B. LE POINT SUR LES CONTENTIEUX EN COURS

1. Une jurisprudence administrative qui reconnaît le pouvoir d'intervention des maires à certaines conditions
a) Les divergences entre tribunaux administratifs sur le rôle des maires en cas de danger grave et imminent ou de circonstances locales particulières

Contrairement à la décision du tribunal administratif de Rennes, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a maintenu plusieurs arrêtés municipaux anti-pesticides. Ainsi, s'agissant notamment des communes de Gennevilliers, Sceaux (8 novembre 2019) et Antony (25 novembre 2019), une présomption de dangerosité a été retenue concomitamment à une « absence de mesures réglementaires suffisantes prise par les ministres titulaires de la police spéciale », cette argumentation ayant pu être considérée comme un revirement de jurisprudence à ce stade de la procédure. Selon le communiqué du tribunal administratif de Cergy-Pontoise relatif à l'ordonnance du 25 novembre 2019 sur l'arrêté anti-pesticides pris par la commune d'Antony, « Le juge des référés constate tout d'abord que les produits phytopharmaceutiques constituent un danger grave pour les populations exposées et que l'autorité administrative n'a pas pris de mesures suffisantes en vue de la protection de la santé publique. »

Dans cette série de décisions du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, les recours en annulation du préfet ont été rejetés chaque fois que certaines conditions étaient réunies : l'absence d'interdiction générale, l'existence de circonstances locales particulières comme la présence de publics fragiles (tel qu'un établissement hospitalier en bordure de voie ferrée).

Dans l'attente d'un jugement au fond de ces affaires, les élus locaux concernés ont pu estimer avoir agi à bon droit dans la mesure où l'exposition aux produits phytopharmaceutiques faisait courir un danger grave à la population.

Ces ordonnances ont pu se fonder sur deux précédents :

- d'abord une décision du Conseil d'État rendu en matière de police de l'eau (CE 2 décembre 2009 Commune de Rachecourt-sur-Marne, n° 309684) dans un domaine où la police spéciale en matière d'eau potable relevait du préfet, mais où l'intervention du maire avait été reconnue, celui-ci ayant décidé d'interdire l'activité d'une exploitation agricole à proximité d'un point de captage dont l'eau dépassait les limites admises en taux de nitrate ;

- puis une décision ultérieure du Conseil d'État relative à l'épandage des pesticides (décision du 26 juin 2019) où plusieurs dispositions de l'arrêté interministériel du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants, plus couramment dénommés pesticides, avaient été annulées au motif que ces dispositions ne protégeaient pas suffisamment la santé publique et l'environnement, notamment parce qu'il ne prévoyait pas de mesure générale pour les riverains des zones agricoles traitées.

Ces ordonnances de référé, prises en premier ressort, ont ainsi été perçues par les élus locaux comme une première reconnaissance de leur compétence à condition que le danger grave et imminent soit présumé et que des circonstances locales particulières soient démontrées.

b) En appel, le maintien d'une conception stricte de la notion de péril imminent et de circonstances locales particulières

Les arrêtés municipaux « validés » par le tribunal administratif de Cergy-Pontoise n'ont toutefois pas prospéré. Par six ordonnances en date du 14 mai 2020, le juge des référés de la cour administrative d'appel de Versailles a suspendu l'exécution des arrêtés des maires de Bagneux, Chaville, Gennevilliers, Malakoff, Nanterre et Sceaux interdisant l'utilisation de l'herbicide glyphosate sur le territoire communal, en rappelant d'une part que « le maire ne peut s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale qu'en cas de danger grave ou imminent ou de circonstances locales particulières » et, d'autre part, qu'aucune de ces conditions n'était satisfaite.

Communiqué de la cour administrative d'appel de Versailles du 15 mai 2020

Dans ces six affaires, le juge des référés de la cour a jugé que ces conditions n'étaient pas satisfaites.

D'une part, en effet, les communes en cause n'ont pas démontré l'existence d'un danger grave ou imminent en se bornant à faire état de leur engagement pour la protection de l'environnement, du nombre d'écoles, hôpitaux ou résidences pour personnes âgées regroupant des personnes vulnérables et de l'importance de la pollution atmosphérique, causée par la densité du réseau ferroviaire et routier.

D'autre part, l'existence de circonstances locales particulières n'a pas davantage été établie en l'absence de différences notables entre la situation prévalant dans les six communes considérées et celle qui est constatée dans de nombreuses communes de l'agglomération parisienne présentant les mêmes caractéristiques d'équipements et de populations.

Par suite, le juge des référés a estimé qu'en l'état de l'instruction, le moyen tiré de l'incompétence des maires des communes en cause était de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des arrêtés interdisant l'utilisation du glyphosate. Il a donc suspendu l'exécution de ceux-ci, en attente du jugement au fond.

La cour administrative d'appel a confirmé la conception stricte de la notion de péril imminent, impliquant une obligation d'agir pour le ministre. A contrario , une conception souple de la notion de péril imminent assouplirait le pouvoir d'intervention du maire tout en gardant à l'esprit qu'elle ouvrirait sa responsabilité en cas d'inaction.

2. Faut-il s'en tenir à l'appréciation du juge administratif ou réfléchir à une clarification législative ?
a) En attente d'une décision du Conseil d'État sur le fond

À ce jour, le Conseil d'État s'est prononcé sur l'encadrement réglementaire national de l'utilisation des produits phytopharmaceutique, mais toujours pas sur les arrêtés locaux pris par des collectivités territoriales.

Au niveau national, par une ordonnance du 14 février 2020, le juge des référés du Conseil d'État a rejeté la demande par le « collectif des maires anti-pesticides » de suspension en urgence du décret et de l'arrêté interministériel du 27 décembre 2019 fixant de nouvelles règles encadrant l'épandage des pesticides 4 ( * ) retenant des distances minimales de sécurité de 5, 10 et 20 mètres pour la protection des riverains. La nécessité de suspendre ces textes en urgence n'étant pas établie, le Conseil d'État devrait examiner le fond du dossier dans les prochains mois. En l'occurrence, cette position du Conseil d'État peut être comprise comme mettant fin à la présomption de dangerosité des produits en cause et donc de péril grave et imminent, expliquant de ce fait les décisions précitées de la cour administrative d'appel de Versailles.

La situation des diverses procédures en cours fait que les suspensions d'exécution des arrêtés municipaux « anti-pesticides » demeurent en attente d'un jugement sur au fond et laisse donc libre cours à l'appréciation du juge ou aux événements de procédure. Ainsi, il n'a pas été donné droit à la requête en annulation de l'arrêté municipal de la commune d'Antony par le préfet des Hauts-de-Seine en raison d'un recours trop tardif. En conséquence, perdurent sur le territoire national des réglementations locales différenciées non en raison du droit positif mais de situations de fait ou d'» aléas contentieux ».

b) Principe de subsidiarité et différenciation : faut-il reconnaître aux collectivités un pouvoir réglementaire d'adaptation locale d'une compétence nationale ?

Devant cette situation vécue comme « insécurisante » par des élus locaux de toutes sensibilités politiques, il pourrait être reconnu aux collectivités, en application du principe de subsidiarité, un pouvoir réglementaire d'adaptation locale d'une compétence nationale dans le cadre de la protection de la santé des administrés « en cas de danger grave ou imminent » et si « l'autorité administrative n'a pas pris de mesures suffisantes ».

Cette piste de réforme, identifiée par la délégation aux collectivités territoriales dans le cadre de la présente table ronde, pourrait utilement appeler un débat parlementaire plus large visant à mentionner à l'article L. 2212-2 du CGCT relatif aux pouvoirs de police du maire (ou, plus largement, à l'échelle des collectivités territoriales) la possibilité pour celui-ci de se substituer en qualité « d'autorité administrative » au pouvoir de police spéciale du ministre de l'Agriculture, selon des conditions à fixer au titre de l'autonomie et la différenciation des collectivités territoriales.


* 4 Décret n° 2019-1500 du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité des zones d'habitation et arrêté du 27 décembre 2019 relatif aux mesures de protection des personnes lors de l'utilisation de produits phytopharmaceutiques et modifiant l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime.

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