B. ENCOURAGER LA NÉCESSAIRE RÉVISION DE LA MÉTHODE EUROPÉENNE D'ÉLABORATION DE TEXTES APPLICABLES AUX ENTREPRISES

Si la participation active du Gouvernement aux négociations était susceptible de faciliter la prise en compte des traditions juridiques et des objectifs nationaux dans les actes législatifs européens, les modalités d'adoption de ceux-ci gagneraient à être révisées en vue de garantir une meilleure transposition dans le droit national.

1. Limiter le recours aux actes d'exécution et aux actes délégués

La commission des affaires européennes du Sénat a adopté, le 21 janvier 2014, un avis politique sur la question du recours systématique aux actes délégués, regrettant l'absence d'encadrement de cette pratique.

La commission a souligné le caractère excessif du recours à ces actes qui portent sur des aspects essentiels de la législation européenne. Ainsi, dans le domaine particulièrement sensible de la protection des données à caractère personnel, un projet de règlement présenté en 2012 renvoyait plus de cinquante fois à des actes délégués ou à des actes d'exécution. On le voit aussi en matière de politique agricole commune. Ainsi en 2013, de nouveaux critères d'éligibilité pour les aides aux jeunes agriculteurs devaient être introduits par voie d'actes délégués. L'aide devait être réservée aux seuls agriculteurs exploitant en nom propre, excluant ainsi les agriculteurs regroupés sous d'autres formes juridiques, ce que ne prévoit pas l'acte de base. Face à la réaction de quelques États membres, la Commission a révisé sa position. Le règlement relatif à la santé animale adopté en 2016 renvoie, quant à lui, à plus de 50 actes d'exécution. L'examen de l'acte de base devient ainsi l'analyse d'« une coquille vide » qui sera remplie plus tard par la Commission européenne, au nom de son pouvoir d'exécution.

L'avis politique adopté par le Sénat insistait également sur l'opacité entourant la sélection des experts au sein des comités chargés d'assister la Commission européenne en vue de préparer lesdits actes. Ces comités ne sont plus composés de représentants des États membres, ce qui fragilise le contrôle des dispositifs adoptés. Il concluait sur la nécessité de préciser le plus possible les règlements afin de limiter le recours aux actes délégués et la nécessité, pour la Commission européenne, de sélectionner des experts des États membres au sein des comités qui l'assistent.

Le Parlement européen a également émis un certain nombre de critiques sur les conditions d'exercice de sa compétence d'exécution par la Commission européenne. Il a ainsi adopté, le 25 février 2014, une résolution sur les suites à donner à la délégation de pouvoirs législatifs et au contrôle par les États membres de l'exercice des compétences d'exécution par la Commission. Ce texte dénonce un recours abusif à de tels actes et insiste sur une meilleure association des États membres et du Parlement européen à leur élaboration.

Le Sénat a réitéré ses réserves sur le recours aux compétences d'exécution dans une résolution européenne adoptée en novembre 2017, en rappelant que la procédure pouvait viser in fine des éléments importants du texte et en regrettant que les délais entre l'adoption de l'acte originel et celui de l'acte d'exécution ou de l'acte délégué soient trop longs 29 ( * ) . La Commission a ainsi proposé en septembre 2017 la prolongation du délai pour adopter des actes délégués pour l'application de la directive de 2010 relative aux systèmes de transport intelligents (STI) dans le domaine du transport routier 30 ( * ) . Cette période était censée se terminer le 27 août 2017. Quatre actes délégués avaient déjà été adoptés. Le cinquième, élaboré avec les experts des États membres, portait sur la mise à disposition de services d'information sur les déplacements multimodaux et nécessitait de nouveaux approfondissements en ce qui concerne les spécifications et les normes applicables aux systèmes de transport intelligents (STI). Dans ces conditions, la Commission a souhaité une prolongation de 5 ans de la délégation de pouvoir qui lui a été accordée. De fait, l'entrée en vigueur du dernier acte délégué pourrait intervenir 12 ans après l'adoption de l'acte de base.

Ce recours aux actes délégués n'est pas doublé d'un contrôle de ces actes au titre du principe de subsidiarité par les parlements nationaux. Ceux-ci se voient donc privés d'un levier d'intervention en amont de la transposition alors que ces actes sont des compléments des actes législatifs qui, eux, sont soumis à ce contrôle.

Recommandation 6 - Demander à la Commission de réserver exclusivement les actes délégués et les actes d'exécution aux questions techniques.

2. Simplifier les textes européens et approfondir l'étude de leur impact sur les entreprises

Comme l'a relevé en février 2017 le groupe de suivi du Sénat sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne, la réglementation européenne est souvent perçue comme peu lisible, trop complexe, tatillonne ou simplement injustifiée. Favoriser sa simplification facilitera ensuite le travail de transposition 31 ( * ) .

La mise en place, par la Commission européenne, du programme REFIT - acronyme anglais pour « réglementation affûtée » en octobre 2013 - constitue à cet égard une indéniable avancée. Le dispositif vise à évaluer l'acquis réglementaire et à adopter, le cas échéant, les mesures correctives nécessaires. Il s'agit de répondre à l'objectif louable d'allègement de la charge réglementaire et de lutte contre la « bureaucratie inutile » que la Commission européenne s'est assigné. Il contribue ainsi à mettre en place un cadre réglementaire clair, stable et prévisible, favorable à la croissance et à l'emploi. Cette révision doit dans le même temps respecter trois critères :

- le maintien d'un niveau élevé de protection sociale et de protection de la santé et de l'environnement ;

- la préservation de la liberté de choix des consommateurs ;

- la contribution des textes aux objectifs fixés en matière de croissance et d'emploi.

Il convient aujourd'hui de poursuivre ces efforts et de rendre la norme européenne plus claire, plus lisible et plus accessible. Cela passe notamment par une réflexion sur l'impact de toute nouvelle législation. L'accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » du 13 avril 2016 a permis quelques avancées. La Commission associe plus directement les acteurs concernés via la consultation de leurs représentants, qui peut prendre la forme de réunions de groupes de discussions ou d'audiences. Une attention particulière est également portée aux petites et moyennes entreprises avant toute prise de décision, en déterminant si un acte européen les affecte et, le cas échéant, en évaluant son impact sur les différents types de PME (micro, petites et moyennes) dans les secteurs concernés.

Recommandation 7 - Demander à la Commission européenne de poursuivre son effort en matière de simplification du droit européen afin de le rendre plus aisément transposable et plus facilement applicable par les entreprises.

Il s'agit dans ce contexte, de relancer le « test PME », comme le recommandait un rapport de la commission des affaires européennes de février 2017 32 ( * ) . Créé en 2008, le « test PME » constitue une modalité de consultation innovante permettant d'évaluer directement avec les entreprises les conséquences d'un projet de réglementation, d'y apporter des modifications afin de la simplifier et de la rendre plus facilement applicable. Ce « test PME » a été peu mis en oeuvre mais il connaît un regain d'intérêt, y compris au niveau national, où il est intégré au « choc de simplification ». Aussi conviendrait-il de le mettre en oeuvre de façon systématique et harmonisée en prenant en compte les quatre étapes de la procédure prévue par la « boîte à outils » que la Commission a mise en place au titre du « mieux légiférer », à savoir : la consultation des représentants des PME, l'identification des entreprises concernées par un projet de norme, la mesure des impacts directs et indirects de ce projet sur les PME et la recherche de mesures alternatives.

Il est également indispensable d'aller plus loin en matière d'études d'impact. Une appréciation des incidences de la proposition doit systématiquement être effectuée au regard de la taille de l'entreprise au plan qualitatif et, si possible, au plan quantitatif, en ayant soin de préciser les impacts tant directs (coûts administratifs et coûts de mise en conformité) qu'indirects (effets sur la concurrence dans la structure du marché). Cette étude peut éventuellement préconiser la recherche de mesures alternatives ou d'atténuation. Celles-ci doivent permettre d'assurer le respect du principe de proportionnalité. Elles peuvent prendre la forme d'exemptions (par exemple, les entreprises se situant en dessous de certains seuils n'ont pas à se conformer à certaines obligations spécifiques lorsque cela ne remet pas en cause l'objectif initial de la législation).

Comme l'a recommandé une résolution du Sénat adoptée en mars 2017, il importe également que les actes délégués et actes d'exécution de la Commission soient assortis d'études d'impact 33 ( * ) . Cette lacune est d'autant plus paradoxale que ce sont précisément dans ces textes que figurent souvent la fixation des conditions précises ou des chiffres (seuils, plafonds, pourcentages ou barèmes) déterminant très concrètement la mise en oeuvre des textes européens et permettant alors l'évaluation de leurs impacts.

Recommandation 8 - Renforcer les études d'impact européennes afin qu'elles prennent mieux en compte les incidences des propositions pour les petites et moyennes entreprises.

Recommandation 9 - Relancer les tests PME au niveau européen pour évaluer directement avec les entreprises les conséquences d'une réglementation.

3. Veiller au respect de la nature spécifique des deux instruments juridiques européens de portée législative

Il s'agit, enfin, d'être vigilant quant à la nature même des propositions d'actes présentées par la Commission européenne.

On peut constater, en effet, ces dernières années, une évolution préoccupante du droit européen. Les traités prévoient deux instruments juridiques de nature législative : les règlements d'application directe et les directives qui doivent être transposées en droit interne, avec une marge de manoeuvre pour les États membres. La pratique a fait apparaître une application nouvelle de ces instruments : des règlements qui prévoient assez largement la possibilité de mesures nationales d'adaptation - à l'image du règlement sur la protection des données adopté en 2016 34 ( * ) - et des directives d'harmonisation maximale qui interdisent toute liberté au législateur national, à l'instar de la proposition de directive sur les contrats de vente en ligne 35 ( * ) . La Commission européenne doit donc revenir à l'esprit même des traités et proposer des directives et des règlements répondant aux critères indiqués plus haut.

Ce choix de l'instrument juridique est déterminant au moment de la transposition puisqu'il détermine la marge de manoeuvre dont dispose, ensuite, le législateur.

Recommandation 10 - Inciter la Commission européenne à proposer des directives et règlements répondant aux critères définis par les traités et encadrer ainsi plus précisément les contours de la future transposition.

4. Améliorer le contrôle de subsidiarité

La Commission européenne a mis en place, le 18 janvier 2018, une task force « Subsidiarité et proportionnalité », chargée notamment de déterminer si les procédures mises en place en matière de subsidiarité fonctionnent et envisager d'éventuels aménagements 36 ( * ) . Ce groupe de travail devrait rendre ses travaux d'ici au 15 juillet 2018. Les parlements nationaux sont représentés au sein de ce groupe et ont été associés à ses réflexions. Le Sénat a d'ailleurs adressé une contribution à la Commission européenne en ce sens 37 ( * ) .

La révision de la procédure devrait permettre d'améliorer l'intervention du Parlement en amont de la transposition. Le Sénat a ainsi demandé que la Commission européenne prenne le temps de mieux justifier les propositions d'actes qu'elle transmet aux parlements nationaux. Elle doit, en effet, mieux étayer le recours à une proposition législative et ne saurait limiter les motivations de son intervention à l'approfondissement du marché intérieur ou à la dimension transfrontalière d'un sujet.

Par ailleurs, l'argument de la Commission européenne déplorant, dans ses réponses aux observations des parlements nationaux, que le contrôle exercé concerne plus la proportionnalité que la subsidiarité doit également être écarté. Au contraire, les deux principes participent d'un même « bloc de constitutionnalité » européen. Les deux principes sont, en effet, intrinsèquement liés. L'article 5 du traité sur l'Union européenne dispose qu'« en vertu du principe de subsidiarité, dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l'Union intervient seulement si, et dans la mesure où, les objectifs de l'action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres, tant au niveau central qu'au niveau régional et local, mais peuvent l'être mieux, en raison des dimensions ou des effets de l'action envisagée, au niveau de l'Union ». La mention des dimensions et des effets renvoie à la notion même de proportionnalité. Dans ces conditions, l'analyse effectuée par les parlements nationaux ne saurait se limiter à une étude des objectifs poursuivis ni se fonder sur une liste de critères préalablement définis. Elle doit plutôt intégrer une évaluation des moyens mis en oeuvre. Ce faisant, le législateur national sera plus à même d'appréhender les contours de la transposition du texte.

Recommandation 11 - Réviser la procédure de contrôle du principe de subsidiarité afin de faciliter un meilleur contrôle du Parlement et une intervention plus efficace de celui-ci en amont de la transposition.


* 29 Résolution européenne n° 22 (2017-2018) sur la réforme du règlement « Comitologie » (COM (2017) 85 final).

* 30 Proposition de décision du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2010/40/UE en ce qui concerne la période prévue pour l'adoption d'actes délégués (COM (2017) 136 final).

* 31 Relancer l'Europe : Retrouver l'esprit de Rome , Rapport d'information n° 434 (2016-2017) de MM. Jean-Pierre Raffarin et Jean Bizet, fait au nom du Groupe de suivi sur le retrait du Royaume-Uni et la refondation de l'Union européenne, 22 février 2017.

* 32 La simplification du droit : une exigence pour l'Union européenne , Rapport d'information n° 387 (2016-2017) précité.

* 33 Résolution européenne n°106 (2016-2017) sur la simplification du droit européen.

* 34 Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données).

* 35 Proposition de directive concernant certains aspects des contrats de vente de biens (COM (2017) 637 final).

* 36 Décision du président de la Commission européenne (C(2018) 406)).

* 37 Repenser l'action de l'Union : la plus-value européenne - contribution du Sénat au groupe de travail « Subsidiarité et proportionnalité » de la Commission européenne , Rapport d'information n° 456 (2017-2018) de MM. Jean Bizet, Philippe Bonnecarrère et Simon Sutour, fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 20 avril 2018.

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