2003 et 2007, passant de 28 % des jeunes déclarant avoir connu un tel épisode au cours du mois passé à 44 %. En revanche, il s'est stabilité entre 2007 et 2011, n'augmentant que de 1%, restant néanmoins plus élevé que le niveau moyen européen.

L'enquête ESPAD permet ainsi de brosser le portrait d'une jeunesse française assez fortement consommatrice d'alcool mais qui, surtout, a bel et bien importé une pratique du « binge drinking » auparavant plus prégnante dans d'autres pays européens.

Quelques faits tragiques en France

Depuis quelques années se sont succédé des faits divers qui ont suscité la consternation générale : des jeunes ayant consommé de fortes quantités d'alcool sont morts dans un état d'ivresse avancé dans diverses circonstances. Pour en citer quelques-uns :

- 5 personnes sont mortes à Bordeaux entre juillet 2011 et mai 2012, toutes s'étant noyées dans la Garonne ;

- 2 étudiants se sont également noyés dans la Loire à Nantes en décembre 2011 ;

- au Mans, le 23 février 2009, un jeune étudiant suédois s'est noyé dans la Sarthe après une soirée arrosée ;

- le 26 septembre 2010, après une soirée d'intégration étudiante de l'école de commerce de Nancy, une jeune femme a déposé plainte pour viol sans que l'enquête n'ait pu cependant aboutir.

- le 5 juin 2010, à Montpellier, un étudiant est tombé du toit d'une résidence universitaire, où se déroulait une fête, au prix de nombreuses blessures.

Si ces faits sont dramatiques, ils ont eu lieu dans des contextes différents et pas nécessairement dans le cadre de fêtes ou soirées étudiantes. Le seul point commun est la consommation excessive d'alcool. Ainsi, certains des étudiants qui se sont noyés à Bordeaux sortaient d'une « tournée des bars » mais n'avaient pas participé à une soirée collective. Comme on le verra, cette diversité des contextes rend difficile d'envisager des mesures d'interdiction ou de déclaration ciblées sur un type d'événements en particulier.


* 1 Premiers résultats du volet français de l'enquête European school survey project on alcohol and other drugs (espad), Stanislas Spilka, Olivier Le Nézet, Observatoire français des drogues et des toxicomanies, mai 2012 : http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eisxsss5.pdf .

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