E. LES DÉFIS DE LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE ET DE SÉCURITÉ COMMUNE

L'Union européenne est confrontée à des défis considérables dans ses relations extérieures. Le traité de Lisbonne a prévu de nouveaux outils pour la politique étrangère et de sécurité commune : création du poste de Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité ; mise en place d'un service européen d'action extérieure ; simplification des instruments d'action. Pour autant, on sait que les progrès dans ce domaine ne pourront se manifester que dans la durée.

1. La situation en Méditerranée

La situation en Méditerranée est au coeur des préoccupations de l'heure. C'est à la fois un drame humanitaire et un défi pour la maîtrise de nos frontières communes. 720 millions de personnes franchissent chaque année les frontières extérieures de l'espace Schengen, dont 334 millions de ressortissants de pays tiers. La pression migratoire s'est fortement accentuée au cours des dernières années. En 2012 et 2013, c'est aux frontières entre la Grèce et la Turquie et entre la Bulgarie et la Turquie qu'avaient été détectés 50 % des franchissements irréguliers de l'espace Schengen. En 2014, la pression migratoire s'est encore accrue avec un pic en Méditerranée centrale (153 000 migrants irréguliers détectés entre janvier et octobre 2014, contre 41 000 pour la même période en 2013).

L'Italie subit une pression particulière du fait de sa situation géographique et du contexte géopolitique sur la rive sud de la Méditerranée, qui a provoqué un afflux de réfugiés en provenance de la Corne de l'Afrique, de Syrie, d'Irak et des pays subsahariens. Des milliers de personnes ont péri en mer lors de tentatives de traversée organisées sur des embarcations de fortune par des passeurs peu scrupuleux. L'enjeu de la maîtrise migratoire se double donc d'un drame humanitaire. Cette situation ne peut qu'empirer dans les prochains mois, du fait de l'aggravation des situations de crise notamment en Libye. Dans ce contexte, l'Italie demande une plus grande solidarité européenne notamment par un élargissement du mandat de Frontex et par un renfort de moyens de la part les autres États membres.

À la suite d'un dramatique naufrage, en octobre 2013, à Lampedusa qui a coûté la vie à 366 migrants, l'Italie avait décidé une vaste opération militaire et humanitaire. Au total 32 navires ont participé, à tour de rôle, à « Mare nostrum » avec le soutien de deux sous-marins ainsi que des avions et des hélicoptères. En moyenne, 900 soldats italiens ont été quotidiennement mobilisés. D'après la marine italienne, cette opération a permis d'interpeller 351 passeurs et d'identifier 400 autres personnes (soit en tout plus de 750 trafiquants), de secourir plus de 150 000 personnes soit une moyenne de près de 400 par jour. Un quart des migrants concernés venait de Syrie et un autre quart d'Érythrée. Les autres réfugiés étaient Maliens, Nigérians, Gambiens, Palestiniens, Somaliens. L'opération « Mare nostrum » n'a pas totalement empêché que se produisent de nouveaux drames : quelque 3 300 migrants auraient ainsi trouvé la mort en Méditerranée sur la période octobre 2013-octobre 2014. L'opération a été relativement coûteuse pour l'Italie : plus de 9 millions d'euros par mois pris en charge par le budget de la défense, soit quelque 114 millions d'euros au total selon les autorités italiennes. Le gouvernement italien, conformément à ce qu'il avait annoncé, a mis fin à l'opération « Mare nostrum » le 1 er novembre 2014.

Lancée en novembre 2014, la nouvelle opération TRITON, conduite par FRONTEX mais placée sous commandement italien, couvre les zones d'opérations des deux précédentes opérations de recherche et de sauvetage déjà conduites par l'Agence européenne c'est-à-dire l'opération « Hermès », au sud de la Sicile et près des îles de Lampedusa et Pantelleria, et l'opération « Aeneas », sur les côtes de la Calabre et de l'Apulie. Ces deux opérations, auxquelles 22 États membres ont participé, étaient arrivées à terme à la fin du mois de septembre même si l'opération Hermès, quant à elle, a été prolongée jusqu'à la fin du mois de novembre en raison de la pression migratoire accrue.

L'opération TRITON doit déployer 7 navires, 4 avions et 1 hélicoptère. Elle est plus proche des frontières européennes et devrait coûter environ 2,9 millions d'euros par mois. Huit pays de l'Union européenne (France, Espagne, Finlande, Portugal, Irlande, Pays-Bas, Lituanie et Malte) ont proposé jusqu'à présent de mettre des moyens à la disposition de l'opération. D'autres pays de l'espace Schengen devraient envoyer 65 enquêteurs pour aider l'Italie à identifier et enregistrer les migrants à leur arrivée, en particulier par la prise des empreintes. Alors que Mare nostrum » était une opération de recherche et de sauvetage, TRITON a vocation à se focaliser sur le contrôle des frontières mêmes si cela n'exclut nullement des opérations de sauvetage. Selon le directeur de l'agence Frontex, le nombre de départs, notamment en provenance d'une Libye qui ne contrôle plus du tout ses frontières, a drastiquement augmenté depuis le lancement de l'opération « Mare nostrum » qui a été, selon lui, un « facteur d'incitation pour les passeurs ». Ces derniers, a-t-il estimé, ont abusé de la proximité de la Libye avec le champ d'opérations de « Mare nostrum », par exemple en mettant moins d'essence et moins d'eau à disposition des migrants dans l'espoir qu'ils seront secourus de toute façon, ce qui a, au demeurant, augmenté les risques. La Commission européenne a annoncé, le 19 février 2015, que l'opération Triton, financée par l'Union européenne et gérée par Frontex, durera au moins jusqu'à la fin 2015

La Commission Européenne a présenté, le 13 mai, un agenda européen en matière de migration. Il indique des mesures immédiates prises pour faire face à la situation en mer Méditerranée. Il prévoit également une série d'actions pour mieux gérer les migrations dans tous leurs aspects pour les prochaines années.

Parmi les principales mesures annoncées par la Commission européenne, on relève notamment :

• Un triplement des capacités et des ressources disponibles en 2015 et 2016 pour les opérations conjointes Triton et Poséidon de Frontex. Le total est de 89 millions d'euros.

• D'ici la fin du mois de mai, la Commission envisage un nouveau plan opérationnel de Triton, un mécanisme temporaire de répartition dans l'Union européenne des personnes ayant un besoin de protection internationale ainsi qu'un programme de réinstallation à l'échelle de l'Union.

• D'ici la fin de l'année 2015, la Commission présentera une proposition relative à un régime européen permanent de relocalisation dans les situations urgentes d'afflux massifs sera présentée.

Si les solutions ne relèvent pas seulement de la politique étrangère, celle-ci peut néanmoins apporter une contribution importante, voire décisive.

Des opérations relevant de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) devraient permettre de systématiquement repérer, capturer et détruire les embarcations utilisées par les passeurs. Ces opérations seront mises en oeuvre dans le respect du droit international public, ce qui passe par un mandat du Conseil de sécurité des Nations Unies. Europol créera un point d'accès unique pour la coopération interagences sur le trafic de migrants. Frontex et Europol établiront le profil des embarcations susceptibles d'être utilisées par les passeurs. Europol prendra également des initiatives pour demander le retrait des contenus utilisés par les passeurs sur Internet pour attirer migrants et réfugiés.

La coopération avec les pays tiers principalement concernés constitue un enjeu crucial. L'Union européenne organisera un sommet politique de haut niveau. Ce sommet aura lieu à Malte et réunira ses principaux partenaires, sur les moyens de traiter les causes profondes des migrations, de protéger les personnes dans le besoin et de démanteler les réseaux de passeurs. L'Union doit aussi renforcer sa coopération avec les pays de transit, le Niger et le Mali où les opérations en cours relevant de la PSDC seront renforcées en vue d'un meilleur contrôle des frontières. Les programmes régionaux de protection (PRDP) seront approfondis et d'autres seront créés, qui concerneront d'abord l'Afrique du Nord et la Corne de l'Afrique.

En outre, l'Union doit consolider les cadres de coopération bilatérale et régionale existants en matière de migration (processus de Rabat, processus de Khartoum, processus de Budapest, dialogue UE-Afrique sur les migrations et la mobilité).

Interrogé par la délégation, M. Elmar Brok, président de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, a estimé qu'une meilleure répartition des migrants entre les États membres permettrait une plus grande acceptation du phénomène migratoire. Mais il faut d'abord s'attaquer aux racines du problème dans les pays d'émigration et de transit.

Cet enjeu migratoire est majeur pour l'Union européenne alors que la montée de forces populistes est observée dans les États membres. Elle doit y répondre en actionnant les différents instruments dont elle dispose, en apportant sa contribution pour relever le défi de la stabilisation et du développement de l'Afrique et en établissant un cadre pour la migration légale.

2. La situation en Ukraine et les relations avec la Russie

La situation en Ukraine demeure très préoccupante. Nous avons salué le nouvel accord de Minsk pour lequel la France et l'Allemagne ont joué un rôle clé. Mais nous en connaissons la fragilité.

M. Elmar Brok, président de la commission des affaires étrangères du Parlement européen, a rappelé à la délégation qu'en 1990, le PIB de l'Ukraine était équivalent à celui de la Pologne. En 2015, le PIB de la Pologne est quatre fois supérieur. L'Ukraine doit entreprendre des réformes considérables qui concernent le système de l'État de droit et de l'économie de marché mais aussi le système social.

L'annexion de la Crimée constitue, à ses yeux, une remise en cause inacceptable des principes admis après la deuxième guerre mondiale. On ne peut admettre la violation de la souveraineté des États pas plus qu'un raisonnement fondé sur l'existence de zones d'influence. Des États membres, comme la Lettonie, l'Estonie ou la Finlande expriment des préoccupations légitimes qu'il convient de prendre en compte. On ne peut accepter que différents niveaux de sécurité coexistent dans l'Union européenne.

L'application des accords de Minsk doit être la priorité. À défaut de leur respect, les sanctions européennes doivent être mises en oeuvre. Un message clair doit être adressé à la Russie sur les conséquences économiques qu'elle devrait subir en cas de poursuite de son entreprise de déstabilisation de l'Ukraine. Dans le même temps, l'Union européenne doit lui proposer d'établir les bases de bonnes relations économiques et politiques, qui seront bénéfiques pour les deux parties. C'est aussi la conviction de votre commission des affaires européennes qui considère que le dialogue avec la Russie reste indispensable pour établir les bases d'une relation solide et durable avec l'Union européenne. Nos collègues Yves Pozzo di Borgo et Simon Sutour y travaillent au sein de la commission.

Interrogé par la délégation sur la corruption en Ukraine et sur le poids de conseillers extérieurs qui obtiennent rapidement la nationalité ukrainienne, M. Elmar Brok a fait valoir que l'afflux de conseillers extérieurs était surtout observables à Kiev, pas dans les régions. L'Ukraine a besoin d'une administration locale qui fonctionne bien. Le phénomène des oligarques qui pratiquent la corruption doit être combattu. Il faut donc aider ce pays à renforcer concrètement son administration.

Cette analyse rejoint celle de votre commission des affaires européennes qui considère qu'une partie de la solution est dans la réforme interne en Ukraine. Le président du Sénat, dans ses entretiens récents en Russie et en Allemagne, a proposé l'expertise du Sénat sur la décentralisation.

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