CONTEXTE LÉGISLATIF DE LA TABLE RONDE

Les débats de la table ronde du 19 décembre 2019 ont été organisés en deux séquences - les arrêtés municipaux anti-pesticides puis les bonnes pratiques locales en faveur d'une alimentation saine et durable - au cours desquelles les discussions ont porté principalement sur l'application, d'une part, de la loi n° 2014-110 du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, d'autre part, de la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim).

Les élus locaux peuvent avoir le sentiment de faire face à des injonctions contradictoires entre ce que prévoient les textes législatifs et les moyens dont ils disposent pour remplir leurs objectifs . Dans le cas des produits phytopharmaceutiques, certains considèrent que la loi les empêche d'agir et ils tentent d'en repousser les frontières pour protéger leur population en publiant des arrêtés municipaux anti-pesticides dont la légalité est en cause. À l'inverse, pour ce qui concerne l'intégration de 50 % de produits de qualité et durables, dont au moins 20 % de produits biologiques d'ici 2022 dans la restauration collective publique, les maires s'interrogent sur les moyens d'actions et les outils juridiques qui s'offrent à eux pour remplir localement de tels objectifs, ambitieux et de court terme.

En introduction aux actes de la table ronde, le contexte législatif de chacune des deux séquences est ici présenté, dans leur ordre de discussion, pour expliquer comment, s'agissant des arrêtés anti-pesticides, les élus locaux tentent de « repousser » les frontières de la loi pour protéger leur population (I), puis, sur le sujet du développement du bio et des circuits courts, comment la trajectoire vers une alimentation saine et durable à l'horizon 2022 pourrait être tenue (II).

I. ARRÊTÉS « ANTI-PESTICIDES » : DES ÉLUS TENTENT DE REPOUSSER LES FRONTIÈRES DE LA LOI POUR PROTÉGER LEUR POPULATION

À compter du 1 er janvier 2017, en application de la loi précitée du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, interdiction est faite aux personnes publiques (État, collectivités territoriales et leurs groupements, établissements publics) d'utiliser ou de faire utiliser certains produits phytopharmaceutiques, plus communément appelés « pesticides », pour l'entretien des espaces verts, des forêts ou des promenades accessibles ou ouverts au public et relevant de leur domaine public ou privé, à l'exception des terrains de sport ainsi que des cimetières.

Si l'on relève que dès 2012, la commune de Château-Thierry, dans l'Aisne, avait pris un arrêté pour interdire « la pulvérisation de pesticides agricoles par engin héliporté dans un rayon de 200 mètres autour des zones habitées », c'est à partir du mois de mai 2019 que cette pratique tend à se généraliser avec l'arrêté de la commune de Langouët visant à interdire tout épandage à moins 150 mètres d'une habitation. Depuis, selon le collectif des maires anti-pesticides 1 ( * ) , plus de 120 communes auraient adopté des arrêtés anti-pesticides et glyphosate.

Deux raisons sont principalement invoquées par les élus locaux : d'abord la santé des populations, puis un motif de cohérence selon lequel si les collectivités doivent bannir l'usage de ces produits depuis 2017 - et les particuliers depuis le 1 er janvier 2019 - il devrait en être de même du secteur privé (entreprises, agriculteurs, etc.) pour la santé des riverains mais aussi des salariés et des intéressés eux-mêmes.

Deux types d'arrêtés sont utilisés par les communes en fonction de leur caractéristique rurale ou urbaine. Dans le premier cas, les arrêtés prévoient des restrictions des modalités d'utilisation des produits phytopharmaceutiques soit dans un périmètre déterminé, soit à une distance donnée des habitations. En milieu urbain, il est davantage fait recours à une interdiction d'utilisation sur l'ensemble du territoire de la commune pour des usages définis tels que l'entretien des copropriétés, des espaces verts d'entreprises ou de bailleurs privés, des voies ferrées, des routes et de leurs abords. Il convient de relever, comme cela a été souligné par M. Daniel Cueff au cours de la table ronde, que les décisions prises par les maires ne visent pas une interdiction générale, laquelle relèverait de la loi, mais une application du pouvoir de police générale du maire sur une « problématique de santé publique » en cas de carence de l'État.

Face à cette situation, où certains élus locaux tentent d'utiliser tous les moyens d'action dont ils disposent pour préserver la santé des populations, la réaction de l'État se caractérise par une saisine préfectorale systématique de la juridiction administrative afin d'obtenir du juge des référés une ordonnance de suspension ou d'annulation des arrêtés en cause.

À ce stade, aucun jugement définitif sur le fond n'a encore été rendu. Dans ce contexte jurisprudentiel évolutif, et sans décision du Conseil d'État, il est ici proposé de faire un point sur la répartition des compétences en matière de produits phytopharmaceutiques et sur les contentieux en cours autour des questions soulevées par les élus locaux : quels sont les pouvoirs du maire et faut-il s'en tenir à l'appréciation du juge administratif ou réfléchir à une clarification législative ?

A. LE POINT SUR LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES EN MATIÈRE DE PRODUITS PHYTOPHARMACEUTIQUES

1. La police administrative des produits phytosanitaires : une compétence de l'État dévolue au ministre en charge de l'Agriculture

L'autorité administrative compétente pour prendre des mesures d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant les produits phytopharmaceutiques, dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, prévue à l'article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime, est le ministre chargé de l'Agriculture, en application de l'article R. 253-45 du même code.

Dispositions relatives à la police administrative spéciale
des produits phytopharmaceutiques

Article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime : « I.- Sans préjudice des missions confiées à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, l'environnement et du travail et des dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'environnement, l'autorité administrative peut, dans l'intérêt de la santé publique ou de l'environnement, prendre toute mesure d'interdiction, de restriction ou de prescription particulière concernant la mise sur le marché, la délivrance, l'utilisation et la détention des produits mentionnés à l'article L. 253-1 du présent code et des semences traitées par ces produits. » [...]

Article R. 253-45 du même code : « L'autorité administrative mentionnée à l'article L. 253-7 est le ministre chargé de l'Agriculture . Toutefois, lorsque les mesures visées au premier alinéa de l'article L. 253-7 concernent l'utilisation et la détention de produits visés à l'article L. 253-1, elles sont prises par arrêté conjoint des ministres chargés de l'Agriculture, de la Santé, de l'Environnement et de la Consommation. »

C'est en application de ces dispositions que le tribunal administratif de Rennes a considéré que le ministre de l'Agriculture est chargé de la police administrative des produits phytopharmaceutiques et que « le maire d'une commune ne peut en aucun cas s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale par l'édiction d'une réglementation locale » pour décider l'annulation de l'arrêté du 18 mai 2019 du maire de la commune de Langouët 2 ( * ) . Cette décision reprend la même conception exclusive de compétence de deux arrêts antérieurs du Conseil d'État, en matière d'organismes génétiquement modifiés (OGM) et de téléphonie mobile 3 ( * ) , selon laquelle lorsque la loi confère un pouvoir de police spéciale au ministre, elle interdit, sauf péril imminent, toute intervention du maire, en tant qu'autorité de police administrative générale.

2. Le rôle du maire au titre de son pouvoir de police est subordonné à l'existence d'un péril imminent

En qualité d'autorité de police administrative générale, ainsi que le prévoit l'article L. 2212-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT), le maire peut agir « en cas de danger grave ou imminent ».

Aussi l'ordonnance du juge des référés de Rennes, dans l'affaire de Langouët, n'excluaient donc pas toute intervention du maire. Mais, en l'espèce, elle a considéré que n'avait pas été démontré le péril qui pouvait consister à ce que certains de ses administrés souffrent de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques.

Pouvoirs de police du maire

Article L. 2122-24 du CGCT : « Le maire est chargé , sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de l'exercice des pouvoirs de police , dans les conditions prévues aux articles L. 2212-1 et suivants. »

Article L. 2212-1 du même code : « Le maire est chargé , sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de la police municipale , de la police rurale et de l'exécution des actes de l'État qui y sont relatifs. »

Article L. 2212-2 du même code : « La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques . Elle comprend notamment : [...] 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure [...] ».

Article L. 2212-4 du même code : « En cas de danger grave ou imminent , tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances . Il informe d'urgence le représentant de l'État dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prises.»

Il s'agit également ici de la reprise de la jurisprudence précitée du Conseil d'État en matière de réglementation des OGM ou des antennes de téléphonie mobile.


* 1 Source : https://www.maireantipesticide.fr

* 2 TA Rennes n° 1904029 : « [...] ni les dispositions du CGCT ayant donné au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, le pouvoir de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, ni les articles L. 1311-1 et L. 1311-2 du code de la santé publique lui permettant d'intervenir pour préserver l'hygiène et la santé humaine, ni l'article 5 de la Charte de l'environnement, ni enfin le principe de libre administration des collectivités territoriales ne sauraient en aucun cas permettre au maire d'une commune de s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale par l'édiction d'une réglementation locale . » (considérant n° 4).

* 3 CE 24 septembre 2012 Commune de Valence, n° 342990 (réglementation des OGM) et CE 26 octobre 2011 Commune de Saint-Denis, n° 326492 (antennes de téléphonie mobile).

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