ANNEXE 3 : INTERVENTION DE M. ALAIN LAMBERT, PRÉSIDENT DU CONSEIL DÉPARTEMENTAL DE L'ORNE, PRÉSIDENT DU CNEN

Lors de sa réunion plénière du jeudi octobre 2016, la délégation a auditionné M. Alain Lambert sur « L'incidence de la réforme des services déconcentrés sur les collectivités locales » .

Monsieur le Président, Chers amis,

Sur le thème que vous avez identifié, je ne cacherai pas ma très vive inquiétude. Une régionalisation massive des administrations et des collectivités est à l'oeuvre depuis le lancement de la RGPP, en juillet 2007 . Elle est aujourd'hui accentuée par des séries de mesures dont les auteurs sont influencés par l'exemple de nos voisins européens (Allemagne, Italie...), et ce, au mépris de l'Histoire de France, notamment l'Allemagne, qui est un pays fédéral.

L'idée de régionalisation de l'action de l'État, dans un État centralisé comme la France, était fondée sur un esprit de régions de programmes et non de régions d'administration. La régionalisation de l'administration est une recentralisation masquée. Elle oublie le caractère diversifié des territoires français et risque d'accélérer la désertification de territoires pourtant viviers économiques pluriséculaires de notre Histoire.

Administrer, c'est prendre en compte les spécificités des territoires . Unifier à marche forcée au niveau régional vise exactement le contraire. C'est une étape vers une unification nationale d'avant 1982.

Cette analyse est au coeur de mon inquiétude.


• La régionalisation de l'administration déconcentrée de l'État, c'est la rationalisation au plus haut niveau, soit l'objectif recherché mais non assuré

Cette période de transition génère un certain malaise auprès des élus locaux, notamment sur l'espace rural, sous forme d'un sentiment d'abandon. La régionalisation de la majorité des services déconcentrés conforte l'impression d'éloignement de l'État.

Même certains maires urbains, et aussi de grandes villes, sont inquiets du déménagement prochain de certains services auprès des capitales régionales pour suivre les services de l'État avec lesquels ils travaillent en lien étroit.

La réforme des services déconcentrés pousse la réforme des collectivités locales vers des élargissements improvisés qui permettent des gestions chaotiques.

Je constate un effet de cascade qu'alimente la fermeture de services de l'État. Lorsqu'un territoire est touché, généralement d'autres services utilisent cet effet d'aubaine pour justifier des fermetures en série. Ce type de fermetures détricote indirectement le tissu économique local. Les acteurs économiques, ou leurs institutions suivent.


• La réforme des services déconcentrés des départements est une conséquence mécanique de cette rationalisation au niveau supérieur

La loi de 1992 avait posé des principes sains. Les administrations centrales ne sont plus chargées que des missions qui présentent un caractère national ou dont l'exécution ne peut être déléguée à un échelon territorial, en vertu de la loi ; les directions et services départementaux ont vocation à intervenir directement. Le décret du 7 mai 2015 portant charte de la déconcentration était supposé conforter ce mouvement.

C'est le mouvement inverse qui se produit.

L'évolution du réseau des sous-préfectures ne saurait être taboue. Le maillage ne doit pas être examiné sous le seul angle démographique.


• La logique inversée de la réforme : renforcement des pouvoirs déconcentrés de recentralisation des compétences des collectivités

C'est l'esprit tacite de cette réforme.

Deux éléments m'ont particulièrement interpellé : l'absence de concertation entre l'État et les collectivités locales, et l'affirmation du rôle du préfet comme interlocuteur premier des collectivités locales.

L'absence de concertation État / collectivités locales

J'ai moi-même, à la demande du Premier ministre, présidé un groupe de travail en 2007, consacré aux relations entre l'État et les collectivités locales. Le groupe de travail estimait que les collectivités territoriales devaient trouver, sur leur territoire, un État bien identifié, responsable et stratège.

Mais une fois la mission terminée, le dialogue s'est rompu. Depuis dix ans, l'État et les collectivités locales sont peu souvent associés à l'oeuvre de réforme territoriale.

L'attitude individualiste de l'État, étrangère à l'esprit de coopération dans toute société décentralisée, a été flagrante.

Le Préfet, premier partenaire des collectivités territoriales

Le charivari imposé au système public local confère au préfet un rôle essentiel de discernement dans la coordination de la gouvernance locale. La réforme de l'intercommunalité, la coopération entre nouveaux territoires ne correspondant pas aux découpages administratifs, la transversalité de certaines politiques publiques nécessite parfois l'autorité du préfet, relais privilégié des organismes associés (CAF, CPAM...) mais aussi des nouvelles agences (ADEME, ANRU...). Cette autorité devient relative.

Pour les élus, il est plus que jamais primordial d'avoir un dialogue permanent avec le préfet, plus accessible que l'administration centrale. En espérant qu'il puisse exercer la moindre influence sur elle, ce que je ne crois pas du tout.


• Conclusion

Je veux vous remercier pour votre écoute. Mon analyse est pessimiste, j'en suis désolé. Selon moi, il n'existe qu'une bonne réforme : celle qui est justifiée par les besoins du terrain.

« L'art de la politique » , disait Richelieu, « ce n'est pas de faire ce qui est possible, mais de rendre possible ce qui est nécessaire ».

En l'espèce, il fallait adapter les moyens d'actions de l'État aux réalités de la France décentralisée : c'était l'esprit des lois de 1982. Les administrations centrales l'ont détourné. La régionalisation leur semble le moyen d'y mettre fin.

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