C. AXE 3 : ANTICIPER LES DÉFIS À VENIR

1. Poursuivre la dynamisation de la politique domaniale

Les GPM disposent de nombreuses opportunités à exploiter : des espaces disponibles importants sur leurs domaines, une grande diversité de terrains et un cadre juridique récemment rénové par la LOM au service de la valorisation du domaine 259 ( * ) . Pour le rapporteur, l'État doit soutenir les GPM dans la définition :

- d'une politique de rééquilibrage progressif de leur modèle économique entre droits de ports et recettes domaniales , ces dernières représentant en moyenne près de 50 % du montant des droits de ports dans les GPM 260 ( * ) , alors qu'elles peuvent représenter jusqu'à 130 % des droits de ports à Rotterdam ou Amsterdam. Cela passe par une clarification de la politique tarifaire des GPM, une stratégie commerciale coordonnée et offensive en matière de baisse des droits de ports, pour maîtriser l'effet sur les trafics, et par une politique foncière active et de développement de zones logistico-portuaires pour créer de nouvelles chaînes de valeur. La création de zones franches doit être également étudiée.

- d'une politique de développement volontariste et durable , en utilisant les conventions de terminal pour favoriser le report modal, la productivité et la performance environnementale de la chaîne logistique, en fixant des objectifs en matière d'investissement dans les équipements (grues, portiques, etc.), ainsi que par une application adaptée du principe de compensation écologique pour la mise en oeuvre du projet stratégique du GPM et de leurs projets, afin qu'ils jouent à armes égales avec leurs concurrents.

Là encore, l'intérêt de conclure un COP entre l'État et chaque GPM est avéré pour formaliser ces objectifs, qui pourraient être repris dans les lettres de mission des directeurs de port.

a) Mieux formaliser la politique tarifaire et renforcer les recettes domaniales des GPM

Le modèle économique des GPM est aujourd'hui à la croisée des chemins car les droits de port représentent 50 à 60 % de leur chiffre d'affaires contre 30 à 40 % dans les ports du range Nord, et qu'ils sont « sous pression » du fait :

- d'une part, de la dépendance des GPM à l'égard des trafics énergétiques (50 % des trafics en tonnage) qui ont baissé de 25 % depuis 2008 261 ( * ) dont la baisse devrait se poursuivre. À ce jour, les trafics de GNL ne peuvent pas compenser la baisse des autres trafics énergétiques 262 ( * ) ;

- d'autre part, d'une forte concurrence interportuaire sur le trafic de marchandises diverses et les trafics liés aux activités industrielles. À titre d'exemple, le GPMM a perdu l'approvisionnement de la raffinerie de Karlsruhe en 2012 au profit du port de Trieste, notamment pour des raisons de coût.

La chute des trafics d'hydrocarbures et la concurrence sur les trafics de conteneurs et de vracs solides impose une pression sur les droits de ports , qui se composent de plusieurs redevances 263 ( * ) à la charge de l'armateur, de l'expéditeur ou du destinataire de la marchandise. Les taux de chaque redevance sont fixés par le directoire dans les GPM 264 ( * ) , après une phase de consultation (notamment la consultation du premier collège du conseil de développement, composé de représentants de la place portuaire, pour 30 % des membres du conseil), par les conseils d'administration dans les ports autonomes 265 ( * ) et par l'autorité dont relève le port dans les ports décentralisés, le cas échéant sur proposition du concessionnaire de la gestion du port 266 ( * ) . Les taux sont considérés comme approuvés sauf si le commissaire du Gouvernement fait connaître son opposition dans un délai de quinze jours après transmission de l'information par le directoire 267 ( * ) .

À l'heure actuelle et malgré des progrès récents, ces droits représentent toujours une part importante de leurs recettes ( voir graphique ci-après ), alors que les GPM disposent d'emprises foncières considérables à développer.

Représentation de la décomposition
des chiffres d'affaires (en M€, axe de gauche) et des trafics (en M€, axe de droite)
des principaux GPM et de leurs concurrents du range Nord

Source : IGF-CGEDD.

La part des espaces disponibles pour de nouveaux aménagements dans le foncier portuaire représente 35 % à Dunkerque, près de 20 % au Havre et à Marseille (Bassin-Ouest), environ 10 % à Marseille (Bassins-Est) et Nantes et environ 5 % à Rouen 268 ( * ) .

En réduisant leur « dépendance » aux droits de ports volatiles , par le développement de leurs recettes domaniales, les GPM pourraient équilibrer les risques de leur modèle économique, améliorer leur résilience en cas de crise , comme c'est le cas actuellement avec une forte chute des trafics depuis décembre 2019, et retrouver un levier de compétitivité-prix sans compromettre leur situation financière à court et moyen terme : la chute de 27 % des trafics énergétiques depuis 2008, qui représentent 50 % des trafics des GPM a conduit à une baisse des droits de port d'environ 30 millions d'euros.

En outre, le rapporteur considère que les droits de ports peuvent être un outil au service de la transition écologique et solidaire : compte tenu des coûts croissants d'immobilisation des navires du fait de l'agrandissement de leur taille, une baisse des redevances sur le stationnement, par exemple, pourrait permettre à la place portuaire de mieux s'organiser pour proposer des solutions de transport massifiées.

Ce renforcement de la politique domaniale doit s'accompagner d'une clarification de la politique tarifaire des GPM. La mission IGF-CGEDD souligne un manque d'attention portée par le GPM aux stratégies tarifaires des autres acteurs de la place portuaire , qui peuvent annuler les efforts de compétitivité-prix des GPM ainsi qu'un manque de formalisation de la politique tarifaire des GPM, qui est par ailleurs peu encadrée par la loi ou les règlements en comparaison d'autres secteurs 269 ( * ) . Elle recommande notamment l'établissement d'un document formalisé, discuté en comité d'audit et en conseil de surveillance, valable pour la durée du projet stratégique avec une possibilité de réajustement annuel 270 ( * ) . Le rapporteur partage ces objectifs .

Des recommandations visant le développement des recettes domaniales

- Dans leur rapport au Premier ministre, François-Michel Lambert et Élisabeth Lamure invitaient le GPMM et le Gouvernement à relancer l'aménagement économique de Fos : « sur les 9 100 ha que compte le port, seulement 4 000 sont aménagés selon des modalités extensives, 3 800 sont sous protection environnementales, 1 200 à 1 300 resteraient disponibles ». Prenant appui sur une étude réalisée à la demande du GPMM 271 ( * ) , les parlementaires constataient que « ce Far-West vide génère peu de valeur ajoutée. Avec 400 ha, les bassins Est génèrent plus de 40 % de la recette domaniale du port alors que les 10 000 ha de Fos n'atteignent pas 60 % ». Ils relevaient que « réaliser des équipements de restauration et de service améliorerait nettement la perception de la zone par les collaborateurs des entreprises implantées, leurs clients et visiteurs ». Enfin, ils regrettaient que le potentiel de certains espaces ne soit pas davantage exploité : « les espaces fonciers en bord d'eau de l'axe Rhône (Rhône, Saône, Canal Rhône à Sète) ou des ports maritimes constituent des espaces rares à fort potentiel. Malheureusement au fil du temps, certains amodiataires ne valorisent pas l'opportunité qu'offre le fleuve ou la mer. Ces espaces sont alors immobilisés par des conventions de longue durée qui confient à des acteurs privés des espaces privilégiés sans obligation d'en faire usage ».

- Dans son rapport sur les ports ultramarins de 2015 fait au nom du CESE, Rémy-Louis Budoc attirait l'attention du Gouvernement sur le nécessaire agrandissement des capacités foncières des ports au service de leur développement, sur la meilleure prise en compte du développement portuaire dans la politique de planification et d'aménagement du territoire, en recommandant que les orientations régionales sur le développement des ports s'imposent, sous certaines conditions, aux SCOT ainsi que sur l'intérêt d'accorder un droit de préemption foncière à l'autorité portuaire, dès lors que le besoin correspondant figure bien dans le projet stratégique officiellement établi.

- Dans son rapport au Premier ministre, Michel Lalande appelait à « développer une planification stratégique pour faire des plateformes et des ports des espaces exemplaires en matière de développement durable » à travers une généralisation des schémas directeurs de protection de biodiversité et des plans d'aménagement et de développement durable.

- Un rapport du CGEDD et du CGEIET d'octobre 2013 rappelait que « les ports d'Europe du Nord se densifient et peuvent s'étendre massivement tout en ayant un niveau de sécurité et d'acceptabilité environnementale (local et européen) apparemment satisfaisant. Cela confirme, si besoin était, que les réglementations européennes - qui s'appliquent à eux comme aux ports français - ne sont pas en elles-mêmes un obstacle au développement portuaire. Les facteurs clefs de succès résident certainement dans la conduite des projets dans ses aspects techniques et administratifs, plus que dans les différences de principe. Procéder à des échanges de longue durée de fonctionnaires et à une meilleure coordination des positions françaises sur les dossiers portuaires vis-à-vis de l'Europe doit permettre des améliorations » 272 ( * ) .

- Dans ses réponses au questionnaire de la mission, l'IGF et le CGEDD identifient le développement des recettes domaniales comme principal levier de développement du chiffre d'affaires. Trois actions sont envisagées : « premièrement, mieux capter la valeur ajoutée issue des implantations domaniales grâce à une meilleure négociation et à un meilleur pilotage des conventions d'occupation du domaine ; deuxièmement, accueillir de nouvelles activités sur le domaine portuaire [...] ; troisièmement, la mise en place d'une stratégie de remontée de la chaîne de valeur par les GPM, en se positionnant comme investisseurs ou co-investisseurs dans certains projets de développement, sur le modèle des stratégies développées par Aéroports de Toulouse, SNCF Gares & Connexions ou le groupe ADP ».

Par ailleurs, les articles 131 et 132 de la loi d'orientation des mobilités favorisent les investissements privés sur le domaine portuaire :

- l'article 131 réaffirme la possibilité de conclure des conventions de terminal et permet aux GPM d'indemniser leurs cocontractants pour les ouvrages, constructions et installations de caractère immobilier réalisés pour l'exercice de leurs activités et de racheter certains biens meubles corporels et incorporels pour pouvoir les mettre à disposition ou les céder à d'autres cocontractants ;

- l'article 132 permet au titulaire d'une AOT au sein du domaine public portuaire de l'État et des collectivités territoriales d'utiliser à titre de garantie , pour financer des ouvrages, constructions ou installations, les droits réels non hypothéqués ainsi que les ouvrages, constructions et installations libres de tout droit qu'il a édifiés.

Ces potentialités doivent être pleinement exploitées . En parallèle, il est nécessaire, pour les GPM, de formaliser leur stratégie foncière, de densifier le contenu des conventions de terminal pour permettre à l'autorité portuaire de disposer d'informations utiles pour son activité et d'en améliorer le pilotage. La mission IGF-CGEDD relevait notamment, dans plusieurs conventions, l'absence de clause de révision et de mécanisme d'intéressement du port aux bénéfices ainsi que l'absence d'obligation de transmission régulière d'informations sur les trafics et les performances des terminaux 273 ( * ) . Dans ses réponses au questionnaire de la mission, l'IGF et le CGEDD recommandent de consolider les retours d'expérience sur le pilotage des conventions de terminal dans un document de lignes directrices qui préciserait les modalités de sélection des attributaires, les conditions de négociations et le contenu des conventions de terminal et d'autres outils d'occupation du domaine. Elle recommande également l'établissement d'une charte des bonnes pratiques. Cette recommandation rejoint le travail en cours entre le Gouvernement et les acteurs du secteur portant sur un guide d'application de la LOM. Le rapporteur souhaite que ce travail aboutisse rapidement pour que les règles du jeu soient claires pour les opérateurs : l'élaboration d'un guide d'application des réglementations domaniales permettra aux professionnels de disposer d'une lecture partagée et « prévisible » du dispositif suivie d'une application cohérente, en n'ayant recours au régime de la concession que dans des cas précis et limités. Il rappelle également la nécessité, pour le GPM, de présenter clairement ses orientations à la place portuaire , en application du dernier alinéa de l'article L. 5312-11 du code des transports, inséré par la LOM à l'initiative du rapporteur 274 ( * ) .

Toutefois, le rapporteur considère que la politique domaniale des GPM ne doit pas être guidée par des objectifs uniquement financiers, qui imposeraient une pression aux opérateurs de la place portuaire . Un développement des recettes domaniales peut se faire à partir des espaces disponibles sur le domaine public et par une diversification des actions de valorisation par exemple, la création de plateformes logistiques via des filiales, la location de certaines parcelles et dépendances pour des évènements professionnels de type salons ou congrès par exemple ou encore le développement d'espaces de restauration, de services et de loisirs pour les personnels travaillant sur le port. Ces actions seraient complémentaires de celles visant à développer d'autres sources de revenus , comme le conseil et l'ingénierie foncière ou encore la fourniture de nouveaux services aux clients en lien avec l'économie circulaire (écologie industrielle, agencement de plateformes industrielles) 275 ( * ) .

b) Créer les conditions du développement futur des ports

Ces dernières années, des progrès incontestables ont été accomplis en matière de simplification des démarches administratives pour les porteurs de projet (silence gardé par l'administration valant acceptation 276 ( * ) , sécurisation des contentieux 277 ( * ) , création du certificat de projet 278 ( * ) , création de l'autorisation environnementale unique), même si des marges de progrès demeurent 279 ( * ) . Le Gouvernement semble vouloir s'emparer du sujet de la simplification de l'instruction administrative des projets industriels, comme en témoigne le rapport remis en septembre 2019 par le député Guillaume Kasbarian au Premier ministre « 5 chantiers pour simplifier et accélérer les installations industrielles ».

Pour le rapporteur, ce mouvement de simplification doit être poursuivi , notamment dans le cadre de l'examen du projet de loi relatif à l'accélération et à la simplification de l'action publique (ASAP).

Par ailleurs, il s'est interrogé, au cours de ses déplacements et des auditions, sur l'application du principe de compensation écologique et la possibilité d'y apporter des dérogations très limitées, pour favoriser le développement futur du port et sur le modèle des pratiques constatées dans les ports du Nord, notamment Rotterdam, tout en conservant un haut niveau de protection de l'environnement. Ainsi, Valérie Fourneyron et Charles Revet soulignaient en 2016 que « Rotterdam a triomphé de ces contentieux, y compris à Bruxelles, et gagné 2 000 hectares sur la mer du Nord, dont 1 000 hectares pour des industries liées aux activités portuaires (Maasvlakte II) » 280 ( * ) .

Si la compensation écologique doit demeurer le dernier recours , dans la séquence « éviter, réduire, compenser », le rapporteur considère que le principe de proximité 281 ( * ) applicable aux compensations écologiques doit être appliqué avec discernement , pour éviter de compromettre à terme les objectifs qu'il vise, et pour permettre le développement futur du port. Sans remettre en cause cette ambition, le rapporteur souhaite que, localement, des adaptations soient possibles au service du développement du port. La compensation écologique pourrait notamment être utilisée pour développer des « ceintures vertes » autour des ports, renforçant leur intégration dans leur environnement et la préservation de ce dernier.

En complément, pour permettre une meilleure insertion des ports dans leurs environnements, le rapporteur considère que les documents de planification locaux (SCOT, PLU, SRCE, SRADDET) devraient mieux intégrer les projets stratégiques des ports.

Enfin, le rapporteur souhaite que la piste de création de « zones logistico-portuaires franches » (ZLPF) soit étudiée dans un objectif de stimulation de l'activité et des exportations puisqu'elles consistent à mettre en place des exonérations favorables à l'activité (droits de douanes, fiscalité sur les bénéfices, fiscalité foncière, exonérations de cotisations sociales). La récente annonce du gouvernement britannique visant à créer une dizaine de « ports francs », aux portes de l'Europe, pose un défi d'attractivité au continent européen. Ces structures permettent de suspendre le paiement des droits de douane et de TVA jusqu'à l'exportation définitive dans le pays de destination. À ce dispositif, peuvent s'ajouter des exonérations fiscales et sociales pour favoriser la production dans l'enceinte du port franc.

La France doit user d'une large palette d'instruments pour favoriser les implantations d'industriels au sein de plateformes connectées au réseau portuaire et permettant d'assurer la fluidité du transport de marchandises. Une mission a d'ailleurs été confiée au CGEDD et à l'IGF pour examiner les leviers mobilisables sur ce sujet, au premier semestre 2020.

Une piste pourrait consister à répliquer les dispositifs existants par exemple dans la politique de la ville, comme les zones franches urbaines (ZFU-TE), pour favoriser l'installation de nouvelles activités à travers des exonérations d'impôt sur les bénéfices et de cotisations sociales patronales pendant une durée limitée.

Dans ses réponses au questionnaire de la mission, la DGITM indique qu'un « point de contact unique pour l'ensemble des formalités aux frontières regroupant les services des douanes, les services vétérinaires et phytosanitaires et la DGCCRF sera mise en place de façon expérimentale dès 2020 au Havre et à Dunkerque. Il constituera pour les importateurs et les exportateurs un gain important en termes de performance. Il sera chargé de répercuter aux différents services de contrôle de l'État les formalités relevant de leur champ de compétence, de manière transparente pour les acteurs privés. De même, de nouveaux ajustements sur les procédures d'implantation des entrepôts logistiques sont décidés pour en simplifier le cadre réglementaire. En 2017, les prescriptions relatives aux entrepôts logistiques généralistes avaient fait l'objet d'une refonte en profondeur, pour davantage de cohérence entre les différents régimes (déclaration, autorisation simplifiée appelée enregistrement, et autorisation) et davantage d'ouverture aux innovations. Une nouvelle étape sera effectuée en 2020 en élargissant le champ du régime d'enregistrement qui permet une délivrance plus rapide de l'autorisation (de 300 000 à 900 000 m 3 pour les entrepôts généralistes de moins de 40 000 m 2 de surface au sol) et en traitant certains entrepôts spécialisés (ceux ne relevant pas de la directive Seveso et ne contenant pas des poussières bois) de la même manière que les entrepôts généralistes. Enfin, les enjeux du secteur logistique seront pris en compte dans une prochaine réforme de la fiscalité des locaux industriels ».

Les conséquences du Brexit :
le développement de zones franches portuaires britanniques ?

Une zone franche est « une petite aire, géographiquement délimitée, au sein de laquelle les activités industrielles et/ou commerciales bénéficient d'un régime particulier en matière de fiscalité ; celle-ci peut être réduite ou inexistante et, le plus souvent, elle fait l'objet d'un allégement réglementaire » 282 ( * ) . Dans ce périmètre, les marchandises y entrent et sortent sans faire l'objet de contrôle douanier et sans être assujetties aux droits de douane à condition que ces flux se réalisent avec l'international. Ainsi, ces zones sont vouées à recevoir des marchandises provenant de l'international et à les réexpédier par la suite vers d'autres pays : elles reviennent in fine à faire reculer la frontière économique de l'État.

Les zones franches portuaires peuvent être composées d'entrepôts permettant le stockage des marchandises, mais aussi d'usines fabriquant des composants voués à l'exportation (s'ils sont introduits dans l'État hôte, alors l'industriel doit payer les droits de douane correspondant). L'Union européenne comporte plus de 80 zones franches portuaires (la France a notamment celle située sur le port du Verdon appartenant au Grand Port Maritime de Bordeaux), effectif faible compte tenu de l'existence de plusieurs milliers de ces zones dans le monde principalement localisées aux États-Unis et à Singapour.

Le Royaume-Uni compte à ce jour aucune zone franche portuaire ; mais cette situation va certainement évoluer puisqu'en février 2020, le gouvernement britannique a annoncé son intention d'ériger jusqu'à dix ports en zones franches permettant ainsi de doper la croissance et de créer des emplois dans le contexte post-Brexit. Ces zones doivent être opérationnelles en 2021.

Cependant, ces zones franches sont vivement critiquées : d'une part, elles sont accusées de favoriser l'évasion fiscale et les activités de blanchiment d'argent ; et d'autre part, l'argument de gain d'activité engendré par ces zones ne tient pas (elle déplace plus une activité d'un territoire à un autre qu'elle n'en crée). En outre, ces zones ont un coût élevé pour les finances publiques.

Dans le cas précis du Royaume-Uni, la création de zone franche portuaire n'apporterait que des avantages limités puisque les droits de douanes entre le pays et l'Union Européenne seront a priori peu élevés. Ainsi, ces zones ne seraient intéressantes que si elles sont couplées à d'autres mesures comme la réduction du coût du travail. Néanmoins, ces zones doivent respecter les règles de l'OMC en matière de subventions et les clauses spécifiques éventuelles de l'accord commercial entre l'île et l'Union.

Proposition n° 8 : clarifier la politique tarifaire des GPM en matière de droit de ports et diversifier leurs recettes domaniales à travers de nouvelles actions de valorisation. Élaborer rapidement, à l'usage des autorités portuaires et des entreprises, un guide d'application des conventions de terminal, récemment rénovées par la loi d'orientation des mobilités (LOM), à l'usage des autorités portuaires et des entreprises.

2. Accompagner les ports dans la transition écologique et numérique

La transition écologique et numérique des ports peut se traduire par d'importants gains de compétitivité . Sa réussite est toutefois conditionnée à la capacité de l'État et des GPM à définir des programmes adaptés et à accompagner les acteurs.

a) La décarbonation du transport maritime et les énergies marines renouvelables : deux leviers de la transition écologique des ports maritimes
(1) Soutenir la décarbonation du transport maritime

La perspective d'une augmentation rapide du fret international 283 ( * ) rend indispensable un verdissement du transport maritime , qui représentait, en 2016, 5 % de la demande pétrolière et 2 à 3 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre 284 ( * ) . Le fioul lourd, principal carburant utilisé par les navires, se caractérise par ses importantes émissions d'oxyde d'azote, d'oxyde de soufre et de particules fines. Si les compagnies ont, depuis quelques années, réduit leur taux d'émission à la tonne transportée par la réduction de leur vitesse ( slow steaming) 285 ( * ) , les récentes évolutions de la règlementation 286 ( * ) imposent aux armateurs et aux ports de faire des choix rapides en matière de technologies et d'installations .

Deux énergies alternatives répondent à l'enjeu de transition énergétique : d'une part le gaz naturel liquéfié (GNL) et d'autre part l' électricité à quai .

Le GNL, dont l'utilisation permet de réduire de 100 % les émissions de soufre et de particules fines, de 80 à 90 % les émissions d'oxyde d'azote et de 10 à 20 % celles de CO 2 287 ( * ) , constitue une alternative au fioul lourd. Son utilisation impose néanmoins un certain nombre de contraintes d'exploitation et un surcoût élevé 288 ( * ) .

Le développement des navires à propulsion GNL

En 2018, seuls 121 navires sur 50 000 utilisaient, dans le monde, la propulsion au GNL 289 ( * ) . D'après l'ISEMAR, ce chiffre devrait doubler d'ici 2025, eu égard aux carnets de commande des constructeurs.

CMA CGM a annoncé 290 ( * ) en 2017 la commande de neuf porte-conteneurs géants de 22 000 EVP propulsés au GNL, avec une cuve de 18 000 mètres cubes installée à l'avant de chaque navire puisque le GNL, peu dense, nécessite des cuves plus volumineuses. Le premier de ces porte-conteneurs a été mis à l'eau en septembre 2019 291 ( * ) .

D'importants investissements restent à réaliser pour les armateurs, dans des délais contraints pour respecter les objectifs de réduction des émissions du transport maritime 292 ( * ) . Des aides au verdissement des navires sont ainsi nécessaires pour accompagner ce mouvement, comme le suramortissement en faveur de l'achat de navires propres décrit ci-dessous.

Le suramortissement en faveur de l'achat de navires utilisant
des énergies propres prévu à l'article 39 decies C du code général des impôts 293 ( * ) :

Ces derniers peuvent ainsi déduire de leur résultat imposable :

- une somme égale à 125 % des coûts supplémentaires liés à l'installation d'équipements permettant l'utilisation d'hydrogène ou de toute autre propulsion décarbonnée comme énergie propulsive principale ;

- une somme égale à 105 % des coûts supplémentaires liés à l'installation d'équipements permettant l'utilisation du gaz naturel liquéfié comme énergie propulsive principale ;

- une somme égale à 85 % des coûts supplémentaires liés à l'installation des biens destinés au traitement des oxydes de soufre, oxydes d'azote et particules fines contenus dans les gaz d'échappement ;

- une somme égale à 20 % de la valeur d'origine des biens destinés à l'alimentation électrique durant l'escale par le réseau terrestre ou au moyen de moteurs auxiliaires utilisant le gaz naturel liquéfié ou une énergie décarbonée.

Ce dispositif, qui, en l'état actuel du droit, doit s'appliquer jusqu'au 31 décembre 2022, devrait être prolongé au moins jusqu'en 2025. L'accélération des normes en matière de verdissement de la flotte doit, en effet, s'accompagner d'un soutien financier pour parvenir aux objectifs ambitieux en matière de réduction des émissions du transport maritime.

Pour l'association française du gaz (AFG) 294 ( * ) , étant donné la durée de vie d'un navire (environ 25 ans), le verdissement de la flotte doit aussi passer par un renforcement des aides en faveur de la conversion des navires . L'AFG considère en outre qu'il est nécessaire d'introduire des critères de verdissement pour les navires de service.

Pour les ports, ces évolutions se traduisent par un important besoin d'infrastructures pour l'avitaillement des navires, le système d'avitaillement du GNL étant très différent de celui du fioul. Aussi, une directive de 2014 295 ( * ) impose aux États membres de l'Union européenne de mettre en place un nombre approprié de points de ravitaillement en GNL dans leurs ports maritimes pour permettre la circulation des navires propulsés au GNL sur l'ensemble du réseau central du RTE-T au plus tard le 31 décembre 2025 . Le cadre d'action national de développement des carburants alternatifs (CANCA) définit des objectifs de déploiement des infrastructures à horizon 2025 et 2030. La carte ci-après présente les potentiels points d'avitaillement par ports.

D'ores et déjà, les ports de Marseille , du Havre , de Nantes et de Dunkerque offrent des stations de distribution au GNL par camion-citerne. La DGITM 296 ( * ) estime qu'au Havre, il convient à terme de développer, pour les grands volumes d'avitaillement en GNL, une offre de service basée sur un engin flottant pouvant se réapprovisionner localement, ce qui suppose d'installer des capacités de stockage sur le port. Le coût d'investissement global représenterait 8 à 12 millions d'euros et son déploiement s'étalerait sur 4 à 5 ans .

Source : Réponse au questionnaire budgétaire à l'occasion
de l'examen du projet de loi de finances pour 2019.

La possibilité pour un port d'avitailler les navires en GNL constitue, à long terme, un enjeu important de compétitivité. C'est pourquoi un accompagnement de l'État sur ce sujet est essentiel. Des mesures ont été prises dans cette perspective 297 ( * ) :

- un barème d'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (IFER) a été créé au 1 er janvier 2020 sur les terminaux GNL dont la capacité de stockage est inférieure à 100 000 mètres cubes (pour adapter la fiscalité aux terminaux de petite capacité comme celui de Fos Tonkin) ;

- le règlement pour la manutention des marchandises dangereuses a été adapté pour prendre en compte la manutention du GNL.

L' électricité à quai (ou cold ironing) consiste à raccorder le navire, lors de son escale, au réseau électrique terrestre, ce qui permet de réduire les émissions de particules fines en zones urbaines générées par les navires à quai. Or, cette technologie soulève un certain nombre de questions d'ordres technique (capacité du réseau électrique national, sécurité des installations), stratégique (en fonction du choix des armateurs pour permettre de sécuriser les investissements nécessaires) et financier puisqu'elle nécessite, comme le GNL, le développement d'importantes infrastructures pour les places portuaires, et des surcoûts pour les armateurs 298 ( * ) , qui rendent nécessaire un soutien de l'État. D'après les informations recueillies par la mission, l'installation de 15 à 21 prises serait encore nécessaire pour équiper les GPM, pour un coût qui pourrait représenter entre 90 et 180 millions d'euros .

Diverses initiatives ont déjà été mises en oeuvre pour développer le branchement à quai : le port de Marseille mène une politique ambitieuse en la matière ( cf. encadré ci-après ) et le port de Toulon a annoncé qu'il allait équiper à horizon 2020 l'ensemble de ses quais de dispositifs d'alimentation électrique pour navires. Le port de Dunkerque, enfin, a investi dans l'équipement d'un quai pour alimenter un porte-conteneur. En janvier 2020, l'APL SINGAPURA a inauguré ce dispositif.

La politique ambitieuse du GPM de Marseille en matière d'électricité à quai 299 ( * )

Le GPM de Marseille est le premier port français à proposer un branchement à quai destiné à des navires de commerce. Une opération d'investissement de l'ordre de 20 millions d'euros a été actée en juin 2019 pour la réalisation d'installations électriques qui permettront une offre 100 % électrique d'ici 2025 sur les quais ferries internationaux, pour la réparation navale (d'ici 2022) et sur les quais de croisière entre 2022 et 2025.

Quelques mesures récentes ont été prises pour développer l'électricité à quai , comme l'application d'un tarif préférentiel de la taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité pour l'alimentation à quai des bateaux et navires autres que ceux utilisés pour la navigation de plaisance privée 300 ( * ) . La LOM en outre a clarifié le statut juridique des opérateurs d'infrastructures de recharge et de fourniture d'énergie concernant l'alimentation électrique issue de ressources renouvelables à quai et la fourniture du GNL aux bateaux et navires : cette activité ne constitue pas une fourniture d'électricité, mais une prestation de service 301 ( * ) .

D'importants efforts doivent enfin être menés en parallèle en matière de recherche et développement, pour permettre aux ports d'anticiper, autant que faire se peut, les prochaines évolutions technologiques et réglementaires en la matière. Certains ports ont d'ores et déjà initié des projets intéressants en la matière, comme le développement, au port de Sète, d'une barge zéro émission et multi-services pour fournir de l'énergie électrique aux navires en escale avec une pile à hydrogène vert 302 ( * ) .

Au total, la mission d'information considère que la crise sanitaire ne doit surtout pas conduire à un « stop » au processus de verdissement du transport maritime 303 ( * ) . Plus encore, les investissements portuaires nécessaires à sa décarbonation génèreront, à terme, d'importantes externalités positives et donneront un avantage compétitif aux ports qui auront su se doter des infrastructures nécessaires pour accueillir les navires les moins polluants.

À l'échelle de l'Union européenne, le déploiement des infrastructures nécessaires à l'utilisation de carburants alternatifs dans le transport maritime bénéficie de soutiens financiers au travers du MIE et d'instruments spécifiques comme les Autoroutes de la mer. En outre, la Commission européenne proposera une révision de la directive de 2014 et étudie désormais la nécessité d'une proposition législative visant à soutenir la demande de carburants plus propres dans le transport maritime (initiative FuelEU Maritime) 304 ( * ) . À l'échelle nationale, la LOM prévoit la définition d'une stratégie « pour accélérer la transition vers une propulsion neutre en carbone à l'horizon 2050 pour l'ensemble des flottes de commerce, de transport de passagers, de pêche et de plaisance sous pavillon national » 305 ( * ) .

(2) Définir une stratégie coordonnée des ports sur les énergies renouvelables et l'économie circulaire.

À l'occasion de ses déplacements sur les différentes places portuaires métropolitaines, la mission d'information a constaté le développement de nombreux projets d'énergies marines renouvelables (EMR) et l'installation d'usines dédiées à la production ou à l'assemblage de pièces destinées à la production d'énergies renouvelables sur les zones industrialo-portuaires . Le GPM de Nantes Saint-Nazaire est particulièrement avancé sur ces questions : la double usine Alstom/GE installée à Montoir depuis 2014 a commencé sa production de turbines et de nacelles en 2016 306 ( * ) et un prototype d'éolienne offshore y est testé à terre 307 ( * ) .

Comme le souligne le rapport IGF-CGEDD, les EMR nécessitent beaucoup d'espace et de quais mais sont moins génératrices de trafics que les filières industrielles traditionnelles, même si elles sont susceptibles de générer des revenus fonciers. Elles constituent pour certains ports l'occasion de se spécialiser dans la maintenance de ces installations , mais force est de constater que « de nombreux [...] GPM et ports décentralisés sont engagés ou envisagent l'implantation de ces activités, au risque de constituer des doublons et des surcapacités » 308 ( * ) .

La mission considère que les investissements liés aux parcs éoliens offshore doivent faire l'objet d'une vigilance particulière : si la phase de développement sera d'abord très forte, avec d'importantes créations d'emplois à la clé 309 ( * ) , il est à craindre que leur effet d'entraînement ne soit pas assuré à moyen et long termes, c'est-à-dire après l'installation des différents champs. C'est pourquoi il est souhaitable de définir une stratégie coordonnée, à l'échelle nationale, sur ces sujets , plutôt que de laisser prospérer des initiatives éparses qui pourront se révéler à l'avenir peu efficaces.

S'agissant de l'installation d'infrastructures de production d'énergies renouvelables sur les places portuaires , leur développement s'accompagne, « d'investissements lourds, dans un contexte d'incertitudes élevées » 310 ( * ) . Leur développement devrait donc s'inscrire dans le cadre d'une stratégie plus globale qui dépasse le seul domaine portuaire, afin d'éviter les initiatives éparses sur chacun d'entre eux.

Une stratégie s'avère enfin nécessaire en matière d' économie circulaire sur les places portuaires. Comme le souligne le rapport sur l'axe Nord, « Les ports sont des territoires qui fonctionnent assez souvent comme des écosystèmes industriels. Les co-produits des uns sont souvent les produits des autres. » 311 ( * ) Certains ports ont déjà pris des initiatives en la matière, comme le GPM de Dunkerque, dont le projet stratégique évoque la mise en place d'une écologie industrielle sur le domaine portuaire et du territoire dunkerquois 312 ( * ) , qui vise à augmenter les performances économiques et environnementales du territoire, par le biais de coopérations entre les entreprises 313 ( * ) . À titre d'exemple, l'entreprise Ecocem récupère les laitiers (qui sont des co-produits de la sidérurgie) d'Arcelor Mittal afin de produire du ciment écologique 314 ( * ) . Le port de Nantes Saint-Nazaire a quant à lui développé un projet visant à valoriser les amarres de navire dans du béton 315 ( * ) . La définition d'un cadre national pourrait favoriser l'émergence de telles initiatives.

b) Ne pas rater le tournant de la transformation numérique du transport maritime

La transformation numérique représente une opportunité majeure pour l'amélioration de la compétitivité des ports français : « elle permet [...] potentiellement de réduire les coûts et d'améliorer la fiabilité et la fluidité du passage portuaire » 316 ( * ) . Les outils numériques sont en effet susceptibles de renforcer l'efficacité de la chaîne logistique en permettant un suivi précis des informations relatives aux marchandises et aux navires . Dès lors, ils contribuent à améliorer la compétitivité hors coûts des ports , grâce à une meilleure prévisibilité et à une plus grande fluidité 317 ( * ) .

Aux termes de la Convention visant à faciliter le trafic maritime international (FAL) de l'Organisation maritime internationale (OMI), les autorités publiques sont tenues de mettre en place des systèmes permettant l'échange d'informations de façon numérique 318 ( * ) . Plus récemment, la signature d'un accord de partenariat pour la numérisation maritime 319 ( * ) vise à développer l'harmonisation des normes relatives aux données, ce qui pourrait, à terme, permettre la bonne synchronisation des navires 320 ( * ) .

À l'échelle européenne, un règlement de 2019 321 ( * ) établit un système de guichet unique maritime européen , dont l'objectif est d'harmoniser et de simplifier la communication entre les utilisateurs et les autorités maritimes, via le développement d'un ensemble commun de données, d'interfaces harmonisées communes et de mécanismes de réutilisation des données qui simplifieront l'échange d'informations et réduiront la charge administrative liée à une escale. ( L'annexe dresse le bilan de la simplification des formalités applicables aux navires ) . En outre, la Commission a proposé un nouveau règlement sur les informations électroniques relatives au transport de marchandises (eFTI), qui permet le partage électronique des données relatives au transport de marchandises avant ou après leur arrivée au port, assurant ainsi une visibilité en temps réel de la circulation des marchandises tout au long de la chaîne logistique 322 ( * ) .

En France, le déploiement de deux Cargo community systems 323 ( * ) (CCS) concurrents (S)One d'une part et Ci5 d'autre part) nuit à la compétitivité des ports français . D'après TLF Overseas 324 ( * ) , cette multiplication des interfaces qui ne sont pas interopérables n'incite pas les opérateurs à orienter les schémas logistiques vers la France dans la mesure où ils ne peuvent pas disposer d'une visibilité globale de leurs positions sur les différents sites portuaires français. À l'inverse, certains systèmes des ports du range Nord (Hambourg, Brême, Rotterdam) sont interopérables. À Anvers, le système est a fortiori ouvert aux commissionnaires étrangers avec de nombreux modules gratuits, alors qu'en France, les CCS sont réservés aux seules entreprises présentes sur la place portuaire. Il convient donc d' accélérer les travaux visant à l'interopérabilité et à l'ouverture des CSS dans l'objectif d'améliorer la compétitivité des ports français .

Plus encore, et comme le préconise le rapport de M. Bernard Lalande pour l'axe Nord 325 ( * ) , il serait opportun, à moyen terme, d'étudier la possibilité de créer une plateforme numérique de fret multimodale, qui permettrait de déployer des solutions logistiques jusqu'au dernier kilomètre en utilisant les modes de transports massifiés et les plateformes multimodales associées. À titre d'exemple, VNF a prévu de déployer le système d'informations fluviales (SIF) de l'axe Seine pour le connecter à une plateforme digitale de fret intermodale en vue, in fine , de relier le SIF au CCS et de proposer une interconnexion entre les plateformes fluviales et les ports. L'objectif d'une telle initiative est d'améliorer le transport intermodal et de réduire les temps d'attente et les situations de congestion du trafic.

La transformation numérique des ports pose enfin la question de l'automatisation de certains de leurs terminaux. S'il s'agit d'un sujet extrêmement sensible en France, il est considéré, d'après la Feport 326 ( * ) comme une opportunité permettant aux partenaires sociaux de co-construire des projets d'évolution technologique de grande ampleur dans les ports du range Nord 327 ( * ) . La mission considère, comme plusieurs acteurs, que ce sujet ne peut être envisagé que dans une phase de croissance, et de manière très progressive, et en veillant évidemment à associer les dockers à cette réflexion.

Proposition n° 9 : accompagner les ports dans la transition écologique et numérique (GNL, électricité à quai, énergies renouvelables, économie circulaire, cargo community system ), en soutenant les investissements nécessaires au développement de carburants alternatifs au fioul lourd et de l'électrification à quai pour respecter les objectifs de réduction des émissions liées au transport maritime, en créant les conditions favorables au verdissement de la flotte (aussi bien des navires de commerce que des navires de service, par exemple pour ceux utilisés pour le dragage et le remorquage), notamment par la prolongation jusqu'en 2025 du régime de suramortissement applicable à certains investissements verts des armateurs, en définissant un projet coordonné à l'échelle nationale relatif au développement des énergies renouvelables (éolien offshore et énergies renouvelables sur le domaine portuaire) et de l'économie circulaire sur les sites portuaires, en accélérant les travaux relatifs à l'interopérabilité et à l'ouverture des systèmes d'information comme le Cargo community system (CCS), en développant des outils numériques pour renforcer l'efficacité du trafic intermodal et suivre la chaîne logistique de bout en bout et en veillant à ce que les questions de numérisation et d'automatisation soient abordées de manière progressive, pendant des phases de croissance des trafics et en concertation avec les dockers.

3. Définir une doctrine nationale et européenne sur les « nouvelles routes de la soie »

Lancée en 2013 par le président de la République populaire de Chine Xi Jinping la stratégie « One Belt, One Road » , également appelée « Nouvelles routes de la soie », vise à conforter l'influence mondiale de la Chine et se matérialise par un plan d'investissements massifs en matière d'infrastructures (lignes de chemin de fer, infrastructures portuaires, terminaux intermodaux, zones économiques spéciales, infrastructures numériques...), en grande partie fléchés sur le continent eurasiatique mais dont les contours sectoriels et géographiques sont mouvants 328 ( * ) .

Les nouvelles routes de la soie : évaluation des besoins en investissement 329 ( * )

D'après la Banque asiatique de développement, les besoins en matière d'infrastructure du continent eurasiatique s'élèveraient entre 22 500 et 26 000 milliards de dollars sur la période 2016-2030 . L'effort d'investissement annuel représenterait, d'après les autorités chinoises, entre 1 000 et 4 000 milliards de dollars.

a) La route de la soie maritime : une augmentation des prises de participations chinoises dans les ports européens

Le volet maritime de cette stratégie vise à relier la Chine à l'Afrique de l'est et à la Méditerranée ( en bleu sur la carte ci-après ).

Source : Julien Dumond, Martin Landais et Pierre Offret, Trésor-éco n° 229, octobre 2018, « Les nouvelles routes de la soie ».

La Chine a d'ores et déjà conclu de multiples partenariats économiques avec les pays longeant cette route pour la construction d'infrastructures diverses (gazoduc en Birmanie, routes au Cambodge, liaisons ferroviaires en Éthiopie et au Kenya). En matière portuaire, elle a pris des participations dans de nombreux ports et investi dans certains terminaux , comme au Sri Lanka, à Djibouti ou encore en Turquie.

D'après la direction générale du trésor (DGT), cette stratégie peut être porteuse d'améliorations objectives pour les ports en question , comme en témoigne l'exemple de la concession de la gestion du port du Pirée par COSCO - premier armateur chinois - qui s'est accompagnée d'une augmentation de la rentabilité de l'infrastructure 330 ( * ) .

La DGITM considère également que la stratégie chinoise doit être pensée, en France, à la fois en termes d' opportunités et de risques .

Opportunités et risques du programme des « nouvelles routes de la soie »

Opportunités :

- accélération de la croissance du commerce maritime entre ports européens et asiatiques (e.g. multiplication par 2,5 du commerce de conteneurs d'ici 2040) ;

- revalorisation de la façade méditerranéenne aux dépends des ports de la Northern Range, avec une baisse attendue de 15 % de leur part de marché avec la Chine ;

- développement du mode ferroviaire avec la liaison Chine-Europe, qui permettra de rentabiliser certaines lignes de fret, notamment à l'est de la France, et accélérer la multimodalité ;

- soutien critique au développement de projets d'infrastructures d'ampleur avec des acteurs chinois capables de supporter le risque de construction dans des délais rapides.

Risques :

- dépendance économique accrue envers la Chine, qui peut décider unilatéralement de changement dans sa politique commerciale (e.g. taxes ou boycott de produits) ;

- atteinte à la souveraineté nationale avec la montée au capital dans des actifs stratégiques de la Chine, par vagues successives (e.g. port du Pirée en Grèce) ;

- opacité et non performance de l'allocation de ressources dans des projets non viables économiquement et/ou non performants sur le plan environnemental ;

- compétition par le bas entre États européens avec risque de dumping social, fiscal et environnemental.

Toutefois, dans la mesure où cette initiative peut se traduire par une augmentation du poids de la Chine dans les dettes extérieures des pays concernés, elle est porteuse de potentielles dérives , notamment dans les cas où l'endettement devient insoutenable, conduisant parfois à la remise en cause des intérêts et de la souveraineté des pays hôtes. L'exemple le plus frappant à ce titre est celui du Sri Lanka ( voir encadré ci-après ). En outre, les retombées économiques bénéficient le plus souvent aux entreprises chinoises, sélectionnées pour la mise en oeuvre des projets, et non aux acteurs locaux. Ainsi, d'après la DGT, 91 % des revenus réalisés par le port de Gwadar , au Pakistan, devraient bénéficier à la Chine dans les 40 années à venir 331 ( * ) .

La diplomatie par la dette :
l'exemple de la concession du port de Hambantota au Sri Lanka 332 ( * )

À l'issue de la guerre civile, le gouvernement sri-lankais a demandé une aide à la Chine, notamment pour la construction d'un port de commerce situé sur la côte sud (Hambantota). L'explosion de la dette sri-lankaise (dont 5 milliards de dollars dus à la République populaire de Chine) a finalement conduit le gouvernement à céder le port de Hambantota et 6 000 hectares de terrain alentours à la Chine pour 99 ans en décembre 2017 . L'exposition financière du Sri Lanka pourrait même être supérieure selon d'autres données.

Pour le rapporteur, les menaces que fait peser la stratégie des nouvelles routes de la soie en matière de souveraineté et de compétitivité sont plus importantes que les potentielles opportunités qui y sont associées, pour la France comme pour l'Union européenne. Alors que les projets en Méditerranée se multiplient, aucune véritable réponse coordonnée n'est prévue à l'échelle de l'Union européenne , qui est pourtant l'échelon pertinent sur ce sujet.

Les participations chinoises dans les ports européens vont en effet croissant et à un rythme rapide ( voir graphique ci-après ). D'après Olaf Merk, spécialiste du transport maritime du Forum international du transport (FIT) à l'OCDE, 4 voies sont ouvertes pour les participations chinoises dans les ports européens 333 ( * ) :

- par le biais d'un opérateur public privatisé (exemple du Pirée) ;

- par le biais d' opérateurs intégrés (c'est-à-dire des armateurs qui ont aussi des terminaux et qui ont vendu des terminaux ou des parts dans lesdits terminaux, comme dans le cas de Zeebruges, où COSCO a repris en 2017 le terminal de conteneurs APM Terminals, qui est une filiale de l'armateur Maersk) ;

- via un fonds d'investissement qui a pris des participations dans des terminaux puis les a vendues (comme pour le terminal Noatum Container Termina à Valence, dont COSCO a racheté les parts détenues par JP Morgan en juin 2017) ;

- via un opérateur indépendant (comme à Rotterdam).

Source : Olaf Merk, février 2020, « Performance et gouvernance des ports français ».

À l'heure actuelle, deux entreprises d'État chinoises sont actives en Europe : COSCO et China Merchants Group. Les participations chinoises concernent au total 16 terminaux dans 13 ports européens et représentaient en 2019 environ 11 millions d'équivalents vingt pieds, soit 10 % du volume européen 334 ( * ) .

Source : Olaf Merk, février 2020, « Performance et gouvernance des ports français ».

Exemples de participations chinoises dans les ports européens 335 ( * ) :

- en Grèce , le port du Pirée appartient à 67 % à l'armateur chinois COSCO depuis 2016. Ce dernier y a investi 600 millions d'euros ;

- en Espagne , COSCO Shiping détient 51 % de la holding opérant les terminaux à conteneurs à Valence et Bilbao ;

- en Italie , les acquisitions chinoises se sont récemment multipliées : en mars 2019, l'Italie a signé des accords économiques avec la Chine visant à intégrer les ports de Gênes et Trieste au programme de routes de la soie chinois.

b) Définir une réponse coordonnée à la stratégie chinoise pour préserver nos actifs stratégiques

Cette augmentation des participations chinoises dans les ports européens s'est notamment organisée dans le cadre d'accords bilatéraux , pays par pays, ou encore par régions 336 ( * ) . Pour le Secrétaire général de la mer, M. Denis Robin : « La Chine [...] a un poids déterminant dans la hiérarchisation des différents ports européens. L'Europe n'a pas apporté une réponse négociée face à ce défi, chaque État décidant d'entrer, ou non, dans la stratégie proposée par la Chine » 337 ( * ) . Les stratégies éparses et les actions séparées menées jusqu'à présent, qui visent, pour chaque pays, à tenter de tirer profit de la présence chinoise, sont dangereuses pour le rapporteur. Le cas du port du Pirée est à cet égard tout à fait éclairant : le trafic y a considérablement augmenté, en raison notamment des prix très bas qui y sont pratiqués, mais au détriment des grands ports européens .

L'Union européenne a adopté, en mai 2017, des « messages communs », selon lesquels elle accueille positivement l'initiative chinoise , dans la mesure où elle est susceptible de contribuer durablement à la croissance dans la région eurasiatique 338 ( * ) . La Commission a néanmoins estimé dans sa communication de mars 2019 sur les relations UE-Chine 339 ( * ) , que « la Chine est [...] progressivement devenue un concurrent stratégique pour l'UE, tout en refusant de faire preuve de réciprocité pour ce qui est de l'accès au marché et de maintenir des conditions de concurrence équitable ». Elle a, à cette occasion, qualifié la Chine de « rivale systémique ».

En outre, les services de la Commission ont indiqué à la mission 340 ( * ) que l'Union européenne et la Chine « recherchent des synergies entre la BRI et le RT-T grâce à la plateforme de connectivité UE-Chine depuis 2015 » , qui réunit plusieurs directions de la Commission, le Service européen d'action extérieure, les États membres de l'UE, des représentants de l'industrie européenne, des institutions financières internationales et des pays partenaires couverts par l'extension indicative du RTE-T (Balkans occidentaux et partenariat oriental). Dans ce cadre, l'axe central de l'action de la Commission est d'« oeuvrer en faveur de l'ouverture, de la transparence, de la réciprocité en matière d'accès au marché et de conditions de concurrence équitables pour les entreprises dans le domaine du développement des infrastructures de transport et des investissements en Chine » 341 ( * ) .

De nombreux acteurs entendus par la mission regrettent néanmoins l'absence, jusqu'à présent, de doctrine claire et consistante de l'Europe vis-à-vis des projets chinois, qui s'inscrivent dans le temps long . Comme l'a résumé Mme Lamia Kerdjoudj-Belkaid, secrétaire générale de la Feport, aux Assises de l'économie de la mer : « il faut que nous ne soyons ni dans l'angélisme, ni dans la naïveté et que nous construisions ensemble un projet européen à l'image de ce qu'a fait la Chine » 342 ( * ) . Alors que la Chine s'est dotée en 2015 d'un plan « Made in China 2025 », l'Europe souffre d'une absence de doctrine claire.

La prochaine révision du RTE-T et du MIE fournit l'occasion de repenser la stratégie européenne en matière d'investissements dans les infrastructures de transport, à l'aune de cet enjeu.

En outre, en France, les liens avec la Chine dans le domaine maritime se sont accrus ces dernières années , notamment par le biais de l'armateur français CMA CGM, qui s'est rapproché de l'armateur chinois COSCO au sein de l' Ocean Alliance . Par ailleurs, depuis 2013, CMA CGM contrôle (à 51 %) avec China Mechants (à 49 %) la co-entreprise Terminal Link , qui détient notamment des participations dans les terminaux à conteneurs de Dunkerque, de Marseille et du Havre. Terminal Link s'est récemment vu transférer, avec l'accord de la Commission européenne 343 ( * ) , la cession d'actifs de CMA CGM dans huit terminaux (qui se situent en Chine, au Vietnam, en Thaïlande, à Singapour, en Jamaïque, en Ukraine, en Irak et aux Pays-Bas). Ces exemples semblent traduire une certaine porosité entre les participations portuaires chinoises et françaises.

Or les ports français et leurs opérateurs sont des actifs stratégiques, qui, à ce titre, doivent faire l'objet d'une vigilance extrême lorsqu'il est question d'y faire entrer des investisseurs étrangers. Des dispositifs ont récemment été définis, à l'échelle européenne et nationale, pour renforcer le filtrage des investissements étrangers ( voir l'annexe ) :

- l'Union européenne s'est penchée sur le contrôle des investissements étrangers à la suite du discours de Jean-Claude Juncker sur l'état de l'Union, selon lequel : « Il est de notre responsabilité politique de savoir ce qui se passe chez nous afin d'être en mesure, si besoin en était, de protéger notre sécurité collective ». Le règlement adopté en mars 2019 344 ( * ) établit un cadre de filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union qui sera opérationnel en octobre 2020. Aux termes de ce règlement, les États membres seront obligés d'informer la Commission de problèmes spécifiques relatifs à des investissements étrangers qui risqueraient d'affecter la sécurité ou l'ordre public. Tous les investissements directs étrangers soumis à un filtrage national devront en outre être notifiés à la Commission, qui disposera de 30 jours pour émettre un avis non contraignant ;

- en France, depuis la refonte de la règlementation en 2019 345 ( * ) , certains investissements 346 ( * ) sont soumis à une autorisation préalable du ministre de l'économie 347 ( * ) . Si le statut d'établissement public des GPM les empêche, par principe, de constituer la cible d'un investissement étranger, leur éventuelle transformation en sociétés anonymes pourrait les amener à entrer dans le périmètre de la règlementation relative aux investissements étrangers en France (IEF) selon la DGT, au regard de la sensibilité de certaines activités qu'ils exercent.

Dans le contexte actuel, ces dispositifs méritent toutefois d'être renforcés . Alors que la crise sanitaire liée à la propagation du Covid-19 a mis en difficulté un grand nombre de secteurs, la présidente de la Commission européenne a appelé les États membres à redoubler de vigilance quant aux investissements étrangers dans les secteurs stratégiques : « comme dans toute crise, lorsque les actifs de nos industries et de nos entreprises sont mis à rude épreuve, il nous faut protéger notre sécurité et notre souveraineté économique . Le droit de l'Union et les législations des États membres prévoient les outils dont nous avons besoin pour faire face à cette situation, et j'invite instamment les États membres à en faire pleinement usage. L'Union est un marché ouvert aux investissements directs étrangers et le restera. Cette ouverture n'est toutefois pas inconditionnelle » 348 ( * ) .

En France, le ministre de l'économie a annoncé l' abaissement temporaire de 25 % à 10 % du seuil de prise de participation dans des entreprises sensibles nécessitant une autorisation 349 ( * ) . Si ces initiatives sont nécessaires, d'autres États sont allés encore plus loin pour protéger leur souveraineté, comme l'Australie , où le seuil de contrôle monétaire pour les investissements étrangers a été abaissé à zéro, de manière temporaire 350 ( * ) .

Ainsi, malgré les inflexions et prises de conscience récentes à l'échelle européenne et nationale, l'éparpillement des réponses et l'absence de stratégie coordonnée face à l'initiative chinoise comportent des risques pour la compétitivité des ports français à court terme et pour la souveraineté française à long terme.

L'Union européenne doit donc, de manière urgente, se doter d'une doctrine commune au-delà des déclarations d'intention . Surtout, compte tenu du caractère stratégique des armements maritimes, elle doit veiller à la préservation de l'existence d'opérateurs européens quitte, pour l'Union ou les États membres, à prendre des actions spécifiques ( golden shares ) permettant à la puissance publique de conserver un droit de véto, ou encore à procéder à des nationalisations partielles . Le rapporteur prend néanmoins acte des initiatives récentes de l'Union européenne sur le sujet ( encadré ci-après ).

Une prise de conscience tardive à l'échelle européenne

L'Union européenne a pris conscience tardivement, notamment depuis sa communication de mars 2019, de l'importance d'adopter une stratégie commune vis-à-vis de la Chine, comme le montre de récentes prises de position.

Ainsi, à l'occasion du sommet entre l'Union et la Chine du 22 juin 2020, l'Union européenne a insisté sur « la nécessité de faire progresser les négociations sur un ambitieux accord global d'investissement entre l'UE et la Chine, qui résolve l'asymétrie actuelle de l'accès au marché et assure des règles du jeu équitables. Il est nécessaire, en particulier, d'accomplir d'urgence des progrès en matière de comportement des entreprises d'État, de transparence en ce qui concerne les subventions et de règles relatives aux transferts de technologie forcés. »

En outre, la Commission européenne a adopté, en juin 2020, un livre blanc 351 ( * ) sur les subventions étrangères au sein du marché unique et a lancé une consultation publique sur le sujet. À la lumière de cette consultation, la Commission pourra, d'après ses services, évaluer le choix des instruments appropriés à utiliser en 2021 pour faire face aux défis dans le domaine des IDE, y compris - le cas échéant - une proposition législative 352 ( * ) .

La crise sanitaire a rappelé le caractère crucial du transport de marchandises pour l'approvisionnement de la Nation en biens essentiels. Les débats actuels sur la relocalisation et la souveraineté économique doivent intégrer les actifs portuaires. À l'échelle nationale, cela doit se traduire par une extrême prudence quant à la composition et l'évolution du capital des opérateurs, dont CMA CGM , comme le recommandait en 2018 la commission des affaires étrangères du Sénat 353 ( * ) .

Enfin, constatant que de nombreux acteurs sont démunis sur ce sujet, faute de disposer d'un interlocuteur clairement identifié, le rapporteur recommande de nommer un référent unique sur les routes de la soie .

Proposition n° 10 : établir une réponse coordonnée à l'échelle européenne face aux « nouvelles routes de la soie » chinoises et nommer, en France, un interlocuteur unique sur le sujet.

RÉSUMÉ

Afin de « réarmer » nos ports dans la compétition internationale, de remédier aux faiblesses identifiées de longue date dans de nombreux rapports et d'améliorer la gouvernance des établissements portuaires, la mission formule 10 propositions qui s'inscrivent dans 3 axes :

1) améliorer le pilotage stratégique des GPM et la gouvernance des établissements portuaires ;

2) renforcer la compétitivité des ports en agissant sur un triple volet financier, juridique et social ;

3) anticiper les défis à venir.

En particulier, la commission appelle à saisir l'opportunité de la relance économique post crise du Covid-19 pour déployer un plan de soutien de 150 millions d'euros par an sur 5 ans pour les ports et un doublement des moyens consacrés par la LOM au report modal vers les transports massifiées de fret (ferroviaire, fluvial) pour atteindre près de 5 milliards d'euros sur 10 ans afin de renforcer la desserte de nos ports. Ces deux programmes doivent permettre d'améliorer la compétitivité des ports français, d'accompagner la transition écologique de notre économie nationale et de favoriser des relocalisations industrielles , afin de soutenir les trafics portuaires. Au total, les propositions de la mission conduiraient à un doublement des moyens dédiés aux ports français, soit 7,3 milliards d'euros sur 10 ans , contre 3,7 milliards d'euros sur la même période si les divers crédits bénéficiant aux grands ports maritimes (GPM) restaient inchangés.


* 259 Voir les articles 131 et 132.

* 260 Les recettes domaniales représentent plus de 80 % des droits de port au GPMD, 55 % à Marseille, 45 % au Havre. Les redevances composant le droit de port sont perçues par le GPM. Toutefois, dans les ports dans lesquels des commissions portuaires de bien-être des gens de mer ont été instituées, une fraction du produit de la redevance sur le navire est affectée au financement des actions de bien-être en faveur des gens de mer.

* 261 Cette baisse résulte principalement de l'arrêt de la production pétrolière de 6 raffineries et de la fermeture de centrales à charbon. La baisse des capacités de raffinage sur la période 2008-2017 a été trois fois plus forte en France (- 32,5 millions de tonnes par an, soit - 37 %) que dans l'Union européenne (- 12 %).

* 262 Les trafics GNL représentent 12 millions de tonnes en 2017 avec quatre terminaux méthaniers, contre 60 millions de tonnes pour le pétrole brut et 47 millions de tonnes de produits raffinés qui transitent encore par les ports français.

* 263 Article R. 5321-1 du code des transports. Pour les navires de commerce, les éléments constitutifs du droit de port sont : une redevance sur le navire, une redevance sur le stationnement (payées par l'armateur), une redevance sur les marchandises (payée par l'expéditeur ou le destinataire), une redevance sur les passagers, une redevance sur les déchets d'exploitation des navires (payées par les armateurs).

* 264 Article R. 5321-3 du code des transports.

* 265 Article R. 5321-2 du même code.

* 266 Article R. 5321-11 dudit code.

* 267 Article R. 5321-7 du code des transports.

* 268 Source : IGF-CGEDD.

* 269 Le chapitre unique du titre II « droits de ports » du livre III de la cinquième partie du code des transports prévoit la possibilité de percevoir un droit de port dans les ports relevant de l'État et des collectivités territoriales et de leurs groupements à raison des opérations commerciales ou des séjours des navires et de leurs équipages, tout en renvoyant la détermination de l'assiette, la fixation des taux et l'affectation des droits de ports à la voie réglementaire.

* 270 Pour la mission IGF-CGEDD, ce document devrait comporter : un diagnostic de la situation initiale par filière (niveau et structure des droits ports, positionnement concurrentiel par rapport aux places portuaires concurrentes), une analyse des caractéristiques des marchés associés à chaque filière transitant par le port, une description des objectifs associés à la politique tarifaire, l'articulation entre droits de port, politique tarifaire du domaine portuaire et stratégie foncière du GPM, les investissements envisagés sur ou hors du domaine portuaire, l'évolution envisagée des droits de port sur la durée du projet stratégique, une description des évolutions de trafic attendues et des modalités de suivi et d'adaptation de la politique tarifaire.

* 271 Kern et Associés, Stratégies & Territoires, Jonction, Koenig associés, Ingerop - Étude pour la définition d'un schéma global de développement et d'aménagement de la zone industrialo portuaire de Fos - 2006.

* 272 Conseil général de l'environnement et du développement durable, Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies, Rapport sur la mise en oeuvre des projets portuaires pour y développer durablement les activités logistiques et industriels, octobre 2013.

* 273 Ce constat rejoint celui de la Cour des comptes (2017) : « les actions de pilotage des conventions sont variables selon les ports. La plupart ont négocié des objectifs de trafic et d'engagements d'investissements mais ceux-ci sont souvent modestes, fixés à des niveaux déjà arrêtés antérieurement à la réforme. La mise en place de sanctions en cas de non-respect des objectifs ne constitue par ailleurs pas le cas général. Quelques ports en ont prévu sous des formes diverses : dénonciation de la convention, réductions de durée de la convention (ou de surface du terminal) ou pénalités financières. Seuls certains d'entre eux les ont effectivement mises en oeuvre (pénalités financières à La Rochelle et Marseille pour respectivement 170 000 euros et 157 000 euros et réduction appliquée à un opérateur sur 340 mètres de linéaires de quai à Rouen). La définition d'objectifs de trafic ambitieux mais réalistes devrait être systématisée dans les conventions de terminal et les pénalités appliquées en cas de non-atteinte des objectifs ».

* 274 https://www.senat.fr/amendements/commissions/2018-2019/157/Amdt_COM-226.html et https://www.senat.fr/amendements/2018-2019/369/Amdt_635.html .

* 275 Mission IGF-CGEDD et échanges avec les GPM.

* 276 Loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens.

* 277 Article 80 de la loi dite « ELAN ».

* 278 Ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 relative à l'autorisation environnementale, ratifiée par la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 dite « ESSOC ».

* 279 Dans leur rapport précité de 2016, Jérôme Bignon et René Vandierendonck relevaient que « le projet reste pour l'investisseur une aventure, hors du temps, parsemée d'embûches, parfois imprévisibles, et donc souvent incompatible dans le contexte d'une économie mondialisée ». Ils notaient en particulier, pour le GPMD, que « huit projets de nature logistique et industrielle ont été recensés en 2012 dont quatre projets avortés soit par insuffisance des infrastructures existantes, soit à cause de la durée globale des instructions allongée par des études complémentaires demandées par les services instructeurs ».

* 280 Rapport précité de François Philizot, juillet 2016.

* 281 L'article L. 163-1 du code de l'environnement dispose en effet que les « mesures compensatoires sont mises en oeuvre en priorité sur le site endommagé ou, en tout état de cause, à proximité de celui-ci afin de garantir ses fonctionnalités de manière pérenne. Une même mesure peut compenser différentes fonctionnalités ». Le rapport de la commission d'enquête sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, intégrant les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et leur suivi relevait qu'une « compensation trop lointaine risquerait d'aboutir à une séparation trop marquée entre espaces artificialisés et fortement dégradés, et espaces réservés et "mis sous cloche" et que la proximité ne saurait être une variable d'ajustement en aval d'un processus d'évaluation qui n'aurait pas anticipé en temps utile les contraintes foncières » (Rapport n° 517 (2016-2017) de M. Ronan DANTEC, commission d'enquête, avril 2017 - Sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, intégrant les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et leur suivi). La commission recommandait dès lors de favoriser une approche fonctionnelle de la proximité (i.e. la restauration et la préservation des écosystèmes).

* 282 BLANC Frédéric, « Les zones franches portuaires », Revue juridique Neptunus.

* 283 Les volumes de fret international devraient se multiplier par 4 d'ici 2050 d'après l'OCDE (Camille VALERO, ISEMAR, novembre 2018, « Les émissions du transport maritime : questions économiques et technologiques ».)

* 284 L'Annexe I présente les quantités d'émissions de CO2 émises par type de navire.

* 285 Devport, mai 2019, « Qualité de l'air et émissions des navires de commerce : approche à partir de l'analyse des signaux AIS ».

* 286 L'annexe VI de la convention MARPOL a imposé, à partir de 2012, une limitation de la teneur en soufre à hauteur de 3,5 % pour les combustibles marins au niveau mondial (0,1 % dans les zones protégées dites « ECA ». Depuis le 1 er janvier 2020, ce seuil a été abaissé à 0,5 %.

* 287 Institut français de la mer, janvier 2018, « Fiche documentaire 2/18 : le gaz naturel liquéfié ».

* 288 D'après l'ISEMAR, l'installation d'un moteur à gaz ou biocarburant, des réservoirs de GNL, de la tuyauterie appropriée et de l'équipement connexe peut augmenter le prix d'un nouveau navire jusqu'à 30 % par rapport à la technologie de propulsion conventionnelle.

* 289 Camille VALERO, ISEMAR, novembre 2018, « Les émissions du transport maritime : questions économiques et technologiques ».

* 290 Les Échos, 7 novembre 2017, « CMA CGM adopte le GNL pour ses futurs porte-conteneurs géants ».

* 291 Les Échos, 25 septembre 2019, « CMA CGM met à l'eau son premier géant de la mer au gaz naturel ».

* 292 L'OMI a pour objectif de réduire le volume total des émissions de GES annuelles d'au moins 50 % d'ici à 2050, par rapport à 2008

* 293 Article 13 bis de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 294 Association française du gaz, mai 2020, « Contribution de l'industrie gazière au plan de relance de l'économie française ».

* 295 Directive 2014/94/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 sur le déploiement d'une infrastructure pour carburants alternatifs.

* 296 Réponses au questionnaire budgétaire sur le PLF 2020.

* 297 DGITM, Réponse écrite au questionnaire de la mission d'information.

* 298 D'après Armateurs de France : « le branchement électrique des navires à quai ne sera économiquement viable que dans la mesure où son coût ne sera pas plus élevé que la solution actuelle des moteurs fonctionnant au diesel ».

* 299 Réponses de la DGITM au questionnaire budgétaire sur le PLF 2020.

* 300 D'après la DGITM, cette mesure, prévue par la loi de finances pour 2020, interviendra six mois après la décision positive du Conseil de l'Union européenne.

* 301 Article 64 de la loi n° 2019-1428 d'orientation des mobilités.

* 302 Cerema, avril 2020, « Assises du port du Futur : lancement du concours Innovation 2020 »

* 303 Rapport n° 126 (2019-2020) de Michel Vaspart - Répercussions de l'épidémie de covid-19 sur le secteur portuaire et le transport maritime : premier bilan et propositions.

* 304 Réponse écrite des services de la Commission européenne au questionnaire de la mission d'information.

* 305 Article 147.

* 306 Caroline Watripont et Paul Tourret, ISEMAR, mars 2017, « Les ports français à l'heure des énergies marines renouvelables ».

* 307 GPM de Nantes Saint-Nazaire, « Les énergies marines renouvelables - une réalité à Nantes Saint-Nazaire ».

* 308 Rapport précité IGF-CGEDD, novembre 2018.

* 309 Le chantier pour le parc éolien en mer de Fécamp mobilisera plus de 1 400 emplois locaux .

* 310 IGF-CGEDD, novembre 2018.

* 311 Rapport précité de Michel Lalande, 2018.

* 312 GPM de Dunkerque, Projet Stratégique 2014-2018, Volets 4 et 5.

* 313 Dunkerque port, Plan d'aménagement et de développement durable.

* 314 La Tribune, 4 avril 2018, « Dunkerque va étendre sa toile industrielle à d'autres zones portuaires ».

* 315 Cerema, avril 2020, « Assises du port du Futur : lancement du concours Innovation 2020 »

* 316 Ibid.

* 317 D'après la DGE, « La connectivité numérique des ports est désormais un élément-clé de la compétitivité des chaînes logistiques et de leur fiabilité. La concurrence exacerbée entre nos GPM et les grands ports européens transforme le moindre élément différentiel de services numériques en un nouveau critère de sélection et de déplacement des flux logistiques vers d'autres points de contacts continentaux ».

* 318 Organisation maritime internationale, 27 avril 2020, « Signature d'un accord de partenariat pour la numérisation maritime ».

* 319 Accord signé en 2020 entre l'OMI, l'Organisation mondiale des douanes (OMD), la Commission économique pour l'Europe des Nations unies et l'Organisation internationale de normalisation (ISO).

* 320 La bonne synchronisation des navires (« just in time sailing ») permet une optimisation de la vitesse des navires afin qu'ils arrivent à leur port de destination au moment où leur poste d'amarrage est prêt.

* 321 Règlement (UE) 2019/1239 du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 établissant un système de guichet unique maritime européen et abrogeant la directive 2010/65/UE.

* 322 Réponse écrite des services de la Commission européenne au questionnaire de la mission d'information.

* 323 Les CCS sont des plateformes d'échanges d'informations liées aux flux de marchandises.

* 324 Réponse au questionnaire écrit de la mission d'information.

* 325 Rapport précité de Michel Lalande, 2018.

* 326 Contribution écrite.

* 327 D'après le rapport de l'IGF et du CGEDD précité, les terminaux à conteneurs d'Anvers sont semi-automatisés, et l'automatisation est intégrale à Rotterdam

* 328 Julien Dumond, Martin Landais et Pierre Offret, Trésor-éco n° 229, octobre 2018, « Les nouvelles routes de la soie ».

* 329 Ibid.

* 330 « Depuis l'achat, le 8 avril 2016, de 67 % des actions du port par COSCO, le chiffre d'affaires du port a connu une augmentation de 7,7 % pour atteindre 111,5 millions d'euros en 2017. Il en est de même du bénéfice net avant impôt généré par l'infrastructure qui a connu une croissance de 92 % en un an. »

* 331 Ibid.

* 332 La revue maritime n° 514, juillet 2019, « Les routes de la soie et l'expansion chinoise ».

* 333 Olaf Merk, décembre 2019, Assises de l'économie de la mer, table ronde « La Chine s'est éveillée : quels enjeux économiques ? ».

* 334 Olaf Merk, février 2020, « Performance et gouvernance des ports français ».

* 335 Source : La revue maritime n° 514, juillet 2019, « Les routes de la soie et l'expansion chinoise ».

* 336 Par exemple dans le cadre de l'accord 16 + 1 qui réunit la Chine et seize pays d'Europe centrale et orientale.

* 337 Réponse écrite au questionnaire de la mission d'information.

* 338 Mai 2017, « Belt and Road Forum, EU common messages ».

* 339 Commission européenne, Haut représentant de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, 12 mars 2019, « Communication conjointe au Parlement européen, au Conseil européen et au Conseil sur les relations UE-Chine - Une vision stratégique ».

* 340 Réponse au questionnaire écrit de la mission d'information.

* 341 Ibid.

* 342 Lamia Kerdjoudj-Belkaid, décembre 2019, Assises de l'économie de la mer, table ronde « La Chine s'est éveillée : quels enjeux économiques ? ».

* 343 European Commission, Daily News 19/03/2020, « Concentrations : la Commission autorise l'acquisition de certains terminaux portuaires par CMA CGM et CMP ».

* 344 Règlement n° 2019/452 du Parlement européen et du Conseil, établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union européenne.

* 345 Articles L. 151-1 et suivants et R. 151-1 et suivants du code monétaire et financier.

* 346 Cumulant trois critères : caractère étranger de l'investissement, type d'opération (prise de contrôle, acquisition de tout ou partie d'une branche d'activité, franchissement du seuil de participation de l'activité) et sensibilité de l'activité.

* 347 En 2019, 213 dossiers ont été instruits par la DG Trésor (contre 184 en 2018) d'après le rapport d'activité de la DGT pour 2019 .

* 348 Commission européenne, 25 mars 2020, « Coronavirus : La Commission publie des orientations concernant la protection des technologies et des actifs européens critiques dans le contexte de la crise actuelle ».

* 349 Direction générale du Trésor, 30 avril 2020, « Covid-19 : Adaptation du contrôle des investissements étrangers en France (IEF) pendant la crise sanitaire ».

* 350 Site des Nations unies, 4 mai 2020, « La crise du Covid-19 a un impact sur le contrôle des investissements étrangers (CNUCED) ».

* 351 Commission européenne, livre blanc relatif à l'établissement de conditions de concurrence égales pour tous en ce qui concerne les subventions étrangères.

* 352 Réponse écrite au questionnaire de la mission d'information.

* 353 Rapport d'information n° 520 (2017-2018) de M. Pascal ALLIZARD , Mme Gisèle JOURDA , MM. Édouard COURTIAL et Jean-Noël GUÉRINI , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 30 mai 2018.

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