Rapport d'information n° 603 (2019-2020) de MM. Alain CHATILLON et Olivier HENNO , fait au nom de la commission des affaires européennes et de la commission des affaires économiques, déposé le 8 juillet 2020

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N° 603

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 juillet 2020

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1)
et de la commission des affaires européennes (2)
sur la
modernisation de la politique européenne de concurrence ,

Par MM. Alain CHATILLON et Olivier HENNO,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Bernard Buis, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, Agnès Constant, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mme Annie Guillemot, MM. Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Mme Marie-Noëlle Lienemann, MM. Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mmes Patricia Morhet-Richaud, Sylviane Noël, Guylène Pantel, MM. Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, Patricia Schillinger, Marie-Noëlle Schoeller, M. Jean-Claude Tissot .

(2) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet , président ; MM. Philippe Bonnecarrère, André Gattolin, Didier Marie, Mme Colette Mélot, MM. Cyril Pellevat, André Reichardt, Simon Sutour, Mme Véronique Guillotin, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-François Rapin , vice-présidents ; M. Benoît Huré, Mme Gisèle Jourda, MM. Pierre Médevielle, René Danesi , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jacques Bigot, Yannick Botrel, Pierre Cuypers, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Laurence Harribey, MM. Claude Haut, Olivier Henno, Mmes Sophie Joissains, Mireille Jouve, Claudine Kauffmann, MM. Guy-Dominique Kennel, Claude Kern, Pierre Laurent, Jean-Yves Leconte, Jean-Pierre Leleux, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Franck Menonville, Jean-Jacques Panunzi, Michel Raison, Claude Raynal, Mme Sylvie Robert .

L'ESSENTIEL

Politique clef de l'Union, la concurrence est sous le feu des critiques

La préservation d'une concurrence libre et non-faussée entre agents économiques est l'un des fondements de la construction du marché unique. Compétence exclusive de l'UE, la politique de concurrence vise à assurer aux consommateurs - ménages comme entreprises - que les prix pratiqués résultent d'une concurrence effective et que les marchés sont accessibles à tous. Fondamentale pour le bon fonctionnement du marché intérieur, et pilotée par la Commission européenne qui l'applique avec une rigueur souvent décrite comme la plus exigeante au monde, elle repose sur trois piliers : l'interdiction des aides d'État, la lutte contre les ententes et abus de position dominante, et le contrôle des concentrations.

Si elle a globalement atteint ses objectifs, l'espace économique interne à l'Union étant plus concurrentiel que le marché américain et bénéficiant de niveaux de prix maîtrisés, la politique européenne de concurrence est aujourd'hui sous le feu des critiques. En dépit d'évolutions à la marge, son cadre juridique est en effet resté en grande partie inchangé depuis l'époque des traités fondateurs de l'Union, alors que l'environnement économique est de plus en plus complexe, mondialisé et numérique.

La montée en puissance d'une économie digitale

Le pouvoir de marché des acteurs de l'économie numérique est désormais considérable mais échappe en partie aux concepts et instruments historiques de la politique de concurrence. La Commission examine en effet les dossiers à l'aune du prix pratiqué envers le consommateur et les seuils de contrôle ne permettent pas toujours de filtrer les acquisitions dites « prédatrices ». En outre, l'approche de la position dominante en terme de prix ne tient pas compte des avantages conférés par la détention de données ni des effets de réseaux. Enfin, la régulation ex ante des acteurs du numérique apparaît déjà datée et insuffisante, au vu de la rapidité d'évolution des technologies.

Un marché intérieur de plus en plus mondialisé

Alors que les exigences européennes en matière d'aides d'État sont extrêmement contraignantes, la compétition accrue entre blocs économiques conduit les États tiers à intervenir davantage en soutien de leurs économies, ce que démontre l'émergence de « géants » ou le recours d'États tiers aux subventions publiques pour « doper » des industries émergentes. Ces pratiques génèrent des distorsions de concurrence au sein du marché intérieur mais échappent aujourd'hui au contrôle de la Commission, qui examine la concurrence sur un « marché pertinent » souvent européen et s'en tient à un horizon temporel de court-terme.

Douze propositions
pour moderniser la politique européenne de concurrence

Concilier concurrence et stratégie industrielle

• Cartographier l'état de la concurrence sur les marchés

• Améliorer le dialogue interne à la Commission européenne au service d'une approche économique plus complète

Moderniser les outils d'analyse de la Commission européenne

• Élargir la notion de « bien être du consommateur » européen

• Allonger l'horizon temporel pour appréhender la concurrence potentielle

• Mieux prendre en compte l'échelle mondiale de certains marchés

• Réagir aux distorsions de concurrence sur le marché intérieur provenant d'États tiers

Rendre plus agile l'application du droit de la concurrence

• Accroître le recours aux mesures conservatoires qui permettent de protéger le marché intérieur de pratiques anti-concurrentielles en « figeant » la situation

• Développer l'usage des remèdes comportementaux plutôt que structurels

Mieux réguler la concurrence au sein de l'économie digitale

• Intégrer l'accès aux données dans la mesure du pouvoir de marché

• Compléter la régulation ex ante des géants du numérique

Développer l'évaluation et le suivi de la politique de concurrence

• Améliorer le contrôle par la Commission du respect des engagements

• Créer un Observatoire européen d'évaluation de la politique de concurrence

• INTRODUCTION

Concept fondateur de la science économique, pilier du libéralisme moderne, mais parfois aussi source de tensions politiques et commerciales, ou menace pour les entreprises, la concurrence occupe une place centrale en matière de politique économique .

À rebours de plusieurs siècles d'histoire marqués par des réflexes protectionnistes, la préservation d'une concurrence libre et non-faussée entre agents économiques s'est imposée comme l'un des objectifs principaux de l'action économique de l'Union européenne . Contrairement à la politique commerciale ou la politique industrielle, la politique de concurrence se veut davantage « gardienne » qu'« interventionniste », dans le but d'assurer aux consommateurs - citoyens comme entreprises - que les prix pratiqués sur les marchés résultent d'une concurrence effective et que ces marchés sont accessibles à tous.

Il n'est pas de marché ni de sphère publique où la politique de concurrence ait acquis une place aussi importante que dans l'Union européenne. Orientée résolument dès ses débuts vers la constitution d'un marché intérieur unique, dépourvu de barrières aux échanges et reposant sur une concurrence libre et non faussée, la Communauté européenne a fait de la préservation de la concurrence l'un de ses piliers. Compétence exclusive de l'Union, la politique de concurrence menée par la Commission européenne est souvent décrite comme l'une des plus strictes au monde, se distinguant notamment par un principe général d'interdiction des aides publiques octroyées par les États membres à leurs économies.

Les principes simples du droit de la concurrence s'appliquent dans un monde de plus en plus complexe. Les secteurs traditionnels, tels que la distribution ou l'industrie, sont en effet bouleversés par des évolutions sociétales et technologiques qui redessinent la structure des marchés. La naissance d'une véritable économie digitale , en particulier, a rebattu les cartes en donnant naissance en quelques années à de nouveaux acteurs au pouvoir de marché désormais considérable, qui échappent en partie aux concepts et instruments historiques de la politique de concurrence. L'Union européenne ne semble pas pleinement outillée pour appréhender l'impact sur la concurrence de la gratuité des prestations, des avantages conférés par la détention de données, ou encore des effets de réseaux qui démultiplient l'importance des « géants du numérique ». En outre, l'intensification de la mondialisation et l'émergence de nouvelles puissances économiques, telles que la Chine ou l'Inde, étendent les marchés bien au-delà des seules frontières de l'Union. Sans remettre en question l'impératif de préservation de la concurrence au sein du marché intérieur, cette compétition globale et accrue entre blocs économiques interroge l'efficacité de l'action de la Commission européenne.

La rénovation des politiques européennes industrielle et commerciale, toutes deux progressivement dotées de nouveaux outils et d'ambitions renouvelées, semble indiquer que l'Europe a pris acte de ces évolutions économiques majeures. À l'inverse, la politique de concurrence n'a évolué qu'à la marge depuis les traités fondateurs. Son cadre juridique et sa pratique ne devraient-ils pas être repensés, pour s'adapter sans tarder au nouvel environnement économique ?

À l'heure où la crise économique liée à la pandémie de coronavirus met en lumière une demande accrue de souveraineté économique, d'autonomie stratégique de l'Union européenne , comment la politique européenne de concurrence peut-elle faire une place, sinon contribuer à ces objectifs ? Une meilleure articulation des politiques européennes est-elle possible ?

L'heure d'une réforme de la politique de concurrence pourrait bien être arrivée. Entre États membres, les lignes politiques évoluent : à la suite de plusieurs décisions significatives - comme le refus de la fusion entre Alstom et Siemens -, l'impulsion franco-allemande donnée en 2018 a rouvert le débat au plus haut niveau, tandis que certains États membres d'ordinaire attachés à leur tradition libérale sont désormais force de proposition. Les institutions européennes, elles aussi, prennent acte de cette dynamique : la commissaire européenne à la concurrence et vice-présidente de la Commission, Margrethe Vestager, a ainsi débuté son second mandat en annonçant qu'il était « temps d'actualiser les règles » de concurrence .

C'est dans ce contexte que le groupe de suivi « Stratégie industrielle de l'Union européenne » du Sénat, composé de membres des commissions des affaires économiques et des affaires européennes, a initié ses travaux sur la réforme de la politique de concurrence . Confié à MM. Alain Chatillon et Olivier Henno, le présent rapport s'est fixé pour objectif d'identifier les pistes d'évolutions possibles non seulement du droit, mais aussi de la pratique de la politique européenne de concurrence .

À l'issue de leurs travaux, après avoir procédé à une vingtaine d'auditions et s'être déplacés à Bruxelles à la rencontre des acteurs européens , les rapporteurs formulent douze propositions. Celles-ci s'articulent autour de quatre axes : opérer une cartographie de l'état concurrentiel des marchés ; mieux concilier concurrence et stratégie industrielle ; intégrer de nouveaux concepts liés au développement de l'économie digitale et mettre en oeuvre une évaluation de la politique de concurrence. Sur cette base, les commissions des affaires économiques et des affaires européennes ont adopté conjointement une proposition de résolution européenne , qui reprend les conclusions du présent rapport. Alors que la Commission européenne a publié le 17 juin dernier un livre blanc sur les subventions des pays tiers perturbant la concurrence équitable et soumet actuellement à consultation diverses options de réglementation, les présentes propositions pourront nourrir les débats et les positions défendues par le Gouvernement français auprès des institutions européennes.

LISTE DES RECOMMANDATIONS

Recommandation n° 1 : Établir, d'ici la fin de l'année 2020, au sein de groupes de travail associant toutes les directions générales de la Commission européenne, des cartographies sectorielles destinées à servir de base de travail aux enquêtes menées par la DG Concurrence dans le cadre du contrôle des concentrations et de l'identification de pratiques anti-concurrentielles.

Ce diagnostic partagé de l'état des marchés analyserait en particulier :

- L'état de la concurrence et de la concentration du secteur, en particulier l'existence d'acteurs systémiques ou quasi-monopolistiques et la prévalence d'acquisitions tueuses ;

- Les comportements anti-concurrentiels et les pratiques déloyales observées ou suspectées dans le secteur étudié, en identifiant particulièrement les cas relevant d'acteurs économiques établis dans des pays tiers ;

- L'état des flux commerciaux dans ce secteur, en mettant particulièrement en lumière barrières commerciales ou pratiques de dumping et de subventions existantes ou potentielles, et les instruments de défense commerciale déjà mobilisés par l'Union européenne sur ces flux.

Recommandation n° 2 : Réunir de manière systématique, dès réception par la Commission de la notification d'une opération de concentration soumise à une autorisation préalable, ou dès le lancement d'une instruction relative à des pratiques anti-concurrentielles, la DG Concurrence, la DG Commerce et la DG Marché intérieur afin d'établir un cadrage commun pour l'opération envisagée.

Des documents présentant les principaux axes d'analyse des différentes directions générales pourraient être établis à l'occasion de cette réunion puis publiés, dans le respect de la confidentialité des travaux de la Commission.

Recommandation n° 3 : Clarifier de façon systématique les composantes du critère du « bien-être du consommateur » au regard duquel la Commission européenne analyse les opérations de concentration et les pratiques anticoncurrentielles.

La Commission devrait également engager des travaux relatifs à l'intégration de nouvelles composantes dans ce critère, comme la compétitivité, le maintien de l'emploi la protection de l'environnement, la protection des données personnelles ou la souveraineté numérique.

Recommandation n° 4 : Allonger l'horizon temporel retenu par la Commission dans ses analyses, en le faisant passer de deux à cinq ans pour l'ensemble des opérations instruites, sauf exception dûment justifiée.

La Commission devrait en outre clarifier sa doctrine sur le poids qu'elle accorde dans son analyse à la concurrence potentielle future.

Recommandation n° 5 : Actualiser les lignes directrices de la Commission relatives à la définition du marché pertinent afin d'adapter les notions de « marché de produit » et de « marché géographique » à la nouvelle réalité économique.

En particulier, les lignes directrices devraient prendre en compte les bouleversements induits par le développement du numérique qui rend parfois caduques certaines notions comme le prix et en appelle de nouvelles pour appréhender notamment les effets de réseaux ou l'accès aux données.

Recommandation n° 6 : Rendre effectives dans les meilleurs délais les propositions du livre blanc de la Commission européenne en adaptant les textes et les lignes directrices de la Commission afin de lutter plus efficacement contre les comportements abusifs constatés sur le marché européen de la part d'entreprises actives dans des pays tiers.

Recommandation n° 7 : Ordonner effectivement et rapidement des mesures provisoires, dans les conditions prévues par le règlement (CE) n° 1/2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 101 et 102 du TFUE pour maintenir la concurrence dès lors que les comportements identifiés sont de nature à lui porter une atteinte grave, irréparable et immédiate.

Assouplir en outre ces conditions fixées par l'article 8 du règlement (CE) n° 1/2003 pour :

- Supprimer le standard de preuve du caractère irréparable du préjudice en conservant, dans l'esprit du texte français, le seul risque d'atteinte grave et immédiate ;

- Alléger l'exigence de constat prima facie d'infraction, en lui substituant le constat que la pratique relevée risque de porter une telle atteinte ;

- Élargir le champ des intérêts protégés justifiant des mesures provisoires en ne visant plus seulement l'atteinte aux règles de concurrence mais également, comme en droit français, l'atteinte à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante.

Recommandation n° 8 : Pour maintenir une concurrence effective en cas de concentration, préférer aux engagements structurels, dès que cela est possible, des engagements comportementaux précis, exigeants, vérifiables et révisables en tant que de besoin, définis à l'issue d'une analyse approfondie du marché et de la concurrence potentielle, en association avec les acteurs du marché.

La Commission devra mettre en place un suivi rigoureux de l'exécution de ces engagements et de leur pertinence afin de pouvoir sanctionner leur non-respect et les adapter, si nécessaire, aux évolutions du marché.

Recommandation n° 9 : Prendre en compte l'accès aux données dans la mesure du pouvoir de marché et compléter le droit européen pour renforcer les obligations ex ante des plateformes numériques (transparence, conditions équitables, portabilité des données, auditabilité, non-discrimination, loyauté...).

Recommandation n° 10 : Compléter la réglementation européenne et les réglementations nationales existantes afin de garantir la concurrence dans le secteur du numérique, en particulier au regard de l'existence d'acteurs structurants.

Il convient d'identifier ces acteurs numériques structurants à partir de critères précis, de leur imposer une obligation de notification préalable de toute acquisition en modifiant l'article 3 du règlement n° 139/2004 relatif au contrôle des concentrations et de prévoir l'évocation de l'opération, en tant que de besoin, par l'autorité nationale de la concurrence compétente ou la Commission selon le cas.

Recommandation n° 11 : Améliorer la réactivité et la capacité de suivi, par la DG Concurrence, de ses décisions, en particulier lorsqu'elles s'assortissent de remèdes structurels ou comportementaux.

Un tel suivi ex-post devrait lui permettre :

- D'analyser la pertinence des mesures correctrices décidées au regard des objectifs qui leur étaient assignés ;

- D'étudier l'impact effectif de ses décisions sur le niveau concurrentiel d'un marché et sur ses évolutions (modification des parts de marché, nouvel entrant, hausse ou baisse des prix, etc.) ;

- D'observer la réalisation, ou non, des hypothèses sur lesquelles ses analyses étaient fondées ;

- De faire évoluer, dans des cas similaires ultérieurs, l'application des différents concepts économiques (horizon temporel retenu au regard de la vitesse d'évolution d'un marché, probabilité d'une concurrence potentielle future au regard du soutien public dont un concurrent bénéficie à l'étranger, sur ou sous-évaluation des gains d'efficacité, prise en compte suffisante ou non de l'accès aux données, etc.) ;

- D'amender les remèdes comportementaux exigés d'une entreprise.

Recommandation n° 12 : Créer un Observatoire européen d'évaluation de la politique de la concurrence (OEEPC), placé sous l'autorité de la Commission européenne et indépendant de la DG Concurrence, chargé :

- De collecter au long cours les informations relatives à l'état et à l'évolution de la concurrence dans les secteurs économiques, notamment dans l'objectif d'actualiser les cartographies des secteurs (voir recommandation 1) et de fonder l'évaluation des décisions de la Commission ;

- De compiler et de tenir à jour une base de données des décisions de la Commission européenne en matière de concurrence et de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne en la matière ;

- De suivre l'application des décisions de la Commission en matière de concurrence, et, à plusieurs échéances, de réaliser une évaluation de ces décisions en fonction notamment de leur impact sur les prix, le choix offert aux consommateurs, les flux commerciaux, la concentration du marché, la compétitivité des entreprises, l'emploi européen, la capacité d'innovation, la protection de l'environnement, ou la protection des données personnelles.

Cet Observatoire rendrait compte annuellement de ses travaux devant le Parlement européen.

I. LE DROIT EUROPÉEN DE LA CONCURRENCE, CLÉ MÉCONNUE ET ÉPROUVÉE DU BON FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ INTÉRIEUR

Compétence exclusive 1 ( * ) de l'Union européenne, les règles européennes de concurrence ont pour objectif de permettre un fonctionnement fluide et efficace du marché intérieur. Le droit européen de la concurrence est mis en oeuvre par la Commission européenne, précisément par sa Direction générale de la Concurrence, sous le contrôle du juge européen.

Afin d'assurer une allocation optimale des ressources, c'est-à-dire l'offre de la meilleure gamme de produits au meilleur prix, ce droit cherche à préserver un niveau de compétition économique qui satisfasse prioritairement le bien-être du consommateur. Ce faisant, il est destiné à contribuer à la croissance économique et à soutenir la compétitivité.

Quel que soit le secteur économique, mais tout particulièrement dans le secteur industriel, la capacité des entreprises à conquérir de nouveaux marchés ou de nouvelles parts de marché dépend de la combinaison entre la performance de leurs produits et leur prix.

Le but de ce droit est donc de veiller au maintien, dans le marché intérieur, d'une concurrence saine et loyale qui empêche, notamment, la constitution de monopoles non-naturels. Ces derniers sont en effet synonymes de diminution de l'incitation à innover pour les entreprises et d'augmentation des prix, au détriment du bien-être du consommateur. Lorsque de tels monopoles échappent aux entreprises européennes, c'est, in fine , la souveraineté industrielle de l'Union européenne qui se trouve menacée.

A. LE DROIT EUROPÉEN DE LA CONCURRENCE : TROIS INSTRUMENTS DESTINÉS AU BON FONCTIONNEMENT DU MARCHÉ INTÉRIEUR ET AU BIEN-ÊTRE DU CONSOMMATEUR

1. La lutte contre les ententes et les abus de position dominante : socle du marché commun dès 1957

Influencée par le courant ordo-libéral allemand 2 ( * ) , la politique européenne de concurrence vise à atteindre l'objectif d'une « concurrence libre et non-faussée » qui figure dans le traité fondateur de 1957.

a) L'interdiction de certaines pratiques anticoncurrentielles, corolaire de la mise en place d'un marché commun

Dès les prémices de la construction européenne, l'entente et l'abus de position dominante sont considérés comme des atteintes au libre jeu concurrentiel, préjudiciables à l'intégration des économies en un seul marché commun et au bon fonctionnement de celui-ci.

(1) L'interdiction des ententes

Ainsi, aux termes de l'article 85 du traité de Rome 3 ( * ) , « sont incompatibles avec le marché commun et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du Marché commun ». Ils peuvent prendre la forme d'une fixation directe ou indirecte du prix d'achat ou de vente, ou de la répartition des marchés ou des sources d'approvisionnement 4 ( * ) .

Il peut également s'agir d'actions visant à limiter d'un commun accord la production, l'investissement, l'innovation ou les débouchés. Dans une communication de griefs aux entreprises BMW, Daimler et Volkswagen en date du 5 avril 2019 5 ( * ) , la commissaire chargée de la politique de concurrence a ainsi rappelé que : « les entreprises peuvent coopérer de nombreuses manières pour améliorer la qualité de leurs produits. Les règles de concurrence de l'UE ne leur permettent cependant pas de s'entendre sur exactement le contraire : ne pas améliorer leurs produits, ne pas se livrer concurrence sur le plan de la qualité ».

Par voie de conséquence, les accords ou décisions prohibés par cet article sont nuls de plein droit. Toutefois, lorsque des pratiques concertées ou des accords contribuent à améliorer la production ou la distribution des produits ou à promouvoir le progrès technique ou économique, tout en réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, ils peuvent être autorisés.

(2) L'interdiction des abus de position dominante

Aux termes de l'article 86 du traité de Rome, « est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté 6 ( * ) , le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci ». L'objectif d'une telle interdiction est d'éviter l'exclusion de concurrents et, partant, le risque d'une augmentation des prix défavorable au consommateur.

Si le fait de bénéficier d'une position dominante 7 ( * ) n'est pas interdit en soi 8 ( * ) , un ensemble de responsabilités spécifiques incombe toutefois à l'entreprise, au premier rang desquelles celle de ne pas utiliser cette position dans le but de porter atteinte au niveau de concurrence effective.

Dès le début de la constitution du marché commun, l'« antitrust » européen vise donc, selon une logique économique libérale, à « éviter que des entreprises exploitent un pouvoir de marché qui n'est pas fondé sur les mérites, pour s'attribuer un profit indu 9 ( * ) ».

b) Une interdiction confirmée par le traité de Lisbonne
(1) Un objectif et des termes identiques

Les règles de l' « antitrust » européen ont bénéficié d'une remarquable stabilité durant le demi-siècle qui sépare les deux traités. Les articles 101 (entente) et 102 (abus de position dominante) du traité de Lisbonne reprennent en effet à l'identique 10 ( * ) les dispositions des articles 85 et 86 du traité de Rome de 1957.

(2) Une interprétation de plus en plus réaliste par le juge européen

L'interprétation et l'application de ces deux règles, tant par la Commission européenne que par la CJUE, ont toutefois évolué dans le temps.

Alors que l'interdiction des ententes vise les pratiques « qui ont pour objet ou pour effet » de porter atteinte à la concurrence, la CJUE est ainsi venue préciser l'interprétation de cette distinction : « s'agissant de la délimitation qu'il convient d'établir entre les pratiques concertées ayant un «objet» anti concurrentiel et celles ayant un «effet» anticoncurrentiel , il y a lieu de rappeler que celles-ci constituent des conditions non pas cumulatives, mais alternatives 11 ( * ) ». Une pratique n'ayant pas pour objet de porter atteinte à la concurrence mais qui aurait pourtant un tel effet est ainsi interdite au même titre que si les entreprises avaient expressément prévu de biaiser la compétition économique.

En outre, la Cour a considéré, au titre des ententes, que certains types de coordination entre entreprises « peuvent être considérés comme étant tellement susceptibles d'avoir des effets négatifs sur, en particulier, le prix, la quantité ou la qualité des produits et des services qu'il peut être considéré inutile [...] de démontrer qu'ils ont des effets concrets sur le marché 12 ( * ) ». Elle introduit ainsi une forme de présomption de distorsion de la concurrence pour certaines pratiques comme la fixation horizontale des prix ou la répartition de la clientèle entre entreprises.

En matière d'abus de position dominante , la CJUE a précisé, dans un revirement récent de jurisprudence 13 ( * ) , la philosophie générale de l'article 102 du Traité sur le fonctionnement de l'Union Européenne (TFUE) et les éléments qui doivent être pris en compte dans l'analyse conduite par la Commission.

Elle rappelle en effet tout d'abord que cet article « n'a aucunement pour but d'empêcher une entreprise de conquérir, par ses propres mérites, la position dominante sur un marché » . Partant, « tout effet d'éviction ne porte pas nécessairement atteinte au jeu de la concurrence » et un tel effet peut tout à fait conduire à la disparition du marché d'un concurrent moins efficace en termes de prix proposé au consommateur, de qualité du produit ou d'innovation 14 ( * ) .

Elle juge ensuite qu'une pratique semblant constituer une exploitation abusive d'une position dominante n'est plus condamnable de plein droit dès lors que l'entreprise concernée démontre, preuves à l'appui, que son comportement n'a pas eu la capacité de produire les effets d'éviction reprochés 15 ( * ) . Une pratique n'est donc plus « par nature » condamnable : sa capacité à porter atteinte à la concurrence doit être démontrée 16 ( * ) . « Le message de la Cour est clair : toute entreprise leader de son marché et accusée par la Commission d'avoir évincé ses concurrents a le droit de se défendre sur le plan économique 17 ( * ) ».

2. Le contrôle des concentrations, introduit en 1989, au nom du bien-être des consommateurs

Instrument le plus récent de la politique de concurrence européenne, le contrôle des concentrations a été mis en place en 1989 pour accompagner et tenir compte de deux évolutions majeures :

• la chute du mur de Berlin , qui a entraîné la fin de la guerre froide et la réunification de l'Allemagne et ouvert aux entreprises de nouveaux marchés et perspectives de croissance. Ces nouvelles possibilités pouvaient représenter pour les entreprises une incitation forte à l'acquisition d'actifs dans ces pays ou à la fusion avec des acteurs économiques locaux afin d'accélérer leur pénétration du marché ;

• l'achèvement du marché intérieur , prévue pour le 31 décembre 1992, qui présentait également le risque que les entreprises se livrent à une course au rapprochement. L'objectif aurait été de gagner rapidement en taille afin de profiter de l'harmonisation du marché pour s'étendre , gagner en capacités de production et développer de nouveaux produits.

Le besoin d'un contrôle communautaire des concentrations est donc le fruit de ces évolutions. Lorsque les marchés étaient segmentés, protégés, de telles problématiques de concurrence existaient déjà en leur sein. Mais les acquisitions transfrontalières étaient particulièrement rares et ne requéraient donc pas de contrôle supranational.

a) Un contrôle qui s'apparente à un bilan coûts-avantages

Un rapprochement d'entreprises intervenant sur le même marché peut potentiellement avoir deux effets.

• d'une part, il est susceptible de diminuer l'intensité concurrentielle sur ledit marché et, partant, de conduire à une hausse des prix pour le consommateur. En effet, l'entité issue du rapprochement (en particulier lorsqu'il s'agit d'une fusion horizontale) augmente son pouvoir de marché, c'est-à-dire la possibilité que ses décisions soient insensibles aux actions et réactions des concurrents, des clients et des consommateurs 18 ( * ) . Dès lors, l'entreprise est en mesure d'« augmenter ses prix, de réduire l'offre de produits différenciés, de ne plus être soumise à l'«aiguillon concurrentiel» pour engager des actions de R&D 19 ( * ) ».

• d'autre part, une concentration peut générer d'importants effets économiques bénéfiques, en particulier accroître la compétitivité de l'entité issue du rapprochement et lui permettre de dégager davantage de gains d'efficacité économique (comme des économies d'échelle liées à la suppression de certains doublons), « qui peuvent se répercuter positivement sur la compétitivité globale de l'économie, sur la capacité d'innovation ainsi que sur le bien-être et le pouvoir d'achat des consommateurs 20 ( * ) ». Au-delà du strict cadre de l'analyse économique et du point de vue de la stratégie et de la souveraineté industrielles, le rapprochement d'entreprises européennes est en outre un levier essentiel pour atteindre la taille critique nécessaire dans la compétition mondiale.

Dès lors, le contrôle des concentrations, qu'il soit exercé par une autorité nationale ou par la Commission européenne, a pour objectif d'établir un bilan concurrentiel entre ces avantages et inconvénients dans le but de n'autoriser que celles qui ne portent pas atteinte à la pression concurrentielle sur un marché.

b) Un contrôle en deux phases

Le contrôle exercé par la Commission européenne sur les projets de concentrations a été modernisé par un règlement en 2004 21 ( * ) (cf. infra) .

Les entreprises doivent notifier leur projet à la Commission et s'abstenir de le mettre en oeuvre tant qu'elles n'y ont pas été autorisées, sous peine de sanction. Le 24 avril 2018, la Commission a ainsi infligé une amende de 124,5 millions d'euros à Altice pour avoir acquis l'opérateur portugais de télécoms PT Portugal sans notification préalable de l'opération ni accord de la Commission 22 ( * ) .

Toutefois, seules les opérations de concentration de dimension européenne doivent être notifiées à la Commission.

Les critères de définition d'une « concentration de dimension communautaire »

Aux termes de l'article 1 er du règlement n° 139/2004, une concentration est de dimension européenne lorsque le chiffre d'affaires (CA) total réalisé sur le plan mondial par l'ensemble des parties est supérieur à 5 milliards d'euros et que le CA total réalisé dans l'UE par au moins deux des parties concernées est supérieur à 250 millions d'euros.

Toutefois, même si ces critères sont réunis, dès lors que chaque partie réalise plus des deux tiers de son CA total dans l'UE à l'intérieur d'un seul et même État membre, le projet de concentration n'est pas soumis à notification à la Commission mais à l'autorité de concurrence nationale concernée.

Par ailleurs, même sans atteindre les critères ci-dessus, une opération peut être considérée comme de dimension européenne, et donc soumise à notification, si, par exemple, le CA total réalisé par les parties est supérieur à 100 millions d'euros dans chacun d'au moins trois États membres.

Le contrôle s'exerce ensuite en deux phases distinctes :

• la phase 1 , qui débute une fois que la concentration a été notifiée par les parties à la Commission, peut durer jusqu'à 25 jours . La Commission réalise durant cette période une rapide analyse de l'état concurrentiel du marché concerné et de l'impact de l'opération en matière de pression concurrentielle. L'essentiel des dossiers instruits trouve une réponse durant cette première phase (autorisation avec ou sans mesure correctrice) ;

• en cas de doutes sérieux , la Commission peut ouvrir une phase 2 afin de procéder à un examen approfondi du dossier 23 ( * ) . Le délai est alors de 90 jours (voire 105 jours dans le cas où les parties concernées auraient formulé des engagements après le 55 e jour). L'autorisation d'un projet de concentration peut être soumise à l'acceptation et à la mise en oeuvre, par les parties, de mesures correctrices, les « remèdes ». Ces derniers sont de nature soit structurelle soit comportementale.

Dans le premier cas, les parties peuvent être obligées de céder une partie de leurs actifs, afin de maintenir une pression concurrentielle compatible avec le bon fonctionnement du marché intérieur. La Commission a ainsi autorisé en 2016 le rachat du spécialiste américain de l'alimentation bio WhiteWave par le groupe Danone à condition que ce dernier cède une part importante de son activité « lait de croissance » en Belgique 24 ( * ) . Dans le second cas, les entreprises peuvent être soumises à un engagement de ne pas adopter tel ou tel pratique ou comportement, ou, au contraire, de les adopter. Le rachat du fournisseur de produits d'équipement dentaires Sirona par Dentsply en 2016 a ainsi été subordonné à la prolongation d'accords de licence conclus entre Sirona et ses fournisseurs afin d'empêcher Dentsply de les remettre en cause et de favoriser les siens 25 ( * ) .

L'acceptation de ces engagements par les entreprises concernées « [envoie] un signal positif à l'autorité signalant qu'elles sont prêtes à faire des concessions par rapport à leur projet initial de manière à obtenir son aval 26 ( * ) ». Toutefois, le degré de réversibilité n'est pas le même selon la nature du remède : quasi-nul dans le cas d'un remède structurel, il est plus élevé dans celui d'un remède comportemental.

À l'issue de cette phase, la Commission peut soit autoriser le projet sans remède, soit l'autoriser sous réserve de la mise en oeuvre de telle(s) mesure(s), soit, enfin, l'interdire.

3. Le contrôle des aides d'État qui faussent la concurrence
a) Un principe général d'interdiction de ces aides

Aux termes de l'article 107 du TFUE, « sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises 27 ( * ) ou certaines productions ».

Ce principe général d'interdiction vise à ne pas entraver, via des soutiens publics non règlementés aux opérateurs économiques, le bon fonctionnement d'un marché intérieur harmonisé. La concurrence « par le mérite », gage d'une stimulation de l'innovation et de baisse des prix et objectif du droit européen de la concurrence, resterait un voeu pieux si la compétition économique était biaisée par les moyens budgétaires consacrés par les États au soutien de telle ou telle entreprise.

Une aide d'État peut prendre des formes variées, que le soutien financier soit direct ou indirect : « apports en capital, fourniture d'assistance commerciale et logistique, avantages indirects qui allègent les charges normales des entreprises : exonération fiscale ou sociale, garantie, conversion de dettes en capital 28 ( * ) ».

LES QUATRE CRITÈRES CUMULATIFS DE LA DÉFINITION D'UNE AIDE D'ÉTAT

L'aide provient d'une entité publique : État, opérateur public, collectivité territoriale ou entreprise publique.

L'avantage est sélectif. Le traité précisant que l'aide doit favoriser « certaines entreprises ou productions », un soutien public général à l'économie ne pourrait être considéré comme une aide d'État.

L'aide a un impact sur la concurrence au sein soit d'un État membre, soit du marché intérieur.

L'aide affecte les échanges entre les États membres. Une intervention publique permettant d'ériger des barrières à l'entrée ou un soutien augmentant le pouvoir de marché d'un opérateur économique sont ainsi présumés affecter les échanges et sont par conséquent prohibés.

Avant la mise en oeuvre de toute nouvelle aide ou modification d'aide, l'État membre doit la notifier à la Commission et cette dernière l'autoriser. Si la Commission constate que l'aide n'est pas compatible avec le marché intérieur, elle peut décider que l'État concerné doit la supprimer ou la modifier 29 ( * ) . Si l'aide a été versée, elle peut aussi ordonner sa récupération par l'État en cause. La Commission a ainsi décidé en 2009 que l'aide de 330 millions d'euros versée par la France entre 1992 et 2002 aux producteurs de fruits et légumes dans le cadre des plans de campagne devait être considérée comme une aide d'État illégale et, à ce titre, être récupérée par l'État 30 ( * ) .

b) De nombreuses exceptions

L'interdiction des aides d'État n'implique pas l'impossibilité totale et absolue, pour un État membre, de faire usage de ses moyens budgétaires aux fins de soutien d'un secteur ou d'une production économique.

Le traité lui-même autorise un ensemble d'aides compatibles avec le marché intérieur : les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles, les aides à caractère social octroyées aux consommateurs individuels, ou encore les aides octroyées à l'économie de certaines régions, notamment en République fédérale d'Allemagne.

Le TFUE et le droit dérivé définissent des catégories d'aides d'État pouvant être jugées compatibles avec le marché intérieur :

• les aides destinées à favoriser le développement économique de régions dans lesquelles le niveau de vie est anormalement bas ou dans lesquelles sévit un grave sous-emploi. En France, ces aides sont les « aides à finalité régionale » (AFR). Elles couvrent 24 % de la population.

Carte des zones d'aides à finalité régionale en 2017 en France

Source : Observatoire des territoires

• les aides destinées à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) ou à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un État membre ( cf. infra ) ;

• les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Les aides à finalité régionale sont fondées en droit sur cette exception et celle mentionnée au premier point ;

• les aides destinées à promouvoir la culture et la conservation du patrimoine ;

• les autres catégories d'aides déterminées par décision du Conseil sur proposition de la Commission 31 ( * ) .

Une phase, lourde, de pré-notification existe, sous la forme d'échanges informels entre les États et la Commission. Elle doit permettre de modifier le projet d'aide et d'y intégrer les remarques de la Commission. Elle ouvre, en outre, droit à une procédure simplifiée.

B. L'APPLICATION DU DROIT EUROPÉEN DE LA CONCURRENCE : SOUVENT CRITIQUÉE, POURTANT ÉPROUVÉE

1. Le droit de la concurrence, accusé de handicaper la stratégie industrielle européenne

Le rejet par la Commission européenne de la fusion entre Alstom et Siemens en février 2019 a entraîné de nombreuses critiques , soit envers les objectifs poursuivis par le droit européen de la concurrence, soit envers l'application jugée trop stricte de ce droit par la Commission européenne.

Dans tous les cas, les reproches se concentrent autour de l'idée que l'Union européenne ferait preuve de naïveté vis-à-vis de la concurrence d'acteurs non-européens. Il y aurait une forme d'incompatibilité entre une politique industrielle ambitieuse et le respect des principes de concurrence, comme si la souveraineté industrielle passait systématiquement par la constitution de géants sectoriels, quitte à ce qu'ils augmentent leurs prix et innovent moins.

a) L'application du droit de la concurrence empêcherait la constitution de « champions » industriels européens

En 2018, parmi les 100 plus grosses capitalisations boursières, seules 22 correspondaient à des entreprises européennes 32 ( * ) (contre 57 pour les États-Unis). Le droit européen de la concurrence est fréquemment pointé du doigt lorsqu'il s'agit d'analyser les raisons de ce manque de « géants » économiques européens. En cause notamment :

• l'insuffisante prise en compte par la Commission des gains d'efficacité dans son analyse, ce qui la conduirait à sous-estimer les effets bénéfiques des opérations de rapprochement et à surestimer les atteintes potentielles au niveau de concurrence ;

• les montants des amendes pour entente jugés prohibitifs et accusés de désinciter les entreprises d'élaborer des projets de coopération entre elles pouvant pourtant renforcer l'innovation ;

• les remèdes structurels imposés aux entreprises désirant se rapprocher, considérés comme trop lourds et les laissant aux prises avec le dilemme suivant : renoncer à se rapprocher ou le faire au prix de cessions d'actifs trop importantes pour leur permettre de rivaliser pleinement avec leurs concurrents internationaux ;

• la longueur excessive de la procédure , incompatible avec la vie économique qui requiert réactivité et souplesse des entreprises, et qui les conduit à s'autocensurer en amont ou à abandonner leur projet de rapprochement.

Suite au rejet de la fusion Alstom-Siemens en 2019, le Ministre de l'économie et des finances avait ainsi regretté que « cette décision empêche Alstom et Siemens d'avoir le même poids que le concurrent chinois ». Il avait en outre estimé que « c'est le mauvais choix pour l'Europe, pour l'industrie européenne, pour nos entreprises ». Le 5 mars 2020, devant la commission des affaires économiques du Sénat, il a redit qu'au vu de « la capacité d'investissement et du chiffre d'affaires important [de CRRC], il était indispensable de rapprocher les capacités ferroviaires en Europe ».

b) Une lecture insuffisamment politique des relations économiques internationales pénaliserait les acteurs européens

Selon l'économiste Bruno Alomar, « l'évolution de l'Union européenne au cours des vingt dernières années est incontestablement marquée par le déplacement du curseur, au bénéfice du droit et au détriment de la politique, en particulier pour ce qui concerne le coeur des compétences européennes : la concurrence 33 ( * ) ».

S'il salue cette neutralité croissante du droit de la concurrence, qui permet aux autorités compétentes de « faire taire les accusations de nationalisme juridique larvé », ce déplacement du curseur est toutefois critiqué par certains au motif que la concurrence internationale ne serait plus aujourd'hui uniquement un sujet économique mais deviendrait également un levier géopolitique. Dès lors, la prise en compte d'arguments uniquement techniques d'ordre concurrentiel conduirait la Commission à ne pas situer ses analyses sur le même plan que le font la Chine ou les États-Unis.

Le projet chinois des « Routes de la soie » , qui vise à construire un ensemble mondial d'infrastructures pour se rapprocher des zones de production, se concrétise ainsi progressivement via d'amples mouvements de concentration dans de nombreux secteurs industriels (transport maritime, industrie chimique, sidérurgie, équipements de télécommunication, etc.) et de nombreuses prises de contrôle. Ainsi que le constate le rapport IGF/CGE précité, « la stratégie chinoise repose surtout sur une planification économique méthodique [...] et très ambitieuse, en termes de conquête de parts de marché notamment. À titre d'exemple, alors qu'aucune entreprise chinoise ne figurait dans les dix premiers producteurs mondiaux de panneaux solaires en 2004, on en compte désormais sept ». Il peut légitimement être fait l'hypothèse que pour mener à bien ce projet, les contraintes en matière de respect de la concurrence imposées à ces concentrations sont peu exigeantes . Sur 22 fusions entre entreprises publiques relevant du gouvernement central chinois entre 2008 et 2018, aucune n'a été refusée.

S'il n'est pas question d'appliquer un droit européen de la concurrence à géométrie variable , selon l'évolution de l'agenda politique des États membres (quand bien même un consensus hypothétique se dégagerait entre les 27 États), les rapporteurs considèrent toutefois que, dans l'application de ce droit, la Commission européenne ne peut ignorer les priorités, notamment géopolitiques, fixées pour l'Union européenne par le Conseil européen, comme la protection des citoyens et des libertés, la mise en place d'une base économique solide et dynamique et la promotion des intérêts et des valeurs de l'Union sur la scène mondiale 34 ( * ) .

Si le Premier ministre français, à la suite de l'échec du projet de fusion Alstom-Siemens, a critiqué « une mauvaise décision » prise « sur de mauvais fondements », il a considéré par ailleurs que le fait que la Commission n'ait pas retenu le marché chinois dans sa définition du marché pertinent (Alstom et Siemens n'ayant aucune chance de pénétrer ce marché fermé à moyen-terme) relevait d'« une conception du droit extrêmement datée », bien que l'application par la Commission des mêmes concepts dans d'autres dossiers n'ait jamais soulevé d'interrogations.

En creux, les reproches adressés par certains à la Commission européenne portent donc bien sur le fait qu'elle aurait insuffisamment pris en compte la stratégie géopolitique chinoise de conquête rapide et massive de parts de marchés, pour se concentrer uniquement sur l'examen de l'atteinte éventuelle à la concurrence que la fusion aurait entraînée.

Il est ainsi reproché à la Commission de pénaliser les entreprises européennes dans la compétition mondiale, par manque de vision à moyen et long termes, en empêchant des rapprochements susceptibles de renforcer la souveraineté industrielle européenne.

c) L'Union européenne appliquerait ce droit de façon plus ferme que les autres puissances économiques

À l'appui des critiques adressées à la Commission est parfois évoqué le niveau moins élevé de l'intensité concurrentielle aux États-Unis en comparaison de celui qui existe en Europe. Cette situation tendrait à démontrer une application plus stricte du droit de la concurrence par la DG Concurrence que par son homologue américaine, la Federal Trade Commission (FTC).

Cette différence de pratique peut s'observer au travers du ratio de concentration qui compare la taille des quatre (CR4) ou huit (CR8) plus grandes entreprises d'un secteur par rapport à la taille globale du secteur. À partir des années 2000, en effet, le niveau de concentration aux États-Unis s'est fortement accru, tandis que celui observé dans l'UE diminue légèrement.

Évolution des niveaux de concentration aux États-Unis
et dans l'Union européenne (2000-2015)

Source : données OCDE STAN, rapport CAE Focus mai 2019.

Lecture : la série correspondant à « Union européenne (UE) » est construite à partir de l'hypothèse que chaque pays au sein de l'UE est un marché distinct, par opposition aux autres séries qui font l'hypothèse que l'UE est un marché intégré.

Une explication de cet effet ciseau (ce niveau ayant au contraire diminué dans l'UE) pourrait résider dans le fait que la Commission européenne s'est davantage attachée à maintenir une pression concurrentielle sur les marchés que son homologue américaine, en interdisant plus fréquemment les opérations de fusions-acquisitions, ou en les conditionnant davantage à des engagements structurels ou comportementaux 35 ( * ) .

Parmi les explications possibles retenues par le rapport IGF/CGE précité figure la « tendance plus forte que d'autres autorités » qu'aurait la Commission européenne à conditionner ses autorisations de concentration à des mesures compensatoires fortes et de nature principalement structurelle. En d'autres termes, et bien que le propos des auteurs du rapport ne vise nullement à accréditer la thèse d'une Commission faisant preuve d'un excès de « zèle », les mesures correctrices que les entreprises européennes souhaitant se rapprocher doivent mettre en oeuvre seraient plus drastiques que celles exigées par la FTC de leurs concurrentes américaines.

La thèse d'une Commission jouant « contre son propre camp » figure ainsi souvent parmi les critiques qui lui sont adressées. Les rapporteurs ne sous-estiment pourtant pas le bien-fondé des objectifs du droit de la concurrence , voire à les inverser totalement : ce droit vise en effet précisément à éviter des prix et marges élevés qui ne seraient pas le reflet d'un « mérite économique » mais au contraire d'un pouvoir de marché excessif. L'augmentation du degré de concentration sur les marchés américains, pour séduisante qu'elle paraisse lorsque l'on estime qu'un oligopole témoigne de la souveraineté économique d'un pays, témoigne avant tout d'un fonctionnement non-optimal des marchés .

2. Des accusations exagérées

L'argument selon lequel la Commission européenne serait excessivement sévère en matière de contrôle des concentrations n'est d'ailleurs pas corroboré par les statistiques.

En effet, entre 2004 et janvier 2020, 5 281 cas de concentrations ont été notifiés à la Commission. 90 % des opérations ont été autorisées sans condition dès la phase 1 (le ratio évolue entre 87 % et 93 % selon les années). Dans 4 % des cas, l'autorisation a été soumise à condition, toujours en phase 1 et 2 % des projets ont été retirés à ce stade de la procédure. À noter par ailleurs que 70 % de ces autorisations sans condition ont ensuite ouvert la voie à la mise en oeuvre de la procédure simplifiée.

En phase 2, ce sont 75 % des projets restants (représentant moins de 4 % des opérations notifiées) qui ont été autorisés (dans 27 % des cas, sans condition).

Au final, seuls 12 projets de concentration ont été interdits par la Commission entre 2004 et 2020, soit 0,23 % des 5 300 projets notifiés.

Répartition des sorts réservés aux projets de concentration
par la Commission européenne entre 2004 et 2020

Source : groupe de suivi, à partir des données de la Commission européenne

Les rapporteurs relèvent que près de 20 % des projets qui entrent en phase n° 2 ne sont ni rejetés, ni autorisés par la Commission. Il peut légitimement être fait l'hypothèse que ces projets ont été retirés, alors que leur préparation et instruction représentent un coût très important pour les entreprises concernées . Le retrait peut, entre autres, être le fruit d'une anticipation par l'entreprise d'une décision négative à venir de la Commission ou d'une évolution des conditions de marché affaiblissant la pertinence de l'opération.

En tout état de cause, si certaines interdictions de rapprochement prononcées par la Commission ont été particulièrement médiatisées (par exemple Alstom-Siemens en 2019, GE-Honeywell en 2001, Schneider-Legrand en 2001), le très faible nombre des refus oblige à rejeter la critique d'une Commission foncièrement rétive aux projets de fusion ou d'acquisition .

3. Un droit en fait protecteur pour le choix du consommateur, l'innovation et le bon fonctionnement du marché intérieur

Les professionnels, praticiens et associations de consommateurs rencontrés par les rapporteurs s'accordent à considérer que le droit européen de la concurrence a efficacement atteint les objectifs qui lui sont assignés . En veillant à ce que les coopérations entre entreprises, les concentrations et les aides d'État ne nuisent pas à l'intensité concurrentielle des marchés, la Commission a en effet permis de contenir la hausse des prix , de soutenir la productivité et d' inciter à l'innovation .

L'inflation, en effet, n'a jamais dépassé 3 % dans l'UE depuis vingt ans (à l'exception de l'année 2008, où elle s'est établie à 4 %). S'il s'agit là, avant tout, du résultat de la politique monétaire mise en oeuvre par la Banque centrale européenne au sein de la zone euro, l'application du droit de la concurrence joue un rôle important dans cette modération, en maintenant une pression concurrentielle suffisante pour que les entreprises ne bénéficient pas de rentes qui se traduiraient par une hausse des prix.

Par ailleurs, le nombre de brevets déposés auprès de l'Office européen des brevets (OEB) atteste du dynamisme de l'innovation dans l'UE. En 2019, 181 000 demandes de brevets y ont été déposées (en hausse de 4 % en un an), dont 45 % en provenance des 38 pays qui en sont membres, 25 % en provenance des États-Unis et 12 % en provenance du Japon 36 ( * ) .

a) L'application du droit de la concurrence a permis de préserver l'intensité concurrentielle sur les marchés
(1) Une intensité concurrentielle plus forte sur le marché européen que sur le marché des États-Unis...

L'application du droit de la concurrence dans l'Union européenne a permis de stabiliser le degré de concentration des marchés alors que celui-ci a augmenté dans les années 2000 aux États-Unis où la politique concurrentielle est plus accommodante (en matière, notamment d'aides d'État et de concentrations). Ce résultat peut s'observer au travers de l'évolution des marges bénéficiaires aux États-Unis et en UE, elle-même agissant in fine sur le niveau d'inflation.

Les travaux précités de l'économiste Thomas Philippon attestent de cette évolution en ciseaux.

Évolution du niveau des marges bénéficiaires aux États-Unis et en Union européenne (1992-2015)

Source : données OCDE STAN, rapport CAE Focus mai 2019.

Si le niveau des marges ne dépend bien évidemment pas que de la politique de concurrence mise en oeuvre, cette dernière l'influence de façon significative. Lutter contre la concentration des marchés n'est pas un objectif en soi, mais un moyen de parvenir à une hausse de la productivité et, in fine , de la croissance économique.

(2) ...gage d'une productivité plus élevée, de croissance économique et de modération des prix

En effet, la littérature économique conclut à l'existence d'une corrélation forte et avérée entre la nature concurrentielle des marchés et le développement de l'innovation et de la productivité . Dans ses récentes perspectives économiques intermédiaires, publiées en mars 2019, l'OCDE constatait ainsi qu' « une concurrence plus vive inciterait [...] les entreprises à se développer, à améliorer la qualité de leur stock de capital et à innover, contribuant ainsi à donner un nouveau souffle à la croissance 37 ( * ) ».

La Commission européenne a conduit un ensemble de travaux visant à évaluer l'efficacité de sa politique de concurrence en matière d'impact sur l'emploi et la croissance. Il en résulte que « la politique de concurrence a des effets positifs significatifs sur la croissance (de l'ordre de 0,45 % après 5 ans) et sur l'emploi (de l'ordre de 450 000 emplois créés après 5 ans) 38 ( * ) ». L'impact positif de la concurrence sur la croissance économique serait même supérieur à celui de l'ouverture au commerce international ou encore à celui de la qualité des institutions 39 ( * ) .

En outre, la politique de concurrence aurait un effet redistributif : la diminution des prix permise par sa mise en oeuvre bénéficie relativement plus aux ménages les moins aisés : cinq ans après l'application de mesures concurrentielles dans un marché, la consommation des premiers augmenterait quatre fois plus que celle des ménages plus aisés 40 ( * ) (les moins aisés étant plus sensibles au prix dans leur décision d'achat).

b) En tout état de cause, la mise en oeuvre du droit de la concurrence doit être coordonnée avec les autres politiques de l'Union

Considérant que certaines des critiques adressées à la politique européenne de concurrence sont légitimes, les rapporteurs soulignent toutefois que la mise en oeuvre d'une politique industrielle ambitieuse ne saurait reposer uniquement sur le droit de la concurrence. En effet, il n'est pas conçu pour cela et une telle assise exclusive se révèlerait in fine inopérante. D 'autres leviers d'action à l'échelon européen concourent à la mise en oeuvre d'une politique industrielle dont la réussite dépendra de la capacité à les actionner, à les articuler entre eux et à faire respecter les décisions prises en la matière.

Parmi ces leviers d'action figurent la politique commerciale , la politique en matière de recherche et d'innovation , la politique de compétitivité et la politique en matière numérique . Si elle est particulièrement précieuse pour les raisons évoquées plus haut, la politique de concurrence n'est qu'un outil parmi d'autres de la stratégie de croissance de l'UE.

La stratégie de Lisbonne de 2000 devait par exemple faire de l'Union « l'économie de connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde » et permettre de parvenir au plein emploi d'ici 2010 , ce qui impliquait de mêler les politiques de formation, de recherche, d'emploi et de concurrence.

La stratégie Europe 2020 « pour une croissance intelligente, durable et inclusive », qui lui a succédé, se décline en sept initiatives-phares qui témoignent de la palette des outils à mobiliser pour renforcer, moderniser et adapter l'économie de l'UE et en particulier son industrie. Ces initiatives regroupent par exemple une stratégie numérique pour l'Europe, une stratégie pour les nouveaux emplois et une politique industrielle à l'heure de la mondialisation.

En particulier, le droit de la concurrence doit être épaulé par la politique commerciale . En effet, « la politique de concurrence et la politique commerciale sont étroitement complémentaires : la première encadre le marché intérieur tandis que la seconde définit les conditions de nos échanges extérieurs 41 ( * )

La stratégie industrielle de l'UE nécessite d'autant plus une articulation entre ces deux politiques que :

• la Chine interdit ou limite fortement l'accès des entreprises non-chinoises à ses marchés publics ;

• certains États pratiquent un subventi o nnement massif de leurs entreprises leur permettant d''exporter rapidement et de conquérir des parts de marché en pratiquant, de fait, une concurrence déloyale ;

• la non-conformité à la règlementation européenne des produits entrant sur le territoire de l'UE (en matière de sécurité des produits, de normes environnementales, de conditions sociales de production) mine les efforts réalisés par le secteur industriel européen et affaiblit sa capacité à investir pour poursuivre sa modernisation ;

• les États-Unis bloquent toute réforme de l'OMC et tournent de plus en plus le dos à la négociation multilatérale.

Les rapporteurs tiennent donc à rappeler fortement cette complémentarité des politiques européennes lorsqu'il s'agit de mettre en oeuvre une stratégie industrielle. Cela dit, ils considèrent que les enjeux fondamentaux de la mondialisation et du numérique appellent une modernisation urgente et profonde de l'application du droit de la concurrence ( cf. infra ).

C. LA COMMISSION : DES PRATIQUES ÉVOLUTIVES POUR ENCOURAGER L'INNOVATION

En soixante ans, de nouveaux défis ont émergé, qui ont entraîné une évolution dans l'application du droit européen de la concurrence : élargissement de l'Union européenne, numérisation de l'économie, dynamisme de la Chine , besoin de sécurité juridique pour les entreprises, mais aussi, tout récemment, perturbations graves de l'économie en raison de la crise sanitaire de la Covid-19 , en sont quelques illustrations.

La mise en oeuvre des trois instruments du droit européen de la concurrence (pratiques anticoncurrentielles, concentrations, aides d'État) obéit à des procédures et repose sur des outils qui ont été profondément modifiés en réaction à ces défis.

En soi, l'apparition d'un contrôle des concentrations, absent des traités et introduit par le droit dérivé trente ans plus tard, est probablement l'exemple le plus marquant de cette mue du droit de la concurrence.

1. Le contrôle des concentrations : une évolution majeure en 2004, rien depuis

La Commission a considérablement fait évoluer en 2004 ses procédures en matière de contrôle des concentrations, notamment pour mieux prendre en compte les impacts économiques de ses décisions.

a) Une évolution intervenue dans un contexte de défiance vis-à-vis de la politique européenne de concurrence

Plusieurs raisons sont à l'origine de cette évolution :

• l'élargissement de l'UE à dix nouveaux pays en 2004 , ouvrant, comme en 1989, de nouvelles perspectives de croissance pour les entreprises et donc des incitations aux rapprochements entre entreprises pour s'y implanter rapidement ;

• l'annulation par le Tribunal de l'UE, en 1999 et 2001, de trois interdictions de concentration 42 ( * ) , décidées par la Commission, au motif que cette dernière aurait effectué une analyse économique insuffisante des projets concernés ;

• l' augmentation du nombre d'opérations de fusions-acquisitions laissant présager un encombrement des services de la Commission.

Au vu des modifications apportées par le règlement de 2004, la deuxième raison a de toute évidence été prépondérante.

b) Le renforcement de la sécurité juridique des entreprises

Le règlement de 2004 prévoit désormais que l a notification des opérations de concentration dépassant les seuils prévus à l'article 1 er ( cf. supra ) est obligatoire et qu'elle doit être préalable à leur réalisation.

Il s'agit de renforcer la sécurité juridique pour les entreprises. En effet, certains opérateurs qui s'étaient rapprochés avaient été contraints, sur injonction de la Commission, de se séparer ensuite en raison d'une potentielle atteinte à la concurrence issue de leur rapprochement 43 ( * ) .

c) Gains d'efficacité et atteinte substantielle à la concurrence : deux concepts économiques désormais au centre de l'analyse

Avant 2004, la Commission analysait essentiellement le risque de « création ou de renforcement d'une position dominante 44 ( * ) ». Or ce critère était principalement juridique et pouvait conduire à rejeter automatiquement un projet de concentration sans analyse du risque réel d'atteinte au niveau de concurrence.

En effet, de même que détenir une position dominante n'est pas condamnable en soi, la renforcer ne l'est pas non plus (elle peut être bénéfique, par exemple, en permettant des synergies). Tout dépend du risque que l'entreprise en position dominante s'affranchisse librement de ses concurrents , fixe ses prix sans contrainte, érige des barrières à l'entrée, exerce une domination déséquilibrée sur ses cocontractants ou clients. Retenir ce seul critère juridique a donc pu conduire la Commission à prendre des décisions non-optimales d'un point de vue économique : elle pouvait interdire des rapprochements pourtant économiquement pertinents et, à l'inverse, autoriser des rapprochements réduisant l'intensité concurrentielle sur un marché, simplement parce qu'ils ne créaient ou ne renforçaient pas de position dominante.

À l'inverse, aux États-Unis, la pratique consiste à tester le risque d'atteinte substantielle à la concurrence , en s'intéressant par ailleurs aux gains d'efficacité , c'est-à-dire à la possibilité que les effets positifs d'une concentration en termes d'efficacité économique soient suffisants pour compenser ses effets anticoncurrentiels.

Par conséquent, non seulement la méthode européenne pouvait s'avérer inefficace voire contre-productive d'un point de vue économique, mais la divergence d'analyse entre les deux continents était source d'insécurité juridique pour les entreprises 45 ( * ) .

À la suite de la modernisation de cette approche par le règlement sur les concentrations de 2004, la Commission retient désormais prioritairement le critère économique d'atteinte substantielle à la concurrence et prend en compte les gains d'efficacité 46 ( * ) . Elle réalise désormais un test SLC ( Substantial Lessening of Competition , baisse substantielle de la concurrence) qui permet de comparer le niveau de concurrence avant la fusion et celui postérieur à cette dernière (qui intègre les modifications de comportement des acteurs du marché). « Si une fusion s'accompagne de réductions de coûts suffisantes pour que l'augmentation du pouvoir de marché soit compensée, du point de vue des effets sur le bien-être collectif, alors il convient de l'autoriser. Ce critère de réduction substantielle de concurrence est donc assez proche d'un objectif de surplus collectif .47 ( * ) ».

UN CONCEPT ÉCONOMIQUE CLEF : LE MARCHÉ PERTINENT

Afin d'éviter qu'une concentration n'entrave de manière significative la concurrence effective dans le marché commun, la Commission détermine, dans une première étape, le marché pertinent sur lequel porter son analyse concurrentielle. Elle le définit ainsi : « un marché de produits en cause comprend tous les produits et/ou services que le consommateur considère comme interchangeables ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l'usage auquel ils sont destinés 48 ( * ) ».

Le niveau de concurrence sur un tel marché se mesure donc à l'aune du degré de substituabilité des produits qui y sont offerts : si le consommateur peut indifféremment arbitrer entre plusieurs produits, il peut être considéré que les producteurs sont soumis à la concurrence par les prix. En effet, si face à une légère hausse des prix, à la suite d'une concentration, les acheteurs se tournent vers d'autres produits jugés interchangeables ou quasi équivalents, l'entité issue du rapprochement continuera d'être soumise à une pression concurrentielle suffisante et devrait vraisemblablement renoncer dès lors, sous peine de perdre des parts de marché, à augmenter ses prix. C'est donc sur ce marché pertinent que la Commission vérifie l'existence de contraintes concurrentielles, afin de s'assurer que le projet ne conduise pas la nouvelle entité à bénéficier d'un large pouvoir de fixation des prix .

La définition du marché pertinent tient également compte de la substituabilité du côté de l'offre, qui conduit à apprécier si « des fournisseurs autres que ceux qui offrent le produit ou service en question réorienteraient leur production, sans délai ou à court terme, ou offriraient les produits ou services en cause sans encourir de surcoûts importants 49 ( * ) » . Pour ce faire, la Commission dispose de plusieurs outils, dont le test SSNIP ( Small but Significant Non transitory Increase in Price ) qui lui permet de modéliser la réaction des consommateurs face à une légère hausse des prix.

d) La mise en place d'une équipe d'économistes

Toujours dans l'optique de renforcer l'approche économique, une équipe resserrée autour d'un économiste en chef a été mise en place pour conseiller les services de la DG Concurrence à partir de 2003 50 ( * ) . Il lui incombe de fournir un appui en matière, par exemple, de méthodologie et d'analyse économique et de contrôler la qualité des analyses économiques conduites par la Commission.

2. La lutte contre les ententes et les abus de position dominante simplifiée et décentralisée
a) D'un contrôle centralisé, ex ante...

Contrairement au contrôle européen des concentrations, celui des ententes et abus de position dominante s'est d'abord heurté aux traditions nationales fortement hétérogènes en la matière , chaque État membre les appréciant de façon différente, voire ne les sanctionnant pas du tout. Ceci a compliqué la pleine appropriation et compréhension par les entreprises des règles et procédures harmonisées mises en oeuvre sur l'ensemble du territoire de l'Union par la Commission européenne 51 ( * ) . Initialement 52 ( * ) , toute entreprise souhaitant être exemptée de l'interdiction générale devait notifier l'entente à la Commission, seule habilitée à autoriser cette pratique . Rapidement toutefois, cette procédure a entraîné une forte inflation du nombre de notifications transmises, sans d'ailleurs que la fiabilité des informations soit toujours assurée, ni même que la Commission dispose de l'expertise suffisante. En 1967, 37 450 affaires étaient ainsi à traiter par la Commission.

Si des règlements d'exemption 53 ( * ) ont rapidement été édictés afin de déclarer certaines catégories d'entente compatibles avec le traité, et si les décisions successives de la Commission et la jurisprudence de la CJCE ont progressivement permis de clarifier le cadre règlementaire, le nombre de notifications a peu diminué au fil des années . En outre, « le système centralisé de notifications des ententes a de plus en plus cantonné la CE dans un rôle réactif 54 ( * ) » : au lieu d'agir de façon proactive en lançant des enquêtes sectorielles ou en enquêtant à la suite de plaintes, la Commission était presque exclusivement concentrée sur l'analyse des notifications reçues .

Cette inefficacité relative a nécessité une modernisation du cadre règlementaire.

b) ...à un contrôle décentralisé, ex post et gagnant en efficacité

Partant du principe que la poursuite « d'un système d'autorisation de cette nature dans la Communauté d'aujourd'hui et celle de demain nécessiterait des ressources énormes et imposerait des coûts élevés aux entreprises », un règlement de 2003 55 ( * ) est venu transformer les modalités du contrôle sur deux points fondamentaux :

• un système tripartite décentralisé a été mis en place , conduisant la Commission , les autorités nationales de concurrence et les tribunaux nationaux à pouvoir mettre en oeuvre le droit de l'antitrust. Afin de clarifier la répartition des compétences entre les autorités nationales et la Commission, et d'assurer une mise en oeuvre cohérente des règles sur tout le territoire de l'UE, un réseau européen de la concurrence (REC), structure de dialogue et de coopération, a été mis en place ;

• un contrôle a posteriori a remplacé le contrôle ex ante : désormais, et grâce à la plus grande connaissance du droit des ententes que quarante ans de jurisprudence et de précédents leur ont apportée, les entreprises apprécient elles-mêmes la compatibilité de leur pratique, sans notification obligatoire . La Commission intervient à la suite d'une enquêt e démontrant l'illégalité de la pratique. Par ailleurs, elle peut imposer aux entreprises en cause, à l'issue de cette procédure, des mesures correctrices (structurelles ou comportementales) afin de faire cesser l'infraction en question ; les entreprises peuvent également offrir des engagements permettant de la faire cesser, l'objectif étant de clôturer plus rapidement les dossiers.

La recherche d'une plus grande célérité et efficacité dans l'application des règles d'antitrust a également conduit la Commission à introduire en 1996 une politique de clémence . Celle-ci incite toute entreprise membre d'une entente secrète à la dénoncer, en échange d'une réduction de la sanction encourue, voire d'une immunité totale. Cet instrument repose sur l'idée que « le bénéfice que tirent les consommateurs et les citoyens de l'assurance de voir les ententes secrètes révélées et interdites est plus important que l'intérêt qu'il peut y avoir à sanctionner pécuniairement des entreprises qui permettent à la Commission de découvrir et de sanctionner de telles pratiques .56 ( * ) »

La politique de clémence de la Commission européenne en matière d'ententes, 1996-2015

Périodes

Nombre de décisions de la Commission européenne sanctionnant financièrement une entente

Nombre de décisions dans lesquelles l'immunité a été accordée par la Commission au premier membre dénonciateur de l'entente

Ratio « nombre de décisions d'immunité/nombre d'affaires ayant entraîné sanction »

1996-2000

10

1

10 %

2001-2005

33

20

60 %

2006-2010

31

25

80 %

2011-2015

23

21

91 %

Source : Wils, Wouter P. J., The Use of Leniency in EU Cartel Enforcement: An Assessment after Twenty Years

L'analyse statistique de la mise en oeuvre de cette politique de clémence démontre que, dans la majorité des cas où le premier dénonciateur bénéficie d'une immunité totale, une baisse de 30 à 50 % du montant de la sanction financière est également accordée au deuxième dénonciateur et une baisse de 20 à 30 % au troisième 57 ( * ) .

La politique de clémence n'est pas appliquée de façon uniforme dans le monde, la Commission européenne et les autorités japonaise et britannique de concurrence recourant particulièrement à cette pratique.

Part des décisions des autorités compétentes en matière d'entente comportant un accord de « clémence »

Source : Groupe de suivi, à partir des données du rapport Global cartel enforcement report, Allen & Overy LLP, février 2020.

c) Un montant croissant et élevé de sanctions en cas d'entente et d'abus de position dominante

La crédibilité de la politique antitrust européenne repose, entre autres, sur la capacité de la Commission à imposer de fortes sanctions financières en cas d'infraction aux règles de la concurrence. Les évolutions des outils et pratiques ont précisément permis une forte hausse du montant des amendes, qui ont plus que doublé en matière d'entente depuis le début des années 2000.

En 2016, une amende de 2,93 milliards d'euros a ainsi été infligée à des constructeurs de camions pour participation à une entente 58 ( * ) après que l'entreprise MAN a révélé à la Commission que cinq fabricants de camions poids moyen et lourd s'étaient entendus pendant 14 ans sur les prix et sur la répercussion des coûts de mise aux normes environnementales sur les clients.

Dans l'ensemble, sur l'année 2019, la Commission a infligé 1,48 milliard d'euros d'amendes (936 millions d'euros en Allemagne, 697 millions d'euros en Italie et 484 millions d'euros en France). Les sanctions infligées au Japon s'élèvent quant à elles à 574 millions d'euros et à 324 millions d'euros pour les États-Unis 59 ( * ) .

Les abus de position dominante exposent également les entreprises à de lourdes sanctions financières . Google a ainsi été condamné, entre 2017 et 2019 à payer :

• 1,49 milliard d'euros en mars 2019 pour abus de position dominante de sa régie publicitaire AdSense qui a imposé des clauses restrictives dans ses contrats avec des tiers empêchant ses concurrents de leur proposer leurs services 60 ( * ) ;

• 4,34 milliards d'euros en juillet 2018 pour abus de position dominante de son système d'exploitation pour smartphone Android . Google a ainsi, entre autres, lié l'octroi de licences pour sa boutique d'applications en ligne à la préinstallation par le fabricant d'appareil mobile de l'application Google Search et du navigateur Chrome ;

• 2,43 milliards d'euros en 2017 pour avoir favorisé son service de comparaison des prix sur son moteur de recherche.

Si les rapporteurs saluent ces décisions, ils notent toutefois que le développement rapide du numérique et les distorsions de concurrence irréversibles que les GAFA impliquent que la DG Concurrence gagne surtout en célérité ( cf. infra ).

3. Le contrôle des aides d'État assoupli, au service de l'innovation et en soutien à l'économie

La modernisation du contrôle des aides d'État a visé à mieux cibler les aides vers des activités participant à la croissance, à la compétitivité et à la création d'emplois durables , tout en affinant l'approche économique de la Commission pour lui permettre de comparer les effets positifs et négatifs des aides.

Une première évolution a eu lieu en 1998 61 ( * ) avec l'adoption de règlements exemptant certaines catégories d'aides horizontales de notification . En introduisant un principe de compatibilité automatique (principe qui s'applique aussi aux règles de minimis 62 ( * ) ), cette première évolution a permis une clarification de l'architecture des aides d'État.

Une deuxième évolution, le Plan d'Action 2005-2009 , a permis l'adoption de règles permettant aux États membres d'intervenir rapidement, notamment en matière financière durant la crise économique, et de coordonner leurs actions.

a) L'accroissement des cas d'exemption de notification
(1) Une augmentation du nombre des catégories d'aides exemptées de notification

Selon la communication de 2012 63 ( * ) de la Commission relative au chantier de modernisation des aides d'État, trois objectifs étaient visés : « favoriser une croissance intelligente, durable et inclusive dans un marché intérieur concurrentiel, concentrer l'examen ex ante par la Commission sur les affaires ayant la plus forte incidence sur le marché intérieur tout en renforçant la coopération des États membres dans l'application des règles en matière d'aides d'État et simplifier les règles et accélérer le processus de décision ».

Deux règlements ont été pris dans cet objectif. Le premier est un règlement général d'exemption par catégorie (RGEC 64 ( * ) ) qui étend les cas d'exemption de notification préalable prévus par un précédent règlement de 2008 65 ( * ) . Il définit toutefois des seuils financiers au-delà desquels une aide intervenant dans une de ces catégories doit être notifiée (un projet « haut-débit » ne peut ainsi percevoir plus de 70 millions d'euros sans notification).

Le second règlement 66 ( * ) , dit « de minimis », prévoit que « le montant total des aides de minimis octroyées par État membre à une entreprise unique ne peut excéder 200 000 euros sur une période de trois exercices fiscaux » . Des règlements sectoriels (agriculture, pêche, aquaculture, etc.) édictent en outre des règles spécifiques pour certaines productions.

La liste des catégories d'aides compatibles 67 ( * ) avec le marché intérieur a donc été étendue par ce règlement de 2014 : désormais, sous certaines conditions, les aides intervenues dans le domaine des infrastructures sportives, culturel, de l'autonomie de la personne, du développement de clusters innovants, sont exemptées de notification. Si les montants autorisés restent plafonnés, ils ont toutefois été revus à la hausse.

Par ailleurs, les entreprises en difficultés entrent désormais dans le champ d'application du règlement de minimis .

Parallèlement, la Commission a précisé dans quelle mesure les États pouvaient faire usage de l'exception prévue à l'interdiction des aides d'État en soutenant un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC, cf. infra ).

(2) Une évolution bienvenue, exemptant désormais la quasi-totalité des nouvelles aides d'État

En 2017, les États membres ont accordé des aides pour un montant total de 116,2 milliards d'euros (hors soutien au secteur du transport), soit 0,76 % du PIB européen 67 ( * ) . La France, en particulier, a dépensé 17,4 milliards d'euros (dont 7 milliards d'euros de réductions fiscales), en hausse de 27 % par rapport aux montants de 2013.

La modernisation du régime des aides d'État semble avoir eu pour effet une hausse significative de la part des aides exemptées . Depuis 2015, 96 % des nouvelles aides d'État le sont, soit une hausse de 28 % par rapport à 2013, ce qui illustre bien l'effet concret de la réforme menée par la Commission. En 2017, le montant total d'aides exemptées (nouvelles ou existantes) au titre du RGEC s'est élevé à 42 milliards d'euros, soit 38 % du total des aides d'État.

Dans certains secteurs, la quasi-totalité des aides accordées sont exemptées : près de 100 % en matière de formation, 85 % en ce qui concerne la R&D, environ 80 % pour les aides au développement des régions et pour celles liées à l'emploi.

b) Un cadre temporaire d'assouplissement des aides d'État dès le début de la crise du coronavirus

Afin de permettre aux États membres de soutenir leur tissu économique, notamment les PME , la Commission a publié le 20 mars 2020 une communication sur l'« encadrement temporaire des mesures d'aide d'État visant à soutenir l'économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 68 ( * ) ».

Elle y précise tout d'abord que les États membres disposent de diverses options pour soutenir leur économie , qui ne figurent pas dans le champ d'application du contrôle des aides d'État qu'elle assure, comme les subventions salariales, le report ou l'annulation de l'impôt sur les sociétés, de la TVA et/ou des cotisations sociales, ou encore le soutien financier direct au consommateur.

En matière d'aides d'État, elle rappelle ensuite que les États membres peuvent déjà concevoir des mesures de soutien conformes au RGEC ( cf. supra ), sans aucune intervention de la Commission. Surtout, elle précise son interprétation de l'article 107, paragraphe 2, point b) du TFUE, aux termes duquel « peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur [...] les aides destinées à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt européen commun ou à remédier à une perturbation grave de l'économie d'un État membre », à condition que la perturbation affecte l'ensemble de l'économie de l'État.

Au titre de cette perturbation grave, les États membres sont ainsi autorisés à indemniser les entreprises de secteurs particulièrement touchés (transport, tourisme, culture, commerce de détail, hôtellerie restauration) ainsi que les organisateurs d'évènements annulés, pour les dommages subis. La Commission indique par ailleurs qu'une telle aide ne viendrait pas heurter le principe de « non-récurrence » qu'elle a fixé dans ses lignes directrices 69 ( * ) concernant les aides d'État au sauvetage et à la restructuration d'entreprises en difficulté, en vertu duquel une entreprise ne devrait être autorisée à bénéficier d'une telle aide qu'une seule fois au cours d'une période de dix ans.

Sous réserve que l'aide soit nécessaire, appropriée et proportionnée, les États membres peuvent accorder, jusqu'à fin 2020, des aides sous plusieurs formes :

• subventions directes , avances remboursables, avantages fiscaux, à condition que l'aide ne dépasse pas 800 000 euros par entreprise, qu'elle soit octroyée avant le 31 décembre 2020 et que l'entreprise ne soit pas en difficulté au sens du RGEC ;

• garanties sur les prêts, à condition que les primes de garantie respectent une fourchette déterminée par la Commission selon le type d'entreprise et la durée du prêt, et que le montant de ce dernier ne dépasse pas le double de la masse salariale annuelle du bénéficiaire ou 25 % de son chiffre d'affaires de 2019 ;

• taux d'intérêt bonifiés pour les prêts, sous les mêmes conditions que les garanties sur prêts ;

• garanties et prêts acheminés par des établissements de crédit ou d'autres établissements financiers , à condition que ceux-ci répercutent les avantages des garanties publiques sur les bénéficiaires finaux (volume de financement plus important, portefeuille plus risqué, primes de garantie plus faibles, etc.) ;

• assurance-crédit à l'exportation à court-terme.

Les différentes mesures de soutien à l'économie décidées par l'État français se sont ainsi inscrites dans ce cadre temporaire et ont été autorisées par la Commission au titre de la « perturbation grave de l'économie » : les garanties de prêt accordées par Bpifrance ont été ainsi validées le 21 mars, le Fonds de solidarité l'a été le 30 mars, le soutien de 5 milliards d'euros à Renault le 29 avril et celui de 7 milliards d'euros à Air France le 4 mai (la Commission précisant qu'« Air France serait sans doute exposée au risque de faillite à la suite de l'érosion de ses activités » ).

Face à l'ampleur du choc sanitaire et économique, la Commission a progressivement élargi cet encadrement temporaire à de nouvelles aides. Le 3 avril 70 ( * ) , elle y a ainsi inclus le soutien aux entreprises qui fabriquent des produits indispensables à la lutte contre le coronavirus (vaccins, médicaments, dispositifs médicaux, désinfectants, équipements de protection). La France s'est saisie de cette possibilité et a obtenu le 5 juin l'autorisation de la Commission de mettre en place un régime-cadre de 5 milliards d'euros destiné à soutenir les infrastructures de R&D, d'essai et de mise à niveau, ainsi que la fabrication de produits utiles à la lutte contre le coronavirus.

Le 8 mai 71 ( * ) , la Commission a adopté une nouvelle modification de l'encadrement temporaire, désormais étendu aux mesures publiques destinées à la recapitalisation des entreprises . Constatant qu'« à mesure que la crise évoluera, de nombreuses entreprises auront également besoin de fonds propres pour rester à flot », la Commission précise les conditions auxquelles les États membres peuvent désormais, afin de « contribuer à la réduction du risque pour l'économie de l'UE », intervenir directement au capital des entreprises : les aides à la recapitalisation ne doivent être octroyées que si aucune autre solution appropriée n'est disponible, l'État doit être suffisamment rémunéré pour le risque qu'il supporte et élaborer une stratégie de sortie du capital , et les bénéficiaires sont soumis à une interdiction de dividendes et de rachats d'actions.

Enfin, le 12 juin, la Commission a soumis aux États membres, pour consultation, une proposition visant à étendre une troisième fois le champ d'application de l'encadrement temporaire, afin de leur permettre d'apporter un soutien supplémentaire aux micro, petites ou jeunes entreprises, ainsi que d'encourager l'investissement privé.

Cette réaction rapide doit être saluée. Elle témoigne en outre de la pertinence de l'analyse selon laquelle les règles de concurrence doivent être appliquées et adaptées selon les objectifs poursuivis, et non comme un dogme rigide. Si les rapporteurs se félicitent de ces initiatives, ils regrettent toutefois qu'il ait fallu attendre un choc économique conduisant à une récession d'environ 8 % du PIB de l'UE pour que la Commission reconnaisse que « les entreprises auront probablement besoin d'investissements publics et privés supplémentaires à grande échelle pour relever les défis de la double transition écologique et numérique et saisir les possibilités qu'elle offrira 72 ( * ) ».

c) Les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), un outil de soutien aux filières industrielles innovantes, à l'intersection entre politique industrielle et politique de concurrence

Depuis 1957, les traités fondateurs de l'Union européenne prévoient que « les aides destinées à promouvoir la réalisation d'un projet important d'intérêt commun » peuvent être compatibles avec le marché intérieur 73 ( * ) .

Toutefois, en l'absence de définition précise de cette notion et faute d'indications sur les conditions permettant l'octroi de telles aides, et d'élargissement au-delà des seuls champs de la recherche et de l'environnement, cette faculté était restée largement inutilisée par les États membres. D'ailleurs, les règlements européens s'étaient jusque-là concentrés sur les autres types d'aides autorisées par le traité.

Répondant aux appels plus pressants à développer la stratégie industrielle de l'Union, en permettant notamment un plus grand soutien public aux filières industrielles innovantes, la Commission européenne s'est récemment saisie de l'outil juridique des projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC).

En juin 2014, une Communication de la Commission a détaillé les critères de mise en oeuvre des projets importants d'intérêt européen commun. Cette communication mettait particulièrement en avant leur « contribution très importante à la croissance économique, à l'emploi et à la compétitivité de l'industrie et de l'économie de l'Union » , ainsi que l'opportunité de mise en commun de ressources par des acteurs publics ou privés en vue de réaliser des objectifs communs 74 ( * ) . Elle a ainsi fixé que ces projets intégrés, aux contours clairement définis, devaient associer au moins deux États membres, faire l'objet de cofinancements et avoir un impact large sur l'économie et la société européenne. Les financements sont autorisés à dépasser les champs de la recherche et de l'environnement, à atteindre 100 % du déficit de financement, et à prendre des formes plus variées (avances remboursables, prêts, subventions, garanties...).

Les PIIEC ont ainsi été élevés au rang de véritable outils de mise en oeuvre de la stratégie de l'Union européenne dans des domaines aussi variés que l'énergie, l'électronique, le numérique ou le transport, permettant la mobilisation élargie de financements publics au service d'objectifs partagés.

Il a toutefois fallu attendre l'institution par la Commission d'un Forum stratégique pour les projets importants d'intérêt européen commun, le 30 janvier 2018, pour marquer la relance des PIIEC . En effet, depuis la Communication de 2014, aucun PIIEC n'avait effectivement été mis en oeuvre. En lien avec les travaux de l'exécutif européen sur les chaînes de valeur stratégiques de l'Union en matière industrielle, la Commission a ainsi souhaité encourager la réflexion sur les projets susceptibles de constituer des PIIEC, indiquant à cette occasion que : « Une approche plus proactive avec les États membres et l'industrie est nécessaire pour favoriser de nouveaux projets importants d'intérêt européen commun » 75 ( * ) .

En 2018, trois chaînes de valeur stratégiques ont été identifiées par la Commission - microélectronique, calcul de haute performance, batteries - auxquels se sont ajoutés en février 2019 les véhicules autonomes et connectés, la médecine et la santé personnalisée, l'industrie bas-carbone, l'hydrogène, l'Internet des objets et la cyber sécurité.

Deux PIIEC ont depuis vu le jour , portant justement sur deux des chaînes de valeur stratégiques : l'un concernant la microélectronique , traduit par le plan français Nano 2022, pour un montant d'aides de près de 1,75 milliard d'euros ; l'autre, annoncé en décembre 2019, créant une filière européenne de batteries électriques et devant donner lieu à une proposition de règlement à la fin du premier semestre 2020 . Un troisième PIIEC relatif à l'hydrogène est en préparation, exemple d'articulation entre levier de politique industrielle et de politique de concurrence.

LE PIIEC « BATTERIES »

Une initiative relative à la production de batteries était à l'étude depuis 2017 au sein de l' European Battery Alliance , puis dans le cadre du plan d'action stratégique pour les batteries publié par la Commission en mai 2018. Notifié en octobre 2019, un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) portant sur les batteries a été autorisé par la Commission européenne en décembre dernier.

Porté par l'Allemagne, la Belgique, la Finlande, la France, l'Italie, la Pologne et la Suède, il vise à développer la recherche et l'innovation et à créer une filière européenne de batteries électriques d'ici 2031 environ. 17 industriels, y compris des PME et les groupes PSA, Saft, Opel et Siemens, participeront à ce projet qui associera par ailleurs 70 partenaires dont des organismes de recherche, via une structure de gouvernance spécifique. Il couvrira l'ensemble de la chaîne, depuis l'extraction des matières premières jusqu'à la réaffectation des batteries usagées. Des financements publics de 3,2 milliards d'euros ont ainsi été autorisés pour ces projets pilotes, tandis que près de 5 milliards d'euros de financements privés sont attendus.

Présentant la décision de la Commission, la vice-présidente Margrethe Vestager déclarait : « La production de batteries en Europe revêt un intérêt stratégique pour notre économie et notre société compte tenu de son potentiel en termes de mobilité propre et d'énergie, de création d'emplois, de durabilité et de compétitivité. » Dans son analyse, la Commission européenne a estimé que l'aide publique permise par le PIIEC était nécessaire pour inciter les entreprises à réaliser les investissements, au vu du risque technologique et financier lié à ces technologies. D'autre part, elle a relevé que des effets d'entraînement positifs seraient générés dans toute l'Union européenne.

Faisant partie des principaux États engagés dans le projet, la France devrait octroyer environ 690 millions d'euros au projet, 850 millions de cofinancement étant annoncés par les collectivités territoriales. Une usine dédiée à la fabrication de batteries de voitures électriques devrait être implantée près de Lens, associant les groupes PSA et Saft et représentant près de 2 500 emplois. Une usine pilote est annoncée en Charente. 121 millions d'euros d'aides publiques seront mobilisés pour cette coentreprise nommée ACC (Automotive Cells Company), qui a reçu en février 2020 l'aval de la Commission européenne et dont la mise en service est prévue avant la fin de l'année 2023. Une entreprise sera également implantée en Allemagne. En juin dernier, le constructeur français Renault a annoncé qu'il rejoignait cette « alliance de la batterie ».

Répartition des activités prévues par le PIIEC batteries

Source : Commission européenne

Les premiers retours, recueillis par les rapporteurs, sur l'assouplissement du régime des aides d'État que représentent les PIIEC sont très favorables. Aussi bien les États membres que les industriels saluent une modernisation pragmatique du régime européen d'aides d'État, qui constitue une articulation très intéressante avec la politique industrielle de l'Union et des États membres.

Les représentants de la DG Marché intérieur ont toutefois noté qu' il conviendrait pour l'avenir d'accélérer encore les délais de mise en oeuvre et de limiter la complexité de la définition et de l'instruction du projet : « Cela fait 60 ans que l'on aurait pu utiliser cet outil, nous sommes heureux que cela soit désormais le cas. Nous avons tiré les leçons du premier PIIEC relatif aux nanotechnologies, puisque le second PIIEC relatif aux batteries a été développé en un an au lieu de trois ans . » 76 ( * ) Auditionné par la Commission des affaires économiques, le Directeur général de la Concurrence de la Commission, M. Olivier Guersent, a estimé pour sa part que « ces projets sont rapidement traités, en adéquation avec le standard défini » 77 ( * ) .

La DG Marché intérieur a toutefois relevé un relatif manque de sensibilisation des entreprises à l'existence de cet outil, qui devrait néanmoins se réduire au fur et à mesure de l'approbation de nouveaux PIIEC.

En France, la Direction générale des entreprises du ministère de l'économie et des finances a indiqué avoir perçu que « la DG Concurrence a décloisonné et fonctionné en « équipe projet » avec les autres services, ce qui a amélioré son efficacité dans le traitement et permis de prendre en considération de nombreux paramètres du dossier, même si l'implication de la DG Marché intérieur est encore trop timide » 78 ( * ) . Ce constat confirme qu'une meilleure articulation des différentes politiques de la Commission doit être encouragée : les PIIEC pourraient servir de base pour un travail plus concerté à l'avenir sur les différents volets de la politique européenne de concurrence.

Un rapport récent de la Revue des droits de la concurrence considère ainsi que : « Toute réforme de la politique de concurrence doit viser à améliorer et à approfondir l'alignement et la cohérence entre celle-ci et les autres politiques de l'Union. L'un des outils existe déjà, et représenterait une très bonne source d'inspiration pour une réforme du contrôle des concentrations : la notion de PIIEC dans le champ des aides d'État . » 79 ( * )

II. LA NÉCESSAIRE RÉNOVATION DU DROIT DE LA CONCURRENCE FACE À LA MONDIALISATION ET À LA NUMÉRISATION

Le droit européen de la concurrence est l'un des piliers de la construction européenne. Il a fortement contribué à la mise en place du marché intérieur. Il n'est donc pas souhaitable de mettre en cause ses objectifs. Pour autant, la mondialisation des échanges, qui se traduit par la concurrence croissante d'acteurs économiques de pays tiers qui ne sont pas soumis aux mêmes exigences que les acteurs européens, et la montée en puissance du numérique, qui bouleverse le cadre économique traditionnel, doivent conduire à une nouvelle évolution de certaines pratiques de la Commission pour mieux répondre à ces deux défis.

A. DES APPELS RÉPÉTÉS À LA MODIFICATION DE CERTAINES PRATIQUES DE LA COMMISSION

Depuis quelques temps déjà, la pertinence et l'efficacité de la mise en oeuvre par la Commission de la politique européenne de concurrence font l'objet de critiques, qui dénoncent tout à la fois son insuffisante réactivité face à des abus de position dominante ou des ententes, un recours trop systématique à des remèdes structurels en cas de concentration, de nature à affaiblir les opérateurs économiques européens, enfin un suivi insuffisant de ses décisions qui ne permet pas d'en vérifier a posteriori la pertinence.

1. Un recours insuffisant à des mesures conservatoires lorsque la concurrence est menacée

Les enquêtes sont longues 80 ( * ) et souvent difficiles, particulièrement lorsque les comportements anticoncurrentiels sont dissimulés, comme en matière d'ententes, ou lorsque les conséquences d'une position dominante et les mesures correctrices pour préserver la concurrence des acteurs qui y sont confrontés sont complexes à définir.

Dès lors, la décision de la Commission intervient trop tardivement, lorsque la concurrence a été éliminée , empêchant ainsi l'innovation de prospérer. Cette situation est d'autant plus préjudiciable que le temps économique s'est accéléré, dans un environnement de concurrence mondialisé.

Pour ce motif, l'intervention rapide de mesures temporaires apparaît indispensable. En effet, un abus de position dominante influence la structure du marché et tend à aggraver la faiblesse du degré de concurrence.

Cette situation est particulièrement critique en matière numérique . Depuis le début des années 2000, les grandes plateformes extra-européennes, américaines et bientôt chinoises, exercent une position dominante de fait sur l'économie mondiale, qui tend à s'accroître rapidement. Cette position et les stratégies d'offre de biens et services qu'elles développent sont en effet de nature à générer des abus de position dominante particulièrement préjudiciables à l'économie européenne, soit que ces plateformes refusent l'accès à certains opérateurs économiques, soit qu'elles subordonnent celui-ci à des conditions telles qu'elles confisquent l'essentiel de la valeur, soit encore en affichant prioritairement leurs produits et services grâce à des algorithmes calibrés à cet effet, qui prennent appui sur la masse de données qu'elles collectent.

Le développement de l'activité des producteurs européens se trouve ainsi menacé par des comportements de ces plateformes incompatibles avec les conditions d'une concurrence équitable.

Or, en pratique, la Commission européenne ne recourt pas à un outil dont elle dispose et qui lui permettrait pourtant une réactivité adaptée au rythme économique : les mesures provisoires , prévues à l'article 8 du règlement (CE) n° 1/2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence 81 ( * ) .

Dans les cas d'urgence justifiés par le fait qu' « un préjudice grave et irréparable risque d'être causé à la concurrence », la Commission, agissant d'office, peut en effet ordonner, sur la base d'un constat prima facie d'infraction, des mesures provisoires, pour une durée déterminée, et renouvelables dans la mesure où cela est nécessaire et opportun.

Ce n'est qu'en octobre 2019 que, pour la première fois depui s l'entrée en vigueur du règlement de 2003, la Commission, après avoir ouvert une enquête au mois de mai précédent, a pris de telles mesures à l'égard de Broadcom, leader mondial en matière de fourniture de jeux de puces pour décodeurs de télévision et modems - pièces essentielles pour amener les signaux de télévision et la connectivité chez les consommateurs - en lui ordonnant de cesser d'appliquer certaines clauses (exclusivité, ventes liées...) figurant dans les contrats conclus avec six de ses principaux clients, clauses qu'elle a considérées comme susceptibles de causer un préjudice grave et irréversible à la concurrence.

2. Un recours insuffisant à des remèdes comportementaux

En matière de contrôle des concentrations, la Commission impose des remèdes structurels dans un cas sur deux, autrement dit des cessions d'actifs stratégiques à des entreprises tierces et donc concurrentes de celles qui souhaitent se rapprocher , dès lors qu'elle estime que la réunion de ces actifs au sein du même groupe est de nature à générer « une entrave significative à l'exercice d'une concurrence effective » sur le marché européen. La Commission considère en effet que seules de telles mesures sont de nature à « empêcher durablement les problèmes de concurrence » sur ce marché 82 ( * ) .

Cette approche a trop souvent des conséquences préoccupantes. Elle oblige en effet des entreprises européennes qui se rapprochent en vue d'avoir la taille critique pour affronter la concurrence sur le marché mondial, à céder des actifs stratégiques à des concurrents extra-européens, comme cela a été le cas pour la moitié des remèdes structurels imposés depuis 2010. Elle peut également les conduire à renoncer à leur projet , comme cela fut récemment le cas pour Alstom, qui n'a pas estimé possible de céder ses activités en matière de signalisation à ses concurrents canadien ou chinois, cession exigée par la Commission lors de l'examen du projet de rapprochement avec Siemens mobility 83 ( * ) .

Elle dissuade même un certain nombre d'acteurs européens d'envisager des rapprochements intra-européens pour leur préférer des alliances avec des partenaires étrangers qui peuvent, certes, leur ouvrir d'autres marchés mais aussi, et parfois surtout, ne sont pas susceptibles de les contraindre à des cessions d'actifs stratégiques à des concurrents. Cet effet nuit sans conteste à la création de groupes européens de taille critique, susceptibles de s'inscrire dans une stratégie européenne de souveraineté, indispensable dans certains secteurs vitaux pour son indépendance.

Si l'approche par la seule concurrence sur le marché européen ne prend pas en compte la mondialisation de l'économie, elle facilite en revanche la tâche de la Commission qui fait valoir à cet égard que les remèdes structurels « ne nécessitent pas de mesures de surveillance » 84 ( * ) . S'il est vrai que les remèdes dits comportementaux exigent une surveillance dans la durée, qui requiert des moyens, il n'en demeure pas moins que ce seul argument est loin d'être satisfaisant au regard des effets induits par cette approche.

3. Un suivi insuffisant des décisions de la Commission

Les décisions de la Commission reposent sur une analyse de la concurrence dans le secteur considéré et , selon le cas, sur tout ou partie du marché européen (marché pertinent), et prennent en compte les perspectives d'évolution à court terme de celle-ci (horizon temporel).

Quel que soit le sens de la décision de la Commission, ces analyses peuvent se trouver invalidées a posteriori par les évolutions de la concurrence effective, par exemple en raison de l'arrivée rapide sur le marché européen d'un concurrent extra-européen qui se cantonnait jusque-là à son seul secteur géographique alors qu'un rapprochement intra-européen, qui aurait permis d'atteindre une taille critique, a dû être abandonné en raison des exigences de remèdes structurels (cessions d'actifs) formulées par la Commission.

Or aucun suivi de la pertinence des hypothèses économiques retenues par la Commission n'est aujourd'hui mis en oeuvre alors qu'il pourrait pourtant amener à modifier pour l'avenir certaines appréciations. Un tel suivi exige en effet des moyens, et il est clairement apparu, notamment lors d'un entretien à Bruxelles avec le directeur général de la Concurrence de la Commission, M. Olivier Guersent, qu'une telle démarche, avec des ressources limitées, essentiellement affectées aux contrôles a priori (aides d'État) et aux enquêtes (infractions au droit de la concurrence), n'était pas, en l'état, une priorité.

B. PREMIER DÉFI : LES DISTORSIONS DE CONCURRENCE PROVENANT D'ENTREPRISES DE MARCHÉS TIERS PEU RÉGULÉS

La réalité économique est aujourd'hui celle de marchés globaux, les flux commerciaux et capitalistiques permettant aux entreprises d'être actives dans de nombreux pays. Si l'harmonisation progressive du marché intérieur a progressivement permis d'aplanir le champ concurrentiel dans lequel évoluent les entreprises européennes, d'importantes divergences persistent au niveau mondial et sont sources de distorsions de concurrence.

En dépit d'efforts multilatéraux, notamment au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), la politique européenne de concurrence n'est en effet que l'un des modèles de régulation qui existent sur la planète. Le modèle européen figure en outre parmi ceux dont l'application est la plus stricte. Un très récent rapport de la Fondation Schuman décrit ainsi l'Europe comme « la seule entité dans le monde où les règles de concurrence ont un statut quasi constitutionnel » . 85 ( * )

Les entreprises européennes sont aujourd'hui confrontées, au sein même du marché intérieur, à des compétiteurs issus de pays tiers, ou actifs sur des marchés tiers, où la concurrence est loin d'être libre tel que le préconisent les traités européens. Pourtant, comme le relève une note récente du Conseil d'analyse économique : « Par nature, la politique européenne de concurrence ne traite que les effets sur le marché européen. Elle laisse donc entière la question de savoir si la position dominante dont bénéficient certains [des concurrents étrangers des entreprises européennes] constitue un avantage indu sur des marchés tiers . » 86 ( * )

Cet état de fait, aux lourdes implications pour la compétitivité de l'industrie et des services européens, conduit de nombreuses voix à s'élever pour demander une meilleure prise en compte par la Commission européenne de ces distorsions qui trouvent leur origine à l'extérieur du marché intérieur.

À cet égard, le débat autour de l'évolution du droit de la concurrence peut être posé dans les termes d'un rapport du Club des juristes publié en janvier 2018 : « La question est alors de savoir si le droit de la concurrence national ou européen, en particulier le contrôle des concentrations, peut ou doit remédier à ces inégalités dans la concurrence, ou si il doit au contraire les ignorer . » 87 ( * )

1. Des distorsions de concurrence provenant de marchés tiers peu régulés
a) Des pratiques avérées de subventions publiques en décalage avec le contrôle européen des aides d'État

Si les traités et textes européens ont, dès les prémices de la constitution du marché intérieur, établi un principe général d'interdiction des aides d'État, celui-ci n'est pas partagé par l'ensemble des partenaires commerciaux et compétiteurs implantés hors de l'Union européenne.

Pourtant, les accords conclus dans le cadre de l'OMC avaient établi des règles communes encadrant l'usage de subventions publiques susceptibles de générer des distorsions économiques. Au titre de l'Accord sur les subventions et les mesures compensatoires, dit « Accord SMC », toute subvention spécifique, définie comme une contribution financière des pouvoirs publics ou d'organismes publics qui confère un avantage à un secteur particulier, doit ainsi être notifiée au comité de l'organisation. Ces aides sont ensuite traitées selon deux catégories distinctes : les subventions prohibées et celles ouvrant droit à compensation.

En dépit de ces efforts d'harmonisation mondiale des règles visant à limiter l'usage de subventions publiques, celles-ci restent un phénomène prévalent dans certains secteurs économiques et dans certains États. Le 37 e rapport de la Commission européenne sur les pratiques en matière de subventions et de dumping relève ainsi qu'entre 2014 et 2018, 25 enquêtes antisubventions ont été ouvertes, concluant que « dans de nombreux cas, les conclusions de l'enquête ont fait apparaître des niveaux de subvention relativement élevés, ce qui était rare au cours des périodes précédentes » 88 ( * ) .

Entendue par les rapporteurs, Mme Anne Perrot, co-auteure d'un rapport récent de l'Inspection générale des Finances, soulignait : « Le principal problème vient de la difficulté à documenter les subventions, chinoises notamment, qui devraient être déclarées car la Chine est membre de l'OMC depuis 2001. Elle ne se soumet pas à cette obligation. » 89 ( * ) Des travaux européens récents suggèrent même, à partir d'un échantillon d'entreprises implantées en Chine , que plus de 80 % d'entre elles ont reçu des financements publics qui n'auraient pas été compatibles avec la réglementation européenne en matière d'aides d'État 90 ( * ) .

De ce déséquilibre résulte un différentiel de compétitivité . Les échanges commerciaux se réalisant désormais sur une échelle mondiale, un avantage conféré par une subvention publique permettant à une entreprise située hors de l'Union de pratiquer des prix plus bas, conduit les acheteurs européens à se tourner plutôt vers l'importation de biens que vers l'achat de produits européens plus coûteux.

À titre d'exemple, l'une des enquêtes récemment ouvertes au niveau européen concernait les bicyclettes électriques produites en Chine et exportées sur le marché européen. Après signalement de l'association européenne de producteurs et investigation, la Commission a finalement conclu que le triplement des exports de produits chinois vers le marché européen à un prix inférieur et grâce à des subventions publiques avait causé un dommage avéré à l'industrie européenne. Des droits de douane atteignant dans certains cas près de 70 % ont finalement été imposés sur les produits concernés 91 ( * ) .

L'enjeu est de taille, d'autant que les investissements directs chinois en France explosent. En 2018, ils ont augmenté de près de 86 %, atteignant 1,83 milliard de dollars, essentiellement dans le domaine industriel, alors qu'ils chutaient dans le reste de l'Europe 92 ( * ) . Dès lors que les acquisitions d'entreprises européennes par des acteurs chinois subventionnés se multiplient, le risque de distorsion de la concurrence sur le marché intérieur est réel.

Face à ce constat, une partie des États membres appelle depuis plusieurs années à doter la Commission de nouveaux outils visant à limiter, voire à compenser, l'impact de ces distorsions sur l'économie européenne.

Ainsi, par un règlement adopté en 2016 93 ( * ) , l'Union européenne a modernisé son dispositif antisubventions, permettant notamment à la Commission de muscler ses capacités d'instruction et d'améliorer sa réactivité en cas de découverte de nouvelles pratiques. À l'issue du sommet entre l'Union européenne et la Chine en avril 2019, un Memorandum of Understanding a établi un dialogue relatif aux aides d'État et créé un « Fair competition review system » 94 ( * ) . Des travaux sont également en cours dans le cadre de la trilatérale US-UE-Japon. Ces réponses se situent principalement dans le champ de la défense commerciale de l'Union.

Le nombre de produits réellement visés par des mesures antisubventions reste toutefois très faible. À la fin de l'année 2018, on dénombrait seulement douze mesures en vigueur (dont la moitié concernait la Chine et un quart l'Inde) 95 ( * ) . Une analyse récente de la Fondation pour l'innovation politique montre de surcroît que le recours de l'Union européenne aux mesures antisubventions tend en réalité à décroître parmi l'ensemble des mesures, l'Europe les mobilisant beaucoup moins que les États-Unis où leur usage augmente. L'une des explications avancée est la complexité des enquêtes, leur longueur et le degré d'exigence de l'instruction 96 ( * ) .

Recours aux mesures antisubventions (% des mesures de défense commerciale)

Source : Rapport de la Fondation pour l'innovation politique, « L'Europe face aux nationalismes américain et chinois : les pratiques anticoncurrentielles étrangères », novembre 2019

b) Le dumping permet à des entreprises implantées sur des marchés tiers d'établir leur position dominante

Le dumping constitue également une distorsion de concurrence portant préjudice aux entreprises actives sur le marché intérieur. Caractérisé lorsqu'une entreprise exportatrice écoule une production sur un marché donné à un prix inférieur à celui qu'elle pratique sur son marché domestique, et que ce différentiel de prix entraîne un préjudice important pour ses compétiteurs, le dumping est utilisé par certains États comme un outil de politique industrielle.

Il permet en effet, par effet de substitution, de fermer les débouchés d'entreprises concurrentes en inondant leur marché de produits plus compétitifs , en déconnexion du coût réel de production des produits et de la viabilité réelle des marges pratiquées.

Dans un objectif de protection du marché intérieur contre des pratiques commerciales déloyales, le règlement dit « anti-dumping de base » permet à la Commission européenne d'appliquer des droits de douane supplémentaires et provisoires sur les produits importés faisant l'objet de dumping . En 2018, 120 mesures anti-dumping étaient en vigueur dans l'Union européenne, dont 70 % visaient la Chine et 8 % la Russie 97 ( * ) . L'OMC, par le biais de l'Accord sur la mise en oeuvre de l'article VI de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, encadre strictement les circonstances dans lesquelles de telles mesures anti-dumping peuvent être imposées.

Révisé en 2017 98 ( * ) afin de mieux répondre à la forte hausse du recours au dumping dans certaines régions, le règlement européen anti- dumping dit « de base » a modifié la méthode de calcul de la valeur normale des produits et la définition de « distorsions significatives » du prix pratiqué. Il permet notamment la prise en compte d'un « marché constitué dans une mesure importante par des entreprises qui appartiennent aux autorités du pays exportateur ou qui opèrent sous leur contrôle , supervision stratégique ou autorité », de « mesures ou politiques publiques discriminatoires qui favorisent les fournisseurs nationaux ou influencent de toute autre manière le libre jeu des forces du marché », ou encore d'un « accès au financement accordé par des institutions mettant en oeuvre des objectifs de politique publique ou n'agissant pas de manière indépendante de l'État ».

Enfin, le délai d'adoption de mesures provisoires par la Commission européenne a été réduit , dans un objectif de plus grande réactivité face aux pratiques déloyales constatées. C'est ainsi qu'à l'issue d'une enquête lancée en février 2019, la Commission a pu annoncer, le 4 mars 2020, de nouvelles mesures antidumping sur les roues en acier chinoises pour les cinq prochaines années, sous la forme de droits de douane compris entre 50,3 % et 66,4 %.

Une évaluation de l'impact de ces évolutions, en particulier sur les délais de traitement de ces distorsions par la Commission, est toujours attendue.

c) Les règles relatives au contrôle des concentrations ne sont pas appliquées de manière homogène à l'échelle mondiale

L'existence dans plusieurs pays de « géants » industriels, constitués sans veto des autorités nationales de concurrence, renforce en Europe la perception de déséquilibres dans la mise en oeuvre d'une concurrence mondiale équitable.

(1) En Chine, un contrôle des concentrations embryonnaire qui se plie aux objectifs de politique industrielle

L'évolution récente de l'économie chinoise est marquée par la consolidation de conglomérats géants, héritiers des monopoles d'État socialistes. Publics ou privés, largement soutenus, financés voire dirigés par l'État chinois, la plupart disposent aujourd'hui d'un quasi-monopole dans leur secteur. À titre d'exemple, dans l'industrie sidérurgique, le gouvernement chinois encourage la concentration des grandes entreprises publiques : la fusion entre Wuhan Iron & Steel et Baoshan Iron & Steel a ainsi donné naissance en 2016 au second plus grand producteur d'acier au monde, Baowu Steel . Dans le secteur de la construction navale, les deux conglomérats China State Shipbuilding Corporation (CSSC) et China Shipbuilding Industry Corporation (CSIC) ont fusionné en novembre 2019, constituant ainsi un leader mondial dominant près d'un cinquième du marché global. Les deux groupes avaient pourtant été créés en 1999, à la faveur de la scission d'un premier géant public chinois, dans le contexte de la recherche par la Chine du statut d'économie de marché.

Le constat du renforcement du pouvoir de marché des grands acteurs chinois pousse certains États membres de l'Union et leurs entreprises à solliciter une plus grande souplesse dans la mise en oeuvre du contrôle des concentrations, voire à demander l'introduction d'un droit d'opposition politique - ou « droit d'évocation » - aux décisions de la Commission européenne 99 ( * ) .

Dans le cas de la fusion avortée entre Alstom et Siemens, ce lien était particulièrement symptomatique : le chinois CRRC, géant de la construction ferroviaire, avait été constitué en 2015 par fusion entre les deux groupes publics CNR et CSR. Cette concentration, soutenue et encouragée par le pouvoir chinois, n'aura finalement pas trouvé son pendant européen, la Commission ayant rejeté en février 2019 la fusion envisagée entre les groupes français et allemands. Cet écart d'application des règles de la concurrence nourrit des demandes d'évolution du droit européen, dans un objectif de constitution de « champions européens », comme le soulignaient les rapports « Pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand » et « Faire gagner la France dans la compétition industrielle mondiale », présentés par M. Martial Bourquin au nom de la commission des affaires économiques du Sénat 100 ( * ) .

La loi chinoise anti-monopole , adoptée en 2008, après plus de vingt ans de discussions, a jeté les bases de ce qui est présenté comme une ébauche de contrôle des concentrations 101 ( * ) . Cependant, les entreprises d'État sont exclues du champ d'application de ce texte. Or elles sont précisément soutenues dans le but d'intervenir sur le marché sans être soumises aux conditions normales de concurrence. Un rapport de l'Inspection générale des finances et du Conseil général de l'économie remis en avril 2019 souligne ainsi, dans le cas particulier de la Chine, « la présence d'entreprises d'État qui mettent en oeuvre l'agenda économique du gouvernement chinois [...,] bénéficiant d'un statut particulier qui les exempte, en pratique, du contrôle des concentrations » . Les auteurs notent d'ailleurs que certaines des fusions récentes intervenues dans le domaine des télécoms n'ont pas même fait l'objet de notifications aux autorités de la concurrence 102 ( * ) .

De plus, l'article 15 de cette même législation impose la prise en compte d'objectifs supplémentaires par les autorités de concurrence chinoises lorsqu'elles examinent les concentrations, incluant « le développement économique national » . La protection de la concurrence est ainsi explicitement subordonnée à la politique économique de l'État chinois.

Selon une étude citée par le rapport de la Fondation Schuman, seulement 15 % des concentrations notifiées en Chine concernent deux entreprises chinoises , alors que 45 % concernent deux entreprises non-chinoises. De son côté, l'Union européenne examine pour 47 % des concentrations européennes , contre 16 % de rapprochements entre entreprises de marchés tiers. La perception d'un contrôle des concentrations « à géométrie variable », valant plus pour les entreprises européennes que leurs compétiteurs extra-européens, n'en est que renforcée 103 ( * ) .

(2) Aux États-Unis, le contrôle des concentrations tolère la formation de géants au pouvoir de marché important

Ce serait une erreur de considérer que de tels déséquilibres en matière de protection de la concurrence se limitent au seul cas de la Chine.

Aux États-Unis, les données récentes suggèrent une application moins stricte du contrôle de concentrations que celle mise en oeuvre par la Commission européenne. L'émergence de géants du numérique américains, les GAFAM, est souvent citée en exemple.

Cette plus grande souplesse s'expliquerait, d'une part, par l'influence de courants économiques américains tels que l'école de Chicago, mais aussi par une plus grande perméabilité à des considérations de politique industrielle, liée à l'absence de tensions entre États membres telles qu'elles peuvent parfois intervenir au sein de l'Union européenne. D'autres travaux suggèrent un affaiblissement de la législation antitrust au cours des années 2000 et des lignes directrices en matière de fusions-acquisitions en 2010 104 ( * ) .

La plupart des secteurs de l'économie américaine sont aujourd'hui plus concentrés qu'il y a quinze ans, mais aussi plus concentrés que leurs équivalents européens 105 ( * ) .

Variation de la concentration par secteur aux États-Unis entre 1997 et 2012 (%)

Source : Trésor-éco n° 232, Direction générale du Trésor, décembre 2018,
Concurrence et concentration des entreprises aux États-Unis »

2. Des réactions trop timides de la Commission européenne

Ces concentrations, dont l'impact sur les marchés mondiaux est considérable, échappent pourtant à la censure des autorités de concurrence tierces. Combinées à l'effet de pratiques avérées de subventions publiques et de dumping , elles contribuent à entretenir le sentiment d'une « politique de concurrence à deux vitesses » au niveau mondial. L'Union européenne serait-elle en train de se lier les mains, en acceptant sans lutter la concurrence de géants basés dans des pays tiers, dont le pouvoir de marché serait le fruit au mieux de déficits de régulation sur leur marché d'origine, au pire de pratiques déloyales de subventions et de dumping ?

La Commission européenne est ainsi la cible de critiques récurrentes de la part de certains États membres, visant notamment son manque de réactivité pour remédier à ces distorsions.

D'une part, les délais de traitement sont toujours conséquents. Selon le rapport de la Fondation pour l'innovation politique précité, la durée moyenne des enquêtes anti-dumping menées par la Commission européenne entre 2009 et 2019 atteint près de 400 jours , contre environ 365 pour les enquêtes antisubventions. Quant au nombre de mesures commerciales mises en oeuvre par l'Union européenne, il a baissé entre 2000 et 2018, tandis qu'il a augmenté de près de 50 % en moyenne aux États-Unis et de près de 100 % dans les pays membres de l'OMC.

Indice de recours aux mesures de défense commerciale entre 2000 et 2019

Source : Rapport de la Fondation pour l'innovation politique, L'Europe face aux nationalismes américain et chinois : les pratiques anticoncurrentielles étrangères , Novembre 2019

D'autre part, jusqu'à ce jour, en vertu du principe dit « un objectif, un instrument », la Commission tend à considérer que les pratiques de subvention, tout comme les pratiques de dumping , ont vocation à être traitées par les outils de politique commerciale , car elles constituent une manipulation des prix des biens et services échangés.

Les évolutions récentes du droit et de la pratique de l'Union européenne se sont donc concentrées sur ce volet de l'action de la Commission. Les révisions des règlements anti-dumping et antisubventions , dans le cadre d'une modernisation des instruments de défense commerciale, en sont la principale réponse. De manière plus diffuse, les États se sont aussi attachés, au sein des instances multilatérales, à promouvoir la transparence, le partage d'informations et la concertation, dans l'objectif de limiter l'usage de telles pratiques anticoncurrentielles.

Le Secrétariat général aux affaires européennes (SGAE), entendu par les rapporteurs, a indiqué que des efforts ont été récemment conduits pour mieux articuler les politiques commerciales et de concurrence , un groupe de travail commun aux deux directions générales de la Commission ayant par exemple récemment été mis en place sur le sujet des aides d'État.

Certains États membres appellent toutefois à aller plus loin, en améliorant la prise en compte de ces distorsions au sein de la politique de concurrence elle-même.

En février 2019, le Manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXI e siècle relevait ainsi : « Malgré tous nos efforts, que nous devons poursuivre, il n'existe pas de règles du jeu équitables au niveau mondial . [...] Lorsque certains pays subventionnent massivement leurs propres entreprises, comment les entreprises opérant principalement en Europe peuvent-elles rivaliser équitablement ? [...] Cela implique des modifications des règles européennes de la concurrence existantes. » Les ministres français et allemands de l'économie suggéraient ainsi, entre autres, « la prise en compte accrue du contrôle de l'État et des subventions accordées aux entreprises dans le cadre du contrôle des concentrations » et « la mise à jour des lignes directrices actuelles en matière de concentrations pour mieux tenir compte de la concurrence au niveau mondial ». 106 ( * )

La réflexion à ce sujet a été considérablement approfondie au cours des derniers mois. En février dernier, les quatre ministres de l'économie de la France, de l'Allemagne, de la Pologne et de l'Italie ont adressé une lettre à la Commissaire européenne Mme Margrethe Vestager, soulignant l'urgence de faire évoluer la politique de concurrence pour y intégrer des considérations relatives au « level-playing field », jusqu'ici plutôt réservées aux considérations de politique industrielle et commerciale :

« L'objectif général est ainsi d'assurer des conditions de concurrence plus équitables en rendant notre boîte à outils de politique de concurrence plus efficiente et plus efficace pour s'attaquer à de potentiels comportements abusifs constatés sur le marché unique de la part d'acteurs économiques depuis l'extérieur de l'Union, ce qui inclut notamment les entreprises publiques ou subventionnées, et ainsi de renforcer la compétitivité de l'industrie européenne [...]. Cela demande une approche très pragmatique, qui reconnaisse les différences qui peuvent exister dans le niveau de responsabilité et de transparence que nous pouvons de manière réaliste obtenir d'entreprises européennes et non-européennes vis-à-vis de leur comportement sur les marchés . » 107 ( * )

Une proposition mise sur la table par les Pays-Bas en février dernier, sous la forme d'un « non-paper » préconise la création de nouveaux outils à la main de la Commission européenne, mobilisables dans le cas où une entreprise active sur le marché intérieur serait source de distorsions de concurrence attribuables à des subventions publiques ou à une position dominante non réglementée dans un pays tiers. La Commission européenne pourrait alors, après enquête, imposer une séparation comptable des activités de cette entreprise, voire limiter ou interdire certaines pratiques sur le marché intérieur.

L'intérêt d'une telle solution est qu'elle permettrait, en cas de défaillance ou de réactivité insuffisante de la Commission en matière de défense commerciale, de parer au plus urgent en protégeant le marché européen et ses entreprises de distorsions avérées de concurrence.

La Commission européenne n'avait jusqu'à maintenant jamais pris de position claire sur cette problématique. Les représentants des Pays-Bas auprès de l'Union européenne, entendus à Bruxelles par les rapporteurs, indiquaient ainsi en février dernier ne pressentir aucune ouverture franche de sa part. Il est en effet compréhensible que les critiques visant le manque d'efficacité de la réponse de la Commission n'aient rencontré de sa part qu'un accueil réservé, celle-ci étant à la manoeuvre aussi bien en matière de défense commerciale, de négociations commerciales que de politique de concurrence.

Un virage rapide semble cependant avoir été récemment pris par la Commission à la faveur de la crise économique résultant de la pandémie. Son livre blanc, publié le 17 juin 2020, porte en effet sur les « effets de distorsion causés par les subventions étrangères au sein du marché unique », et ouvre la porte à la mise en place de nouveaux instruments de contrôle et d'action.

La mise en oeuvre de décisions ayant trait à la fois à l'usage de subventions et au défaut de régulation en matière de concurrence sur des marchés tiers appellerait nécessairement un dialogue mieux articulé et plus fluide entre les différentes Directions générales de la Commission européenne. Des évolutions significatives comme celles qui semblent se dessiner ne pourront être concrétisées sans volonté politique forte, voire sans allocation de ressources supplémentaires pour soutenir la capacité d'investigation et de suivi 108 ( * ) .

C. SECOND DÉFI : LA NUMÉRISATION DE L'ÉCONOMIE

Ainsi que des travaux récents l'ont montré 109 ( * ) , le numérique bouleverse les cadres traditionnels de la concurrence. Il s'agit en effet d'une économie du monopole, permettant des rendements d'échelle extrêmes, assortie d'effets de réseaux, dans laquelle les données jouent un rôle crucial, ce qui se traduit par des abus de position dominante qui produisent des effets dans l'économie traditionnelle et des stratégies de croissance externe agressives.

1. Les effets de réseaux : pondération nécessaire du « prix » dans les analyses relatives au bien-être du consommateur

L'économie numérique a conduit à l'émergence, souvent rapide, d'acteurs dominants et entretient des effets de réseaux. La qualité du service que rendent les plateformes dépend en effet de l'étendue de leur base d'utilisateurs et des données qu'ils génèrent. En réduisant les coûts de transaction pour l'utilisateur et en permettant un meilleur appariement de l'offre et de la demande, ces effets de réseaux, qu'ils soient directs ou indirects 110 ( * ) , ont pour conséquence principale de favoriser la concentration du secteur, selon un effet « boule de neige » qui a deux effets notables en matière de concurrence : la porosité des frontières entre activités gratuites et marchandes , d'une part, des formes renouvelées de concurrence par l'innovation et la qualité plutôt que par les prix , d'autre part 111 ( * ) .

Les effets de réseaux de l'architecture décentralisée de l'internet confèrent ainsi des avantages concurrentiels cumulatifs à quelques grands acteurs qui ont constitué des silos verticaux particulièrement puissants . Ils démultiplient les effets d'échelle et favorisent les économies de gamme ( economies of scope ). La grande taille des plateformes, les fortes synergies qu'elles parviennent à créer entre leurs activités et le caractère protéiforme de ces dernières 'encouragent la survenance d' effets congloméraux , qui leur permettent d'augmenter leurs activités sur un segment en jouant du pouvoir de marché qu'elles détiennent sur un autre produit ou marché.

Les plateformes dominantes tendent non seulement à limiter les entrées sur le marché de concurrents potentiels mais imposent également par ailleurs des conditions très contraignantes aux producteurs traditionnels qui dépendent de plus en plus du commerce en ligne pour la vente de leurs produits (par exemple des clauses dites de la nation la plus favorisée 112 ( * ) ), ou encore mettent en avant les produits concurrents de leurs filiales dans le classement des produits. En raison du déséquilibre relationnel qui rend difficile l'application des principes de concurrence, les conditions imposées par les plateformes ne peuvent pas être véritablement négociées par ces producteurs et leur méconnaissance est immédiatement sanctionnée par un déréférencement . Le risque de distorsion de concurrence est ainsi avéré.

Certes, la Commission a pu utiliser ses outils actuels pour condamner Google en 2017, après sept d'investigations, à une amende de 2,42 milliards d'euros pour abus de position dominante en raison de la discrimination dont bénéficiaient ses propres services sur sa plateforme de comparaison de prix Google shopping . Mais ces outils traditionnels apparaissent mal adaptés à la complexité des modèles d'affaires . En particulier, l'importance du critère « prix » dans l'appréciation de la concurrence, qui est aujourd'hui un élément clé dans les analyses relatives au bien-être du consommateur européen, se trouve relativisée dans une économie du gratuit, grâce notamment au recours à la publicité, et de la donnée, qui permet notamment de cibler les consommateurs.

2. L'accès aux données : un élément devenu essentiel du pouvoir de marché

La masse de données recueillies est devenue un élément clé du pouvoir de marché, non seulement en matière d'intelligence artificielle, mais également pour les services en ligne, les processus de production et la logistique . Or, les volumes de données sont majoritairement contrôlés par les entreprises dominantes sur le marché, qui tendent à en restreindre l'accès, empêchant ainsi le développement de concurrents potentiels.

Les autorités de la concurrence française et allemande (ont récemment identifié des risques de collusion horizontale auxquels les algorithmes de tarification, dont les caractéristiques ne sont parfois pas connues des utilisateurs , sont susceptibles de contribuer. Elles ont ainsi dégagé trois scénarios : l'algorithme support d'une entente explicite, l'utilisation par des concurrents, sciemment ou non, d'un même algorithme tiers, enfin l'utilisation d'algorithmes parallèles 113 ( * ) .

Là encore, il n'apparaît pas que cet élément soit suffisamment pris en compte dans l'analyse du pouvoir de marché par la Commission , alors que celui-ci est déterminant en matière de contrôle des concentrations et de mesure des effets des pratiques anticoncurrentielles, en particulier en cas d'abus de position dominante.

Cette situation est aggravée par le fait qu'en matière de contrôle des concentrations, les données , qui font pourtant partie de la valeur de marché de la cible 114 ( * ) , ne sont pas prises en compte dans le calcul des seuils de contrôle , lesquels reposent actuellement uniquement sur le chiffre d'affaires. En 2014, Facebook a ainsi racheté WhatsApp pour 19 milliards de dollars, alors que son chiffre d'affaires était estimé à une vingtaine de millions de dollars seulement, sans qu'aucun contrôle préalable ne soit mis en oeuvre, faute d'atteindre le seuil de notification, alors que WhatsApp avait 450 millions d'utilisateurs, dont 300 millions se connectant chaque jour, soit l'une des plus grandes bases de données d'utilisateurs quotidiens.

L'exploitation des données et les modèles d'affaires fondés sur la gratuité devraient conduire à tout le moins à reconfigurer l'appréciation traditionnelle, par la Commission, de la valeur d'une entreprise .

3. Les acquisitions prédatrices (killer acquisitions), oubliées du contrôle des concentrations

Le contrôle des concentrations n'est activé qu'en cas de franchissement de seuils, dont la définition varie selon les États membres et au niveau européen. Toutefois, quels que soient les seuils retenus, ils ne permettent pas d'appréhender la pratique qui s'est particulièrement développée dans le secteur numérique au cours des dernières années, celle de l'acquisition, par des opérateurs dominants, de start-up ayant développé des technologies et des savoir-faire particulièrement novateurs.

En effet, la définition de la valeur de l'entreprise dont l'acquisition est envisagée ne prend pas en compte sa valeur de rachat ni le caractère stratégique des innovations qu'elle a développées. De ce fait, ces entreprises font l'objet, sans aucun contrôle au regard de la concurrence, d'acquisitions qualifiées de prédatrices ( killer acquisitions) , dans la mesure où l'acteur dominant rachète une telle start-up pour l'empêcher de devenir un concurrent à l'avenir .

Depuis 2008, selon les données disponibles, Google aurait ainsi acquis, sans aucun contrôle au titre des concentrations, 168 entreprises, dont beaucoup étaient des concurrentes potentielles sur certains segments 115 ( * ) , Apple une quarantaine, Facebook plus de 70 116 ( * ) , Twitter une quarantaine, Amazon plus d'une trentaine et Microsoft plus d'une quarantaine.

De toute évidence, cette pratique des plateformes structurantes, qui peut indéniablement aller dans le sens de l'intérêt financier des fondateurs de start-up en leur permettant de valoriser rapidement et à haut niveau leur création, tend à verrouiller le marché 117 ( * ) . De ce fait, elle est préjudiciable à l'innovation , dès lors que les idées prometteuses développées par des entreprises innovantes sont absorbées et en quelque sorte neutralisées, et, partant, à la concurrence .

III. REVOIR LES PRATIQUES DE LA COMMISSION POUR CONCILIER CONCURRENCE ET STRATÉGIE INDUSTRIELLE

Le droit de la concurrence européen ne saurait avoir pour seul objectif à courte vue de garantir les prix les plus bas aux consommateurs. Il doit d'avantage prendre en compte l'état concurrentiel des différents marchés et leurs spécificités, et mieux intégrer la dimension mondiale de la concurrence , que les groupes européens doivent être en mesure de pouvoir affronter, et ses évolutions. De toute évidence, les concepts d'analyse clés de ce droit doivent être revisités et leur flexibilité accrue, en particulier pour appréhender effectivement les défis du numérique. L'accélération des évolutions économiques doit être accompagnée par une forte réactivité de la Commission, et pour s'assurer de la pertinence dans la durée des décisions qu'elle prend, leurs effets doivent faire l'objet d'une évaluation indépendante.

Au-delà, la question qui se pose aux institutions européennes et aux États membres, est celle du levier pertinent pour répondre à ces défis. La diversité des outils à la main de la Commission européenne lui permet d'utiliser les leviers des mécanismes de défense commerciale, des négociations commerciales, des régulations sectorielles, des normes, de la fiscalité, l'action en matière d'infrastructures ou encore en matière de droit de la consommation ou de protection de la vie privée. Une concurrence équitable sur le marché intérieur ne peut résulter que d'un équilibre entre ces différents facteurs de compétitivité.

En matière de politique de concurrence, plutôt qu'appeler à une révolution 118 ( * ) , les rapporteurs privilégient la montée en puissance d'une véritable stratégie industrielle de l'Union européenne, capable de coordonner la mobilisation de ces différentes compétences européennes. L'exemple des PIIEC, par exemple, a montré qu'un assouplissement finalement limité des règles en matière d'aides d'État, mais soutenu par une véritable volonté politique des États membres et de la Commission, produit des résultats.

Une évolution de la politique européenne de concurrence s'impose donc. Au cours de leurs travaux, les rapporteurs ont identifié des pistes d'évolution, privilégiant des solutions rapides à mettre en oeuvre, offrant davantage de flexibilité et de réactivité à l'action de la Commission européenne. Concernant aussi bien le droit que son application pratique, les recommandations présentées par les rapporteurs répondent à quatre objectifs principaux :

• D'abord, favoriser la prise en compte des grands enjeux par la Commission européenne, en améliorant son analyse prospective , mais aussi en remédiant au fonctionnement « en silo » de ses services au profit d'une approche plus globale ;

• Ensuite, améliorer l'efficacité des outils de la Commission européenne, en modernisant certains concepts juridiques et en élargissant la palette des mesures à sa disposition, dans l'objectif d'une plus grande agilité et d'une plus grande réactivité face à des déséquilibres en matière de concurrence ;

• Troisièmement, renforcer l'évaluation et le suivi a posteriori de la politique européenne de concurrence, qui répondent à des impératifs de responsabilité démocratique et de transparence vis-à-vis des consommateurs et des producteurs européens ;

• Enfin, et plus particulièrement, accélérer la prise en compte par la Commission de la spécificité du numérique , en lien notamment avec le pouvoir de marché conféré par la détention de données et la régulation encore embryonnaire de ce secteur.

Dans un souci de meilleure lisibilité de ces recommandations, elles seront présentées ci-après dans l'ordre « chronologique » calé sur le tempo de l'action de la Commission européenne en matière de concurrence.

A. CARTOGRAPHIER L'ÉTAT CONCURRENTIEL DES DIFFÉRENTS MARCHÉS

La complexité du paysage économique mondial et la multiplicité des facteurs ayant un impact sur le niveau de concurrence sur le marché intérieur demande un véritable effort de cartographie des marchés. La Commission doit tendre à établir un diagnostic partagé, qui offre davantage de transparence sur sa lecture de l'état de la concurrence.

Aujourd'hui, les enquêtes sectorielles menées par la Commission européenne sont principalement déclenchées par la notification d'opérations ou le signalement de pratiques anticoncurrentielles intervenant sur des segments de marché. Il serait utile de prévoir la réalisation de cartographies ex ante , précisant l'analyse globale par la DG Concurrence des principaux secteurs économiques.

• d'une part, cela permettrait d'offrir aux consommateurs et aux producteurs européens davantage de visibilité sur la lecture faite par la Commission d'un secteur donné , alors que ceux-ci ne disposent aujourd'hui que d'éléments très succincts de contextualisation à l'occasion du lancement d'enquêtes par celle-ci. Les auditions menées par les rapporteurs ont mis en évidence un effet « d'autocensure » des acteurs, réticents à se lancer dans des rapprochements sans indication sur l'interprétation des marchés par la Commission, d'autant que les coûts en jeu sont immenses. Alstom aurait ainsi dépensé près de 100 millions d'euros à préparer la fusion avec Siemens, finalement refusée par les autorités européennes ;

• d'autre part, une telle cartographie, qui ne se limiterait pas aux seules ententes, pratiques anticoncurrentielles, aides d'État ou concentrations, mais inclurait également l'état des flux commerciaux et des pratiques constatées de subventions ou de dumping par exemple, ou encore qui caractériserait l'existence d'acteurs systémiques, refléterait l'approche globale que les rapporteurs appellent de leurs voeux. Toutes les distorsions de concurrence pesant sur les producteurs et consommateurs européens seraient ainsi identifiées, quelle que soit la politique européenne dont elles relèvent ;

• en lien avec cette approche globale, la réalisation de ces cartographies nécessiterait l'établissement d'un dialogue approfondi entre les différents services de la Commission européenne , piloté par la DG Concurrence, mais qui associerait plus étroitement la DG Marché intérieur ou la DG Commerce par exemple. Nombre des personnes auditionnées par les rapporteurs déplorent aujourd'hui de trop rares échanges entre ces services, qui auraient tendance à fonctionner « en silo » ;

• ce dialogue améliorerait sans aucun doute la prise en compte des grands enjeux ainsi identifiés, encourageant la Commission à se saisir des défis pour le futur de la concurrence en Europe et à accélérer sa réflexion prospective. L'idée d'enquêtes sectorielles a ainsi été évoquée dans le rapport du Parlement européen sur le rapport annuel 2019 de la Commission européenne sur la politique de concurrence de l'Union européenne 119 ( * ) ;

• enfin, le travail ainsi réalisé en amont par la Commission européenne, de manière collégiale, permettrait sans doute un gain de temps pour ses services, au moment d'examiner des cas précis soumis à son analyse. Ceux-ci disposeront ainsi, dès le début de l'instruction par la DG Concurrence, d'un socle commun, d'un « diagnostic partagé » sur lequel fonder leurs travaux ultérieurs, plus ciblés. La longueur de l'instruction est en effet considérée par les entreprises européennes comme un obstacle majeur, l'Association française des entreprises privées (AFEP) ayant par exemple suggéré d'en encadrer les délais. 120 ( * )

La Commission européenne pourrait ici utilement s'inspirer des travaux de l'Autorité de la concurrence française , qui conduit régulièrement de telles enquêtes sectorielles.

La DG Concurrence, interrogée par vos rapporteurs, s'est montrée réservée sur cette idée, invoquant un manque de moyens pour réaliser de telles cartographies, manque de moyens également mentionné par la DG Marché intérieur. Les rapporteurs s'étonnent de cette position, ce travail d'analyse devant de toute façon être conduit à l'occasion de l'instruction de dossiers spécifiques et la Commissaire Vestager ayant elle-même annoncé récemment le lancement d'une étude sectorielle spécifique sur le numérique. De plus, les propositions émises en juin 2020 par la Commission dans le cadre de son livre blanc relatif à l'établissement de conditions de concurrence égales pour tous en ce qui concerne les subventions étrangères vont-elles-mêmes dans ce sens , lui confiant une mission de surveillance du marché afin d'identifier les distorsions sur certains secteurs.

Recommandation n° 1 : Établir, d'ici la fin de l'année 2020, au sein de groupes de travail associant toutes les directions générales de la Commission européenne, des cartographies sectorielles destinées à servir de base de travail aux enquêtes menées par la DG Concurrence dans le cadre du contrôle des concentrations et de l'identification de pratiques anti-concurrentielles.

Ce diagnostic partagé de l'état des marchés analyserait en particulier :

- l'état de la concurrence et de la concentration du secteur, en particulier l'existence d'acteurs systémiques ou quasi-monopolistiques et la prévalence d'acquisitions tueuses ;

- les comportements anti-concurrentiels et les pratiques déloyales observées ou suspectées dans le secteur étudié, en identifiant particulièrement les cas relevant d'acteurs économiques établis dans des pays tiers ;

- l'état des flux commerciaux dans ce secteur, en mettant particulièrement en lumière barrières commerciales ou pratiques de dumping et de subventions existantes ou potentielles, et les instruments de défense commerciale déjà mobilisés par l'Union européenne sur ces flux.

B. CONCILIER CONCURRENCE ET STRATÉGIE INDUSTRIELLE PENDANT L'INSTRUCTION D'UN DOSSIER

1. Encourager le dialogue avec les directions chargées des politiques industrielle et commerciale pour articuler les leviers

L'absence d'articulation réelle entre les travaux des différents services de la Commission, en particulier dans le cadre de l'instruction des dossiers de concurrence, est l'un des points majeurs soulevés auprès des rapporteurs.

Si la DG Concurrence a assuré être en contact étroit avec les autres services, la DG Marché intérieur (DG Grow) a pourtant indiqué : « Nous sommes consultés aux stades clefs de la procédure, mais pas lors de l'instruction. Ce sont les industriels qui nous tiennent au courant de l'avancée » 121 ( * ) . Aussi bien les représentants des producteurs que des consommateurs ont alerté vos rapporteurs sur l'absence de concertation systématique entre la DG concurrence et les services chargés, en particulier, de la politique commerciale et de la politique industrielle.

En juillet 2019, lors d'une réunion avec ses homologues polonais et allemands, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire se faisait l'écho de ces préoccupations, déclarant : « Le temps où ces trois politiques évoluaient séparément est désormais révolu. Il est indispensable de penser ces trois politiques de façon globale pour préserver notre industrie . »

Il paraît regrettable que la DG Concurrence se prive de l'expertise des autres services de l'exécutif européen, alors que l'on mesure bien l'impact sur la concurrence des pratiques commerciales, du dumping ou du soutien à la structuration des filières industrielles. Dans le domaine des aides d'État, par exemple, la mise en oeuvre des PIIEC s'est accompagnée d'un « décloisonnement » des travaux de la DG Concurrence, salué par la DGE et la DG Marché intérieur.

Un rapport récent de la Fondation Schuman propose de séquencer davantage le processus, en faisant déboucher l'instruction par la DG Concurrence sur une simple proposition de décision. Avant d'être examinée par la Commission de manière collégiale - comme actuellement -, cette proposition devrait d'abord être présentée, selon une approche comparative coûts-bénéfices, aux autres directions générales 122 ( * ) .

Pour leur part, les rapporteurs proposent de réunir, de manière systématique, et dès réception par la Commission de la notification d'une opération de concentration, ou dès le lancement d'une enquête relative à des pratiques anticoncurrentielles, les DG Concurrence, Commerce et Marché intérieur. Cette réunion, qui s'inscrirait en outre dans la continuité du travail de cartographie conjointe préalablement réalisée , permettrait d'établir un cadrage commun pour l'instruction par la DG Concurrence. Cette recommandation répond aux préoccupations des opérateurs économiques européens, qui déplorent le manque d'information et d'association aux travaux, l'AFEP ayant par exemple indiqué lors de son audition par les rapporteurs : « L'intervention des autres directions générales est tardive et marginale. Le curseur de la collégialité doit être déplacé . »

La réunion pourrait également donner lieu à la publication, dans le respect de la confidentialité des travaux de la Commission, de documents de cadrage respectifs à chaque Direction générale, qui présenteraient les principaux axes d'analyse et de vigilance de chacune d'entre elles. Sans présager bien sûr de l'issue de l'instruction par la Commission , ces documents permettraient à chaque DG de faire valoir ses interprétations et ses priorités auprès de la DG Concurrence.

Recommandation n° 2 : Réunir de manière systématique, dès réception par la Commission de la notification d'une opération de concentration soumise à une autorisation préalable, ou dès le lancement d'une instruction relative à des pratiques anti-concurrentielles, la DG Concurrence, la DG Commerce et la DG Marché intérieur afin d'établir un cadrage commun pour l'opération envisagée.

Des documents présentant les principaux axes d'analyse des différentes directions générales pourraient être établis à l'occasion de cette réunion puis publiés, dans le respect de la confidentialité des travaux de la Commission.

2. Moderniser les outils d'analyse de la Commission
a) Clarifier et expliciter les composantes du bien-être du consommateur

La politique européenne de concurrence se fonde sur le bien-être du consommateur . Elle cherche en effet à lui éviter toute atteinte qui prendrait la forme d'une hausse des prix, d'une baisse de la qualité du produit ou d'un moindre choix sur le marché à la suite d'un rapprochement entre entreprises, d'une pratique anticoncurrentielle ou de l'octroi d'une aide d'État.

Dans ses lignes directrices sur les concentrations, la Commission indique ainsi que « grâce au contrôle qu'elle exerce sur les opérations de concentration, [elle] empêche la réalisation des opérations qui priveraient les clients de ces avantages » 123 ( * ) (prix modiques, produits de qualité, grand choix de biens et de services, innovation).

Même les exceptions aux différentes interdictions édictées par le traité sont guidées par l'impératif de protection de ce bien-être . En matière d'antitrust, par exemple, sont autorisés les accords et pratiques concertées qui contribuent à améliorer la production ou à promouvoir le progrès technique, mais à la condition qu'ils « réservent aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte » 124 ( * ) .

De même, lorsque la Commission détaille la façon dont elle prend en compte les gains d'efficacité pour valider une concentration, elle précise que « tel sera le cas lorsqu'[elle] est en position de conclure, sur la base de preuves suffisantes, que les gains d'efficacité [...] seront à même d'accroître la capacité et l'incitation de l'entité [...] à adopter un comportement favorable à la concurrence au bénéfice des consommateurs ».

Les rapporteurs regrettent le caractère flou et réducteur de la prise en compte du seul critère du bien-être du consommateur :

• il s'agit d'un concept flou et large , qui regroupe pêle-mêle des notions liées au prix, au choix, à l'innovation. Il en découle, d'une part, un risque d'insécurité juridique pour les entreprises, incapables de se fonder sur des précédents cohérents et une doctrine précise en la matière. D'autre part, il octroie une très grande marge de manoeuvre à la DG Concurrence dans son instruction d'un dossier, sans réel contre-pouvoir ;

• ne regarder que le bien-être du consommateur empêche la Commission de prendre en compte d'autres critères découlant des objectifs plus larges assignés aux politiques européennes (compétitivité, emploi, protection de l'environnement et des données personnelles, par exemple). Or ces critères sont devenus impérieux à mesure que la compétition internationale s'est accentuée et que les atteintes à l'environnement se sont multipliées.

À tout le moins, et sans définir à la place de la Commission ce que doivent être exactement les objectifs au regard desquels analyser un dossier , les rapporteurs considèrent qu'elle gagnerait à indiquer plus précisément les composantes du bien-être du consommateur et à envisager l'intégration de critères supplémentaires dans son analyse .

Recommandation n° 3 : Clarifier de façon systématique les composantes du critère du « bien-être du consommateur » au regard duquel la Commission européenne analyse les opérations de concentration et les pratiques anticoncurrentielles.

La Commission devrait également engager des travaux relatifs à l'intégration de nouvelles composantes dans ce critère, comme la compétitivité, le maintien de l'emploi la protection de l'environnement, la protection des données personnelles ou la souveraineté numérique.

b) Allonger l'horizon temporel afin de réellement prendre en compte la concurrence potentielle future

Une décision de la Commission relative à un projet de concentration implique d'étudier l'atteinte potentielle à la concurrence sur un marché sur une période donnée. La période généralement retenue est de deux ans . Or il apparaît clairement aujourd'hui que, dans certains cas, cet horizon temporel est trop court . Par exemple, la probabilité de l'entrée future de concurrents sur le marché européen peut paraître faible à horizon deux ans et forte à horizon cinq ans.

Les rapporteurs rappellent que c ette hypothèse est d'autant plus probable que le soutien public apporté par certains États tiers à leurs entreprises est massif et que le numérique bouleverse les structures de marché à une vitesse record . Dès lors, il ne fait que peu de doute qu'une entrée imminente, à horizon de cinq ans, d'acteurs économiques tiers puisse avoir lieu sur un marché et le déstabiliser alors qu'elle paraissait impensable en un aussi court laps de temps il y a quelques années.

En outre, limiter l'analyse à un horizon court laisse courir le risque que les remèdes structurels exigés par la Commission se transforment en véritable handicap pour la compétitivité d'une entreprise lorsqu'un concurrent pénètre le marché dans les trois ou quatre ans : celle-ci se trouverait d'emblée dans une position de faiblesse.

Allonger l'horizon temporel à cinq ans , lorsque cela est nécessaire, permettrait ainsi de mieux tenir compte de la concurrence potentielle future provenant de nouveaux entrants sur le marché, non-encore présents au moment où l'opération est envisagée.

Les rapporteurs soulignent qu'il s'agit là d'un impératif pour renforcer la souveraineté économique et industrielle de l'Europe . D'autres autorités compétentes en matière de concurrence le font déjà. Les lignes directrices 125 ( * ) sur les concentrations horizontales édictées par le Département de la Justice et la Commission fédérale du commerce aux États-Unis intègrent ainsi explicitement cette possibilité d'une entrée rapide de concurrents étrangers sur le marché. Il est en effet précisé que « les entreprises qui ne produisent actuellement pas dans le marché pertinent, mais qui pourraient vraisemblablement proposer rapidement une offre [...] sans encourir de coût irrécupérable, sont également considérées comme participants au marché ».

Le manifeste franco-allemand pour une politique industrielle adaptée aux enjeux du XXI e siècle publié en 2019 établit le même constat. Il appelle en conséquence à « mieux tenir compte de la concurrence au niveau mondial, de la concurrence potentielle future et du calendrier de développement de la concurrence afin de donner à la Commission européenne plus de flexibilité dans son appréciation des marchés pertinents » 126 ( * ) .

Recommandation n° 4 : Allonger l'horizon temporel retenu par la Commission dans ses analyses, en le faisant passer de deux à cinq ans pour l'ensemble des opérations instruites, sauf exception dûment justifiée.

La Commission devrait en outre clarifier sa doctrine sur le poids qu'elle accorde dans son analyse à la concurrence potentielle future.

c) Définir le marché pertinent en prenant mieux en compte les bouleversements économiques récents

La définition du marché pertinent est une étape fondamentale lors de l'instruction d'un dossier de concentration. Pour rappel, « elle permet de déterminer s'il existe des concurrents réels, capables de peser sur le comportement des entreprises en cause ou de les empêcher d'agir indépendamment des pressions qu'exerce une concurrence effective » 127 ( * ) . C'est à partir de cette définition que sont calculées les parts de marché, et donc le pouvoir de marché d'une entreprise.

Or les lignes directrices de la Commission sur ce sujet datent de 1997 . Comme l'a rappelé la Commissaire européenne en charge de la concurrence, Mme Vestager, dans un discours en décembre 2019 128 ( * ) , « des changements comme la mondialisation et le numérique font que de nombreux marchés ne fonctionnent plus comme ils le faisaient il y a 22 ans ». Si la Commission a procédé à des adaptations dans la façon dont elle délimite les frontières du marché pertinent, la Commissaire constate toutefois que « le temps est venu de revoir les lignes directrices sur la définition du marché . Nous voulons être certains que l'orientation qu'elles apportent soit actualisée et pertinente, et qu'elle permette une approche claire et cohérente des cas de concentration et d'antitrust ».

Deux évolutions fondamentales imposent de faire évoluer ce concept :

• les frontières d'un « marché géographique » ont évolué. Le numérique, le commerce international et l'harmonisation des standards techniques élargissent les possibilités, pour un consommateur, de se tourner vers d'autres producteurs proposant des prix plus bas et d'empêcher, ce faisant, l'entité issue du rapprochement d'augmenter ses prix. Ainsi, en 2002, le marché pertinent retenu était le marché commun (voire plus) dans 50 % des décisions de concentration ; en 2018, ce taux s'élevait à 65 % environ.

De premières pistes de modernisation ont été esquissées par deux économistes mandatés par la Commission 129 ( * ) . Ils rappellent par exemple que la définition du marché pertinent n'est pas une fin en soi mais qu'elle doit rester un outil parmi d'autres, et que la Commission doit gagner en pédagogie et cesser d'apparaître comme exagérant l'importance du critère des parts de marché. Ils invitent également la Commission à clarifier et harmoniser sa doctrine en matière de prise en compte des coûts de transport pour déterminer les frontières d'un marché pertinent 130 ( * ) .

• la nature d'un « marché de produit » a également évolué. Un des outils les plus fréquemment utilisés par la Commission pour définir un marché de produit est le test dit « SSNIP » (en français : augmentation faible mais significative et non transitoire des prix), c'est-à-dire l'étude du comportement du consommateur dans le cas où le prix du produit qu'il utilise augmenterait de 5 à 10 %. Or le développement du numérique a multiplié les produits ou services utilisés gratuitement par un consommateur , ce qui rend inopérant un tel test.

Face à un tel constat, la Commission a innové dans ses pratiques . Dans le dossier Google Android, elle a ainsi étudié la réaction du consommateur en cas de légère baisse de qualité d'Android : le consommateur privilégierait-il Apple ? Elle en a conclu que le degré d'expertise requis pour remarquer le changement, la non-portabilité des données et le prix élevé d'achat d'un smartphone Apple n'entraînerait pas de « passage à la concurrence » de la part du consommateur et que donc Apple ne pouvait être considéré comme un concurrent menaçant effectivement la position dominante de Google.

Cet exemple illustre la nécessité d'une actualisation des méthodes de la Commission en matière de définition du marché pertinent . La constitution de véritables écosystèmes multi-services avec le développement du numérique rend les consommateurs captifs 131 ( * ) . Délimiter un marché pertinent n'en est que plus complexe et faire évoluer les lignes directrices de la Commission que plus urgent.

Quatre États-membres (France, Allemagne, Italie, Pologne) ont explicitement appelé la Commissaire à agir en ce sens, afin « d'assurer une concurrence loyale et non-faussée et d'introduire une plus grande flexibilité, justifiée et raisonnable, afin de mieux prendre en compte les interventions d'États tiers et la concurrence potentielle » 132 ( * ) .

À cet égard, les rapporteurs saluent la consultation publique ouverte par la Commission du 26 juin au 9 octobre 2020 visant à potentiellement mettre à jour la définition du marché pertinent.

Recommandation n° 5 : Actualiser les lignes directrices de la Commission relatives à la définition du marché pertinent afin d'adapter les notions de « marché de produit » et de « marché géographique » à la nouvelle réalité économique.

En particulier, les lignes directrices devraient prendre en compte les bouleversements induits par le développement du numérique qui rend parfois caduques certaines notions comme le prix et en appelle de nouvelles pour appréhender notamment les effets de réseaux ou l'accès aux données.

d) Réagir à la concurrence faussée sur le marché européen en raison de comportements abusifs d'entreprises basées dans des pays tiers

Constatant l'ampleur des distorsions de concurrence causées par des acteurs économiques non régulés sur des marchés tiers, résultant par exemple de pratiques commerciales déloyales comme le dumping , de subventions publiques, ou encore d'un contrôle des concentrations défaillant, les rapporteurs appellent à doter la Commission européenne d'outils supplémentaires et pragmatiques lui permettant de limiter l'impact de ces distorsions sur les entreprises européennes. En complément des évolutions récentes des mécanismes de défense commerciale, la Commission devrait être autorisée à interdire certaines pratiques ou certains comportements, tels que les subventions à des entreprises du marché intérieur ou les acquisitions d'entreprises européennes à des prix manifestement décorrélés de toute rationalité économique.

Certains outils existants répondent, dans certains cas précis, à cet impératif. Par exemple, les remèdes imposés par la Commission en cas de concentration, ou dans le cadre du contrôle des positions dominantes permettent de limiter ces distorsions. Par ailleurs, la réglementation existante en matière de contrôle des investissements directs étrangers (IDE) permet aux États membres de s'opposer à des prises de participation ou acquisitions dans des secteurs stratégiques, dans les limites posées par le cadre européen rénové en 2019. 133 ( * )

La portée de ces outils apparaît toutefois trop limitée, principalement car leur champ d'application est très circonscrit - en-dessous de seuils de valeur en matière de concentrations, ou à certains secteurs « essentiels » dans le cadre de l'autorisation des investissements. En conséquence, un nombre croissant de situations générant des distorsions échappent aux dispositifs existants. En outre, le principe « une politique, un instrument » restreint les motifs pouvant fonder une décision de refus de la Commission. En matière de contrôle des concentrations par exemple, les lignes directrices de la Commission énoncent que celle-ci se borne à rechercher si les concentrations ont pour conséquence de « supprimer d'importantes pressions concurrentielles » ou de changer « la nature de la concurrence de telle sorte que les entreprises qui, jusque-là, ne coordonnaient pas leur comportement, seraient dorénavant beaucoup plus susceptibles de le faire » 134 ( * ) .

Deux exemples récents sont particulièrement parlants. En 2016, la firme innovante de fabrication de robots Kuka a été rachetée par la firme chinoise Midea à une valeur située près de 36 % au-dessus de sa valeur de marché (4,5 milliards d'euros), écartant ainsi tous les acquéreurs potentiels européens 135 ( * ) . N'entrant ni dans le champ d'un contrôle national des IDE, ni dans le champ du contrôle des concentrations, cette acquisition n'aurait pas pu être stoppée, en dépit du fait que l'entreprise, vitrine du plan « Made in China 2025 », reçoit de nombreux financements publics de l'État chinois. En Serbie, l'aciérie de Smederevo, premier producteur d'acier du pays, a récemment été rachetée par l'entreprise géante chinoise Hebei Iron and Steel. Ce pied à terre européen pourrait faciliter l'injection de subventions de l'État chinois sur le marché européen, ce qui constitue une menace pour la concurrence sur le secteur de l'acier. Or, une telle opération, même si elle était tombée dans le champ d'examen de la Commission européenne au titre du contrôle des concentrations 136 ( * ) , n'aurait probablement pas pu être refusée au seul motif de l'impact de ces subventions sur les producteurs européens , puisque la Commission aurait été tenue de considérer la constitution d'un nouvel acteur plus compétitif comme source de concurrence accrue.

Les rapporteurs estiment donc que la Commission européenne doit être dotée de nouveaux outils, qui permettent de combler ces lacunes et de couvrir davantage de situations générant des distorsions.

Une piste explorée par les rapporteurs est la modification des lignes directrices de la Commission, qui pourraient prévoir explicitement la possibilité d'interdire le rachat d'une entreprise européenne par une entreprise tierce subventionnée au motif qu'il est susceptible de fausser la concurrence sur le marché européen . Cette solution répondrait ainsi aux difficultés soulevées par les entreprises européennes. L'AFEP, le MEDEF et la CPME ont par exemple préconisé une telle mesure 137 ( * ) . Selon la Direction générale des entreprises du ministère de l'Économie et des Finances, entendue par le groupe de suivi, « le contrôle des concentrations est celui qui nécessite le plus d'ajustements . » 138 ( * )

Toutefois, sous l'impulsion du Conseil européen, la Commission européenne semble désormais prête à prendre un virage majeur. Dans son livre blanc, publié le 17 juin 2020, relatif à l'établissement de conditions de concurrence égales pour tous en ce qui concerne les subventions étrangères, elle relève effectivement qu'il existe un nombre croissant de cas dans lesquels les subventions étrangères semblent avoir facilité l'acquisition d'entreprises de l'UE ou faussé les décisions d'investissements, les opérations de marché ou les politiques tarifaires de leurs bénéficiaires, ou encore favorisé la soumission d'offres dans une procédure de passation de marchés publics, au détriment des entreprises non subventionnées.

LE LIVRE BLANC DE LA COMMISSION EUROPÉENNE :
TROIS OUTILS INÉDITS POUR RÉDUIRE LES DISTORSIONS DE CONCURRENCE
PROVENANT DE PAYS TIERS ?

Le livre blanc relatif à l'établissement de conditions de concurrence égales pour tous en ce qui concerne les subventions étrangères, publié le 17 juin 2020 par la Commission européenne, prévoit la mise en place d'un nouveau cadre d'action permettant de remédier plus efficacement aux distorsions provenant de marchés tiers. Ce cadre se déclinerait en trois modules :

- le premier permettrait d'identifier, grâce à une surveillance du marché effectuée par la Commission mais aussi les autorités nationales de la concurrence, les situations susceptibles de générer des distorsions au sein du marché unique en raison de subventions étrangères. En cas de distorsion identifiée, et dont l'impact négatif serait supérieur à l'incidence positive pour l'UE, l'autorité pourrait imposer des remèdes tels que des « paiements réparateurs » ou des « mesures correctives de nature structurelle ou comportementale » ;

- le second module viserait plus spécifiquement les opérations d'acquisition de participations dans des entreprises européennes, en veillant à ce que les entreprises subventionnées ne soient pas, par le biais de ces subventions, mises en situation d'avantage indu. Un système de notification préalable de ces subventions à la Commission européenne serait mis en place, dans lequel celle-ci pourrait imposer des engagements ou même interdire l'opération ;

- enfin, le troisième module mettrait en place un mécanisme similaire pour les subventions reçues par les entreprises soumissionnaires de marchés publics . Celles-ci devraient informer les entités publiques adjudicatrices de ces subventions, ces dernières pouvant ensuite exclure l'entreprise en cas de concurrence faussée.

Soumis à consultation jusqu'à la fin du mois de septembre 2020, ce livre blanc pourrait déboucher, au vu de l'ampleur des dispositifs envisagés, sur une évolution sensible de la législation européenne . Il s'agit d'un projet ambitieux, mais dont l'articulation avec la politique antisubventions et avec les mécanismes de filtrage de l'investissement devront être précisés. Les rapporteurs entendent à ce titre soumettre à la Commission européenne une contribution, dans le cadre de la consultation qui vient d'être lancée.

Les rapporteurs soulignent en outre que de tels nouveaux outils, tout comme ceux qui existent déjà, ne seront pleinement efficaces que si une réelle volonté politique amène la Commission européenne à les mobiliser , en dépit de considérations diplomatiques ou d'une relative frilosité juridique. On ne peut que souhaiter qu'une évolution franche du droit sur ce point la conduise à se saisir plus résolument de ses capacités accrues.

Enfin, comme le relèvent une note récente du Conseil d'analyse économique 139 ( * ) , le rapport du Parlement européen précité et les représentants des entreprises entendus par les rapporteurs 140 ( * ) , ces efforts devront bien entendu s'accompagner de la poursuite du dialogue visant à une harmonisation des droits de la concurrence au niveau mondial , y compris une plus grande réciprocité , incluant, par exemple, un égal accès aux marchés publics.

Recommandation n° 6 : Rendre effectives dans les meilleurs délais les propositions du livre blanc de la Commission européenne en adaptant les textes et les lignes directrices de la Commission afin de lutter plus efficacement contre les comportements abusifs constatés sur le marché européen de la part d'entreprises actives dans des pays tiers.

3. Rendre plus flexible l'application du droit européen de la concurrence

Certes le niveau des amendes infligées par la Commission pour sanctionner des ententes et des abus de position dominante a fortement augmenté au cours des dernières années, mais les capacités financières des contrevenants et les délais de mise en oeuvre limitent fortement l'efficacité de ces sanctions .

Pour appréhender les enjeux mondiaux contemporains et appuyer la stratégie industrielle européenne, en particulier en préservant l'innovation, la mise en oeuvre du droit européen de la concurrence doit être plus réactive et mieux adaptée à ces enjeux.

Certaines de ces évolutions peuvent être faites à droit constant, sous réserve d'aménagements des lignes directrices de la Commission. Elles pourraient en outre être facilitées par un assouplissement du cadre réglementaire. Sans compter le développement d'un encadrement a priori, définissant les obligations de certains acteurs et donc les pratiques prohibées, à l'égard tant des consommateurs que des entreprises.

a) Recourir davantage aux mesures provisoires

Pour limiter les effets parfois dévastateurs de la longueur des délais d'enquête et des débats contradictoires qui lui sont nécessaires pour rapporter la preuve d'atteintes à la concurrence résultant d'ententes ou d'abus de position dominante, il apparaît indispensable que la Commission puisse prendre rapidement des mesures conservatoires afin de figer l'état de la concurrence et empêcher le développement des effets destructeurs et irréversibles de ces comportements sur le marché.

Or, le cadre actuel , fixé par l'article 8 du règlement (CE) n° 1/2003, est particulièrement exigeant quant au prononcé de telles mesures . Il impose en effet à la Commission d'effectuer un constat d'infraction prima facie et de rapporter la preuve du caractère irréparable de l'atteinte grave et immédiate qui en résulte pour la concurrence.

Soucieuse de ne pas être sanctionnée par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE), la Commission privilégie la prise d'engagements, telle que prévue à l'article 9 du règlement 141 ( * ) , mais les délais de mise en oeuvre sont longs car il lui faut d'abord finaliser ses investigations et informer les entreprises concernées de son évaluation préliminaire.

Certaines autorités nationales de la concurrence ont une pratique beaucoup plus aisée des mesures conservatoires , dans le cadre des dispositions prises pour la mise en oeuvre de l'article 5 du règlement (CE) n° 1/2003, qui se contente d'indiquer à cet égard, et donc sans définir de critères, que les autorités nationales de la concurrence doivent être compétentes pour « ordonner des mesures provisoires » 142 ( * ) .

Si l'urgence est toujours un élément déterminant, la caractérisation de la suspicion d'atteinte à la concurrence est en revanche plus on moins exigeante, selon l'interprétation qu'en donnent les autorités et les juridictions qui contrôlent les décisions de ces dernières en la matière. En France, l'article L. 464-1 du code de commerce requiert ainsi la démonstration que la pratique en cause porte « une atteinte grave », - ce qui est moins exigeant que le caractère « irréparable » dont la démonstration est imposée à la Commission européenne par le règlement (CE) n° 1/2003 -, « et immédiate » à des intérêts largement définis : « l'économie générale, celle du secteur intéressé, l'intérêt des consommateurs ou celui de l'entreprise plaignante ». Contrairement à la Commission, l'Autorité de la concurrence française n'a pas à caractériser, à ce stade, les pratiques contestées (ce qu'impose le constat prima facie exigé de la Commission), mais simplement à en apprécier les conséquences.

C'est ainsi que le Conseil de la concurrence puis l'Autorité de la concurrence ont largement recouru à ces mesures depuis 1999 143 ( * ) , d'abord dans les secteurs libéralisés des communications électroniques et de la distribution d'énergie, puis dans le domaine numérique.

Au Royaume-Uni, l' Enterprise and Regulatory Reform Act de 2013 a assoupli les conditions requises pour imposer des mesures conservatoires à des entreprises qui font l'objet d'une enquête par la Competition and Markets Authority. Celle-ci doit simplement qualifier un dommage « significatif », au lieu du dommage « sérieux et irréparable » requis par la législation antérieure. Pour autant, aucune décision imposant de telles mesures n'a été prise depuis lors.

La question des pouvoirs des autorités nationales de concurrence en matière de mesures conservatoires est abordée par l'article 11 de la directive n° 2019/1 du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités nationales de la concurrence des États membres des moyens de mettre en oeuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, dite « ECN+ », qui doit être transposée avant le 4 février 2021 144 ( * ) . Afin de limiter les risques actuels de concurrence réglementaire entre les autorités nationales de concurrence, des critères de mise en oeuvre des mesures conservatoires sont dorénavant définis. Ils sont malheureusement repris de l'article 8 du (CE) n° 1/2003 : l'urgence, un préjudice grave et irréparable et un constat prima facie d'infraction aux dispositions des articles 101 ou 102 du TFUE. Il s'agit certes d'une harmonisation minimale, qui n'interdit donc pas aux États membres de retenir des critères moins exigeants permettant de faciliter le recours à de telles mesures, , mais on ne peut que regretter ce caractère restrictif qui préjuge mal d'une évolution à brève échéance sur ce point, même si, lors de son audition par le groupe de suivi, la présidente de l'Autorité de la concurrence a indiqué que la Commission s'était engagée à revenir sur cette question dans les deux ans .

Dans une déclaration annexée à la directive, la Commission indique que « les mesures provisoires constituent potentiellement un outil essentiel permettant aux autorités de concurrence de veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée pendant le déroulement d'une enquête ». Un assouplissement des critères, sur le modèle français, permettrait indubitablement de conférer un caractère effectif à cet outil, dans les États membres comme au niveau européen 145 ( * ) .

Recommandation n° 7 : ordonner effectivement et rapidement des mesures provisoires, dans les conditions prévues par le règlement (CE) n° 1/2003 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 101 et 102 du TFUE pour maintenir la concurrence dès lors que les comportements identifiés sont de nature à lui porter une atteinte grave, irréparable et immédiate.

Assouplir en outre ces conditions fixées par l'article 8 du règlement (CE) n° 1/2003 pour :

- supprimer le standard de preuve du caractère irréparable du préjudice en conservant, dans l'esprit du texte français, le seul risque d'atteinte grave et immédiate ;

- alléger l'exigence de constat prima facie d'infraction, en lui substituant le constat que la pratique relevée risque de porter une telle atteinte,

- élargir le champ des intérêts protégés justifiant des mesures provisoires en ne visant plus seulement l'atteinte aux règles de concurrence mais également, comme en droit français, l'atteinte à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante.

b) Recourir davantage aux remèdes comportementaux pour éviter les cessions d'actifs stratégiques

Lorsqu'une opération de concentration soulève des enjeux concurrentiels, la Commission peut imposer des remèdes structurels ou accepter des engagements comportementaux qui ont pour objet de modifier l'attitude commerciale des parties à l'opération. Cette dernière approche permet d'éviter des cessions d'actifs pénalisantes pour les entreprises concernées, tout en assurant le maintien d'une concurrence effective.

De tels engagements peuvent également être mis en place en cas de pratiques anticoncurrentielles, à titre provisoire, dès qu'une telle pratique est identifiée, puis dans le cadre de la procédure de transaction. Dans tous les cas, la mise en oeuvre de ces engagements doit faire l'objet d'un suivi attentif, tant pour vérifier que les engagements pris sont effectivement respectés que pour s'assurer qu'ils atteignent l'objectif poursuivi.

En matière de concentration, lorsqu'il apparaît qu'une limitation excessive de la concurrence pourrait résulter du rapprochement d'activités similaires au sein de la nouvelle structure, le recours à des remèdes structurels est indéniablement plus simple. Telle est d'ailleurs la pratique quasi systématique de la Commission, au nom de l'efficacité, appréciée au regard du maintien ou du rétablissement de la concurrence.

Cette approche devrait être assouplie afin de ne pas contraindre systématiquement à des cessions d'actifs au profit des concurrents, en particulier extra-européens . Dès que cela apparaît possible, vos rapporteurs estiment que priorité devrait être donnée à des engagements comportementaux exigeants, de nature à maintenir la concurrence sur le marché considéré.

Le mode d'élaboration de ces engagements doit être particulièrement rigoureux 146 ( * ) . Ils sont proposés par les entreprises qui doivent les appliquer, et élaborés conjointement avec les acteurs du marché concernés, après une étude approfondie de l'environnement concurrentiel prenant notamment en compte la concurrence potentielle . Ils sont en principe publics, sous réserve des secrets d'affaires 147 ( * ) .

Pour que les remèdes comportementaux soient efficaces, il convient qu'ils aient un haut degré d'exigence , qu'ils respectent le principe de proportionnalité , que leur durée soit adaptée à l'évolution prévisionnelle de la concurrence , que leur périmètre territorial et structurel soit précisément défini et qu'ils présentent un caractère aisément vérifiable . Si tel n'est pas le cas, ils doivent pouvoir être révisés , y compris en cas d'évolution des données concurrentielles initiales, ce qui exige la mise en place d'un suivi effectif .

À cet égard, les rapporteurs saluent la proposition formulée par la Commission dans son livre blanc ( cf. supra ) de pouvoir prononcer de telles mesures lorsque la surveillance du marché qu'elle se propose d'exercer conjointement avec les autorités nationales révèle des distorsions de concurrence en raison de subventions étrangères.

Recommandation n° 8 : Pour maintenir une concurrence effective en cas de concentration, préférer aux engagements structurels, dès que cela est possible, des engagements comportementaux précis, exigeants, vérifiables et révisables en tant que de besoin, définis à l'issue d'une analyse approfondie du marché et de la concurrence potentielle, en association avec les acteurs du marché.

La Commission devra mettre en place un suivi rigoureux de l'exécution de ces engagements et de leur pertinence afin de pouvoir sanctionner leur non-respect et les adapter, si nécessaire, aux évolutions du marché.

C. INTÉGRER DE NOUVEAUX CONCEPTS D'ANALYSE ADAPTÉS AU NUMÉRIQUE

Les pratiques nouvelles de l'économie numérique constituent un défi pour l'analyse économique, en particulier les externalités de réseaux, l'existence d'acteurs systémiques et l'économie de la donnée. Dès lors, il apparaît nécessaire de revisiter les concepts classiques de la concurrence - en particulier la notion de marché pertinent, car il n'y a plus de produits homogènes dans une économie du gratuit -, de changer d'échelle pour intégrer la concurrence potentielle et mondiale, enfin de prendre en compte l'efficience économique dynamique.

La Commission européenne fait du numérique l'une de ses priorités. L'adaptation des outils actuels de régulation doit accompagner cette démarche.

1. Prendre en compte l'accès aux données dans la mesure du pouvoir de marché et renforcer les obligations ex ante

Le rôle clé que jouent les plateformes en ligne dans les chaînes de valeur numériques qui sous-tendent le commerce électronique a été identifié dès la Stratégie pour le marché unique numérique, initiée par la Commission européenne en mars 2015 . Toutefois, la définition classique du pouvoir de marché apparaît inadaptée à l'économie numérique, dont les données constituent un élément essentiel. Or, on constate des pratiques abusives à cet égard, en particulier dans l'utilisation, par les plateformes en ligne, des données des entreprises utilisatrices et de leurs clients.

Dans la mesure où les plateformes ne sont pas toujours en position dominante au sens du droit de la concurrence, le cadre européen de sanction des pratiques abusives apparaît mal adapté. Pour améliorer l'efficacité à cet égard de la mise en oeuvre de la politique européenne de concurrence, vos rapporteurs estiment qu'il est donc indispensable d'intégrer cette dimension dans la définition du pouvoir de marché et de prendre en compte les effets de réseaux dans une démarche d'encadrement a priori .

Dès lors, et sans qu'elle soit tenue de démontrer, au terme d'une longue procédure d'enquête, qu'une pratique est constitutive d'un abus de position dominante ou constitue une pratique anti-concurrentielle, il suffit que la Commission constate que les règles ex ante définies par un texte européen en matière de collecte et d'utilisation des données, ne sont pas respectées pour qu'elle puisse rapidement imposer des mesures correctrices, après en avoir discuté avec les acteurs concernés.

Le règlement (UE) 2019/1150 du 20 juin 2019 promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices de services d'intermédiation en ligne constitue une première étape en ce sens, qu'il convient de poursuivre et de développer activement. Dans son discours sur l'état de l'Union du 13 septembre 2017, le président de la Commission, M. Jean-Claude Juncker, avait annoncé une initiative « visant à garantir, dans l'économie en ligne, un environnement équitable, prévisible, durable et suscitant la confiance ».

Or, même si les discussions autour de la proposition de règlement ont permis de mieux mesurer les enjeux et le caractère insuffisant du jeu « naturel » de la concurrence en la matière, le règlement finalement adopté, qui tend à rééquilibrer les relations entre les plateformes et les entreprises qui utilisent des services d'intermédiation en ligne , est toutefois bien en deçà des attentes des entreprises utilisatrices en la matière et des préconisations du Sénat 148 ( * ) . En particulier, quant à son champ d'application : il n'est pas applicable aux contrats négociés. Il suffit dès lors que la plateforme introduise une seule modification formelle au contrat d'adhésion pour que sa relation avec l'entreprise ne soit pas soumise à ce règlement européen.

En outre, s'il a été étendu, comme le demandait la France, aux moteurs de recherche, le règlement n'est opposable ni aux plateformes dont la présence numérique est significative mais qui emploient un nombre modestes de salariés, ni aux médias sociaux, ni aux services d'assistance vocale, ni aux applications mobiles. Quant aux pratiques considérées comme inéquitables et disproportionnées, elles ne sont pas listées, contrairement, là encore, à la demande française.

Depuis lors, des réflexions complémentaires ont été développées, notamment en France, lors des états généraux du numérique, dans le cadre de l'OCDE et lors de la réunion du G7 Finances en juillet 2019, qui a débouché sur l'adoption d'un accord commun sur « concurrence et économie numérique ».

Le 19 février dernier, la Commission a présenté les grands axes de sa stratégie numérique qui comprennent notamment une révision de la directive e-commerce par un Digital Services Act qui doit mieux encadrer les fournisseurs de services d'information, y compris les plateformes en ligne.

Dans cette perspective, elle a lancé, début juin, une consultation publique générale et des consultations sectorielles qui présentent plusieurs scénarios. Une réglementation ex ante des plateformes y est envisagée pour remédier aux problèmes de concurrence que posent les plateformes en ligne présentant des effets de réseau importants et agissant comme des gardiens ( gatekeepers ). La Commission envisage notamment l'établissement d'une liste noire de comportements (obligations et pratiques interdites) et l'adoption de remèdes sur mesure s'adressant, au cas par cas, aux grosses plateformes jouant un rôle de gardien (comme des obligations d'accès aux données non personnelles, des critères spécifiques sur la portabilité des données personnelles ou des critères d'interopérabilité).

Il est essentiel de veiller à ce que cette démarche soit déterminée et fasse l'objet d'un suivi rapproché. La transparence, la définition de conditions équitables, la portabilité des données, l'auditabilité, la non-discrimination, la loyauté sont autant d'enjeux dont la mise en oeuvre effective doit être renforcée alors que, pour l'heure, les plateformes sont peu transparentes en la matière.

Le Sénat a d'ores et déjà proposé des mesures de droit interne en ce sens, le 19 février dernier, en adoptant la proposition de loi visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace, présentée par Mme Sophie Primas, présidente de la commission des affaires économiques, dans la suite du rapport d'enquête sur la souveraineté numérique 149 ( * ) . Ce texte entend assurer le libre choix du consommateur sur les terminaux, garantir l'interopérabilité des plateformes et lutter contre les acquisitions prédatrices.

Recommandation n° 9 : Prendre en compte l'accès aux données dans la mesure du pouvoir de marché et compléter le droit européen pour renforcer les obligations ex ante des plateformes numériques (transparence, conditions équitables, portabilité des données, auditabilité, non-discrimination, loyauté...).

2. Compléter le droit européen et les réglementations nationales existantes afin de garantir la concurrence dans le secteur du numérique, en particulier au regard de l'existence d'acteurs systémiques

La notion clé de plateformes verrouillant un marché ( gatekeeping platforms ) n'est pour l'heure pas définie. La Commission a annoncé l'ouverture en 2020 d'une enquête sectorielle, mais lors de la présentation, le 19 février dernier, de la communication sur l'avenir numérique de l'Europe 150 ( * ) , la Commissaire Margrethe Vestager a indiqué que les réflexions sur les secteurs ou activités qui seront concernés n'étaient pas achevées 151 ( * ) . Depuis lors, dans la consultation qu'elle vient de lancer, la Commission envisage de définir ces plateformes à partir de critères précis : effets de réseau, nombre d'utilisateurs et/ou capacité du service à obtenir des données sur les marchés.

Il est urgent de définir le caractère systémique de certains opérateurs numériques 152 ( * ) , afin de pouvoir mettre en place un suivi rapproché, non seulement pour identifier et encadrer a priori leurs comportements anticoncurrentiels à l'égard des entreprises qui dépendent très fortement de ces plateformes, mais également pour contrôler les acquisitions par ces plateformes de petites entreprises innovantes qui génèrent peu de chiffres d'affaires . Cette dernière démarche, qui s'inscrit dans le cadre du contrôle des concentrations, permettrait en effet de s'assurer, avant l'acquisition de ces entreprises qui n'atteignent pas les seuils de notification actuels, que l'opération envisagée n'est pas de nature à réduire la concurrence, voire à l'éliminer.

L'Autorité de la concurrence française a ainsi récemment suggéré d'introduire la notion de plateforme structurante, ou d'intermédiaire en ligne structurant, qu'elle propose de définir selon un critère triple : « la détention d'un pouvoir de marché structurant à l'égard de ses concurrents, de ses utilisateurs et/ou des entreprises tierces qui dépendent pour leur activité économique de l'accès aux services qu'elle offre » 153 ( * ) .

Par ailleurs, certains éléments de l'analyse concurrentielle doivent être revisités , notamment pour assurer la prise en compte de la concurrence potentielle, comme vient de le faire l'Autorité de la concurrence pour le marché des annonces immobilières en ligne, ou encore, comme mentionné plus haut, la prise en compte des données dans l'analyse du pouvoir de marché.

Recommandation n° 10 : Compléter la réglementation européenne et les réglementations nationales existantes afin de garantir la concurrence dans le secteur du numérique, en particulier au regard de l'existence d'acteurs structurants.

Il convient d'identifier ces acteurs numériques structurants à partir de critères précis, de leur imposer une obligation de notification préalable de toute acquisition en modifiant l'article 3 du règlement n° 139/2004 relatif au contrôle des concentrations et de prévoir l'évocation de l'opération, en tant que de besoin, par l'autorité nationale de la concurrence compétente ou la Commission selon le cas.

D. ÉVALUER A POSTERIORI LA POLITIQUE DE CONCURRENCE

L'Union étant notamment fondée sur la démocratie 154 ( * ) et « les décisions [devant être] prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens » 155 ( * ) , il importe que la Commission européenne soit en mesure d'analyser rétrospectivement son action, tant dans un souci démocratique que dans l'objectif d'une plus grande efficacité de ses décisions. Le principe démocratique ne saurait en effet régir uniquement les procédures en amont de la prise de décision : il doit également s'appliquer en matière de responsabilité ex post , dans le sens démocratique d'une obligation de rendre compte des effets de ses décisions.

1. Améliorer la réactivité et la capacité de suivi de la DG Concurrence lorsque ses décisions s'assortissent de remèdes structurels ou comportementaux

Les remèdes demandés par la Commission aux entreprises souhaitant procéder à un rapprochement sont lourds de conséquences . Qu'il s'agisse des remèdes structurels (comme une cession d'actif) ou comportementaux (modification de clauses contractuelles, par exemple), ils découlent d'une analyse économique de la Commission se fondant sur des concepts techniques et souvent complexes à appréhender comme le marché pertinent, la concurrence potentielle future, l'horizon temporel ou le pouvoir de marché.

La mise en oeuvre de remèdes , ainsi que la nature et le contenu de ces derniers, peuvent donc se révéler in fine inefficaces , voire contre-productifs, selon la justesse et la pertinence de l'analyse menée, notamment celle de nature prospective, certains marchés évoluant rapidement. Les rapporteurs rappellent ainsi qu'alors que la Commission considérait en février 2019 qu'il n'y avait « aucune perspective d'entrée des Chinois en Europe dans un avenir prévisible », le groupe chinois CRRC (principal concurrent d'Alstom et Siemens) a racheté l'activité de production de locomotives du groupe allemand Vossloh en août 2019.

La situation en découlant peut donc être davantage préjudiciable aux différents intérêts de l'Union (bien-être du consommateur, fonctionnement du marché intérieur, capacité d'innovation, compétitivité des entreprises) que ne l'aurait été celle qui aurait prévalu dans l'hypothèse d'une absence de remède ou d'une demande de remèdes différents. En outre, le recours à ces remèdes est de plus en plus fréquent 156 ( * ) .

Or les remèdes structurels sont irréversibles . À son corps défendant, la Commission peut être amenée à porter atteinte à la concurrence libre et non faussée en exigeant des remèdes excessifs ou inadaptés à la réalité de la compétition, notamment mondiale . A contrario , la marge d'erreur que contient naturellement toute analyse tentant d'embrasser une réalité économique évolutive, peut également amener la Commission à exiger la mise en oeuvre de remèdes insuffisants, même si cette hypothèse semble peu probable.

Il importe donc particulièrement que la DG Concurrence soit en mesure d' effectuer un suivi de ses décisions lorsque de tels remèdes ont été exigés puis mis en oeuvre. Certes, en cas d'erreur d'appréciation, il semble inenvisageable techniquement que la Commission permette, par exemple dans le cas d'un remède structurel, la récupération de l'actif cédé par l'entreprise. Pour autant, ce suivi présenterait un double avantage :

• d'une part, si un remède comportemental s'avère manquer de pertinence ou constituer un handicap trop lourd pour l'entreprise par rapport au gain concurrentiel qu'il permet, la Commission pourrait être amenée à revenir sur sa décision et soit abandonner cette exigence, soit modifier le remède demandé ;

• d'autre part, suivre et analyser les conséquences économiques de ses décisions permettrait à la Commission de capitaliser sur ces retours et d'affiner progressivement, marché par marché, secteur par secteur, ses futures décisions .

Il se peut en effet, par exemple, que la Commission retienne une définition du marché pertinent qui exclut certaines zones géographiques , comme la Chine, considérant que les entreprises souhaitant se rapprocher sont insusceptibles de pénétrer ces marchés à moyen-terme et que l'analyse de l'impact de leur opération sur la concurrence ne saurait intégrer les évolutions de ces marchés fermés. Un suivi de ses décisions lui permettrait alors, à intervalles réguliers, de constater si la simple fermeture d'accès du marché est un critère suffisant pour l'exclure du périmètre du marché pertinent. La Commission pourrait ainsi être amenée à observer qu'au sein de ce marché fermé, se développent des acteurs prêts à intégrer le marché concurrentiel européen dans un futur proche et que cette imminence constitue une raison objective de l'intégrer dans son analyse.

Un suivi des décisions est d'autant plus important et urgent qu'un double phénomène est à l'oeuvre , qui augmente le risque que les exigences en termes de remède ne soient rapidement plus adaptées :

• le délai d'instruction des dossiers de concurrence s'allonge fortement : en matière de concentrations, il est passé de 206 jours en moyenne entre 1990 et 1995 à 337 jours entre 2011 et 2016 157 ( * ) , soit une hausse de 64 % en 20 ans. Par conséquent, la situation économique d'un secteur ou d'un marché peut avoir fortement évolué entre la détermination du marché pertinent et l'application de remèdes qui découlent, entre autres, de cette analyse ;

• les évolutions économiques dans certains secteurs sont particulièrement rapides , pour ne pas dire fulgurantes . Tant le soutien public massif que certains États accordent à leurs entreprises que le développement du numérique ont accéléré la temporalité économique. La capacité, par exemple, du numérique et de l'intelligence artificielle à pénétrer et bouleverser les structures d'un marché en un temps record peuvent conduire à ce que les remèdes exigés par la Commission manquent leur cible et que leur pertinence économique se voit remise en question en très peu de temps. Ils n'auraient plus pour conséquence, alors, que de fragiliser inutilement la compétitivité des acteurs qui doivent les mettre en oeuvre.

Un suivi ex post de ses décisions apporterait donc utilement à la DG Concurrence des éléments lui permettant d'actualiser ses outils et de faire évoluer son appréhension économique de certains marchés . Il lui permettrait en outre d'affiner son analyse prospective et de recueillir des informations pertinentes pouvant alimenter des scenarii en la matière.

Recommandation n° 11 : Améliorer la réactivité et la capacité de suivi, par la DG Concurrence, de ses décisions, en particulier lorsqu'elles s'assortissent de remèdes structurels ou comportementaux.

Un tel suivi ex-post devrait lui permettre :

- d'analyser la pertinence des mesures correctrices décidées au regard des objectifs qui leur étaient assignés ;

- d'étudier l'impact effectif de ses décisions sur le niveau concurrentiel d'un marché et sur ses évolutions (modification des parts de marché, nouvel entrant, hausse ou baisse des prix, etc.) ;

- d'observer la réalisation, ou non, des hypothèses sur lesquelles ses analyses étaient fondées ;

- de faire évoluer, dans des cas similaires ultérieurs, l'application des différents concepts économiques (horizon temporel retenu au regard de la vitesse d'évolution d'un marché, probabilité d'une concurrence potentielle future au regard du soutien public dont un concurrent bénéficie à l'étranger, sur ou sous-évaluation des gains d'efficacité, prise en compte suffisante ou non de l'accès aux données, etc.) ;

- d'amender les remèdes comportementaux exigés d'une entreprise.

2. Créer un Observatoire européen d'analyse des effets des décisions pour dépasser les critiques d'une Commission européenne « juge et partie »

Pour remédier à la crise d'image dont souffre la politique européenne de concurrence, décrite tantôt comme passive, arbitraire, démesurément stricte, tantôt comme déconnectée des réalités économiques et des enjeux de politique industrielle, les rapporteurs estiment que cette politique doit gagner en transparence. La Commission européenne doit se départir de son image de « juge et partie ».

En particulier, la politique européenne de concurrence doit faire l'objet, comme toute politique publique en démocratie, d'une véritable évaluation. Aujourd'hui, la Direction générale de la Concurrence de la Commission européenne travaille trop souvent en vase clos et sans contradictoire. D'une part, les analyses ayant conduit aux décisions européennes, par exemple en matière de contrôle des concentrations, ne sont pas connues dans le détail. En effet, seules les grandes lignes des arguments soutenant l'autorisation ou le rejet des opérations sont présentées par le Commissaire chargé de la concurrence. D'autre part, en l'absence de suivi approfondi de leur impact, les décisions de la Commission ne sont pas évaluées.

Ce manque de transparence et d'évaluation contribue à alimenter les critiques politiques et médiatiques à l'encontre des décisions de la Commission.

Les rapporteurs jugent à ce titre indispensable que soit instauré un principe d'évaluation a posteriori des décisions de la Commission en matière de concurrence , qui comporte une analyse de leur impact sur le marché. Par exemple, l'évaluation mettrait en lumière l'impact sur les prix, sur le choix offert aux consommateurs, sur les flux commerciaux, sur la concentration du marché considéré, sur la compétitivité des entreprises, sur l'emploi européen, ou encore sur la capacité d'innovation. À l'inverse, il serait utile d'observer l'évolution du marché à la suite du rejet d'une concentration, afin de vérifier si la concurrence potentielle alors envisagée par la Commission s'est effectivement concrétisée.

Dans le cas de la fusion entre Alstom et Siemens par exemple, la Commission avait estimé que l'entrée du géant chinois du ferroviaire sur le marché intérieur était trop lointaine pour justifier un rapprochement entre les deux entreprises européennes. Il serait opportun, au regard des exigences de responsabilité démocratique, d'évaluer la justesse de ce raisonnement au regard des évolutions du marché mondial dans les années à venir.

Un tel principe d'évaluation permettrait à la Commission européenne, le cas échéant, de tirer les leçons de ses erreurs d'appréciation, voire de faire évoluer sa méthode et ses pratiques, dans un objectif de plus grande efficacité au service du marché intérieur.

Certes, la DG Concurrence s'appuie déjà sur un collège d'une trentaine d'économistes, chargé d'éclairer ses décisions au regard de l'analyse économique des marchés, mais ceux-ci s'expriment uniquement dans la phase d'instruction des enquêtes et des décisions. Il serait utile de transposer cette démarche au suivi et à l'évaluation de la politique de concurrence.

Cette évaluation devrait présenter les gages d'indépendance et d'objectivité nécessaires à un tel exercice. Cet enjeu d'indépendance a déjà été soulevé par les États membres, les ministres français, allemands et polonais de l'Économie demandant ainsi, dans leur proposition commune « pour une politique européenne de concurrence modernisée » présentée en juillet 2019, de « renforcer les capacités et élargir le spectre d'expertise de la Commission européenne, notamment en examinant les moyens de renforcer l'expertise indépendante sur les dossiers complexes » .

En conséquence, vos rapporteurs proposent de confier la mission d'évaluation non pas à la DG Concurrence, qui conduit l'instruction des dossiers, mais à un Observatoire européen d'évaluation de la politique de la concurrence (OEEPC), placé sous l'autorité de la Commission européenne, mais indépendant de la DG Concurrence. Des ressources humaines et financières spécifiques lui seraient dédiées au sein du budget de la Commission.

L'Observatoire effectuerait des évaluations systématiques des décisions de la Commission à diverses échéances (par exemple un an, cinq ans puis dix ans). Il pourrait aussi être saisi sur des sujets précis par des tierces parties , telles que les associations de consommateurs ou de producteurs européens.

Il serait également chargé d'une mission de collecte de données relatives à l'état de la concurrence sur les marchés. Ces informations pourraient être exploitées par les différents services de la Commission européenne, notamment dans l'objectif d'actualiser régulièrement les cartographies sectorielles que les rapporteurs recommandent d'élaborer ( voir la recommandation n° 1 ).

Enfin, dans un objectif de plus grande lisibilité de la politique européenne de concurrence et de transparence envers les acteurs économiques, l'Observatoire serait chargé de compiler et de mettre à jour une base de données relatives aux décisions et actions de la Commission européenne en matière de concurrence, ainsi qu'à la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne . Ce dernier point a été soulevé lors des auditions menées par les rapporteurs, en particulier par des experts du droit européen de la concurrence 158 ( * ) .

Afin de permettre au Parlement européen d'exercer un contrôle démocratique sur la mission confiée à l'Observatoire, il pourrait être prévu que ce dernier présente annuellement au Parlement un rapport concernant la politique de concurrence, présentant les informations collectées et son évaluation de la politique de concurrence menée par la Commission européenne.

Recommandation n° 12 : Créer un Observatoire européen d'évaluation de la politique de la concurrence (OEEPC), placé sous l'autorité de la Commission européenne et indépendant de la DG Concurrence, chargé :

- de collecter au long cours les informations relatives à l'état et à l'évolution de la concurrence dans les secteurs économiques, notamment dans l'objectif d'actualiser les cartographies des secteurs (voir recommandation 1) et de fonder l'évaluation des décisions de la Commission ;

- de compiler et de tenir à jour une base de données des décisions de la Commission européenne en matière de concurrence et de la jurisprudence de la Cour de Justice de l'Union européenne en la matière ;

- de suivre l'application des décisions de la Commission en matière de concurrence, et, à plusieurs échéances, de réaliser une évaluation de ces décisions en fonction notamment de leur impact sur les prix, le choix offert aux consommateurs, les flux commerciaux, la concentration du marché, la compétitivité des entreprises, l'emploi européen, la capacité d'innovation, la protection de l'environnement, ou la protection des données personnelles.

Cet Observatoire rendrait compte annuellement de ses travaux devant le Parlement européen.

TRAVAUX EN COMMISSION

La commission des affaires économiques et la commission des affaires européennes se sont réunies le 8 juillet 2020 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par MM. Alain Chatillon et Olivier Henno, rapporteurs du groupe de suivi de la politique industrielle européenne, chargés de réfléchir aux évolutions de la politique européenne de concurrence, le débat suivant s'est engagé :

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - La pandémie de Covid-19 représente un choc majeur aux conséquences socio-économiques très graves, et qui ne sont pas toutes connues. Alors que l'épidémie semble refluer sur le sol européen, l'Union européenne plonge dans la récession. Les pouvoirs publics ont réagi rapidement en adoptant, au niveau national comme au niveau européen, un arsenal complet de mesures, mais l'économie de l'Union européenne subira cette année un recul d'une ampleur historique, estimé à 7,4 % en 2020, et même 8,2 % pour la France.

Dans ce contexte, le sujet qui rassemble nos deux commissions aujourd'hui est particulièrement stratégique pour l'avenir de notre économie : comment la politique européenne de concurrence peut-elle devenir un levier pour la relance économique ? La politique de concurrence est une compétence exclusive de l'Union européenne et elle a marqué le marché unique de son empreinte. Mais la mondialisation est arrivée et a changé la donne.

C'est ce qui a guidé les travaux du groupe de suivi sur la stratégie industrielle commun à nos deux commissions, initié à l'automne dernier en réaction à la décision de la Commission européenne de refuser la fusion entre Alstom et Siemens. Cette décision avait suscité une incompréhension et nourri une suspicion envers la politique européenne de concurrence : socle du marché intérieur, n'est-elle pas devenue une balle que l'Union européenne se tire dans le pied ? Le sujet a pris une actualité nouvelle avec la prise de conscience qui émerge de la pandémie : l'Europe doit renforcer son indépendance économique, particulièrement en matière technologique et sanitaire. Cela implique, au niveau européen, de concevoir une véritable stratégie industrielle, de revisiter la politique commerciale, mais aussi de réformer la politique de concurrence. Tous ces leviers de l'action européenne, sont aujourd'hui pris isolément ; il est temps de les articuler entre eux au service d'une seule ambition : rendre l'Europe autonome et puissante dans l'économie mondiale.

C'est la raison pour laquelle nous avons tenu à entendre la commissaire européenne à la concurrence, Mme Margrethe Vestager, le 16 juin dernier : tout en restant fidèle à la traditionnelle orthodoxie de la Commission dans ce domaine, qui accorde la primauté au bien-être du consommateur, elle a confirmé que des pistes d'évolution étaient à l'étude, à la fois sous l'impulsion franco-allemande et à la faveur de la crise économique engendrée par la pandémie. C'est cette brèche que nous voulons ouvrir : il s'agit de donner des objectifs plus larges à la politique de concurrence et d'en faire un outil au service de l'économie européenne, dans son fonctionnement interne, mais aussi dans la compétition mondiale. Il y a une dizaine de jours, j'étais à Bruxelles, j'ai rencontré le directeur général de la concurrence de la Commission européenne, le français Olivier Guersent, qui a accepté ma proposition de venir au Sénat, sans doute en septembre. Il n'y a plus beaucoup de Français à des postes clés : il faut donc en profiter.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Je suis heureuse de vous revoir et je salue tous les collègues qui nous suivent à distance. Après n'avoir évolué que marginalement pendant de longues années, la politique européenne de concurrence semble aujourd'hui à un tournant, du fait notamment des appels répétés à une modernisation de ses outils pour mieux prendre en compte les enjeux du numérique et de la mondialisation. La Commission semble plus que jamais prête à adapter ses outils, comme l'ont montré plusieurs des consultations qu'elle a lancées au cours de ces dernières semaines sur la définition du marché pertinent ou la lutte contre les distorsions de concurrence nées de subventions étrangères - des subventions que nous, Européens, refusons d'accorder à nos entreprises.

Le rapport d'information de nos collègues Olivier Henno et Alain Chatillon arrive donc à point nommé. Il formule douze recommandations très réalistes, car elles se font à traités constants, et pourraient donc être mises en oeuvre très rapidement, économisant les années qu'il faudrait pour renégocier des traités. Nous y voyons la marque de fabrique de notre institution, qui s'attache à verser au débat public des pistes concrètes, ancrées dans la réalité des entreprises et des marchés.

La relance de nos économies et la souveraineté numérique et industrielle de l'Union exigent que la Commission soit en mesure d'adapter sa politique de concurrence à ces nouveaux défis. Nous l'avons souvent rappelé, il est urgent de sortir d'une certaine forme d'aveuglement, voire de naïveté, qui peut se retourner contre nous en empêchant l'émergence de champions européens et en atrophiant notre base industrielle.

Il importe donc de doter la Commission de nouveaux outils, ou d'adapter ceux qui existent, afin d'encadrer au mieux les comportements de certains nouveaux acteurs, notamment du numérique, et de mieux prendre en compte la concurrence potentielle qui émane d'entreprises étrangères.

La pertinence du droit de la concurrence ne doit pas être remise en cause, puisqu'il est gage de compétitivité, d'incitation à l'innovation et de baisse des prix pour les Européens. Il s'agit au contraire de s'assurer qu'il est adapté à son époque et aux objectifs que s'est fixés l'Union européenne, notamment celui d'un renforcement de sa souveraineté économique.

M. Alain Chatillon , rapporteur . - Merci à tous de votre présence pour examiner le rapport d'information qui nous a été confié par le groupe de suivi sur la stratégie industrielle, à mon collègue Olivier Henno et moi-même, sur la réforme de la politique européenne de concurrence. Lorsque nous avons commencé nos travaux en milieu d'année dernière, le contexte politique était très différent : nous ne pressentions aucune ouverture franche de la part de la Commission européenne sur une éventuelle réforme. Le rejet de la fusion entre Alstom et Siemens et la compétition accrue entre blocs économiques avaient pourtant placé la politique de concurrence sous le feu des critiques. Un an plus tard, des évolutions concrètes se matérialisent enfin. La réflexion autour de l'avenir de la politique de concurrence européenne s'accélère. Quel rôle doit-elle jouer dans la politique économique dans les décennies à venir ? Quelle sera son articulation avec les autres leviers de la politique commerciale et surtout industrielle ? Ses outils sont-ils toujours pertinents dans une économie mondialisée et numérisée ? Nous espérons que nos douze propositions seront portées par la France auprès des institutions européennes et contribueront à nourrir les débats législatifs qui s'annoncent.

La politique de concurrence est une compétence exclusive de l'Union, exercée par la Commission européenne. Son objectif est d'assurer la concurrence libre et non faussée entre agents économiques au sein du marché intérieur, garantissant le bon ajustement des prix pour le consommateur et l'ouverture des marchés aux nouveaux entrants. Elle repose sur trois leviers : la lutte contre les ententes et abus de position dominante, visant à empêcher les manipulations de prix ou le partage des marchés par des entreprises au détriment des clients ; le contrôle des concentrations, introduit plus tardivement, par lequel la Commission contrôle les rachats ou fusions d'entreprises afin d'empêcher la constitution de monopoles ou de réduire la concurrence - pour Alstom et Siemens, une fusion n'aurait pourtant représenté que 13 % des parts de marché au niveau mondial, loin du champion mondial chinois à 30 %, et de son second américain à 17 % ; enfin, le contrôle des aides d'État accordées par les pouvoirs publics à leurs entreprises, qui seraient susceptibles d'engendrer des distorsions au sein du marché intérieur.

Il faut d'abord bien distinguer politique de concurrence et compétitivité. La politique de concurrence est un outil de régulation de la concurrence sur les marchés, tandis que l'effort de compétitivité est bien plus large et mobilise d'autres outils, comme la fiscalité, l'innovation, les normes ou les compétences. Politique de concurrence et politique industrielle ne sont donc pas synonymes. C'est au coeur du débat sur les champions européens : si un géant européen était sans nul doute plus compétitif, il réduirait néanmoins la concurrence au sein du marché intérieur.

Ensuite, si la plupart des pays développés ont mis en place une régulation de la concurrence, l'Union européenne a élevé celle-ci à un rang quasi constitutionnel. L'interdiction générale des aides d'État, par exemple, est sans équivalent dans le monde entier, et l'application de la réglementation apparaît plus stricte qu'ailleurs : pensons par exemple aux géants du numérique américains ou aux entreprises publiques subventionnées en Chine.

Ces deux exemples reflètent nos deux constats. La compétition internationale marquée par la montée des puissances émergentes comme la Chine ou l'Inde conduit les États à intervenir davantage en soutien à leurs économies. Les manipulations en matière de politique commerciale, le recours quasi systématique aux subventions publiques pour doper des industries émergentes sont utilisés comme outils de stratégie industrielle par nos concurrents. Je pense par exemple aux entreprises rachetées par des sociétés chinoises à des prix sans lien avec la réalité grâce à des subventions étatiques, ou aux importations facilitées par le dumping qui remplacent nos productions nationales et contribuent à la perte de capacité industrielle de l'Europe.

Ces pratiques, qui créent des distorsions au sein du marché intérieur, échappent le plus souvent au contrôle de la Commission. Celle-ci est contrainte d'examiner le marché pertinent, souvent européen, plutôt que le marché mondial. Elle se limite aussi à un horizon de court terme, rarement supérieur à deux ans, alors que nous anticipons déjà l'arrivée de concurrents étrangers sur le marché intérieur à cinq ans - souvenons-nous d'Alstom et Siemens -, voire à plus long terme... Enfin, certains estiment que la politique de concurrence fait obstacle aux objectifs de politique industrielle, lorsqu'il s'agit de soutenir l'émergence de nouvelles filières européennes : pensons à celle des véhicules électriques, que la Chine subventionne à coup de milliards d'euros, et à l'hydrogène. Si l'Europe ne joue pas le jeu sur l'hydrogène, nous aurons des difficultés.

Ce procès fait à la politique de concurrence doit néanmoins être nuancé. Certes, cette politique tempère l'ampleur de l'intervention publique en faveur des entreprises, et s'oppose à la création, par fusions, de géants européens monopolistiques. Mais elle a atteint ses objectifs : la concurrence sur le marché européen est plus élevée qu'aux États-Unis. Consommateurs et petites entreprises peuvent donc se procurer biens et services à des prix compétitifs. La concurrence encourage aussi les entreprises à innover, permettant à l'Europe de rester dans la course.

Second constat, la politique de concurrence, dont les principes sont simples, s'applique dans un monde de plus en plus complexe. Les secteurs traditionnels, tels que la distribution ou l'industrie, sont bouleversés par des évolutions sociétales et technologiques qui redessinent la structure des marchés. La naissance d'une économie digitale a rebattu les cartes et a donné naissance, en quelques années, à de nouveaux acteurs au pouvoir de marché considérable, notamment les Gafam - Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft. Ces phénomènes échappent en partie aux concepts et aux instruments historiques de la politique de concurrence. Les acquisitions prédatrices de petites start-up innovantes par les géants du numérique passent en dessous des seuils du radar de la Commission européenne. La gratuité des prestations, les avantages concurrentiels conférés par la détention de données, ou les effets de réseaux qui accentuent les positions dominantes ne peuvent pas être pris en compte à travers le seul prisme du prix. Pour que la régulation par la Commission reste pertinente, il faut adapter certains concepts traditionnels à ces nouvelles réalités économiques.

En outre, la politique de concurrence souffre d'une crise d'image. Elle est perçue comme un gendarme, un censeur, plutôt que comme un levier de développement économique et de compétitivité. L'impression de toute-puissance de la Direction générale de la concurrence de la Commission européenne nuit à l'acceptation de ses décisions. La Commission doit mettre en oeuvre un effort de pédagogie et de transparence vis-à-vis des acteurs économiques.

La politique de concurrence européenne doit évoluer pour rester pertinente et efficace dans notre monde en mutation rapide, sans pour autant remettre en cause ses objectifs et ses principes fondateurs. Nous avons formulé douze propositions en ce sens, et je vous remercie de l'intérêt porté à ce travail, dans l'intérêt des entreprises et de l'Europe.

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Je rappelle que l'industrie représente 17 % du PIB en France, 20 % en Espagne et 27 % chez notre voisin allemand...

M. Olivier Henno , rapporteur . - Travailler sur ces notions complexes et évolutives de formation des prix, de concurrence libre et non forcée, de normes européennes qui influent sur le marché, nous a semblé utile.

La France, et singulièrement notre assemblée, à travers plusieurs rapports récents, résolutions européennes et propositions de loi, appelle de ses voeux des évolutions sur certains points, en particulier le contrôle des concentrations dans un univers de concurrence mondialisé, et afin de prendre en compte les bouleversements générés par la numérisation de l'économie.

Certains États membres préconisent également des adaptations : l'Allemagne a signé avec la France, en février 2019, un manifeste pour une politique industrielle européenne ; l'Italie et la Pologne ont écrit, avec la France et l'Allemagne, à la commissaire européenne Margrethe Vestager ; et les Pays-Bas, ont diffusé, fin 2019, un non paper appelant à un encadrement des positions dominantes, avant de cosigner avec la France, en mai dernier, un appel au respect de la concurrence dans les relations commerciales internationales.

La stratégie industrielle européenne, présentée par la Commission à la mi-mars, a mis en exergue la nécessaire modernisation de la politique européenne de concurrence. Immédiatement après, la crise sanitaire a donné une actualité toute particulière à ce sujet, que ce soit en matière d'aides d'État ou de prise en compte des difficultés concurrentielles générées par le développement du numérique.

Début juin, la Commission européenne a lancé plusieurs initiatives qui s'inscrivent dans la logique de modernisation de la politique européenne de concurrence : la publication d'un livre blanc pour remédier aux distorsions de concurrence provenant de marchés tiers, le lancement de deux consultations sur la régulation des plateformes numériques dans le cadre de la préparation du Digital Services Act et, la semaine dernière, d'une consultation sur le marché pertinent.

Nos douze recommandations arrivent donc à point nommé. Nous proposons que la Commission européenne introduise une forte dimension préventive dans son approche des enjeux de concurrence, notamment en établissant des analyses sectorielles de l'état de la concurrence grâce aux expertises conjointes de ses différentes directions générales. Cette cartographie lui permettrait d'analyser plus efficacement et plus rapidement les projets de rapprochement et d'appréhender les risques de pratiques anticoncurrentielles. Elle pourrait ainsi prendre véritablement en compte les évolutions de la concurrence potentielle à moyen terme.

Nous appelons également à une révision des concepts clés d'analyse de la situation concurrentielle. Les composantes de la notion de bien-être du consommateur doivent être clarifiées et intégrer des éléments déterminants comme la compétitivité, le maintien de l'emploi, la protection de l'environnement, la protection des données personnelles ou encore l'autonomie stratégique.

De même, la définition de la notion de marché pertinent, au regard de laquelle sont appréciées les conséquences des projets de concentration, doit être actualisée pour adapter les notions de marché de produits et de marché géographique aux évolutions de la réalité économique.

De nouveaux concepts d'analyse adaptés au numérique doivent être introduits, pour prendre en compte les spécificités de cette nouvelle économie et du pouvoir de marché qu'elle génère, notamment la « gratuité » de certains services, les externalités de réseau, l'utilisation des données ou encore l'existence d'acteurs systémiques ou de plateformes verrouillant le marché.

Nous proposons d'introduire de nouveaux modes de régulation ex ante , dans la logique de l'approche du livre blanc que la Commission européenne vient de publier. Il est indispensable de protéger les acteurs européens contre les pratiques abusives d'entreprises extra-européennes fortement subventionnées par leurs États.

De même, face à des acteurs systémiques ou à des positions dominantes, nous recommandons un encadrement a priori de leurs comportements pour rétablir l'équilibre relationnel entre les plateformes et leurs utilisateurs ou leurs concurrentes. La situation actuelle, qui laisse perdurer ces comportements jusqu'à ce que la Commission soit en mesure de démontrer des abus de position dominante, est particulièrement préjudiciable à la concurrence, d'autant que la Commission répugne à prendre des mesures conservatoires. Une régulation ex ante peut être mise en place lors d'opérations de concentration. Plutôt que d'imposer des cessions d'actifs, préférons des remèdes comportementaux, qui peuvent être ultérieurement adaptés. Une telle régulation impose bien sûr la mise en place d'un suivi par la Direction générale concurrence et d'une évaluation de la pertinence des mesures.

Cette notion d'évaluation nous paraît centrale, c'est pourquoi nous préconisons la création d'un Observatoire européen d'évaluation de la politique la concurrence, indépendant de la DG concurrence, qui collecterait les données utiles et évaluerait la pertinence des décisions de la Commission en matière de concurrence et de leur suivi, au regard de leur impact sur les prix, la concurrence, le choix offert aux consommateurs, la compétitivité des entreprises ou encore l'innovation.

Nous vous proposons de reprendre ces recommandations dans une proposition de résolution européenne. Nous pourrions aussi les inclure dans un avis politique, afin que la Commission européenne en soit destinataire, notamment dans le cadre des consultations qu'elle vient d'ouvrir.

Permettez-moi d'insister sur la nécessaire articulation dynamique entre les différents outils de la politique européenne, à l'appui d'une concurrence équilibrée au niveau mondial, en particulier par les leviers de la politique de concurrence que nous proposons de renforcer, en cohérence avec la politique commerciale, dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) comme dans les relations bilatérales, ou encore la politique fiscale, dans le cadre d'une approche multilatérale.

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Vous pourrez amender cette proposition de résolution européenne qui a été déposée par nos deux rapporteurs. Pour le moment, seule la commission des affaires européennes peut la voter, avant sa transmission à la commission des affaires économiques, saisie au fond.

Cette proposition de résolution européenne serait doublée d'un avis politique, conformément au traité de Lisbonne, qui permet de nouer un dialogue avec les institutions communautaires, et en particulier le Parlement européen et la Commission européenne. Cet avis arriverait à point nommé, au moment du lancement du livre blanc. Le temps européen est long...

M. Jean-Yves Leconte . - Vous êtes indulgents sur l'audition de Mme Vestager, dont l'évolution est millimétrique au regard de nos souhaits. Vos propositions sur l'instruction des dossiers et les cessions d'actifs en cas de concentrations constatées sont très utiles.

En matière d'enquête sectorielle, j'ai pu constater, dans ma vie précédente, que sur des petits marchés, même lorsque des dossiers étaient instruits et qu'on lui apportait des éléments, la Commission européenne n'avait pas la capacité de bien mesurer la situation. J'ai vu des concentrations se réaliser dans des secteurs considérés comme des sous-marchés, peu médiatiques, en dépit des problèmes qu'elles posaient à l'industrie européenne.

La Commission européenne n'a pas toutes les compétences pour cartographier la concurrence. Ce n'est pas qu'il ne faut pas le faire, mais n'en attendons pas de miracle.

Vos propos montrent les limites de ce que permettent les traités. L'extension de la notion de bien-être des consommateurs est utile, mais audacieuse, et peut se discuter.

Vous ne montrez pas que le droit de la concurrence et nos méthodes ont été mises en place à un moment où toute entreprise mondiale innovante et performante avait une place significative sur le marché européen. Cela pose la question de l'extraterritorialité et des subventions des États. Il existe actuellement des marchés non européens suffisamment structurants pour que le marché européen ne soit qu'annexe...

Faisons attention à la tolérance envers les aides d'État autorisées dans le cadre de la crise sanitaire. Ceux qui ont de belles marges de manoeuvre vont faire encore la course en tête, ce qui ne nous permettra pas de rattraper notre retard.

M. Joël Labbé . - M. Henno a évoqué l'objectif d'un meilleur prix pour le consommateur, mais dans le secteur agricole, celui d'un meilleur prix pour le producteur pourrait être mis en avant.

La recommandation n° 5 préconise d'« actualiser les lignes directrices de la Commission relatives à la définition du « marché pertinent » afin d'adapter les notions de « marché de produit » et de « marché géographique » à la nouvelle réalité économique ». Ne serait-ce pas l'occasion d'adapter les règles de la commande publique applicables au secteur agricole et alimentaire pour relocaliser l'alimentation via la commande publique ?

M. André Gattolin . - Merci aux deux rapporteurs que je félicite pour le travail considérable qu'ils ont réalisé. La nécessaire évolution des règles de la politique de concurrence au sein du marché intérieur est une question stratégique. Il est dommage qu'aucun des visas de la proposition de résolution n'évoque l'excellent rapport de l'eurodéputée Stéphanie Yon-Courtin, dont plusieurs des propositions sont convergentes et qui fait un travail remarquable au Parlement européen.

Je regrette également que nous n'évoquions pas l'articulation entre la politique de concurrence et le Pacte vert européen, qui est pourtant, aussi, un instrument de régulation de la concurrence - notamment sur les marchés agricoles - permettant d'éviter le dumping de certains pays européens.

Il est enfin dommage de ne pas articuler notre réflexion avec la question du contrôle des investissements stratégiques réalisés par des entreprises étrangères bénéficiant d'aides fiscales ou d'aides d'État considérables - je pense notamment à la Chine. Je participais hier à un webinaire avec nos collègues du Congrès américain : les Américains disposent depuis 1975 d'un comité pour l' investissement étranger aux États-Unis, le Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS ) et l'action du président Trump depuis deux ans a permis d'arrêter certains projets d'investissement, comme le rachat de la section ordinateurs portables d'IBM par le chinois Lenovo ; un travail considérable est actuellement réalisé autour de l'influence grandissante de l'entreprise chinoise TikTok. Nous devrions intégrer de tels objectifs dans notre politique de concurrence européenne. La Commission a d'ailleurs récemment dégagé des moyens pour éviter que certaines entreprises stratégiques - notamment en matière de recherche sur la Covid-19 - ne soient rachetées par des intérêts extra-européens.

Une grande partie des pays européens devrait connaître une récession de l'ordre de 12 % de leur PIB : il existe un risque très fort de prédation de nos entreprises stratégiques, notamment dans le numérique ou les biotechnologies, par des intérêts étrangers.

M. Alain Duran . - Cette proposition arrive à point nommé. Nous devons adapter nos outils dans le contexte de crise que nous connaissons. Notre groupe apportera son soutien à cette proposition de résolution européenne, assorti toutefois de quelques remarques. Il faudrait élargir la liste des secteurs retenus par la Commission - innovation, recherche, Green deal - au secteur de la santé. Le bien-être du consommateur ne saurait se limiter au seul prix : l'intégration de critères tels que le maintien de l'emploi nous semble une idée intéressante. Je regrette que les enjeux spécifiques aux PME soient insuffisamment soulignés, alors qu'elles sont souvent les premières victimes de ces prédations étrangères. Nous pourrions également aller plus loin en matière de transition écologique. La politique de concurrence doit rester un outil au service de la politique économique et de la stratégie industrielle, et ne pas tenir lieu de politique économique commune.

Mme Élisabeth Lamure . - Je tiens à saluer le travail conjoint de nos deux commissions. Vous proposez d'améliorer la réactivité et la capacité de suivi de la DG Concurrence. Comment revoir son fonctionnement ? En revoyant le circuit préalable à ses décisions ? En simplifiant les procédures ? En lui allouant davantage de moyens ? La création d'un « Observatoire » ne risque-t-elle pas d'accroître encore cette lourdeur de fonctionnement ?

M. Alain Chatillon , rapporteur . - La question des entreprises étrangères trouve réponse dans nos recommandations : la Commission pourrait interdire les pratiques de ces entreprises en Europe si celles-ci ne sont pas conformes à nos règles relatives aux subventions, aux acquisitions d'entreprises ou à la commande publique.

Tout ne dépend pas de la Commission européenne. Par exemple, s'agissant des PME et des agriculteurs, les douanes et la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) doivent mieux faire leur travail. Les importations de blé qui arrivent dans nos ports ne sont quasiment pas contrôlées, alors que nos agriculteurs le sont au quotidien. Mais cela relève du Gouvernement, du ministère de l'Économie et des Finances et du ministère de l'agriculture, pas de l'Union européenne ! Les produits importés doivent être conformes à la réglementation communautaire, mais aussi nationale. Je pense notamment à la question des porcs espagnols,... Demandons à nos gouvernants de se mouiller ! N'attendons pas d'avoir perdu toute capacité de produire dans notre pays !

M. Olivier Henno , rapporteur . - Nous n'avons eu aucune indulgence à l'égard de Mme Vestager, dont les propos nous ont douchés froid. Mais les actes posés par la Commission et le bouillonnement européen sur cette question tranchent avec ses propos très académiques.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Voire un peu rétrogrades !

M. Olivier Henno , rapporteur . - La notion de consommateur ne se limite pas aux particuliers : elle inclut aussi les entreprises. Les aides d'État doivent refermer les fractures : c'est tout l'enjeu du pacte de relance européen. Le rapport de Mme Yon-Courtin est effectivement excellent et pourrait être mentionné dans la résolution. Le Pacte vert n'est pas un objet stricto sensu de la politique de concurrence.

Lors de nos auditions et de notre déplacement à Bruxelles, nous avons très vite constaté que la DG de la concurrence était un État dans l'État. Nous avons pris le parti de réfléchir à des évolutions de la politique de concurrence européenne à traités constants : nos préconisations ont donc un caractère pragmatique. L'Observatoire serait le moyen d'intervenir sur la question de l'indépendance.

M. Alain Chatillon , rapporteur . - L'Observatoire ne représente pas une étape supplémentaire dans le processus de décision européen ou une couche supplémentaire de réglementation : il interviendra après la DG Concurrence, pour améliorer le suivi et l'évaluation de la politique de concurrence, au bénéfice de l'information des parlementaires et des citoyens.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Il ne s'agit pas d'un « machin supplémentaire » : l'Observatoire permettra de contrôler a posteriori l'efficacité des décisions en matière de la politique de concurrence. Le Parlement européen - chargé de contrôler l'action de la Commission - s'appuie pour ce faire sur le rapport de la Commission : il n'a pas d'accès indépendant à l'information ! Avec cet Observatoire, nous aurons un organe compétent, mais surtout indépendant de la DG Concurrence. Il permettra d'ajuste les décisions au fil du temps.

M. Jean-Claude Tissot . - Ne pourrait-on pas imaginer, au moins sur les importations agricoles, d'imposer une taxe pour pénaliser l'éloignement des productions, une sorte de taxe carbone ?

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Votre idée relève plus de la politique commerciale que de la politique de concurrence. Mais elle est pertinente et cette évolution me semble inévitable. Progressivement, les accords de libre-échange ont intégré l'accord sur le climat de Paris et les règles de l'OMC, l'accord sur l'application des mesures sanitaires et phytosanitaires, dit accord « SPS » ainsi que, en pointillé, le principe de précaution. Tout cela se construit au fil du temps. L'ajustement carbone aux frontières serait une dernière brique de cette harmonisation. Il n'y a pas de raison d'imposer aux producteurs européens, et surtout français, des contraintes qui ne s'appliqueraient pas à nos partenaires commerciaux.

M. Benoît Huré . - Ainsi que j'ai eu l'occasion de le dire à plusieurs reprises, l'attention portée à l'intérêt, à court terme, du consommateur en Europe s'est souvent faite au détriment du producteur - y compris lorsqu'il s'agit de productions de souveraineté. Nous l'avons bien vu avec cette pandémie, lorsque l'on dépend de producteurs étrangers, on est très fragile et prêt à payer n'importe quel prix.

M. Olivier Henno , rapporteur . - Je parlais des traités européens, et non des traités commerciaux. Nous avons introduit dans notre rapport et dans la proposition de résolution la notion d'enrichissement et de bien-être du consommateur, pour ne pas s'en tenir qu'au prix. La notion de consommateur renvoie aussi à l'entreprise, d'ailleurs, et pas uniquement à aux personnes physiques.

M. Benoît Huré . - Y compris en termes d'emploi potentiel pour le consommateur ? Nous sommes mondialistes pour la consommation et nationalistes, ou européens, pour l'emploi. Compliqué !

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Je suis un peu embarrassée, parce que le rapport s'inscrit dans le cadre du traité actuel. Or, j'estime que la situation est très grave pour la France, vu les déséquilibres intra-européens dans les échanges, en particulier en termes industriels, et que notre faiblesse découle largement des conditions actuelles du marché unique. On évoque beaucoup la concurrence mondiale et la Chine mais, en France, ce sont surtout des délocalisations intra-européennes qui nous ont pénalisés, notamment dans l'automobile : nous parlons de libre concurrence alors que nous constatons un dumping social et fiscal extrêmement défavorable à notre pays. Les Allemands ont fait un meilleur choix stratégique, qui consiste à travailler avec leur Hinterland , avec les pays de l'Est, pour ce qui est des faibles coûts, tout en conservant chez eux une partie des centres décisionnels, stratégiques ou technologiques.

Je déplore aussi l'insuffisante prise en compte du concept de service public. La notion de services d'intérêt économique général (SIEG) organise en fait un système de concurrence, alors que notre histoire nous conduit à penser que le service public doit constituer un tout, où les profits doivent servir aux investissements d'avenir ou à des politiques sociales. Enfin, les conditions actuelles de la commande publique, qui nous obligent à faire des appels d'offres pour des productions qui ne sont pas locales, ne favorisent pas un développement de proximité, et obèrent notre capacité à soutenir des secteurs stratégiques.

Si l'on ne fait pas du rééquilibrage des échanges à l'intérieur de l'Union européenne le préalable à toute discussion des règles de concurrence, nous n'allons faire qu'accroître des déséquilibres gravissimes. Et si la France continue à s'affaiblir pendant que l'Allemagne continue à dominer, la conséquence politique sera un éclatement de l'Union européenne et du projet européen. Ce rapport, quoiqu'intéressant, n'est pas à la hauteur de la gravité des déséquilibres actuels du marché intérieur.

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Le dumping fiscal et social intra-européen existe, en effet. C'est aussi parce que le poids des charges, en France, est bien trop élevé, ce qui fragilise notre compétitivité. La semaine dernière, lors des questions d'actualité au Gouvernement, j'ai fait observer au secrétaire d'État aux transports que, dès janvier 2004, la Commission européenne avait élaboré des lignes directrices pour que, dans des secteurs très concurrentiels, notamment le transport maritime et aérien, la France puisse ne pas verser de charges patronales.

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Ce n'est pas à l'Europe de décider ce que la France veut en matière fiscale ! Le peuple français est souverain, et a le droit de considérer que, dans ce secteur, la concurrence ne doit pas être l'arbitre, et qu'il faut un accord politique d'ensemble.

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Peut-être, mais nous ne pouvons pas faire la course en tête en ce qui concerne le poids des charges sans nous remettre en question...

M. Fabien Gay . - Tout cela appelle un vrai débat politique, que nous n'achèverons pas aujourd'hui. Je connais l'engagement de M. Chatillon sur la question industrielle, mais, à traités constants, nous ne nous en sortirons pas. Si nous restons focalisés sur le critère prix, la désindustrialisation de la France et de l'Union européenne ne pourra que continuer dans les dix prochaines années, car notre ambition n'est pas de payer les salariés et les ouvriers 150 euros par mois, comme dans le Sud-Est asiatique. L'Union européenne est la bonne échelle pour instaurer des taxes fondées sur des critères sociaux et environnementaux. Si nous ne le faisons pas, nous n'y arriverons pas.

D'ailleurs, au sein même de l'Union européenne, le problème se pose. Il y a dix ans, la moitié des voitures achetées par les Français était produite en France. Aujourd'hui, cette proportion est tombée à 17 %. Beaucoup sont produites en Roumanie et en Turquie, soit à l'intérieur même de l'Union européenne, ou à nos portes. Cela pose la question de l'harmonisation et du dumping fiscal et social, peu abordée dans le rapport, tout comme le débat autour d'Alstom : les champions européens ne peuvent pas être construits autour d'un projet financier, similaire à l'absorption d'Alstom par Siemens, sans véritable projet industriel. Pour construire des champions européens, il faut des projets industriels, avec des États en soutien, comme on l'a vu pour Airbus. Nous avons eu trop d'opérations financières consistant à plomber des entreprises, à les délocaliser, à fermer des usines...

Ce débat arrivera, et je vois que les lignes bougent : la semaine dernière, nous avons eu une vraie discussion sur la conditionnalité des aides publiques. Nous reposerons la question lors de l'examen du troisième budget rectificatif la semaine prochaine.

M. Laurent Duplomb . - Je ne reviendrai pas sur la problématique de la concurrence aux frontières, mais j'évoquerai celle des différences de concurrence à l'intérieur même de l'Europe. En France, nous avons une étonnante façon de ne pas regarder nos bêtises en face. Prenez le plan de relance, par exemple, à la suite de la crise du coronavirus. Pour l'horticulture, il pèse 23 millions d'euros, contre 600 millions d'euros aux Pays-Bas. Pourquoi ? Parce que nous sommes fauchés, à cause de notre addiction à l'impôt et à la dette. Nous ne pouvons pas reprocher aux autres pays d'être meilleurs que nous... Les Pays-Bas ont compris que, dans deux ou trois ans, la disparition de toutes les entreprises françaises leur laissera la capacité de produire davantage dans leur pays.

Les différences de compétitivité sont incroyables : notre main-d'oeuvre dans le maraîchage coûte 1,5 fois plus cher qu'en Allemagne, 1,7 fois plus cher qu'en Espagne et de deux à trois fois plus cher qu'en Pologne. Nous sommes incapables de faire travailler les Français : pour ramasser des fruits ou des légumes, nous avons exclusivement recours à des salariés étrangers. Comment voulez-vous que nous soyons compétitifs ? Nous pourrions employer les Français qui ne travaillent pas, pour les faire travailler et diminuer le coût de l'indemnisation du chômage. Mais non, nous les laissons au chômage et nous faisons entrer des salariés étrangers pour travailler à leur place !

Concernant les charges, nous pouvons nous-mêmes, parlementaires, nous en prendre à nous même, puisque nous en avons ajouté pour les agriculteurs français, dans la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (Egalim), en leur faisant croire qu'on allait améliorer leurs revenus. Même remarque sur les normes. En interdisant les néonicotinoïdes, nous tuons la filière betterave, quand la Belgique a pris une dérogation avant le 1 er juillet, ce qui lui permettra d'utiliser les produits interdits en France. Résultat : les Belges vont construire la plus grande sucrerie d'Europe, et nous ne pourrons que les regarder nous spolier la totalité de notre production de betteraves. Et nous allons continuer dans cette voie avec le glyphosate et d'autres molécules. Bref, nous organisons nous-mêmes le déménagement de la production agricole et industrielle.

M. Pierre Cuypers . - Bien dit !

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Ce débat, très intéressant, dépasse de loin le sujet qui nous réunit ce matin, puisque nous examinons un texte qui concerne la concurrence et non la politique commerciale, fiscale, environnementale et normative de l'Europe. J'appelle pour ma part à initier, dans le plan de relance, une réflexion et une action sur la convergence intra-européenne. Il n'est pas question de payer les Français au rabais, mais, au contraire, d'améliorer la couverture sociale de l'ensemble des Européens.

Mais tout cela est hors sujet par rapport au texte. Cette proposition de résolution choisit l'efficacité, à traités constants, plutôt que de sortir le bulldozer afin de changer les traités, ce qui ne pourrait se faire rapidement. Elle donne des pistes pour infléchir la politique de concurrence et avoir des effets immédiats sur notre propre politique.

Je me réjouis en tous cas de lire dans Le Canard enchaîné que le nouveau patron d'une grande entreprise automobile française critique le plan de la précédente équipe en disant que c'était un projet financier et non pas industriel.

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Merci pour ce recadrage. Cette proposition de résolution, dans un premier temps, n'est soumise qu'au vote des membres de la commission des affaires européennes. Elle sera ensuite transmise à la commission saisie au fond, avant que nous n'échangions avec sa présidente pour adresser un avis politique aux instances communautaires.

Il faut une articulation plus forte entre la politique de concurrence, la politique industrielle et la politique commerciale qui, jusqu'à présent, fonctionnent en silos. La concurrence et la politique commerciale sont des compétences exclusives de l'Union européenne.

L'Union européenne n'est pas, et ne sera sans doute jamais, une fédération. Le temps européen est un temps long. Je regrette toujours que les mesures conservatoires soient trop complexes à mettre en oeuvre - elles l'ont été une seule fois en dix-huit ans... Il faudra faire régulièrement des points d'étape. André Gattolin a évoqué le CFIUS. La présidence Trump semble particulièrement défensive, mais il n'y a jamais eu un État plus protectionniste que les États-Unis. Le CFIUS fait très attention à tout investissement étranger au sein d'une entreprise américaine.

L'extraterritorialité des lois américaines est un élément supplémentaire de déstabilisation de certains dossiers.

Concernant la concurrence entre États européens, je suis tout à fait d'accord avec Laurent Duplomb ; je suis même plus inquiet encore que lui. Compte tenu de nos moyens financiers, la France n'a pu mettre sur la table, en s'essoufflant, que 40 milliards d'euros pour atténuer les effets de la crise sanitaire, quand l'Allemagne y consacrait allègrement 130 milliards. Il s'ensuivra une fragmentation du marché unique très préoccupante.

Nous sommes appelés à des sauts technologiques tels que la 5G ou l'hydrogène, qui constituent des projets importants d'intérêt européen commun (PIEEC). Or on voit certains nouveaux maires de grandes villes françaises se préparer à interdire la 5G ! La digitalisation de l'économie est en marche ; les freins idéologiques qu'on pourrait lui apposer m'effraient, car c'est une nouvelle source de fragmentation du marché unique.

Rappelons-nous l'erreur commise dans les années 1990 : on a lancé la monnaie unique avant d'harmoniser les économies nationales. D'où l'ardente obligation, aujourd'hui, de procéder à l'union des marchés de capitaux. L'Allemagne vient de s'en rendre compte et met les bouchées doubles. Nous craignons tous un début de dislocation du marché unique.

M. Alain Chatillon , rapporteur. - Concernant les salariés, monsieur Gay, nous évoquons leur participation et leur intéressement dans le plan de relance proposé par la commission des affaires économiques.

Monsieur Duplomb, le risque auquel l'Europe est exposée découle de son élargissement : on est passé de six à vingt-huit États membres ! Cela sera très difficile à gérer. Les taux d'endettement de certains pays - l'Autriche, le Danemark, la Suède, ou encore les Pays-Bas - sont très faibles, entre 40 % et 45 % de leur PIB, alors que le nôtre sera cette année de 120 % : chaque Français supporte une dette d'environ 40 000 euros. Comment gérera-t-on une Europe à deux vitesses ? Certains États ne serrent pas assez les boulons sur les charges et ne gèrent pas assez rigoureusement leur pays.

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - La question est posée ; pour la réponse, il faudra attendre quelques années. Elle ne viendra en tout cas pas d'un nouveau traité.

M. Alain Chatillon . - Les pays du Nord accepteront-ils des emprunts européens visant essentiellement à rembourser les dettes contractées par les pays du Sud ?

M. Jean Bizet , président de la commission des affaires européennes . - Non, sans doute !

Le rapport du groupe de suivi est adopté par la commission des affaires européennes puis par la commission des affaires économiques.

À l'issue du débat la commission adopte la proposition de résolution européenne dans la rédaction issue de ses travaux, disponible en ligne sur le site du Sénat .

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Conformément au règlement du Sénat qui nous impose le respect d'un délai entre l'adoption par la commission des affaires européennes et l'adoption par la commission compétente au fond, la commission des affaires économiques examinera cette proposition de résolution européenne le mercredi 15 juillet prochain.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

À l'issue du débat, les commissions des affaires économiques et des affaires européennes réunies ont autorisé la publication du rapport d'information. La commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution européenne suivante, ainsi que l'avis politique qui en reprend les termes et qui sera adressé à la Commission européenne.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

sur la modernisation de la politique européenne de concurrence

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et notamment l'article 3 et les articles 101 à 109, ainsi que le protocole n° 27 sur le marché intérieur et la concurrence,

Vu le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité,

Vu le règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises,

Vu le règlement (CE) n° 773/2004 modifié de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en oeuvre par la Commission en application des articles 81 et 82 du traité CE,

Vu le règlement (CE) n° 800/2008 modifié de la Commission du 6 août 2008 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché commun en application des articles 87 et 88 du traité (règlement général d'exemption par catégorie),

Vu le règlement (UE) n° 330/2010 de la Commission du 20 avril 2010 concernant l'application de l'article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne à des catégories d'accords verticaux et de pratiques concertées,

Vu le règlement (UE) n° 1407/2013 de la Commission du 18 décembre 2013 relatif à l'application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis ,

Vu le Règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité,

Vu le Règlement 2016/1037 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de l'Union européenne,

Vu le Règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union,

Vu les lignes directrices de la Commission du 5 février 2004 sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises,

Vu les lignes directrices de la Commission du 18 octobre 2008 sur l'appréciation des concentrations non horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises,

Vu la communication de la Commission du 24 février 2009 - Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l'application de l'article 82 du Traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes,

Vu les lignes directrices de la Commission du 10 mai 2010 sur les restrictions verticales (en cours de révision),

Vu les lignes directrices de la Commission du 14 janvier 2011 sur l'applicabilité de l'article 101 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux accords de coopération horizontale,

Vu la nouvelle stratégie industrielle pour une Europe verte et numérique, compétitive à l'échelle mondiale, présentée par la Commission européenne le 10 mars 2020,

Vu les consultations publiques lancées par la Commission européenne le 2 juin 2020 sur le Paquet Digital Services Act portant, respectivement, sur l'approfondissement du marché intérieur et la clarification des responsabilités des services numériques et sur un instrument de régulation ex ante des grandes plateformes en ligne à effets de réseau significatifs se comportant comme des gatekeepers dans le Marché intérieur,

Vu la consultation publique lancée le 3 juin 2020 par la Commission européenne sur un nouvel outil de concurrence,

Vu le livre blanc sur les effets de distorsion liés aux subventions étrangères au sein du marché unique, publié par la Commission européenne le 17 juin 2020,

Vu la résolution du Parlement européen du 18 juin 2020 sur la politique de concurrence - rapport annuel 2019 (2019/2131(INI)),

Vu la résolution européenne du Sénat n° 131 (2016-2017) du 8 septembre 2017 pour une réforme des conditions d'utilisation des mesures conservatoires prévues par le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence,

Vu la résolution européenne du Sénat n° 42 (2017-2018) du 7 janvier 2018 sur le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union européenne,

Vu la résolution européenne du Sénat n° 23 (2018-2019) du 16 novembre 2018 sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil promouvant l'équité et la transparence pour les entreprises utilisatrices des services d'intermédiation en ligne, COM(2018) 238 final,

Vu la proposition de loi adoptée par le Sénat n° 62 (2019-2020) visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespace,

Considérant que la prohibition par les traités européens des pratiques et comportements des entreprises ou des aides d'État susceptibles d'empêcher, de restreindre ou de fausser le libre jeu de la concurrence est l'un des principes fondamentaux du bon fonctionnement du marché intérieur qui permet au consommateur européen de bénéficier de produits innovants et de qualité, à un prix raisonnable ;

Considérant que le contrôle des concentrations introduit en 2004 répond à la même préoccupation ;

Considérant que la mise en oeuvre de la politique européenne de concurrence par la Commission européenne, sous le contrôle du juge européen, ses outils et ses pratiques ont fait l'objet d'évolutions destinées à alléger les procédures et à encourager l'innovation, tout en permettant de préserver effectivement le choix du consommateur européen, l'innovation compétitive et le bon fonctionnement du marché intérieur ;

Considérant que la Commission européenne a su réagir avec célérité et efficacité aux conséquences économiques de la crise sanitaire en adoptant le 19 mars 2020 un Encadrement temporaire des mesures d'aides d'État visant à soutenir l'économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19, modifié le 3 avril 2020 et le 8 mai 2020,

Considérant toutefois que la mondialisation de l'économie et des échanges ainsi que le développement du numérique constituent des défis majeurs qui imposent d'adapter sans tarder cette politique, dans le cadre d'une articulation efficace avec les autres leviers de la politique européenne en matière de stratégie industrielle et de politique commerciale,

Sur la nécessité de disposer d'analyses sectorielles systématiques de l'état de la concurrence

Considérant que la Commission européenne ne procède à des enquêtes sectorielles qu'en cas de notification d'opérations de rapprochement entre entreprises ou en cas de pratiques anticoncurrentielles sur des segments de marché ;

Considérant que de telles enquêtes ne portent pas sur l'état des flux commerciaux ni sur des pratiques constatées de subventions ; qu'elles ne prennent pas en compte l'existence d'acteurs systémiques et qu'elles ne comportent pas assez d'éléments prospectifs ;

Considérant qu'il est indispensable d'améliorer la réactivité de la Commission face aux distorsions de concurrence, d'accélérer l'instruction des dossiers en matière de concentrations et d'aides d'État et d'offrir une plus grande prévisibilité aux opérateurs économiques ;

Considérant que les différentes directions générales (DG) de la Commission européenne n'interviennent pas de manière suffisamment coordonnée dans le cadre de l'instruction des dossiers de concurrence ;

Préconise que la DG concurrence de la Commission européenne, en coordination avec les DG sectorielles, établisse d'ici la fin de l'année 2020, des cartographies ex ante , régulièrement actualisées, de l'état de la concurrence sur le marché intérieur, à partir d'analyses sectorielles généralisées, destinées à servir de base de travail aux enquêtes menées par la DG Concurrence dans le cadre du contrôle des concentrations et de l'identification de pratiques anti-concurrentielles ;

Estime que ce diagnostic partagé de l'état des marchés devrait analyser l'état de la concurrence et de la concentration du secteur, en relevant l'existence d'acteurs systémiques ou quasi-monopolistiques et la prévalence d'acquisitions tueuses ; les comportements anti-concurrentiels et les pratiques déloyales observées ou suspectées, en identifiant notamment les cas relevant d'acteurs économiques établis dans des pays tiers ; et l'état des flux commerciaux, en mettant particulièrement en lumière les barrières commerciales ou les pratiques de dumping et de subventions existantes ou potentielles ;

Recommande que, dès réception par la Commission de la notification d'une opération de concentration, ou dès le lancement d'une enquête portant sur des pratiques anticoncurrentielles, les DG Concurrence, Commerce et Marché intérieur soient systématiquement réunies pour examiner les éléments du dossier, à partir du travail de cartographie ainsi réalisé ;

Sur l'indispensable enrichissement de la notion clé de bien-être du consommateur

Considérant que la politique européenne de concurrence est fondée sur la recherche du bien-être du consommateur, ce qui conduit la Commission à chercher à prévenir toute atteinte qui prendrait la forme d'une hausse des prix, d'une baisse de la qualité du produit ou d'un moindre choix sur le marché à la suite d'un rapprochement entre entreprises, d'une pratique anticoncurrentielle ou de l'octroi d'une aide d'État ;

Considérant que le « bien-être du consommateur » est un concept flou et large, qui regroupe des notions liées au prix, au choix et à l'innovation, mais qui ne permet pas aux entreprises de se fonder sur des précédents cohérents et donne une très grande marge d'interprétation à la DG Concurrence dans l'instruction des dossiers ;

Observe que cette approche empêche la Commission de prendre en compte d'autres critères résultant des objectifs plus larges assignés aux politiques européennes, dont la prise en compte est pourtant devenue impérieuse alors que la compétition internationale s'est accentuée et que les atteintes à l'environnement se sont multipliées ;

Appelle à clarifier les composantes du « bien-être du consommateur » et à y intégrer de nouveaux éléments comme la compétitivité, le maintien de l'emploi, la protection de l'environnement, la protection des données personnelles ou encore l'autonomie stratégique ;

Sur l'allongement de l'horizon temporel afin de prendre en compte la concurrence potentielle future

Considérant que l'horizon temporel retenu par la Commission européenne dans l'analyse de l'atteinte potentielle à la concurrence sur un marché est souvent trop rapproché pour prendre en compte la probabilité d'entrée à moyen terme de concurrents sur le marché européen, en particulier d'entreprises bénéficiant de soutiens publics fournis par des État tiers ;

Constate que, de ce fait, la Commission interdit le rapprochement d'acteurs européens susceptibles d'affronter cette concurrence, ou leur impose des cessions d'actifs (remèdes dits structurels) qui les affaiblissent dans la compétition internationale et portent atteinte à la souveraineté économique et industrielle de l'Europe ;

Préconise, dans le prolongement du manifeste franco-allemand pour une politique industrielle adaptée aux enjeux du XXI e siècle publié en 2019, un allongement de l'horizon temporel à au moins cinq ans, comme le pratiquent d'autres autorités compétentes en matière de concurrence, en particulier aux États-Unis, et une clarification de la doctrine de la Commission européenne sur le poids qu'elle accorde dans son analyse à la concurrence potentielle future ;

Sur l'urgence d'une actualisation de la définition du marché pertinent

Considérant que le concept de « marché géographique » a fortement évolué, avec le développement transfrontière du numérique et du commerce international et l'harmonisation des standards techniques, et que la nature d'un « marché de produit » a également été modifiée par la multiplication des produits ou services utilisés gratuitement par un consommateur par la voie numérique ;

Demande à la Commission européenne d'actualiser sans tarder ses lignes directrices relatives à la définition du marché pertinent, qui datent de 1997, afin d'adapter les notions de « marché de produit » et de « marché géographique » aux évolutions de la réalité économique ;

Sur la nécessité de doter la Commission européenne d'outils lui permettant de lutter efficacement contre les pratiques abusives d'entreprises extra-européennes

Considérant que la concurrence sur le marché européen est faussée par des comportements abusifs d'entreprises établies dans des pays tiers en raison, par exemple, de pratiques commerciales déloyales comme le dumping , de subventions publiques, ou encore d'un contrôle des concentrations défaillant ;

Soutient les propositions figurant dans le livre blanc publié le 17 juin 2020 par la Commission européenne qui lui permettraient d'interdire des acquisitions d'entreprises européennes par des entreprises bénéficiant de subventions publiques étrangères qui leur procurent un avantage indu, d'imposer aux entreprises des remèdes tels que des paiements réparateurs ou des mesures correctives de nature structurelle ou comportementale lorsqu'elle identifie des distorsions de concurrence sur un marché liées à de telles subventions et d'exclure des procédures de passation des marchés publics les entreprises soumissionnaires bénéficiant de subventions étrangères qui fausseraient le caractère concurrentiel de l'appel d'offres ;

Sur le nécessaire renforcement de la flexibilité dans l'application du droit européen de la concurrence

Constatant que les délais de mise en oeuvre des procédures d'enquête et de sanction des ententes et des abus de position dominante peuvent avoir des effets destructeurs et irréversibles sur le maintien de la concurrence sur le marché intérieur ;

Considérant que les mesures provisoires constituent un outil essentiel pour veiller à ce que la concurrence ne soit pas faussée pendant le déroulement d'une enquête mais que la Commission européenne n'en fait pas usage ;

Préconise que la Commission recoure rapidement à des mesures conservatoires pendant les enquêtes afin de figer l'état de la concurrence et que les conditions de mise en oeuvre de telles mesures soient assouplies pour supprimer l'exigence de preuve du caractère irréparable du préjudice, au profit du risque d'atteinte grave et immédiate ; alléger l'exigence de constat prima facie d'infraction, en lui substituant le constat que la pratique relevée risque de constituer une telle infraction ; et élargir le champ des intérêts protégés justifiant de telles mesures, en ne visant plus seulement l'atteinte aux règles de concurrence mais également, comme en droit français, l'atteinte à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante ;

Considérant que la Commission privilégie systématiquement des cessions d'actifs lorsqu'une opération de concentration soulève des enjeux concurrentiels, plutôt que des engagements de modification de l'attitude commerciale des parties à l'opération, qui ne les contraignent pas à des cessions d'actifs pénalisantes mais assurent le maintien d'une concurrence effective sur le marché considéré ;

Considérant que cette pratique est préjudiciable aux acteurs européens qui se retrouvent dans l'obligation de céder des actifs à des concurrents étrangers ou sont contraints de renoncer au rapprochement envisagé, ce qui emporte des effets considérables sur l'environnement concurrentiel et le développement ultérieur du marché sans évaluation préalable ;

Recommande que des engagements comportementaux précis, exigeants, vérifiables et révisables en tant que de besoin, soient privilégiés, à l'issue d'une analyse approfondie du marché et de la concurrence potentielle, en association avec les acteurs du marché dès que cela est possible, et que la Commission mette en place un suivi attentif, tant pour vérifier que les engagements pris sont effectivement respectés que pour s'assurer qu'ils atteignent l'objectif poursuivi ;

Demande que des engagements comportementaux soient également mis en place en cas de pratiques anticoncurrentielles, à titre provisoire, dès qu'une telle pratique est identifiée, puis dans le cadre de la procédure de transaction ;

Sur l'intégration de nouveaux concepts d'analyse adaptés au numérique afin d'assurer un suivi préventif des comportements des acteurs

Considérant que les pratiques nouvelles de l'économie numérique constituent un défi pour l'analyse économique, en particulier la gratuité de certains services, les externalités de réseaux, l'existence d'acteurs systémiques et l'économie de la donnée, même si les plateformes ne sont pas toujours en position dominante au sens du droit de la concurrence ;

Considérant qu'il apparaît dès lors nécessaire de revisiter les concepts classiques de la concurrence - en particulier la notion de marché pertinent car il n'y a plus de produits homogènes dans une économie du gratuit -, de changer d'échelle pour intégrer la concurrence potentielle mondiale, enfin de prendre en compte l'efficience économique dynamique ;

Préconise, notamment dans le cadre de la révision de la directive e-commerce, que l'analyse du pouvoir de marché prenne en compte les effets de réseaux et que les relations entre les plateformes, - en particulier celles qui sont en position de verrouiller le marché-, et leurs utilisateurs ou concurrents soient rééquilibrées par un encadrement a priori de la collecte et de l'utilisation des données (portabilité des données personnelles, interopérabilité, auditabilité, non-discrimination, loyauté ...), ce qui permettra de prendre rapidement des mesures correctrices en cas de manquement à ces règles ;

Estime urgent de définir la notion clé de plateformes verrouillant un marché ( gatekeeping platforms ) à partir de critères précis, comme le propose la Commission dans la consultation qu'elle vient de lancer (effets de réseau, nombre d'utilisateurs et/ou capacité du service à obtenir des données sur les marchés...), et d'identifier le caractère systémique de certains opérateurs numériques afin de pouvoir mettre en place un suivi rapproché, y compris pour contrôler les acquisitions de petites entreprises innovantes qui génèrent peu de chiffres d'affaires et donc n'atteignent pas les seuils de notification actuels et ainsi s'assurer que l'opération envisagée n'est pas de nature à réduire la concurrence, voire à l'éliminer ( killer acquisitions ) ;

Sur la nécessité d'une évaluation a posteriori et transparente des décisions prises en matière de concurrence

Considérant que les remèdes demandés par la Commission aux entreprises en cas de concentration sont lourds de conséquences - irréversibles lorsqu'il s'agit de cessions d'actifs - et reposent sur des concepts complexes à appréhender comme le marché pertinent, la concurrence potentielle future, l'horizon temporel ou le pouvoir de marché ;

Considérant que ces remèdes peuvent se révéler a posteriori inefficaces voire contre-productifs, certains marchés évoluant rapidement, et préjudiciables à différents intérêts de l'Union comme le bien-être du consommateur, le bon fonctionnement du marché intérieur, la capacité d'innovation, et la compétitivité des entreprises européennes ;

Préconise la mise en place d'un suivi des décisions de la Commission pour analyser la pertinence des mesures correctrices décidées au regard des objectifs qui leur étaient assignés, afin d'éventuellement revoir ou supprimer le remède comportemental manquant dans les faits de pertinence ou constituant un handicap trop lourd pour l'entreprise par rapport au gain concurrentiel escompté ; un tel suivi permettrait en outre à la Commission d'affiner progressivement ses futures décisions, marché par marché, secteur par secteur, alors que les évolutions économiques du niveau concurrentiel d'un marché dans certains secteurs sont particulièrement rapides (modification des parts de marché, nouvel entrant, hausse ou baisse des prix, etc.) ;

Estime qu'un tel suivi permettrait également, dans des cas similaires ultérieurs, de faire évoluer l'application des différents concepts économiques, notamment l'horizon temporel retenu au regard de la vitesse d'évolution d'un marché, la probabilité d'une concurrence potentielle future au regard du soutien public dont un concurrent bénéficie à l'étranger, l'évaluation des gains d'efficacité, ou le degré de prise en compte de l'accès aux données ;

Propose à cet effet la création d'un Observatoire européen d'évaluation de la politique de la concurrence (OEEPC), placé sous l'autorité de la Commission européenne et indépendant de la DG Concurrence, qui serait chargé de collecter les informations relatives à l'état et à l'évolution de la concurrence dans les différents secteurs économiques, notamment dans l'objectif d'actualiser les cartographies sectorielles et de fonder l'évaluation des décisions de la Commission en matière de concurrence ; de compiler et de tenir à jour une base de données de ces décisions et de la jurisprudence afférente de la Cour de Justice de l'Union européenne ; enfin de suivre l'application des décisions de la Commission en matière de concurrence et de réaliser une évaluation de ces décisions en fonction, notamment, de leur impact sur les prix, le choix offert aux consommateurs, les flux commerciaux, la concentration du marché, la compétitivité des entreprises, l'emploi européen, la capacité d'innovation, la protection de l'environnement, ou la protection des données personnelles.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

• Par le groupe de suivi (auditions ouvertes aux membres des commissions des affaires économiques et des affaires européennes)

29 octobre 2019

- M. Thomas Courbe, directeur général des entreprises (DGE) au ministère de l'économie et des finances (et Mme Mélanie Przyrowski, conseillère parlementaire)

26 novembre 2019

- Direction générale du Trésor, représentée par MM. Thibault Guyon , sous-directeur Politiques sectorielles, Vincent Malardé, adjoint au chef du bureau Activités tertiaires et concurrence, Emmanuel Mathieu , adjoint au chef du bureau Politique commerciale, stratégie et coordination, et Mme Gabrielle Salle , adjointe au chef du bureau Coordination et stratégie européenne (Nicolas Séjour, chargé des relations avec le Parlement)

28 janvier 2020

- Mme Isabelle de Silva, présidente de l'Autorité de la concurrence

19 février 2020

- Mme Stéphanie Yon-Courtin, députée européenne, rapporteure (IMCO) du rapport sur le rapport sur la politique européenne de concurrence

26 février 2019

- M. Gwenole Cozigou, faisant fonction de directeur général de la direction générale Marché intérieur, industrie, entrepreneuriat et PME de la Commission européenne (visioconférence).

• Par les rapporteurs

4 juin 2019

- SGAE, représenté par M. Julien Rossi, chef du secteur Marché intérieur, consommateurs, concurrence, aides d'état, mieux légiférer (MICA), Mme Juliette Thomas, ajointe au chef du secteur MICA et M. Florent Abel, adjoint secteur Parlement

19 juin 2019

- Mme Anne Perrot, économiste, spécialiste du droit de la concurrence, inspectrice générale des finances, co-auteur du rapport de l'IGF et du Conseil général de l'économie La politique de la concurrence et les intérêts stratégiques de l'UE

8 octobre 2019

- MEDEF, représenté par M. Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du Commerce et de la Distribution (FCD) et président de la Fédération internationale du Retail (FIRA)

- CPME, représenté par Mme Joëlle Prévot Madère, présidente de la section industrie de la CPME, M. Alban Maggiar, vice-président délégué chargé des affaires européennes, Mme Béatrice Brisson, directrice des affaires internationales et européennes (Sabrina Benmouhoub, chargée de mission Affaires publiques).

- AFEP, représentée par Mme Emmanuelle Flament-Mascaret , Directrice affaires commerciales et propriété intellectuelle

18 novembre 2019

- M e Dominique Heinz, avocat associé du cabinet Hertslet Wolfer et Heintz (franco-allemand)

14 janvier 2020 (à Bruxelles)

- Représentation permanente des Pays-Bas auprès de l'Union européenne : M. Maarten Smit , chef du pôle économique et Mme Imane Elfilali , con seillère concurrence

- Cabinet de M. Thierry Breton , commissaire au marché intérieur, en charge de la politique industrielle, Mme Lucia Caudet, directeur-adjoint du cabinet

- Direction générale de la concurrence (DG Comp) : M. Olivier Guersent , directeur général de la concurrence

- Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne : MM. Philippe Léglise-Costa , ambassadeur, représentant permanent, Yves-Emmanuel Bara , conseiller concurrence et aides d'État et Michael Bazin, conseiller industrie

- Business Europe, représenté par MM. Alexandre Affre, directeur des affaires industrielles, Pedro Oliveira, directeur des affaires juridiques et Erik Berggren , conseiller affaires juridiques et économiques

- Bureau européen des unions de consommateurs (BEUC), représenté par Mme Monique Goyens, directrice générale, et M. Agustin Reyna , directeur des affaires juridiques et économiques


* 1 Article 3 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE).

* 2 Warlouzet L., Europe de la concurrence et politique industrielle communautaire : la naissance d'une opposition au sein de la CEE dans les années 1960 , CAIRN info, 2008.

* 3 Traité instituant la Communauté Économique Européenne du 25 mars 1957.

* 4 Ces distorsions de concurrence peuvent par ailleurs se cumuler. Ainsi, le 21 février 2007, la Commission européenne (IP/07/209) a infligé des amendes de près d'1 milliard d'euros aux groupes Otis, KONE, Schindler et Thyssen Krupp, dans le secteur des ascenseurs, pour avoir à la fois truqué des appels d'offres, fixé les prix, échangé des informations commercialement confidentielles, s'être attribué des projets et réparti des marchés.

* 5 Ces trois entreprises sont soupçonnées d'une pratique anticoncurrentielle visant à limiter le développement et le déploiement de technologies de réduction des émissions destinées aux voitures particulières neuves à moteur diesel et essence dans l'Espace économique européen. https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/IP_19_2008.

* 6 La Cour de justice des communautés européennes (CJCE, devenue CJUE) retient en outre une acception particulièrement extensive de la notion d'affectation du commerce entre États membres. En effet, elle précise que « l'article 86 du traité n'exige pas qu'il soit établi que le comportement abusif a, en effet, sensiblement affecté le commerce entre États membres, mais demande qu'il soit établi que ce comportement est de nature à avoir un tel effet » (Arrêt du 9 novembre 1983, Affaire 322/81, NV Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin contre Commission).

* 7 La position dominante est définie comme la capacité d'agir indépendamment de ses concurrents et de ses clients (CJUE, Continental Can c. Commission, CE 9/12/1971).

* 8 CJUE, United Brands et United Brands Continentaal c. Commission du 14/02/1978, aff. 27/76.

* 9 Rapport d'avril 2019 de l'Inspection générale des finances et du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies, La politique de la concurrence et les intérêts stratégiques de l'UE .

* 10 À l'exception toutefois de la substitution des mots « marché intérieur » aux mots « marché commun ».

* 11 CJUE, 16 juillet 2015, ING Pensii - Societate de Administrare a unui Fond de Pensii Administrat Privat SA.

* 12 CJUE, ECLI:EU:C:2014:2204, 11 septembre 2014, Groupement des cartes bancaires contre Commission.

* 13 CJUE, ECLI:EU:C:2017:632, 6 septembre 2017, Intel Corporation Inc. contre Commission.

* 14 CJUE, EU:C:2012:172, 27 mars 2012, Post Danmark A/S contre Konkurrencerådet.

* 15 Il s'agit d'un revirement de jurisprudence par rapport à l'arrêt du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, EU:C:1979:36, point 89). Une telle pratique était alors considérée comme contraire par nature à l'article 86 du traité, sans qu'il soit besoin d'analyser si elle avait effectivement porté atteinte à la concurrence.

* 16 Par exemple, lier des acheteurs par des rabais en échange d'un approvisionnement exclusif auprès de ladite entreprise, peut ne pas être considéré comme un abus de position dominante. La Commission européenne est en effet désormais tenue de procéder à une analyse économique de l'importance de la position dominante de l'entreprise sur le marché pertinent, du taux de couverture du marché par la pratique contestée, des modalités d'octroi des rabais en cause, de leur durée et de leur montant.

* 17 Les Échos, 20 septembre 2017, L'affaire Intel : la justice européenne sur la voie du réalisme économique en matière d'abus de position dominante .

* 18 Cette définition du pouvoir de marché est issue de la Communication de la Commission européenne du 24 février 2009 relative aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes. Si l'objet de la communication concerne un autre pan du droit européen de la concurrence (en l'espèce, la lutte contre les abus de position dominante), la définition qu'elle donne du pouvoir de marché est également pertinente en matière de concentration.

* 19 Conseil d'Analyse économique, Concurrence et commerce : quelles politiques pour l'Europe ? , note n° 51, mai 2019.

* 20 Lignes directrices de l'Autorité de la concurrence relatives au contrôle des concentrations.

* 21 Règlement n° 139/2004 du Conseil du 20 janvier 2004 relatif au contrôle des concentrations entre entreprises.

* 22 Affaire M.7993 Altice/Portugal.

* 23 La Commission a par exemple décidé, en juin 2018, d'approfondir son analyse relative au projet d'acquisition de Tele2 NL par T-mobile NL aux Pays-Bas, l'enquête initiale menée sur le marché ayant en effet fait apparaître un risque de limitation de l'incitation pour l'entité issue de la concentration à « entrer en concurrence effective avec les opérateurs restants ».

* 24 Commission européenne, affaire M. 8150, 16 décembre 2016.

* 25 Commission européenne, affaire M. 7822, 25 février 2016.

* 26 Patrice Bougette, Négociation d'engagements en matière de concentrations : une perspective d'économiste, Revue Internationale de Droit Économique, Association internationale de droit économique, 2011, 4 (Les Dossiers), pp.111-124.

* 27 La CJUE définit de façon constante les entreprises comme des entités exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de ces entités et de leur mode de financement (voir CJUE, 12 septembre 2000, Pavlov e.a., affaires jointes C-180/98).

* 28 https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/daj/publications/vademecum_aides_etat-2016/pdf-vade-mecum-aides-etat/Fiche-1.pdf

* 29 Art. 108 TFUE

* 30 Com. UE, 28 janv. 2009, 2009/402/CE

* 31 Règlement (CE) n° 800/2008 de la Commission du 6 août 2008 déclarant certaines catégories d'aide compatibles avec le marché commun en application des articles 87 et 88 du traité (Règlement général d'exemption par catégorie, dit RGEC).

* 32 EY, Communiqué de presse, Les groupes américains renforcent leur prédominance sur les bourses mondiales, l'Europe perd en importance .

* 33 La Tribune, La concurrence et l'Europe : droit ou politique ?, Bruno Alomar, 18 mai 2017. https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/la-concurrence-et-l-europe-droit-ou-politique-715847.html

* 34 Conclusions du Conseil européen du 20 juin 2019 : https://www.consilium.europa.eu/media/39947/20-21-euco-final-conclusions-fr.pdf

* 35 Thomas Philippon, CAE Focus, n° 031-2019, mai 2019, Les marchés européens sont-ils devenus plus concurrentiels que les marchés américains ?

* 36 Office européen des brevets, Facts and figures 2020 , http://documents.epo.org/projects/babylon/eponet.nsf/0/09AC830BDBAC2749C12585280059CD40/$File/epo_facts_and_figures_2020_en.pdf

* 37 Perspectives économiques intermédiaires, 6 mars 2019, La croissance mondiale ralentit tandis que certains risques se matérialisent, p. 14.

* 38 F. Ilzkovitz et A. Dierx, 60 ans de politique de concurrence européenne , Revue du droit de l'Union européenne 3/2018, mars 2018.

* 39 Dutz, Mark A.; Hayri, Aydin; Dutz, Mark A. Hayri, Aydin. 2000. Does more intense competition lead to higher growth? . Policy, Research working paper n° WPS 2320. Washington, DC: World Bank.

* 40 Dierx A., Ilzkovitz F., Pataracchia B., Ratto M., Thum-Thysen A. et Varga J., Does EU competition policy support inclu-sive growth? , Journal of Competition Law & Economics, vol. 13(2), 2017, pp. 225-260.

* 41 Conseil d'Analyse économique, Concurrence et commerce : quelles politiques pour l'Europe ? , note n° 51, mai 2019.

* 42 Les décisions Airtours c. First Choice (septembre 1999), Schneider c. Legrand (octobre 2001) et Tetra Laval c. Sidel (octobre 2001).

* 43 Affaire COMP/M.2283 -- Schneider/Legrand.

* 44 Article 2 du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil du 21 décembre 1989.

* 45 Cette différence d'appréciation quant à la fusion GE/Honeywell en 2001 est ainsi le fruit, entre autres, de l'hétérogénéité des méthodes appliquées.

* 46 Points 78 à 88 des lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (2004/C 31/03).

* 47 Anne Perrot, La politique de la concurrence contribue-t-elle à la croissance économique ? Une analyse à partir des cas américains et européens , Économie publique/Public economics , 12, 2003/1, 3 janvier 2006.

* 48 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (97/CE 72/03), 9 décembre 1997.

* 49 Ibid.

* 50 Röller L.-H. et Buigues P.A., The Office of the Chief Competition Economist at the European Commission , Global Competition Review, juin, 2005.

* 51 La Commission peut intervenir en matière d'antitrust à la suite soit de la notification d'une entente par l'entreprise, soit de plaintes de tiers intéressés ou d'États membres ou en se saisissant d'office.

* 52 Règlement (CE) n° 17/62 du Conseil, 6 février 1962, Premier règlement d'application des articles 85 et 86 du traité .

* 53 Par exemple, le règlement (CEE) n° 240/96 du 31 janvier 1996 concernant l'application de l'article 85§3 à des catégories d'accords de transfert de technologie .

* 54 F. Ilzkovitz et A. Dierx, 60 ans de politique de concurrence européenne , Revue du droit de l'Union européenne 3/2018, mars 2018.

* 55 Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité.

* 56 Communication de la Commission sur l'immunité d'amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, (2006/C 298/11), 8 décembre 2006 .

* 57 Wils, Wouter P. J., The Use of Leniency in EU Cartel Enforcement: An Assessment after Twenty Years (June 10, 2016). World Competition: Law and Economics Review, Vol. 39, No. 3, 2016; King's College London Law School Research Paper No. 2016-29.

* 58 Commission européenne, affaire AT.39824, 19 juillet 2016.

* 59 Allen & Overy, Global cartel enforcement report , février 2020.

* 60 Commission européenne, communiqué de presse, Antitrust: la Commission inflige une amende de 1,49 milliard d'euros à Google pour pratiques abusives en matière de publicité en ligne , 20 mars 2019.

* 61 Règlement (CE) n° 994/98 du Conseil du 7 mai 1998 sur l'application des articles 92 et 93 du traité instituant la Communauté européenne à certaines catégories d'aides d'État horizontales .

* 62 Une aide dite « de minimis » est une aide qui n'excède pas 200 000 euros par entreprise consolidée sur une période de trois exercices fiscaux. Elle est exemptée de notification car, du fait de son faible montant, elle est considérée comme n'ayant aucun impact sur la concurrence et le commerce dans le marché intérieur.

* 63 Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au comité des régions, Modernisation de la politique de l'UE en matière d'aides d'État , COM(2012) 209 final, 8 mai 2012.

* 64 Règlement (UE) n° 651/2014 de la Commission du 17 juin 2014 déclarant certaines catégories d'aides compatibles avec le marché intérieur en application des articles 107 et 108 du traité .

* 65 Règlement (CE) n° 800/2008 de la Commission du 6 août 2008 déclarant certaines catégories d'aide compatibles avec le marché commun en application des articles 87 et 88 du traité (Règlement général d'exemption par catégorie) .

* 66 Règlement (UE) n° 1407/2013 de la Commission du 18 décembre 2013 relatif à l'application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides de minimis .

* 67 Commission européenne, State Aid Scoreboard, 2018.

* 68 Communication de la Commission, 20 mars 2020, Encadrement temporaire des mesures d'aide d'État visant à soutenir l'économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 (2020/C 91 I/01).

* 69 Communication de la Commission, 31 juillet 2014, Lignes directrices concernant les aides d'État au sauvetage et à la restructuration d'entreprises en difficulté autres que les établissements financiers, (2014/C 249/01).

* 70 Communication de la Commission, 4 avril 2020, Modification de l'encadrement temporaire des mesures d'aide d'État visant à soutenir l'économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 (2020/C 112 I/01).

* 71 Communication de la Commission, 8 mai 2020, Modification de l'encadrement temporaire des mesures d'aide d'État visant à soutenir l'économie dans le contexte actuel de la flambée de COVID-19 (2020/C 164/03).

* 72 Commission européenne, communiqué de presse, 8 mai 2020, Aides d'État : la Commission étend l'encadrement temporaire à des mesures de recapitalisation et de dette subordonnée afin de soutenir davantage l'économie dans le contexte de la pandémie de coronavirus .

* 73 Article 107, paragraphe 3a du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne .

* 74 Communication de la Commission, Critères relatifs à l'analyse de la compatibilité avec le marché intérieur des aides d'État destinées à promouvoir la réalisation de projets importants d'intérêt européen commun (2014/C 188/02).

* 75 Décision de la Commission du 30 janvier 2018 instituant le forum stratégique pour les projets importants d'intérêt européen commun (2018/C 39/03 ).

* 76 Audition par le groupe de suivi.

* 77 Audition par la Commission des affaires économiques.

* 78 Contribution écrite.

* 79 Possible reform of competition law: food for thought to improve the interplay between merger control and other EU policies , éditorial de la Revue des droits de la Concurrence, n°3, 2019.

* 80 Il a ainsi fallu sept années d'enquête et de procédures avant que Google ne soit sanctionné pour un abus de position dominante sur le marché des moteurs de recherche de treize pays européens, position qui conférait un avantage illégal à son service de comparaison de prix.

* 81 Cette situation a été dénoncée à plusieurs reprises par le Sénat, à l'initiative de Mme Catherine Morin-Dessailly et M. Gaëtan Gorce, dans le rapport n° 696 (2013-2014), présenté au nom de la mission commune d'information pour une nouvelle stratégie européenne dans la gouvernance de l'internet, puis dans la résolution européenne n° 131 (2016-2017) pour une réforme des conditions d'utilisation des mesures conservatoires prévues par le règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil relatif à la mise en oeuvre des règles de concurrence .

* 82 Communication de la Commission 2008/C 267/01 concernant les mesures correctives recevables conformément au règlement (CE) n° 139/2004 du Conseil et au règlement (CE) n° 802/2004 de la Commission .

* 83 Voir le rapport d'information du Sénat n° 449 (2017-2018) Siemens-Alstom : pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand et l'avis politique de sa commission des affaires européennes du 24 janvier 2019 sur la politique de la concurrence de l'Union européenne .

* 84 Communication 2008/C 267/01 (voir supra ).

* 85 Competition policy and industrial policy : for a reform of European Law , Fondation Robert Schuman, janvier 2020.

* 86 Concurrence et commerce : quelles politiques pour l'Europe ? , Note n° 51 du Conseil d'Analyse Économique, mai 2019 .

* 87 Pour une réforme du droit de la concurrence , Rapport du groupe de travail du Club des Juristes, janvier 2018.

* 88 37e rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur les activités antidumping, antisubventions et de sauvegarde de l'Union européenne et sur l'utilisation des instruments de défense à l'encontre de l'Union européenne par des pays tiers en 2018, mars 2019 .

* 89 Contribution écrite soumise au groupe de suivi.

* 90 State aid support schemes for RDI in the EU's international competitors in the fields of Science, Research and Innovation , Bird & Bird, novembre 2015.

* 91 Document de travail de la Commission annexé au 37e rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur les activités antidumping, antisubventions et de sauvegarde de l'Union européenne et sur l'utilisation des instruments de défense à l'encontre de l'Union européenne par des pays tiers en 2018, mars 2019.

* 92 Étude du cabinet Baker McKenzie, janvier 2019.

* 93 Règlement 2016/1037 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de l'Union européenne .

* 94 Memorandum of Understanding on a dialogue in the area of the State aid control regime and the Fair Competition Review System between the State Administration for Market Regulation of the People's Republic of China and The Directorate-General for Competition of the European Commission .

* 95 Document de travail de la Commission annexé au 37e rapport mentionné plus haut.

* 96 Rapport de la Fondation pour l'innovation politique, L'Europe face aux nationalismes américain et chinois : les pratiques anticoncurrentielles étrangères , novembre 2019.

* 97 Document de travail de la Commission annexé au 37e rapport de la Commission au Conseil et au Parlement européen sur les activités antidumping, antisubventions et de sauvegarde de l'Union européenne et sur l'utilisation des instruments de défense à l'encontre de l'Union européenne par des pays tiers en 2018, mars 2019.

* 98 Règlement 2017/2321 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2017 modifiant le règlement 2016/1036 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet d'un dumping de la part de pays non membres de l'Union européenne et le règlement 2016/1037 relatif à la défense contre les importations qui font l'objet de subventions de la part de pays non membres de l'Union européenne.

* 99 Un tel pouvoir existe en Allemagne et a été introduit en France (art. L. 430-7-1 du code de commerce).

* 100 Rapport d'information n° 551 (2017-2018) de M. Martial Bourquin, fait au nom de la mission commune d'information sur Alstom, déposé le 6 juin 2018, Faire gagner la France dans la compétition industrielle mondial, et rapport d'information n° 449 (2017-2018) de M. Martial Bourquin, fait au nom de la mission commune d'information sur Alstom, déposé le 18 avril 2018, Siemens-Alstom : Pour un géant du ferroviaire véritablement franco-allemand.

* 101 Elle inclut également des mesures assimilables à un contrôle des ententes, des cartels et des abus de position dominante.

* 102 La politique de la concurrence et les intérêts stratégiques de l'UE , Rapport de l'IGF et du Conseil Général de l'Économie, Avril 2019 .

* 103 Competition policy and industrial policy: for a reform of European Law , Fondation Robert Schuman, janvier 2020.

* 104 Trésor-Eco n°232, Concurrence et concentration des entreprises aux États-Unis , Décembre 2018, Direction Générale du Trésor .

* 105 Ibid.

* 106 Manifeste franco-allemand pour une politique industrielle européenne adaptée au XXI e siècle , publié le 19 février 2019 à la suite de la rencontre à Berlin entre les ministres français et allemand de l'économie et des finances .

* 107 Courrier adressé le 4 février 2020 à la Commissaire européenne à la concurrence par les ministres français, allemand, italien et polonais de l'économie.

* 108 C'est un point qui a également été soulevé par la DG Trésor du ministère de l'économie et des finances lors de son audition par le groupe de suivi.

* 109 Voir notamment le rapport de Jacques Crémer, Yves-Alexandre de Montjoye et Heike Schweitzer, Competition policy for the digital era, publié par la Commission européenne le 4 avril 2019 et le rapport du Sénat n° 7 (2019-2020), présenté par MM. Franck Montaugé , président, et Gérard Longuet, rapporteur, au nom de la commission d'enquête sur la souveraineté numérique, la résolution européenne du Sénat n° 122 (2014-2015) du 30 juin 2015 sur la régulation des moteurs de recherche et le rapport n° 696 (2013-2014), déjà mentionné, présenté par Mme Catherine Morin-Dessailly, au nom de la mission commune d'information du Sénat pour une nouvelle stratégie européenne dans la gouvernance de l'internet.

* 110 Les effets de réseau indirects apparaissent lorsque plusieurs catégories d'utilisateurs interagissent sur des plateformes mettant en relations plusieurs types d'acteurs, dans un marché « multiface », comme des acheteurs multiples et des vendeurs multiples. Amazon, Uber ou Google (entre utilisateurs du moteur de recherche et annonceurs) en sont des exemples.

* 111 Voir notamment le rapport de l'Inspection générale des finances et du Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies publié en avril 2019 sur la Politique européenne de concurrence et les intérêts stratégiques de l'UE pp. 18-20.

* 112 Ce type de clause interdit aux entreprises qui recourent à une plateforme pour proposer leur produits ou services de les vendre à un prix inférieur à celui qui est proposé sur la plateforme.

* 113 Autorité de la concurrence et Bundeskartellamt , Algorithms and competition , novembre 2019.

* 114 Sans compter les enjeux que la politique de la concurrence n'est pas la mieux placée pour appréhender, comme l'utilisation des données, le respect de la vie privée ou encore les effets sur la qualité de l'information, dans un marché mondial dominé par des acteurs systémiques américains (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et chinois (Alibaba, Baidu, Tencent). La stratégie européenne sur les données et la consultation sur l'intelligence artificielle, présentées par la Commission le 19 février 2020, entendent aborder certaines de ces problématiques.

* 115 Par exemple YouTube pour les vidéos, DoubleClick et AdMob pour la publicité en ligne ou Waze pour les services de navigation.

* 116 Dont des communautés d'utilisateurs comme Instagram en 2012 et WhatsApp en 2014.

* 117 C'est pourquoi ces plateformes sont qualifiées de Gatekeeping platforms .

* 118 Qualifiés de “scenarios de rupture » par le rapport de l'IGF et du Conseil général de l'économie La politique de la concurrence et les intérêts stratégiques de l'UE , avril 2019.

* 119 Rapport de Mme Stéphanie Yon-Courtin, au nom de la commission des affaires économiques et monétaires, adopté le 18 février 2020.

* 120 Contribution écrite.

* 121 Audition par les rapporteurs.

* 122 Competition policy and industrial policy: for a reform of European Law, Fondation Robert Schuman, janvier 2020.

* 123 Lignes directrices sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises (2004/C 31/03), 5 février 2004 .

* 124 Article 101 du TFUE.

* 125 Horizontal Merger Guidelines, U.S. Department of Justice and the Federal Trade Commission , 19 août 2010.

* 126 Manifeste franco-allemand pour une politique industrielle adaptée au XXI e siècle, 19 février 2019.

* 127 Communication de la Commission sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence, (97/C372/03), 9 décembre 1997 .

* 128 Chillin' Competition Conference, Brussels, 9 décembre 2019.

* 129 A. Fletcher, B. Lyons, Geographic Market Definition in European Commission Merger Control A Study for DG Competition, Centre for Competition Policy, University of East Anglia, Norwich.

* 130 En fonction des coûts de transport, le périmètre du marché pertinent retenu peut différer. Si un produit est particulièrement onéreux à transporter (comme le ciment), il peut raisonnablement être considéré qu'un consommateur s'approvisionnera dans un rayon restreint et non à l'échelle du globe. Par conséquent, la possibilité, de facto , de se tourner vers du ciment chinois ou indien est quasi nulle et le marché pertinent retenu sera local malgré la mondialisation.

* 131 Le Sénat a été précurseur à cet égard en adoptant à l'unanimité, le 19 février 2020, la proposition de la loi présentée par Mme Sophie Primas et plusieurs de ses collègues visant à garantir le libre choix du consommateur dans le cyberespac e.

* 132 Lettre envoyée par les quatre ministres de l'Économie à Mme Margrethe Vestager, le 4 février 2020.

* 133 Le règlement adopté en 2019 (Règlement (UE) 2019/452 du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un cadre pour le filtrage des investissements directs étrangers dans l'Union) permet notamment à la Commission d'émettre un avis sur un investissement constituant une menace pour un ou plusieurs États membres ou à un intérêt de l'Union. Il pose également certaines exigences minimales et harmonisées qui s'appliquent aux mécanismes de filtrage IDE mis en place au niveau national. Il ne s'agit toutefois pas d'un « filtrage européen » à la main de la Commission.

* 134 Lignes directrices de la Commission européenne sur l'appréciation des concentrations horizontales au regard du règlement du Conseil relatif au contrôle des concentrations entre entreprises, 2004 .

* 135 Audition de la DGE.

* 136 Dans ce cas précis, l'examen du rachat de l'aciérie serbe ne relevait pas de la compétence de la Commission européenne, car les seuils de valorisation n'étaient pas suffisants.

* 137 Auditions des rapporteurs.

* 138 Audition au Sénat.

* 139 Concurrence et commerce : quelles politiques pour l'Europe ? , Note n° 51 du Conseil d'Analyse Économique, mai 2019.

* 140 Audition du MEDEF et de la CPME.

* 141 Une trentaine d'engagements ont ainsi été validés par la Commission au cours des quinze dernières années.

* 142 En décembre 2013, les autorités nationales de la concurrence réunies au sein du Réseau européen de la concurrence (REC) ont adopté une recommandation sur le recours aux mesures provisoires, en particulier lorsqu'il est avéré que la décision au fond interviendra trop tardivement pour éviter la disparition des concurrents de l'entreprise qui abusent d'une position dominante ; cette recommandation comporte un certain nombre de suggestions d'harmonisation pour une mise en oeuvre effective de mesures conservatoires.

* 143 Voir notamment le rapport d'information Sénat n° 674 (2016-2017) du 20 juillet 2017 présenté par M. Philippe Bonnecarrère, au nom de la commission des affaires européennes, sur la proposition de résolution précitée de Mme Catherine Morin-Dessailly .

* 144 L'article 61 du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle, en cours d'examen à l'Assemblée nationale, habilite le Gouvernement à procéder à la transposition, dans le code de la consommation, de cette directive, qui est d'harmonisation minimale, ce qui permet à la France de maintenir son cadre actuel.

* 145 La proposition n° 9 du rapport d'information n° 2451 (XV législature), présenté en décembre 2019 par les députés Patrice Anato et Constance Le Grip, au nom de la commission des affaires européennes de l'Assemblée nationale, préconise également de « flexibiliser les conditions de mise en oeuvre des mesures provisoires ».

* 146 Voir sur ce point le récent rapport de l'Autorité de la concurrence, Les engagements comportementaux .

* 147 Art. 20 du règlement 139/2004 du 20 janvier 2004.

* 148 Avis politique du 11 octobre 2018 et résolution européenne n° 23 (2018-2019) du 16 novembre 2018, à la suite du rapport d'information de M. André Gattolin et Mme Colette Mélot, au nom de la commission des affaires européennes .

* 149 Rapport n° 301 (2019-2020) de M. Franck MONTAUGÉ et Mme Sylviane NOËL, au nom de la commission des affaires économiques .

* 150 Communication COM(2020) 67 final Façonner l'avenir numérique de l'Europe .

* 151 Le rapport précité remis à la Commission en avril 2019 propose une grille d'analyse des killer acquisitions : l'acquéreur bénéficie-t-il de barrières à l'entrée liées aux effets de réseau ou à l'utilisation des données ? La cible est-elle un concurrent potentiel ou réel ? Son élimination est-elle de nature à augmenter le pouvoir de marché ? Si tel est le cas, la concentration est-elle justifiée par des gains d'efficacité ?

* 152 Cette proposition figure notamment dans le rapport précité de l'IGF et du Conseil général de l'économie, La politique de la concurrence et les intérêts stratégiques de l'UE .

* 153 Contribution de l'Autorité de la concurrence au débat sur la politique de concurrence et les enjeux numériques, publiée le 19 février 2020. L'Autorité propose de définir des conditions dont la réunion ferait peser une obligation de notification de la concentration : un chiffre d'affaires mondial des parties à la concentration supérieur à 150 millions d'euros, des enjeux substantiels de concurrence sur le territoire concerné, une opération ne relevant pas de la compétence de la Commission européenne.

* 154 Article 2 du TUE.

* 155 Article 10 du TUE.

* 156 M. Motta, M. Polo, H. Vasconcelos, Merger Remedies in the European Union: An Overview , The Antitrust Bulletin 52.3-4 (2007).

* 157 Cook, C., Real review timetables under EU merger regulation , Concurrences, 2017, repris par le rapport d'information n° 2451 (XVème législature) de l'Assemblée nationale.

* 158 Audition de M e Heintz.

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