III. ÉVALUER L'IMPACT ÉCONOMIQUE DES MESURES DE SURTRANSPOSITION ET JUSTIFIER LEUR INTRODUCTION OU LEUR MAINTIEN

Le processus de transposition des actes européens s'avère encore peu satisfaisant. Il reste souvent opaque, n'identifie pas clairement les mesures de sutransposition et ne repose pas sur une évaluation suffisante de leurs conséquences économiques. Comme l'a montré la consultation, il en résulte que le droit national en vigueur comporte un nombre significatif de dispositions que n'imposent pas les textes européens, que celles-ci doivent être identifiées et évaluées, exercice qui pourra conduire à leur révision, voire à leur suppression.

A. AMÉLIORER LE PROCESSUS DE TRANSPOSITION

Toute surtransposition doit être volontaire, justifiée et assumée. Le Parlement, les citoyens et les opérateurs économiques doivent pouvoir être en mesure d'apprécier véritablement les conséquences des surtranspositions proposées, y compris au regard de la compétitivité des opérateurs économiques nationaux.

Or la procédure actuelle de transposition, qu'elle soit législative ou réglementaire, est loin de répondre véritablement à ces exigences. Les dispositions résultant de la transposition des actes européens et celles constituant une surtransposition ou encore les dispositions nationales antérieures maintenues en dépit de l'harmonisation européenne ne sont en effet pas clairement mises en évidence. Cette situation est d'autant plus regrettable que l'impact des obligations ajoutées, et plus encore de celles qui sont maintenues, n'est trop souvent pas vraiment évalué ni documenté, en particulier leurs conséquences sur la compétitivité de l'économie française.

1. Les modalités actuelles de transposition restent trop opaques

Les modalités de transposition des actes européens en droit français manquent de transparence et souvent ne permettent pas au Parlement de disposer des éléments d'information nécessaires pour apprécier la pertinence des surtranspositions proposées ou mises en oeuvre par le Gouvernement.

a) Des véhicules législatifs peu lisibles

Les mesures de transposition des directives ou d'application des règlements européens sont trop souvent noyées dans des textes dont elles ne sont pas l'objet exclusif, voire principal. Il est dès lors malaisé d'identifier les dispositions résultant strictement de la transposition du texte européen, de les distinguer des dispositions ajoutées aux obligations que définit le texte européen et de celles qui sont sans lien avec la transposition mais qui figurent dans le texte car elles entrent dans le champ de la matière traitée.

À cet égard, le recours à des projets de loi portant diverses dispositions d'adaptation de la législation au droit de l'Union européenne, autrement dit des véhicules législatifs spécifiques dédiés à la transposition des actes européens, constitue indéniablement un progrès. Quelques projets de loi récents ont ainsi affiché clairement que leur objet était d'adapter la législation nationale au droit de l'Union européenne.

Tel est par exemple le cas du projet de loi qui a conduit à l'adoption de la loi n° 2018-133 du 28 février 2018 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans le domaine de la sécurité (dit « DDADUE ») qui transpose deux directives et prend des mesures d'application d'une décision européenne 38 ( * ) .

La même démarche de recours à un texte spécifique a également été retenue par le Gouvernement pour la transposition du « paquet européen de protection des données personnelles », composé du Règlement général sur la protection des données ( règlement n° 2016/679 , dit « RGPD »), qui renvoie à des mesures d'application nationales et prévoit de nombreuses « marges de manoeuvre », et de la directive n° 2016/680 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes dans la sphère pénale 39 ( * ) .

Même si le guide des bonnes pratiques concernant la transposition des directives, déjà mentionné, rappelle que « la transposition d'une directive ne devrait pas être l'occasion d'une remise en chantier du droit national en dehors de ce qui est nécessaire à la transposition », la démarche consistant à regrouper, dans un texte à vocation plus large, les dispositions résultant de la transposition d'un acte européen dans un chapitre spécifique indiquant que tel est son objet, constitue également un progrès.

Recommandation 12 - Systématiser le regroupement des dispositions résultant de la transposition d'un acte européen dans un même chapitre dont l'intitulé les désigne comme telles et évaluer la pertinence du recours à des véhicules législatifs dédiés à la transposition de textes européens.

b) Des ordonnances que le Parlement n'est pas en mesure de suffisamment encadrer

Nombre de directives ont été transposées par le Gouvernement sur la base d'une habilitation donnée par le Parlement pour les dispositions relevant du domaine législatif. Or, ces habilitations restent très générales, ce qui laisse une grande liberté au Gouvernement pour introduire des surtranspositions.

Cette situation résulte du fait que le Parlement, qui est souvent saisi de la demande d'habilitation au cours de la navette, ne dispose généralement pas du temps matériel nécessaire pour examiner avec une attention suffisante les options ouvertes par la directive et n'est, de ce fait, pas en mesure d'encadrer suffisamment l'habilitation qu'il donne.

Or, en pratique, il est recouru à des ordonnances, non seulement lorsque la transposition présente un caractère essentiellement technique, mais également quand le calendrier parlementaire ne permet pas l'élaboration et l'examen d'un projet de loi dans des délais compatibles avec la date limite de transposition du texte européen. Or, comme l'a relevé la délégation aux entreprises dans son rapport 40 ( * ) de 2017 sur la simplification du droit pour les entreprises, le Gouvernement recourt de manière croissante aux ordonnances, notamment pour transposer les directives européennes : ainsi, chaque année, le nombre d'ordonnances prises est proche du nombre de lois adoptées 41 ( * ) . Cette dernière situation, qui résulte d'une anticipation insuffisante de la date limite de transposition, est de toute évidence difficilement acceptable. En effet, l'habilitation ne peut alors être donnée par le législateur en toute connaissance de cause, à l'issue d'un examen documenté des enjeux notamment économiques attachés à la transposition et des options que ménage le texte européen.

Afin de prévenir une telle situation, il est indispensable que l'administration engage une préparation précoce de l'exercice de transposition qui lui permette, en particulier, de procéder aux consultations nécessaires auprès des opérateurs économiques sur lesquels les modalités de transposition sont susceptibles d'avoir un impact. A défaut, le Parlement est insuffisamment éclairé et soumis à une pression calendaire forte, conjonction qui limite de fait le plein exercice de sa compétence.

Recommandation 13 - Documenter au fond, dans toute demande d'habilitation à procéder à une transposition par voie d'ordonnance, les orientations proposées pour la transposition et leur justification au regard des conséquences qu'elles sont susceptibles d'emporter, en particulier pour la compétitivité des entreprises et des filières économiques françaises.

Dès lors que les principaux choix ouverts par l'acte européen et les effets susceptibles d'en résulter, en particulier en termes de compétitivité, figurent dans l'habilitation, l'ordonnance à venir peut être convenablement encadrée par le Parlement qui peut ainsi prévenir les surtranspositions qui ne lui paraîtraient pas justifiées.

Recommandation 14 - Définir, dans l'habilitation législative donnée au Gouvernement pour procéder à une transposition par voie d'ordonnance, les principaux choix qu'implique la transposition, en particulier au regard de la compétitivité des entreprises françaises.

c) Des ratifications tardives dans les meilleurs des cas

Lorsque la transposition est effectuée par voie d'ordonnance, le dépôt d'un projet de loi de ratification est une condition impérative de la pérennité des dispositions de nature législative ainsi introduites dans le droit français. Or, l'inscription à l'ordre du jour des assemblées de ces projets de loi de ratification est loin d'être systématique. Certaines transpositions se trouvent ainsi privées de tout examen par le Parlement, y compris a posteriori .

Tel est par exemple le cas du projet de loi de ratification de l'ordonnance n° 2017-1717 du 20 décembre 2017 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées déposé au Sénat en mars 2018 42 ( * ) . Cette ordonnance, dont les dispositions sont applicables à compter du 1 er juillet 2018, a été accusée par les entreprises consultées de comporter une surtransposition leur portant préjudice, dans la mesure où elle a maintenu le principe de droit interne de la responsabilité du détaillant, que ne prévoit pas la directive et qui constitue donc une charge pour les intéressés qui ne pèse pas sur les détaillants des autres États membres.

Il arrive parfois que la ratification soit proposée par le Gouvernement dans le cadre de l'examen d'un autre projet de loi, souvent par voie d'amendement présenté au cours de la navette parlementaire. Une telle pratique ne permet pas à la commission chargée de rapporter le projet de loi de procéder à l'ensemble des diligences nécessaires. Cette situation est toutefois moins préoccupante que celle qui résulte du défaut d'inscription à l'ordre du jour du projet de loi de ratification.

Les délais d'inscription à l'ordre du jour ont par ailleurs pour conséquence que le Parlement intervient alors même que les obligations résultant d'une surtransposition sont déjà entrées en vigueur et que les entreprises ont dû mettre en oeuvre les diligences qu'elles impliquent. Leur suppression a posteriori est alors susceptible de générer de nouveaux coûts ou de favoriser les opérateurs qui n'ont pas procédé à la mise en conformité qu'elles imposent.

Recommandation 15 - Mettre en oeuvre un contrôle systématique effectif du Parlement sur les ordonnances de transposition des textes européens en inscrivant rapidement l'examen des projets de loi de ratification de ces ordonnances à l'ordre du jour ; signaler et justifier toute surtransposition, en particulier quant à ses conséquences sur la compétitivité des entreprises françaises du secteur concerné.

d) Une absence de visibilité sur les éléments clés à définir par voie réglementaire

Conformément à l'article 34 de la Constitution, la loi ne fixe que les principes fondamentaux du régime de la propriété, des droits réels et des obligations civiles et commerciales. Nombre d'éléments clés des transpositions d'actes européens en matière économique sont donc définis par voie réglementaire, décret ou arrêté selon le cas.

Comme le montrent nombre des cas évoqués par les entreprises qui ont participé à la consultation, il résulte de cette répartition des compétences entre la loi et le règlement que le contenu effectif d'un droit ou d'une obligation défini par la loi, les seuils à partir desquels ils s'appliquent ou encore leurs conditions ou modalités d'exercice sont fixés par voie règlementaire, voire infra-réglementaire, et échappent donc au contrôle du Parlement et au processus de discussion parlementaire. Sans compter que la pratique montre que l'interprétation des textes par les administrations compétentes sur le territoire national peut faire l'objet de divergences, créant ainsi un niveau de contrainte inégal pour les entreprises en fonction de la localisation de leurs activités.

Les choix effectués par le pouvoir réglementaire sont peu explicités et rarement justifiés et ne font pas l'objet de consultation des opérateurs économiques. Or, ces dispositions d'application sont souvent déterminantes de la portée de l'obligation qu'elles précisent et devraient donc être dûment exposées au Parlement lors de la discusion du projet de loi de transposition

Recommandation 16 - Exiger du Gouvernement, lors de l'examen des projets de loi de transposition d'actes européens qu'il indique et justifie les seuils, conditions et modalités réglementaires qu'il prévoit de fixer.

e) L'absence de marquage des dispositions constituant des surtranspositions
(1) La difficile identification des surtranspositions

Même lorsque des véhicules législatifs spécifiques sont dédiés à la transposition ou l'application d'actes européens, les dispositions constituant des surtranspositions qui y figurent ne sont pas signalées comme telles ni dans l'exposé des motifs ni le plus souvent dans l'étude d'impact qui accompagne les projets de loi. Cette lacune est encore plus avérée pour les ordonnances, qui ne sont pas assorties d'études d'impact. Dès lors, dans les délais qui lui sont impartis, le Parlement peut ne pas être pleinement en mesure de de les identifier.

L'absence de traçabilité de ces dispositions est encore plus nette au niveau réglementaire, alors même que, comme rappelé plus haut, les seuils et les modalités d'application, qui sont souvent cruciales pour définir le niveau de contrainte imposé aux opérateurs économiques, sont définis par décret, voire, souvent, par arrêté.

Recommandation 17 - Distinguer précisément et systématiquement dans les études d'impact qui doivent accompagner les projets de loi et les ordonnances ainsi que lors de la présentation des dispositions d'application réglementaires :

- les dispositions résultant d'une transposition stricte des normes obligatoires ;

- les dispositions plus contraignantes que celles qu'impose la directive (seuils notamment) ;

- les dispositions résultant de l'exercice d'options ou de l'exploitation de marges de manoeuvre ;

- les dispositions dont le champ d'application excède le périmètre défini par le texte européen.

(2) La démarche expérimentale confiée à la commission des affaires européennes

Le 21 février 2018, la Conférence des présidents du Sénat a confié à la commission des affaires européennes une mission expérimentale de veille de l'intégration des textes européens en droit interne afin, notamment, d'alerter le Sénat sur d'éventuelles surtranspositions. C'est dans cette optique que la commission des affaires européennes a examiné, à ce jour, trois projets ou propositions de loi et formulé un certain nombre d'observations :

- le projet de loi relatif à la protection des données personnelles 43 ( * ) , qui prévoit les mesures d'application du RGPD, exploite certaines des marges de manoeuvre que celui-ci autorise et transpose la directive sur les données à caractère pénal ;

- le projet de loi de ratification de l'ordonnance 44 ( * ) de transposition de la directive du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur, dite « DSP2 » 45 ( * ) ;

- la proposition de loi sur le secret des affaires transposant la directive du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulguées (dits « secrets d'affaires ») contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites 46 ( * ) .

Un bilan de cette démarche expérimentale devra être établi mais force est de constater qu'elle permet d'ores et déjà aux commissions saisies au fond - et, au-delà, du Sénat - des projets de loi de transposition de bénéficier d'un éclairage rétrospectif sur les conditions d'élaboration du texte européen et la position française, d'une analyse de la conformité au texte européen de la transposition proposée et d'une identification des surtranspositions envisagées. Lorsque tel est le cas, la commission des affaires européennes examine en particulier la pertinence d'une harmonisation européenne en la matière afin, en particulier, que les opérateurs économiques français ne soient pas pénalisés par des exigences nationales supplémentaires. Cette démarche d'alerte est également de nature à renforcer les échanges entre les commissions permanentes et la commission des affaires européennes au stade de la discussion des propositions d'actes européens.

La commission des affaires européennes peut ainsi faire valoir, lors de la réunion de la commission saisie au fond, comme en séance publique, dans le cadre de la discussion générale, les observations qu'elle a formulées sur la transposition proposée.

Recommandation 18 - Pérenniser l'expérimentation en cours qui confie à la commission des affaires européennes du Sénat le soin de formuler des observations sur la transposition d'actes européens.

2. L'impact concurrentiel des surtranspositions est insuffisamment évalué

Au-delà de l'aspect formel de la faible traçabilité des dispositions constituant des surtranspositions, c'est surtout la justification de celles-ci qui demeure insuffisante, qu'il s'agisse du choix des options ouvertes par la directive ou des marges de manoeuvre prévues par le règlement, ou encore du maintien de dispositions nationales préexistantes auxquelles les obligations européennes viennent se surajouter.

a) Les études d'impact ne documentent pas suffisamment les surtranspositions

Le droit européen n'a pas vocation à régir à lui seul l'ensemble de la matière à laquelle il s'applique. Les résolutions européennes adoptées par le Sénat ne manquent ainsi pas de mettre systématiquement l'accent, en application du principe de subsidiarité, sur la nécessité de veiller à un niveau d'harmonisation qui n'excède pas le champ nécessaire au bon fonctionnement du marché intérieur, et n'exclut pas la possibilité de prendre ou de maintenir des dispositions de droit national plus exigeantes lorsque cela paraît nécessaire.

Pour autant, les dispositions nationales qui interviennent ou subsistent dans le périmètre harmonisé par l'acte européen, y compris pour étendre le champ d'application à d'autres opérateurs ou activités que ceux qui en relèvent, devraient être dûment justifiées lors de la transposition en droit français.

En effet, si des considérations tenant en particulier à la sécurité des travailleurs, la protection de l'environnement, la santé publique ou la protection des consommateurs peuvent justifier des mesures nationales complémentaires, encore faut-il que la nécessité de ces obligations ou restrictions supplémentaires et leurs conséquences pour les opérateurs économiques soit pleinement mesurée et dûment justifiée, en particulier dans les études d'impact. L'adoption des actes européens, qui font l'objet d'une transposition, a en effet elle-même été précédée en principe par des analyses d'impact qui ont conduit le législateur européen à fixer un niveau minimum ou élevé de contrainte, selon le cas, au regard duquel l'ajout d'obligations nationales doit être justifié.

Pour que l'analyse des conséquences d'une surtransposition, en particulier en termes de compétitivité, soit pertinente, il convient que les associations et organisations spécialisées ainsi que les secteurs économiques concernés soient effectivement consultés et que leur contribution soit prise en considération dans l'étude d'impact.

En effet, en vertu de la loi organique de 2009 47 ( * ) , une étude d'impact accompagne désormais chaque projet de loi, même si sa qualité est souvent décevante alors qu'il n'en est pas toujours ainsi pour les textes réglementaires : une circulaire du Premier ministre du 12 octobre 2015 ne l'impose en effet que si l'impact prévisible des normes est jugé « significatif ». Il revient à chaque ministère d'apprécier le caractère significatif de cet impact, même si la circulaire propose comme seuils d'impact : 500 000 euros pour l'ensemble des entreprises françaises et 10 000 euros pour une seule entreprise.

La délégation aux entreprises avait dénoncé cette restriction lors de la publication de cette circulaire, alors que celle-ci prévoit que tous les projets de textes réglementaires concernant les collectivités territoriales, qui sont soumis au Conseil national de l'évaluation des normes, doivent faire l'objet d'une fiche d'impact.

L'évaluation de l'impact des surtranspositions pourrait utilement s'enrichir du résultat des tests PME, outils créés en 2012 pour consulter directement un échantillon de petites entreprises sur les conséquences d'un projet de réglementation, par l'intermédiaire des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE). Comme l'avait déploré la délégation aux entreprises dans son rapport Simplifier efficacement pour libérer les entreprises , ces tests n'ont pratiquement jamais été mis en place, les administrations redoutant d'allonger le délai de publication des réglementations testées. Le recours à cet outil au plan national, comme au plan européen, gagnerait à être systématisé, afin de mieux évaluer les conséquences des surtranspositions envisagées.

Recommandation 19 - Évaluer systématiquement les conséquences, en particulier pour les filières et les opérateurs économiques concernés, des surtranspositions proposées ou retenues, qu'elles soient de nature législative ou réglementaire, et justifier toute surtransposition au regard de cette évaluation.

b) Les options retenues par les principaux concurrents ne sont pas présentées

La compétitivité de notre économie passe également par un regard attentif sur les modalités de transposition retenues par les États membres dans lesquels sont établis les principaux concurrents de nos entreprises. Selon le secteur d'activité concerné, ces États ne sont pas les mêmes, ce qui implique, en particulier pour les normes techniques, de regarder prioritairement les transpositions envisagées dans les États dont les opérateurs sont les plus directement en concurrence avec nos entreprises. En pareil cas, il en va en effet de la compétitivité sectorielle de nos entreprises qui, on l'a vu, peut se trouver pénalisée par des contraintes administratives ou techniques qui pèsent sur leurs coûts et que leurs concurrentes européennes directes n'ont pas à supporter.

Dès lors, il apparaît indispensable de procéder à une analyse des options retenues par les États membres concernés afin de ne pas retenir des options ou des obligations supplémentaires de nature à constituer autant d'atteintes à la compétitivité de nos entreprises, sans justification forte.

Cet exercice de droit comparé présente, il est vrai, certaines difficultés dans la mesure où les États membres sont tous tenus par la même échéance pour procéder à la transposition. Les contacts préparatoires entre les administrations nationales en charge de la formalisation de l'exercice et entre les professionnels des filières européennes concernées doivent donc être systématisés.

Recommandation 20 - Intégrer autant que possible des éléments de droit comparé dans les analyses d'impact afin de mesurer les conséquences, en termes de compétitivité, des contraintes supplémentaires pour les opérateurs économiques français résultant d'une surtransposition.

c) L'expertise scientifique nationale n'est pas assez discutée

Le processus de décision politique concernant les normes tendant à limiter des risques dont l'appréciation exige une expertise scientifique ne semble pas satisfaisant en l'état.

La coexistence d'une expertise scientifique aux niveaux national et européen devrait conduire à privilégier autant que possible les expertises scientifiques de niveau européen. Dans la mesure où l'information disponible à ce niveau est en effet par nature plus riche, les moyens accordés aux organes européens sont importants, et la confrontation d'un plus grand nombre de points de vue est possible, l'évaluation scientifique y a toutes les chances d'y être mieux étayée. Les conclusions divergentes de l'ANSES et de son homologue européen (le comité scientifique d'experts désigné par l'acronyme anglais SCOEL) pour les directives fixant les valeurs limites d'exposition professionnelles (VLEP) européennes devraient ainsi être mieux documentées.

d) Le point de vue des entreprises doit être sollicité

Comme le préconise le rapport sur les écarts réglementaires entre la France et les pays comparables 48 ( * ) , établi par l'inspection générale des finances, à la demande du ministre de l'économie, en mars 2016, il convient de donner plus de place à la concertation avec les entreprises dès la phase d'élaboration de l'avis scientifique, en veillant évidemment à prévenir les conflits d'intérêts. Le Conseil d'orientation des conditions du travail, auquel participent les partenaires sociaux, est aujourd'hui consulté par la direction générale du travail, mais les recommandations sont élaborées par la seule ANSES. Alors qu'en Allemagne les représentants des entreprises sont d'emblée associés à l'élaboration de la réglementation technique, en France, la concertation avec les entreprises est souvent considérée comme suspecte et n'a lieu qu'en aval.

Or, une présence des parties prenantes au stade de l'élaboration de l'avis de l'ANSES par son comité d'expertise spécialisé serait de nature à améliorer leur adhésion à l'évaluation du risque ainsi produite, et donc à favoriser l'applicabilité des règles en découlant et, in fine , l'effectivité de la prévention.

Recommandation 21 - Privilégier le niveau européen pour l'évaluation scientifique préalable à la fixation de certaines normes afin d'amener les autorités nationales à justifier leurs écarts d'appréciation du risque, et mieux y associer les entreprises pour assurer l'applicabilité des règles retenues.

e) La pertinence du maintien des dispositions existantes n'est pas traitée

Toute transposition comporte deux dimensions : l'introduction de dispositions nouvelles, et la modification ou la suppression de dispositions de droit interne incompatibles avec le texte européen. Elle devrait également conduire à la suppression des dispositions préexistantes allant au-delà des exigences qu'impose le texte européen ou à la justification de leur maintien. Or, ce second volet de la démarche, qui devrait en principe accompagner le premier, n'est guère mis en oeuvre et encore moins documenté.

Recommandation 22 - Inclure dans la procédure de transposition la suppression des dispositions de droit interne préexistantes auxquelles le cadre européen harmonisé a vocation à se substituer, sauf à évaluer les impacts de leur maintien et à justifier celui-ci au regard des objectifs poursuivis.


* 38 La directive (UE) 2016/1148 du 6 juillet 2016 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun des réseaux et des systèmes d'information dans l'Union (directive dite « NIS »), la directive (UE) 2017/853 du 17 mai 2017 relative au contrôle de l'acquisition et de la détention d'armes et la décision n° 1104/2011/UE relative aux modalités d'accès au service public réglementé offert par le système mondial de radionavigation par satellite issu du programme Galileo.

* 39 Projet de loi relatif à la protection des données personnelles, adopté définitivement par l'Assemblée nationale le 14 mai 2018, qui a fait l'objet d'une décision du Conseil constitutionnel le 12 juin 2018 (décision n° 2018-765 DC).

* 40 Simplifier efficacement pour libérer les entreprises , rapport d'information n° 433 (2016-2017) de Mme Élisabeth Lamure et M. Olivier Cadic, fait au nom de la délégation aux entreprises, déposé le 20 février 2017.

* 41 En 2015, M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, estimait qu'« avant l'année 2000, environ dix ordonnances étaient prises chaque année. Le rythme est aujourd'hui compris entre trente et quarante », tandis que le nombre de lois adoptées chaque année par le Parlement avoisine 50 en moyenne ces dernières années.

* 42 Projet de loi n°342 (2017-2018).

* 43 Rapport d'information n° 344 (2017-2018) de M. Simon Sutour.

* 44 Ordonnance prise par le Gouvernement dans le cadre de l'habilitation qui lui a été donnée par l'article 70 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite loi «Sapin II »).

* 45 Rapport d'information n° 345 (2017-2018) de M. Jean-François Rapin.

* 46 Rapport d'information n°406 (2017-2018) de M. Philippe Bonnecarrère.

* 47 Loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution.

* 48 Rapport sur les écarts réglementaires entre la France et les pays comparables précité.

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