B. ANALYSER ET TRAITER LE STOCK DE SURTRANSPOSITIONS

1. Identifier, avec l'aide des entreprises, les surtranspositions affectant leur compétitivité

Traiter le stock de surtranspositions suppose de les identifier. Un premier effort en ce sens a été mené en 2015-2016, à la demande du ministre de l'économie, qui était alors M. Emmanuel Macron, et de la secrétaire d'État chargée de la réforme de l'État et de la simplification, Mme Clotilde Valter : l'Inspection générale des finances et le Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies ont alors été chargés de répertorier les écarts réglementaires entre la France et les pays voisins. Ce rapport 49 ( * ) , particulièrement instructif, a mis en lumière plusieurs distorsions de concurrence pénalisantes pour les entreprises et formulé d'utiles recommandations. Remis au ministre en mars 2016, il n'a été rendu public que plusieurs mois plus tard, et le gouvernement d'alors, à la veille des élections législatives et présidentielle, n'a pas entrepris d'y donner suite.

La délégation sénatoriale aux entreprises, qui effectue depuis sa création fin 2014 des déplacements réguliers dans les territoires, a également recueilli plusieurs témoignages d'entreprises dénonçant le préjudice qu'elles subissent en raison de normes nationales plus sévères que les normes européennes qui s'appliquent à leurs concurrents des pays voisins.

La consultation lancée en janvier-février 2018 par la délégation aux entreprises et la commission des affaires européennes a permis de mieux documenter encore l'atteinte à la compétitivité des entreprises qui résulte d'une transposition abusive des normes européennes. Cet inventaire ne prétend évidemment pas être exhaustif, mais il confirme la récurrence de certaines difficultés rencontrées par les entreprises.

Le Gouvernement lui-même s'est engagé à mener ce recensement des surtranspositions existantes. Dans une circulaire du 26 juillet 2017 puis lors de la conférence nationale des territoires de décembre 2017, le Premier ministre a ainsi annoncé avoir demandé la remise, au 1 er mars 2018, par une mission d'inspection, d'un inventaire complet des surtranspositions « qui peuvent s'avérer pénalisantes pour la compétitivité des entreprises, l'emploi, le pouvoir d'achat ou l'efficacité des services publics » 50 ( * ) . Ce rapport, dont le champ étendu contraste avec la brièveté du délai laissé pour son élaboration, n'a pas été rendu public à ce jour. Votre rapporteur juge indispensable que ce rapport, une fois finalisé, soit communiqué au Parlement.

Parallèlement, et dans un périmètre plus restreint, le ministère de l'économie et des finances a lancé une consultation publique en octobre 2017, dans le cadre de la préparation du projet de loi dit « PACTE », pour identifier des simplifications et « désurtranspositions » à effectuer dans le droit des marchés financiers.

C'est assurément en procédant ainsi, par l'association des professionnels qui en mesurent les conséquences concrètes, que le repérage des surtranspositions peut se faire de la manière la plus efficace. Un tel travail d'identification collaborative de surtranspositions dans les processus de production et de commercialisation des entreprises industrielles a d'ailleurs d'ores et déjà été entrepris au sein du Conseil national de l'industrie.

C'est cette méthode appuyée sur les retours de terrain qu'ont retenue la commission des affaires européennes et la délégation aux entreprises du Sénat en lançant leur consultation en ligne : elle a porté ses fruits, comme en témoigne le présent rapport, et elle gagnerait à être déployée à plus grande échelle par le Gouvernement.

Recommandation 23 - Associer les entreprises au travail d'inventaire de toutes les surtranspositions qui portent atteinte à leur compétitivité.

Votre rapporteur propose en outre que le Sénat crée en son sein un groupe de travail dédié à cette tâche d'identification des surtranspositions , domaine par domaine, qui associerait les professionnels et les administrations concernés.

Recommandation 24 - Créer, au sein du Sénat, un groupe de travail dédié à l'identification des surtranspositions préjudiciables aux entreprises qui associerait les professionnels et les administrations concernés.

Afin d'assurer les remontées de terrain, votre rapporteur appuie la proposition de donner le droit, à chaque entreprise, d'interpeller les pouvoirs publics sur les surtranspositions dont elle pâtit , proposition avancée par les députés Alice Thourot et Jean-Luc Warsmann dans leur récent rapport d'information sur la surtransposition des directives 51 ( * ) : il s'agirait de permettre à toute personne, physique ou morale, de signaler une surréglementation et le préjudice qu'elle lui cause.

Nos collègues députés envisageaient que ce signalement soit adressé au Conseil pour l'amélioration du droit applicable aux entreprises, instance qui n'a pas été créée à ce jour mais qui pourrait prendre la suite du Conseil de la simplification pour les entreprises, qui a existé de 2014 à 2017. Ce Conseil pourrait également être saisi par les présidents des commissions permanentes des assemblées ou s'autosaisir, pour apprécier l'existence, la justification et l'impact d'une surtransposition et rendre un avis sous deux mois. Ils proposent également de prévoir un droit de réponse du Gouvernement dans le délai d'un mois et de publier les avis du Conseil et les réponses du Gouvernement, sauf opposition des auteurs de la saisine.

Dès février 2017, la délégation aux entreprises avait plaidé pour que le Conseil de la simplification pour les entreprises soit transformé et chargé de rendre des avis sur les textes concernant les entreprises. Dans leur rapport Simplifier efficacement pour libérer les entreprises 52 ( * ) , Mme Elisabeth Lamure et M. Olivier Cadic proposaient de confier à ce Conseil le soin de rendre des avis sur la qualité des études d'impact accompagnant les projets de loi et les règlements applicables aux entreprises, comme le fait le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) pour les textes applicables aux collectivités territoriales. Comme le suggère le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale, un tel organe aurait pu également rendre un avis sur les surtranspositions qui lui auraient été signalées par les entreprises. Le Conseil de la simplification pour les entreprises n'ayant pas été reconduit, il n'a donc pas été transformé en ce sens, si bien qu'il n'existe pas aujourd'hui d'organe équivalent au CNEN pour les entreprises, susceptible d'associer les professionnels à l'évaluation de l'impact des règles envisagées ou en vigueur, notamment des surtranspositions.

Recommandation 25 - Mettre en place un organe chargé d'évaluer l'impact des projets de règles applicables aux entreprises, notamment les surtranspositions, qui serait le pendant du Conseil national d'évaluation des normes (qui rend des avis sur les textes applicables aux collectivités territoriales).

2. Supprimer les surtranspositions injustifiées dont le maintien est pénalisant

La stabilité de la règlementation figure parmi les demandes prioritaires des entreprises que rencontre la délégation aux entreprises, au même titre que la simplification des règles. L'exercice consistant à revenir sur des surtranspositions qui pèsent sur la compétitivité des entreprises, et donc à modifier les règles en vigueur, est donc particulièrement délicat.

Dans sa contribution à la consultation dont rend compte le présent rapport, le MEDEF met d'ailleurs en garde contre tout bouleversement du cadre réglementaire quand les enytreprises ont déjà consenti les investissements nécessaires pour s'y adapter . Il convient donc de bien évaluer les conséquences d'une suppression de surtranspositions. Doivent ainsi être considérées les conséquences d'un alignement sur la règle européenne, aussi bien pour les entreprises qui subissent la surtransposition que pour celles que ce retour en arrière pourrait affecter. L'exemple du seuil de certification des comptes en apporte l'illustration : si les PME qui se trouveraient dégagées de l'obligation de faire certifier leurs comptes y trouveraient sans doute un avantage, les commissaires aux comptes y perdraient une part plus ou moins substantielle de leur chiffre d'affaires. Une telle démarche suppose donc une évaluation préalable des conséquences pour tous les acteurs et des mesures d'acompagnement adaptées en tant que de besoin.

Le souci d'une certaine stabilité normative ne doit toutefois pas conduire à l'immobilisme : les surtranspositions pèsent en effet le plus sur les petites et moyennes entreprises, qui supportent les mêmes coûts que les grandes entreprises pour s'adapter à ces règles, sans avoir les mêmes produits d'exploitation. En surenchérissant le coût d'exploitation, elles constituent aussi des barrières à l'entrée qui ont un effet d'éviction pour les nouveaux entrants sur un marché. Les entreprises de petite taille ou les entreprises naissantes sont, de fait, les plus pénalisées par le maintien des surtranspositions .

Par ailleurs, avant d'engager une modification des normes nationales pour les ajuster aux strictes exigences européennes, il convient d' intégrer les perspectives raisonnables d'évolution de la norme européenne . Il n'est pas rare en effet que la France adopte des normes plus exigeantes qui ne font que préfigurer un durcissement ultérieur de la norme européenne. Dans certains cas, toutefois, la norme française est si stricte qu'on peut douter qu'elle soit un jour rejointe par la norme européenne . Revenir sur des normes nationales exige donc de prendre en considération le sens et le rythme attendus des réformes envisagées à l'échelon européen, pour ne pas risquer d'être à contre-courant des évolutions en cours et de devoir refaire le chemin inverse en alimentant l'instabilité réglementaire.

Traiter le stock des surtranspositions existantes est donc un exercice à mener avec précaution, qui implique un travail approfondi de consultations et d'évaluations.

Recommandation 26 - Résorber les surtranspositions dont le maintien est pénalisant, surtout pour les petites ou nouvelles entreprises, sans méconnaître le coût éventuel d'un nouveau changement réglementaire et au vu des perspectives d'évolution de la règle européenne.


* 49 Inspection générale des finances, Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies, Rapport sur les écarts réglementaires entre la France et les pays comparables ; établi par MM. Julien Dubertret, Philippe Schil et Serge Catoire, mars 2016.

* 50 Lettre de mission du Premier ministre du 10 octobre 2017 aux inspections et conseils concernés : inspections générales des finances, de l'administration des affaires sociales, conseil général de l'environnement et du développement durable, conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies.

* 51 Rapport d'information sur les moyens de lutter contre la surtransposition des directives européennes dans le droit français, n° 532, déposé le 21 décembre 2017 par la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en conclusion des travaux d'une mission d'information.

* 52 Rapport d'information fait au nom de la délégation aux entreprises, n° 433 (2016-2017) - précité.

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