II. PROMOUVOIR UNE ALIMENTATION DURABLE ET LOCALE POUR MIEUX SORTIR DE LA CRISE ET CONFORTER NOTRE MODÈLE AGRICOLE : 28 PROPOSITIONS EN 2 VOLETS

A. RENFORCER NOTRE AUTONOMIE ET REVALORISER LA PRODUCTION AGRICOLE

1. Préserver l'amont agricole pour garantir notre souveraineté
a) Reconquérir le bol alimentaire des Français passe par une compétitivité accrue et un travail de pédagogie
(1) Se doter d'une véritable stratégie pour combler nos déficits de productions alimentaires

Aux termes de l'article L. 1 du code rural et de la pêche maritime, la politique en faveur de l'agriculture et de l'alimentation a pour finalité de « promouvoir l'indépendance alimentaire de la France » et de « développer des filières de production et de transformation alliant performance économique, sociale [..], environnementale et sanitaire , capables de relever le double défi de la compétitivité et de la transition écologique, dans un contexte de compétition internationale. »

Depuis quelques années, cet objectif n'est plus atteint .

Face à une situation de dépendance accrue à des denrées alimentaires importées, la souveraineté alimentaire de la France doit être érigée en premier objectif de la politique agricole et alimentaire .

Pour retrouver le chemin d'une agriculture française garantissant une indépendance alimentaire tout en réduisant l'empreinte environnementale de l'alimentation des ménages, une grande opération de reconquête du bol alimentaire des Français doit être menée.

Cela passe par la définition d'une grande stratégie nationale en matière de souveraineté alimentaire , identifiant les secteurs « prioritaires » dans lesquels les producteurs français doivent retrouver des parts de marché.

Parmi les secteurs ainsi identifiés, par exemple les fruits et légumes , les plans de filière, présentés au ministre en charge de l'agriculture, pourraient intégrer mécaniquement des dispositifs visant à accroître leur part dans la consommation française, l'État s'engageant en contrepartie à faciliter la promotion de ces produits sur une période donnée. Pour reprendre cet exemple, aujourd'hui la France est le 5 ème producteur européen de légumes et pourrait se donner l'objectif d'intégrer le top 3 européen d'ici 2030.

À cet égard, l'activation de l'article 18 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt pourrait être un outil intéressant : le législateur a donné la possibilité aux organisations professionnelles ou interprofessionnelles de bénéficier d'espaces d'information périodiques gratuits auprès des sociétés publiques de radio et de télévision afin de promouvoir la qualité des produits, les bénéfices nutritionnels, les usages culinaires des produits, la connaissance des métiers de la filière ou les démarches agro-environnementales engagées . Toutefois, cet article ayant été adopté contre l'avis du Gouvernement à l'époque, le décret d'application n'a jamais été pris, rendant cet article inopérant. Cette décision est absurde tant la promotion auprès des consommateurs des savoir-faire français est un instrument efficace pour limiter la pénétration des denrées importées dans les assiettes des ménages.

Cette stratégie pourrait être adossée à un observatoire de la souveraineté alimentaire , intégré à des organismes préexistants, destiné à suivre les effets des mesures prises et de mesurer ainsi le taux de reconquête des produits français dans l'assiette des Français.

Proposition n° 1 (État, collectivités territoriales, acteurs économiques ) : définir une stratégie nationale pour retrouver notre souveraineté alimentaire en :

- identifiant les filières prioritaires trop concurrencées par les denrées importées ;

- déclinant cette stratégie nationale dans les plans des filières concernées, remis au Ministre chargé de l'agriculture et de l'alimentation, l'État et les filières s'engageant mutuellement à mettre en place les outils pertinents pour assurer la réussite de cette stratégie ;

- activant le pouvoir d'utilisation de campagnes d'information sur les produits agricoles français gratuitement auprès des sociétés publiques de radio et de télévision au moment le plus approprié ;

- installant un Observatoire de la souveraineté alimentaire permettant de suivre l'efficacité du déploiement de la stratégie nationale pour retrouver notre souveraineté alimentaire.

Une des principales priorités, au regard de son impact économique et de ses conséquences environnementales, doit être de retrouver une autonomie protéique . Les plantes légumineuses ne nécessitent pas d'apports azotés et permettent, justement, de fixer l'azote, ce qui permet de réduire les apports d'engrais pour les cultures suivantes. En général, ce sont donc de bonnes têtes de rotation permettant de limiter les interventions. Enfin, les protéagineux et les légumineuses, croisés avec les tourteaux issus de la culture de colza ou de tournesol, forment une alternative intéressante et très riche en protéines aux tourteaux de soja OGM importés.

À cet égard, le Gouvernement a enfin annoncé la mise en place, dans le plan de relance, d'une stratégie nationale sur les protéines végétales en octroyant une enveloppe de 100 millions d'euros à des actions destinées à réduire la dépendance de la France aux importations de protéines végétales des pays tiers.

Cela se traduit par un objectif de doublement des surfaces de légumineuses d'ici 2030, soit un passage de 4 à 8 % de la surface agricole utile, notamment en augmentant les surfaces semées en légumineuses dès 2022 de 40 %.

Outre des soutiens à la recherche et à l'innovation, le plan de relance prévoit un accompagnement à l'acquisition des investissements matériels nécessaires ainsi qu'un appui à la structuration des filières et un soutien à la promotion des légumineuses auprès du consommateur.

Or ce plan protéines semble avoir été insuffisamment calibré par rapport aux besoins : l'aide aux agroéquipements a été victime de son succès dès son lancement, près de 60 millions de demandes ayant été reçues pour une enveloppe trois fois moindre. De même, la disposition de structuration des filières a déjà été consommée aux trois quarts à la date d'aujourd'hui.

Proposition n° 2 (État) : envisager une redéfinition de l'enveloppe allouée dans le plan de relance au « plan Protéines », en recherchant les complémentarités avec les élevages, notamment au travers de la souveraineté protéique de l'alimentation animale, et accompagner le déploiement de ce plan par un soutien technique d'ampleur aux acteurs économiques par FranceAgrimer.

En parallèle, le corollaire d'une plus grande souveraineté alimentaire française est la capacité de la France, grâce à son climat tempéré, à exister sur toutes les filières plébiscitées par les consommateurs français, en entretenant la diversité de ses cultures.

Cette diversité, outre une plus grande résilience des modèles agricoles et une meilleure couverture de la demande française , a en outre des intérêts environnementaux majeurs renforçant la durabilité de ces pratiques.

La France a de sérieux atouts en la matière grâce à sa filière génétique d'excellence mais aussi par des pratiques agricoles très diversifiées .

« Cette carte résume la grande diversité des spécialisations agricoles : la grande culture dans la moitié Nord de la France et dans les grandes vallées, l'élevage laitier en Bretagne et dans les montagnes, la production de viande dans le centre, les fruits et la vigne au bord de la Méditerranée et dans quelques régions de vignoble de qualité. À ce portrait bien marqué, s'ajoutent des différences portant sur les autres spécialisations dans chaque département. La carte des orientations secondaires montre que si la monoculture domine dans certains espaces (comme la vigne dans le Bordelais ou les céréales dans la Beauce), ce n'est pas le cas partout. L'Ouest, d'une part, et une grande moitié sud-est du pays (hors littoral méditerranéen), d'autre part, se caractérisent par des associations entre agriculture et élevage ou de deux types d'élevage. Comme la somme de la première et de la seconde orientation sont souvent loin du total, on peut déduire que la diversité des pratiques reste très marquée dans une bonne partie du pays »

Source : ImpaCtons !, CNDP

Proposition n° 3 (État) : renforcer l'objectif de diversité des cultures dans le programme national pour l'alimentation pour renforcer la richesse agronomique et la biodiversité cultivée et élevée en France, en priorité pour les cultures pour lesquelles la consommation alimentaire est majoritairement assurée par des produits importés, notamment en raison d'un défaut de compétitivité suffisante (fruits et légumes, protéines végétales...).

(2) Faire de la promotion du Made in France en restauration hors foyer la priorité numéro un

La restauration hors foyer constitue, aujourd'hui, une véritable « boîte noire » par laquelle transite un volume important de denrées alimentaires venant des pays tiers.

Pourtant, elle représente près de 7,3 milliards de repas par an , à moitié dans la restauration collective, elle-même répartie à 60 % en régie directe et 40 % en restauration concédée) et à moitié dans la restauration commerciale (à 50 % dans les chaînes de restauration commerciale et à 50 % dans la restauration indépendante). 28 ( * )

En valeur, selon les données du CGAAER 29 ( * ) , le marché représente sans doute 50 milliards d'euros de chiffres d'affaires , assurant un débouché pour 18 milliards d'euros d'achats alimentaires hors boissons 30 ( * ) .

En volume, cela pourrait représenter, toujours selon la même étude, 280 000 tonnes de viandes de boucherie, 178 000 tonnes de viandes de volailles ou de lapin, 100 000 tonnes de charcuterie, 800 000 tonnes de produits laitiers et 600 000 tonnes de fruits et légumes.

Or, les données existantes sur le sujet montrent qu'une part importante des aliments qui y sont servis provient de pays tiers.

Ainsi, 57 % de la viande bovine importée va en RHD (20 % au total en France), ce qui se traduit par une présence majoritaire de viandes bovines importées en restauration hors domicile 31 ( * ) . Même si l'on assiste à une forme de « renationalisation » des approvisionnements dans la restauration hors foyer depuis 2015, notamment grâce à une mobilisation plus importante des collectivités territoriales et la premiumisation des burgers en restauration commerciale, ce taux reste encore bien trop élevé , le plus souvent dans la plus totale ignorance du consommateur.

Les taux sont encore plus importants pour la viande de volaille, ce taux étant supérieur à 60 % pour la viande de volaille consommée en RHF et de plus de 80 % pour le poulet 32 ( * ) .

La loi Egalim a créé un article L. 230-5-1 du code rural et de la pêche maritime afin de fixer un objectif de 50 % d'achats de produits répondant à des critères de qualité, dont 20 % de produits bio dans la restauration collective publique.

Cet objectif est de nature, d'une part, à favoriser une alimentation de qualité dans la restauration collective, compte tenu des enjeux sociaux et éducatifs que ces repas revêtent pour nombre d'écoliers et, d'autre part, à permettre, mécaniquement, une limitation du poids des produits importés en privilégiant certains produits français, ceux sous signes de qualité et de l'origine ou sous certification environnementale par exemple.

Toutefois la disposition présente plusieurs fragilités.

Tout d'abord, elle ne s'applique qu'à la restauration collective publique , et met ainsi de côté la restauration collective privée, qui représente pourtant un débouché supplémentaire de 10 % , moins concernée par les contraintes de prix que la restauration scolaire ou hospitalière par exemple.

En outre, à l'exception de la catégorie des produits acquis selon des modalités prenant en compte les coûts imputés aux externalités environnementales liées au produit pendant son cycle de vie, contestée en pratique dans la mesure où elle n'exclut pas des produits importés d'une région lointaine, il n'existe pas, à ce stade, une valorisation suffisante des produits locaux dans les critères « à privilégier » par la restauration collective.

Le II du même article prévoit simplement que les personnes morales de droit public concernées développent « par ailleurs [...] l'acquisition de produits dans la cadre des projets alimentaires territoriaux ».

Malgré l'intérêt manifeste d'une telle disposition, le droit européen semble s'opposer à la mise en place d'un critère d'approvisionnement local dans la restauration collective publique, notamment au regard du principe européen de non-discrimination.

Pour surmonter ces difficultés, le Sénat avait alors proposé, lors des débats de la loi Egalim, de s'organiser au plus vite territorialement afin de permettre à des filières locales de répondre aux objectifs fixés par la loi Egalim et de reconquérir ainsi l'assiette des consommateurs de la restauration collective. L'objectif était d'avancer dans la structuration de filières locales pouvant s'engager dans des démarches de certification éligibles, notamment la certification environnementale de niveau 2 .

Cette organisation territoriale devait reposer sur une instance de concertation pour la mise en oeuvre au niveau régional du programme national pour l'alimentation, dénommée comité régional pour l'alimentation et présidée par le représentant de l'État dans la région (Cralim) 33 ( * ) .

À terme, seule une adaptation des règles en place , dans le respect du droit européen de la commande publique, ainsi qu'une meilleure formation des gestionnaires, sont de nature à permettre une meilleure valorisation de solutions locales dans la restauration collective.

Enfin, la dernière fragilité du dispositif réside dans un manque d'adéquation avec l'offre agricole . En fixant des seuils élevés pour une liste étroite de produits issus d'exploitations françaises, le risque serait de promouvoir, en retour, le recours à des produits importés . Par exemple, retenir un critère de 20 % de produits bio dans la restauration collective pourrait être contre-productif tant qu'il n'est pas assorti d'un critère géographique, du moins tant que la surface agricole utile de l'agriculture biologique française demeure inférieure à 10 % et que ces produits restent mieux valorisés dans la vente directe auprès du consommateur.

À cet égard, alors que les approvisionnements bio progressent mécaniquement en restauration collective, l'Agence Bio a noté un recul de la part des produits bio nationaux en 2019 par rapport à 2018, traduisant la mise en oeuvre d'un point de fuite avantageant, au moins temporairement, les importations 34 ( * ) .

C'est pourquoi il apparaît essentiel non de revenir sur les critères établis par la loi Egalim pour les réduire mais bien plutôt les élargir à d'autres produits qui pourraient, en enrichissant l'approvisionnement de la restauration collective, rendre l'alimentation qui y est proposée plus durable et plus locale.

Proposition n  4 (État, collectivités) : faire de la reconquête par des produits français des approvisionnements en restauration collective une priorité en :

- promouvant une évolution des règles en vigueur au niveau européen, en accord avec nos partenaires, et au niveau national, afin de favoriser des approvisionnements issus de produits locaux , par exemple en limitant cette faculté à un montant total des produits frais concernés par le marché ;

- étendant à la restauration collective privée les obligations créées pour la restauration collective publique en application de la loi EGALIM ;

- élargissant la liste des produits à privilégier dans la restauration collective à d'autres produits répondant à des critères locaux ou de durabilité.

Dans la restauration commerciale, l'enjeu réside plutôt dans une prise de conscience par le consommateur de la part de produits importés qu'il y consomme.

À cette fin, il importe de renforcer les règles en matière de transparence concernant l'origine de la matière première utilisée dans la restauration commerciale.

Le décret n° 2002-1465 a rendu obligatoire l'indication de l'origine des viandes bovines servies en restauration. Toutefois, cette obligation ne s'applique qu'aux viandes en morceaux et non aux préparations de viande.

Surtout, cette obligation ne s'applique pas pour les viandes porcine, ovine, caprine ou de volaille.

La loi n° 2020-699 du 10 juin 2020 relative à la transparence de l'information sur les produits agricoles et alimentaires a créé un article L. 412-9 du code de la consommation afin de prévoir l'indication du pays d'origine ou du lieu de provenance pour tous les plats contenant des morceaux de viandes bovines, porcines, ovines, caprines ou de volailles ainsi que la viande bovine hachée.

Un décret doit préciser les modalités d'application de cette obligation mais il n'a, à ce stade, pas été pris par le Gouvernement.

Proposition n° 5 (État) : rendre applicable l'article L. 412-9 du code de la consommation imposant la transparence sur l'origine des denrées alimentaires dans la restauration collective et commerciale en imposant un affichage de l'origine des viandes, dans un endroit visible du restaurant ou sur les cartes au format numérisé des restaurants.

(3) Renouer avec l'impératif de compétitivité

La première clé de la réussite pour reconquérir notre souveraineté alimentaire consiste, déjà, à ne plus perdre de terrain face aux pays étrangers.

En la matière, si la France veut demeurer présente sur toutes les gammes, il convient de réhabiliter un mot trop souvent mis de côté ces dernières années lors des débats agricoles : celui de compétitivité.

Le rapport de l'APCA de janvier 2021 intitulé « la compétitivité du secteur agricole et alimentaire » a fait le point, pour plusieurs filières, sur cette question :

Ø Si la filière blé française demeure compétitive, sans doute la deuxième plus compétitive du monde derrière la Russie, ce qui se traduit par les chiffres à l'exportation chaque année, c'est en raison de « conditions agro-climatiques très favorables, d'un environnement politique et réglementaire stable et d'une orientation des aides PAC favorable à la filière céréalière », ainsi qu'une « proximité géographique de l'hexagone avec ses clients », combinée à des « infrastructures de transport performantes », bien qu'elles soient améliorables. Toutefois, la filière a des faiblesses structurelles comme « la fiscalité et le poids plus élevé des charges fixes par rapport à ses concurrents . ». Cette fragilité pourrait venir remettre en cause l'orientation de la politique céréalières française à terme car « en matière de coûts de production, si le blé français se positionne à niveau égal et même légèrement inférieur au blé américain, le différentiel avec le blé de la Mer Noire peut atteindre un écart abyssal de 60 €/tonne ». Si un tel écart venait à perdurer, l'érosion des parts de marché françaises sera inéluctable.

Ø La filière carnée est évidemment la plus fragile , notamment au niveau européen. La concurrence allemande s'explique, principalement, par le recours massif à une main d'oeuvre étrangère des pays de l'Est dans les abattoirs. L'IDELE estime le taux moyen de 60 % de main d'oeuvre étrangère dans les principaux abattoirs allemands, le plus souvent logée dans des conditions peu enviables, ce qui a favorisé la création de cluster en Allemagne dans les abattoirs. Avec un coût horaire évalué de 5 à 7 € de l'heure au début des années 2010 (aujourd'hui, à 9,35 €), l'APCA estime le gain pour la filière allemande par rapport à la filière française à 9 centimes d'euro par kilogramme équivalent carcasse pour la viande bovine et à 5 centimes d'euro par kilogramme pour la viande porcine. Il en va de même en Pologne, où le SMIC brut polonais est de 431 €, loin des niveaux français. En outre, la structure de leur élevage, davantage intensif, loin du modèle familial français, et majoritairement composé de vaches laitières, bien orientée pour répondre à la demande croissante de viande hachée dans les pays européens, leur offre un avantage compétitif très fort. Si la France dispose du cheptel européen le plus diversifié en termes de races, ce qui est garant de la protection d'une biodiversité cultivée sans doute la plus riche du monde, ce modèle pourrait être menacé par la perte des parts de marché vis-à-vis des voisins européens.

Ce tableau appelle à un grand plan en faveur de la compétitivité de notre industrie agroalimentaire , ce qui permettrait, par des outils de politique publique de baisses de charges ou de réduction de fiscalité sur les impôts de production, de retrouver des parts de marché tout en valorisant le savoir-faire français en matière de produits de qualité.

Concernant l'amont agricole, si les producteurs nationaux demeurent compétitifs, notamment grâce à un faible coût du foncier selon le même rapport de l'APCA, plusieurs fragilités ont pu être décelées :

Ø dans les céréales , un poids relatif des investissements élevé ainsi qu'un surcoût de charge dans les domaines des engrais et des phytosanitaires ;

Ø en arboriculture , des charges de main d'oeuvre très fortes, qui ne compensent pas une productivité du travail relativement élevée ;

Ø dans la filière laitière , les différentiels de compétitivité proviennent avant tout d'un relatif déficit de productivité, dû au choix d'un modèle d'élevage extensif et familial qu'il convient de préserver compte tenu de ses externalités positives ;

Ø les économistes de l'APCA estiment enfin que la marge de progression en matière de compétitivité pour la filière « bovins allaitants » réside dans une optimisation des logiques d'investissement.

Ce bref panorama, étayé par une étude récente, démontre que des marges de manoeuvre existent pour reconquérir des parts de marché perdues dans certains secteurs, notamment en restauration collective.

Proposition n° 6 (État) : se saisir du sujet de la compétitivité de la Ferme France en réduisant les charges de production de l'amont agricole et de l'industrie agro-alimentaire.

Plus généralement, le législateur comme le pouvoir réglementaire doivent garder à l'esprit cet impératif de compétitivité : à chaque norme franco-française imposée aux agriculteurs nationaux succède un flux supplémentaire de denrées importées de pays européens ou de pays tiers qui circulent librement dans le marché unique, sans aucune garantie que ces produits, qui seront consommés par les ménages français, respecteront les normes justement imposées en France.

Le groupe de travail ne s'oppose pas, loin de là, à toute évolution des pratiques agricoles, mais il plaide pour les pousser au niveau européen afin d'en limiter les distorsions de concurrence pour l'agriculture française.

En matière de traitements par exemple, à défaut d'une mesure harmonisée sur le continent, le bilan environnemental d'une surtransposition serait au mieux nul, se traduisant par des importations accrues de denrées alimentaires traitées à la même substance faisant l'objet d'une interdiction en France, sans doute pire, en ajoutant à ce phénomène de non réduction des quantités épandues une distance plus grande parcourue par les aliments.

Proposition n° 7 (État) : porter un discours d'harmonisation des conditions culturales en Europe , au plus haut niveau d'exigence en matière d'environnement et de sécurité sanitaire, et éviter, par principe, les surtranspositions françaises entraînant des distorsions de concurrence ne résultant qu'en une importation accrue de produits pour lesquels sont maintenues les pratiques dénoncées tout en fragilisant les agriculteurs français.

(4) Répondre à la demande accrue pour des produits locaux en favorisant une meilleure structuration des filières

L'intérêt des consommateurs pour les produits locaux est régulièrement exprimé dans divers sondages.

La production agricole doit répondre à cette demande, qui, selon le CGAAER 35 ( * ) , permettrait une reterritorialisation de l'alimentation et le rétablissement du lien entre les producteurs et les consommateurs et une stabilisation des revenus des producteurs impliqués, sans les améliorer néanmoins, sans toutefois que le bilan en matière de qualités nutritionnelles ou d'environnement soit directement corrélé à la localisation des produits.

À ce stade, du côté de l'amont agricole, une exploitation sur cinq commercialisait une partie de sa production en circuit court en 2010 36 ( * ) , certaines filières (fromages de chèvres, fruits et légumes, miel) ayant un recours accru à ce circuit que d'autres (produits laitiers, viande bovine, céréales). Enfin, en 2018, les exploitations concentrées sur la commercialisation en vente directe représentaient environ 6 % des exploitations 37 ( * ) .

Il ne convient pas de plaider pour un « tout » circuits courts ou un approvisionnement local intégral . Au contraire, une étude récente 38 ( * ) a souligné l'importance de la complémentarité des modèles d'approvisionnement. Les auteurs estiment, à cet égard, que les chaînes locales sont meilleures que les chaînes globales sur certains critères de « résilience », de « bien-être animal » et de « territorialité », tout en étant moins performantes sur les critères de « sécurité sanitaire » et d'« accessibilité ». Pour eux, il existe des interactions positives entre les chaînes courtes ou les chaînes longues qui incitent à ne pas opposer le développement des différentes chaînes de valeur.

Au reste, si aujourd'hui la préférence pour les produits locaux est régulièrement exprimée par les citoyens, elle se traduit de manière croissante mais sans doute plus lente dans les chiffres de la consommation .

En tout état de cause, le mouvement existe et mériterait d'être accompagné , d'autant qu'il permet de remettre la question de l'origine de l'alimentation au coeur de l'acte d'achat, permettant une lutte efficace contre l'importation de produits alimentaires ayant une empreinte environnementale défavorable.

Le premier obstacle à la connaissance de cet engouement pour les produits locaux réside dans le fait qu' il n'existe pas, à ce stade, une définition partagée , rendant difficile toute évaluation statistique de leur place dans la consommation des ménages.

Les circuits courts seraient, eux, déterminés par « un mode de commercialisation des produits agricoles qui s'exerce soit par la vente directe du producteur au consommateur, soit par la vente indirecte, à condition qu'il n'y ait qu'un seul intermédiaire entre l'exploitant et le consommateur 39 ( * ) ».

Si l'objectif est de réduire la distance géographique entre le consommateur et le producteur, ce critère est très subjectif et varie selon les acceptions.

Aux États-Unis par exemple, l'US Farm Act de 2008 estime qu'un aliment est considéré comme local s'il est produit à moins de 640 kilomètres 40 ( * ) .

Dans leurs approvisionnements, les collectivités locales retiennent des distances variables comprises entre 50 kilomètres 41 ( * ) et 250 kilomètres 42 ( * ) , adaptant sans doute celles-ci en fonction de leurs besoins. Toutefois, en général, le périmètre régional ou départemental est le plus souvent retenu dans les initiatives des collectivités locales correspondantes, ces dernières ajoutant, en général, des territoires adjacents.

La notion de produit local peut aussi s'apprécier à l'échelle nationale (par opposition aux produits importés) ou à une échelle infrarégionale , valorisant alors des terroirs, à l'image de certaines appellations d'origine contrôlées ou d'indications géographiques protégées.

Au total, Yuna Chiffoleau , chercheure à l'Inrae, estime qu'il existe plus « d'une vingtaine de circuits courts différents » 43 ( * ) .

En tout état de cause, compte tenu du probable mouvement d'ampleur en la matière, il importe de mieux cerner la notion de produits locaux afin d'éviter certains étiquetages ou pratiques trompeuses. Si le fait d'apposer la mention « produit local » sur une denrée alimentaire non produite à proximité du lieu de vente constitue une intention claire de tromper, aux yeux de la DGCCRF, il importe d'éviter toute ambiguïté dans ces appréciations au cas par cas en entamant une réflexion globale sur la notion de produit local.

Proposition n° 8 (État) : protéger de toutes pratiques trompeuses les produits locaux en proposant une meilleure définition de ces derniers, ce qui accompagnera leur essor.

b) Renforcer la résilience globale de notre modèle agricole face à trois enjeux : la déprise agricole à l'heure du renouvellement des générations, le manque de revenus pour nos agriculteurs et le changement climatique

La durabilité de notre modèle alimentaire dépend également de la résilience de notre amont agricole . Même si ce credo constitue un truisme, il est essentiel de le garder à l'esprit : sans agriculture française, le bilan environnemental de notre alimentation sera nul.

Or la résilience de notre agriculture est soumise à de grands défis qui pourraient, à terme, menacer notre capacité productive et remettre ainsi en cause à la fois notre souveraineté alimentaire et la force de notre modèle alimentaire.

Le premier d'entre eux est le défi économique , question abordée généralement par le biais de la problématique du revenu agricole.

Loin d'être un enjeu purement microéconomique, il embrasse aujourd'hui des questions plus fondamentales en matière de renouvellement des générations ou de bien-être des agriculteurs 44 ( * ) .

Pour relever ce défi, il importe de l'aborder de manière globale, et non en découpant les sujets.

L'excédent brut d'exploitation (EBE) de la branche agricole est composé à 37 % de la consommation alimentaire des ménages, à 27 % des fruits de l'exportation, à 30 % par les subventions, et à 7 % par la demande en produits non alimentaires (énergie par exemple) ou en services (notamment les travaux agricoles) 45 ( * ) .

Pour relever le revenu agricole, il importe donc d'agir sur tous les leviers, sources de recettes, mais également sur l'ensemble des charges , un revenu dépendant également de cet aspect.

Proposition n° 9 (État) : actionner tous les leviers disponibles pour relever le revenu agricole en :

- révisant le cadre régentant les relations commerciales entre la grande distribution et l'amont agricole et agroalimentaire, en révisant en profondeur les mécanismes de la loi Egalim ;

- s'opposant à toute déconstruction de la politique agricole commune , tant au niveau européen en luttant contre la renationalisation de la PAC qui entraînerait de nouvelles distorsions de concurrence qu'au niveau national, en réduisant substantiellement les aides aux filières en difficulté ;

- menant une politique conquérante de parts de marché à l'export en remettant la compétitivité prix et hors prix au coeur des préoccupations des politiques agricoles nationales et en replaçant l'agriculture au coeur des négociations avec nos partenaires commerciaux ;

- développant les diversifications de revenu (ventes directes, revenus tirés d'activités non agricoles...) ;

- menant une politique de baisse des charges des exploitations agricoles.

Le second facteur mettant en péril la résilience de notre modèle agricole est la fragilité des exploitations face aux effets induits par le changement climatique.

Depuis le XX ème siècle, les phénomènes climatiques extrêmes se multiplient, ayant des conséquences importantes sur les cultures agricoles.

Le phénomène le plus documenté est la recrudescence de la fréquence et de l'intensité des sécheresses . Depuis 2015, au moins une région française a connu une grande vague de chaleur. En outre, la surface française touchée par les vagues de sécheresse est de plus en plus importante, étant presque deux fois plus touchée que dans les années 1970 : si elle était de 7,5 % dans les années 1970, elle est aujourd'hui presque de 15 %.

Meteofrance comme le BRGM estiment que, toutes choses égales par ailleurs, « les conditions normales attendues entre 2071 et 2100 correspondraient au record de sécheresse que nous avons connu jusqu'ici » et qu' « une sécheresse comme celle de 2003 ayant généré de nombreux sinistres liés au retrait des argiles, qui était rare à l'époque, pourrait devenir extrêmement fréquente avant la fin du XXI e siècle . Une période de retour de 3 ans pour ce type de sécheresse estivale est envisageable 46 ( * ) ».

Pourcentage annuel de la surface touchée par la sécheresse
France métropolitaine

En parallèle, la fréquence et l'intensité des précipitations extrêmes ont également augmenté , les pluies extrêmes ou les tempêtes de grêle engendrant des dégâts importants de cultures. Le rapport de la mission d'information sur les risques climatiques estime qu'« une augmentation significative des pluies extrêmes a été identifiée dans le sud-est de la France, d'environ 20 % depuis le milieu du XXe siècle, particulièrement dans les Cévennes où les cumuls journaliers sont les plus considérables 47 ( * ) ».

Enfin, les épisodes de gel , notamment durant les périodes de floraison, mettent à mal, selon les dates d'apparition de tels phénomènes, les cultures viticoles, arboricoles, maraîchères voire betteravières. Les premières estimations des dégâts causés par le gel ayant frappé de nombreux départements agricoles français au mois d'avril avoisinent les 4 milliards d'euros : si de tels phénomènes venaient à être récurrents, aucune exploitation agricole ne pourrait avoir une viabilité économique suffisante pour garantir sa pérennité.

Le régime actuel permettant aux agriculteurs de se prémunir des effets économiques des calamités agricoles repose sur trois dispositifs :

- un contrat d'assurance multirisque climatique , souscrit par les exploitants avec un soutien financier par les crédits du FEADER 48 ( * ) , qui couvre environ 30 % de la surface agricole française 49 ( * ) , contrat semblant à ce stade plus adapté à certaines cultures qu'à d'autres qui restent en retrait en raison du coût prohibitif du contrat, comme c'est le cas pour l'arboriculture par exemple ;

- une intervention du fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) pour les cultures non assurables (excluant les grandes cultures et la viticulture), financé à hauteur de 60 millions d'euros par an par une cotisation payée par les agriculteurs ;

- une intervention du fonds de mutualisation des risques sanitaires et environnementaux (FMSE) .

S'agissant uniquement des dépenses d'indemnisation engagées ces dernières années par le FNGRA, elles ont tendanciellement augmenté par rapport aux dernières années pour atteindre 135 M€ en 2016, 47 M€ en 2017, 182 M€ en 2018 et 155 M€ en 2019 , l'État venant compenser par le budget général les crédits manquants. Cette augmentation des crédits budgétaires alloués pour indemniser les pertes de production dues aux calamités agricoles des exploitants démontre l'ex position forte des agriculteurs au changement climatique ainsi que la nécessité de mieux les en prémunir.

Cette ambition passe par une incitation à davantage de prévention , pour limiter les effets maîtrisables, ce qui passe par une attention particulière aux progrès techniques en matière de dispositifs préventifs (filets paragrêles par exemple) ainsi que par une meilleure optimisation de la gestion des eaux.

Elle passe aussi par une meilleure indemnisation des exploitants afin de réduire les effets économiques des risques non maîtrisables, par un mécanisme gradué intégrant une part assurantielle à la charge de l'exploitant, dans la limite d'un coût raisonnable et à la condition d'une indemnisation efficace, ainsi qu'une part financée par la solidarité nationale pour couvrir les risques exceptionnels.

Proposition n° 10 (État) : renforcer la résilience des exploitations agricoles face au changement climatique en érigeant un modèle basé sur deux piliers :

- une plus grande prévention pour limiter l'exposition, en s'appuyant sur le progrès technique et une meilleure gestion des eaux ;

- une meilleure couverture financière par un système fondé sur un mécanisme assurantiel à la charge des exploitants pour les risques maîtrisables et un dispositif de solidarité garanti par l'État via le fonds national de gestion des risques en agriculture pour les risques exceptionnels.

Enfin, le troisième défi à relever pour renforcer la résilience du modèle agricole est celui du renouvellement des générations .

Le phénomène n'est certes pas nouveau : l'agriculture et l'alimentation représentaient près de 12 % de l'emploi total en 1980 contre 5,5 % aujourd'hui.

Toutefois, il ne se réduit pas ces dernières années et pourrait même s'accélérer en raison de la pyramide des âges, exposant l'agriculture française au défi d'un « papy-boom ».

Le nombre d'exploitants en France se réduit progressivement d'année en année : de 2010 à 2016, celui-ci s'est réduit de 1,1 % par an. Ce phénomène se matérialise par davantage de départs que d'installations, le taux de couverture des remplacements des chefs d'exploitations insuffisant : un agriculteur sur trois partant à la retraite n'est pas remplacé 50 ( * ) .

Les prochaines années sont alors décisives puisqu'un tiers des agriculteurs ont plus de 55 ans aujourd'hui et partiront à la retraite dans moins de dix ans.

Dès lors, si le taux de remplacement des exploitants à la retraite demeurait stable, la France perdrait un neuvième de ses agriculteurs en dix ans, soit une perte sèche de 50 000 agriculteurs.

Aucun gain de productivité ne permettra de compenser une telle réduction du nombre d'exploitants, ce qui entraînera, mécaniquement, une baisse de la production agricole française et, partant, une moindre couverture de l'alimentation des Français par des productions locales, aggravant alors le bilan environnemental alimentaire des ménages.

C'est pourquoi le soutien à l'installation de nouveaux agriculteurs est un impératif stratégique en matière de durabilité de notre modèle alimentaire, l'enjeu étant de faciliter les mécanismes d'installation des jeunes agriculteurs en leur favorisant l'accès au foncier, tout en garantissant un niveau de transmission suffisant aux personnes cessant leur activité, dans la mesure où cette transmission représente une grande partie de la retraite de nombre d'exploitants.

Proposition n° 11 (État) : avancer sur le chemin d'une évolution du cadre légal pour mieux inciter la transmission des exploitations à de jeunes agriculteurs.

2. Faire émerger des politiques alimentaires territoriales, apportant un complément essentiel et adapté à la politique alimentaire nationale
a) Mieux connaître les besoins alimentaires locaux et leurs spécificités

Plusieurs chercheurs et professionnels rencontrés par le groupe de travail ont relevé un manque de données disponibles sur le système alimentaire français et en particulier sur la filière biologique.

Pour ces acteurs, le manque de connaissances sur les flux des produits alimentaires , depuis les lieux de production vers les lieux de consommation , nuit à la définition d'une politique de l'alimentation ambitieuse et programmatique.

Dite autrement, faute de données, aucun pilotage fin d'une politique alimentaire territoriale n'est possible.

Si la production de données au niveau de l'amont agricole est foisonnante, notamment par le biais des services de FranceAgrimer, qui permet de connaître l'ensemble des quantités produites territorialement pour chaque denrée, les données sur la consommation locale sont très lacunaires, alors même qu'elles existent, notamment par les relevés de caisses des distributeurs. Par conséquent, il est en pratique difficile d'optimiser l'appariement entre production locale et consommation alimentaire locale.

Proposition n° 12 (État) : renforcer la transparence nationale et locale sur les circuits alimentaires en tenant à la disposition de l'ensemble des acteurs publics les données locales et une cartographie sur les flux locaux des produits agricoles à l'import, à l'export et destinés au marché domestique et en donnant la possibilité aux collectivités territoriales d'imposer la transmission d'informations utiles pour la définition de leur politique alimentaire, sous réserve du respect du secret des affaires.

b) Confier aux collectivités territoriales le pilotage d'une vraie politique alimentaire locale

De l'avis de l'ensemble des acteurs et organismes consultés par le groupe de travail, la dimension territoriale de notre politique alimentaire gagnerait à être renforcée à travers une meilleure association des collectivités territoriales à sa mise en oeuvre et par un recours accru à des leviers existants et facilement mobilisables (projets alimentaires territoriaux, commande publique, etc.).

À l'heure actuelle, la définition et la mise en oeuvre de la politique alimentaire reposent principalement sur le Gouvernement même si des initiatives récentes visant à renforcer l'association des collectivités territoriales ont été prises. En 2014, la « Déclaration de Rennes : pour des systèmes alimentaires territorialisés » de l'association des Régions de France avait d'ailleurs marqué cette préoccupation avec force.

Ainsi, la création des projets alimentaires territoriaux ( PAT ) en 2014 51 ( * ) , qui permettent d'associer les agriculteurs, les collectivités, l'État, les organismes d'appui et de recherche, la société civile, les acteurs de l'économie sociale et solidaire et les entreprises, coopératives de transformation, de distribution, de commercialisation autour de la définition d'une politique alimentaire locale, a enclenché une dynamique de « territorialisation » de notre politique alimentaire, qu'il convient de soutenir et de poursuivre .

À ce jour, il existerait plus de 200 PAT et 80 % des départements ont au moins un PAT accompagné par l'État 52 ( * ) . Par ailleurs, 65 PAT concernant, 48 départements, ont été sélectionnés en mars 2021 dans le cadre de l'appel à projets du programme national pour l'alimentation (PNA) 53 ( * ) .

Source : RN PAT.

Si les conseils régionaux sont en charge de la gestion et de la mobilisation des aides européennes en matière de développement agricole et rural et que les conseils départementaux interviennent désormais dans l'aide à la production, à la transformation et la commercialisation de produits agricoles de qualité, les rapporteurs considèrent que le processus pourrait aller plus loin.

Deux pistes complémentaires devraient donc être envisagées à ce jour : d'une part, la création d'une compétence « alimentation » pour une catégorie de collectivités territoriales à définir, qui pourrait ainsi devenir « autorités organisatrices de l'alimentation » (AOA) ; d'autre part, la structuration des projets alimentaires territoriaux dans une logique de maillage territorial et de « 0 zones blanches ».

Pour les rapporteurs, les PAT doivent assurer des fonctions de cohésion , économiques et environnementales . Ils attirent l'attention sur les points suivants :

- la nécessité pour les PAT de contribuer réellement à la structuration des filières locales de production, de transformation et de distribution , notamment en lien avec le redéploiement d'abattoirs de proximité et d'un maillage d'industries de transformation ;

- la nécessité de ne pas polariser le dispositif des PAT sur les seules métropoles , à peine d'aggraver nos fractures territoriales ;

- la nécessité, tout en laissant la main avant tout aux acteurs de terrain, de veiller à ne pas créer une mosaïque trop éclatée , une dispersion excessive des PAT et d'assurer la coordination des initiatives notamment pour ne pas laisser de « zones blanches » dans les territoires déjà en difficulté et d'associer l'ensemble des acteurs ;

- l'importance d'intégrer certains enjeux dans le cahier des charges des PAT (résilience alimentaire, compétitivité, transition agroenvironnementale, etc.).

Par ailleurs, compte tenu des recommandations et retours d'expériences issus de plusieurs rapports 54 ( * ) , les rapporteurs considèrent que les PAT devraient également comporter une déclinaison en termes de politique d'achat foncier , de planification territoriale, des objectifs en termes d'approvisionnements locaux , en produits frais et de qualité et prévoir la mise à disposition d'espaces, d'équipements et de compétences au bénéfice de l'ensemble des partenaires. Ces actions devront se fonder sur un diagnostic réellement partagé, mobiliser les acteurs intermédiaires de la chaîne alimentaire et être déclinées à court, moyen et long termes, avec un suivi et une évaluation de leur mise en oeuvre.

Proposition n° 13 (État ) : donner aux collectivités territoriales une véritable capacité d'action et des moyens pérennes pour structurer et soutenir les filières agricoles et les industries de transformation locales en :

- envisageant une réflexion visant à évaluer l'opportunité de confier aux collectivités territoriales le statut d'« autorités organisatrices de l'alimentation » (AOA), avec des modalités de dévolution de la compétence souples et adaptatives et, le cas échéant, en associant la nouvelle compétence créée d'une dotation annuelle spécifique de l'État aux collectivités concernées , avec une part variable associant des critères qualitatifs et quantitatifs sur le déploiement des projets alimentaires territoriaux locaux (PAT) ;

- créant une section dédiée aux PAT au sein du chapitre I er du titre I er du livre I er du code rural et de la pêche maritime qui permettrait notamment :

* d'ajouter explicitement dans leurs objectifs le renforcement de la résilience alimentaire et la contribution à l'autonomie alimentaire nationale ;

* d'introduire un rapport de compatibilité ou de prise en compte avec le plan régional de l'agriculture durable ( PRA ) et avec le programme national pour l'alimentation ( PNA ) ;

* de prévoir une meilleure coordination pour que les PAT couvrent au moins les établissements de restauration collective publique des collectivités territoriales et des établissements publics parties prenantes dès lors qu'ils sont portés par une collectivité ;

- de promouvoir, le cas échéant, le développement de l'agriculture urbaine et des jardins partagés ;

- fixant un objectif d'au moins 1 PAT/département d'ici fin 2022.

c) Les leviers à mobiliser pour permettre aux collectivités territoriales de jouer un rôle de premier plan dans notre politique alimentaire et la structuration des filières locales : les projets alimentaires territoriaux (PAT) et la restauration collective publique

Pour les rapporteurs, les PAT représentent une triple opportunité économique, environnementale et sociale pour :

- soutenir la compétitivité de notre agriculture locale et le renforcement des industries de transformation locales ;

- accompagner la transition agro-écologique dans nos territoires, par la relocalisation.

En 2021, un budget renforcé a été prévu pour le déploiement des projets alimentaires territoriaux (PAT), dans le cadre de l'appel à projets du plan national pour l'alimentation (PNA) à hauteur de 7,5 millions d'euros, dont 3 millions d'euros sont apportés par l'Ademe, 4,3 millions d'euros apportés par le ministère de l'agriculture et 200 000 euros apportés par le ministère de la Santé, soit au total quatre fois le montant prévu lors de la précédente édition. Le plan de relance prévoit également 77 millions d'euros de crédits dédiés à l'accompagnement des porteurs de PAT. Les rapporteurs saluent ces mesures et souhaitent que les crédits puissent être attribués rapidement.

En outre, pour les rapporteurs, sans aboutir à un cadre inutilement rigide, l'enjeu est aujourd'hui d'assurer à la fois une bonne appropriation de cet outil par les acteurs de terrain et une structuration et une coordination minimale. Cet objectif de structuration vise également à garantir la cohérence des actions des différents porteurs de projets et permettre surtout de trouver plus de synergies entre les besoins et les possibilités d'approvisionnement.

Proposition n° 14 (État et ses opérateurs) : soutenir le déploiement des PAT afin de valoriser l'agriculture dans sa diversité et sur tous les débouchés en :

- donnant des moyens renforcés au réseau national des PAT, qui pourrait évoluer vers un Observatoire national des projets alimentaires territoriaux (ONPAT) chargé d'assurer le suivi de leur déploiement et réalisation ;

- assurant un financement d'au moins 80 M€ par an pendant 5 années afin de donner une visibilité financière aux acteurs ;

- améliorant l'approche réglementaire pour la production et la transformation de produits de proximité et sur la ferme (ex. abattages de proximité) dans le plus strict respect des règles sanitaires en vigueur ;

- incluant le volet « autonomie alimentaire, transition et compétitivité agroécologiques » des PAT dans les futurs CRTE conclus entre l'État et les métropoles, pour faciliter leur déclinaison entre métropoles et collectivités voisines partenaires.

En outre, les deux commissions soulignent que la commande publique pourrait davantage être mise au service de la valorisation des productions françaises , comme elle a pu l'être durant la crise sanitaire. D'ailleurs, si les ordonnances prises par le Gouvernement ont contribué à sécuriser ces initiatives, elles n'ont pas permis l'ajout d'un critère d'origine qui aurait été fort utile pour soutenir des productions locales pour une durée limitée, notamment dans le cadre de marchés de gré à gré.

Parmi les obstacles au développement de l'approvisionnement local recensé par la mission CGAER sur Les produits locaux , figurent :

- le souhait d'une maîtrise sanitaire optimale pour le donneur d'ordre ;

- l'intervention d'un assistant à maîtrise d'ouvrage dont la logique première tend généralement à limiter les coûts d'approvisionnement ;

- une difficulté à suivre les prescriptions nutritionnelles pour la restauration collective compte tenu d'une fluctuation potentielle des approvisionnements locaux.

A minima , l'accompagnement et les formations à destination des acheteurs publics doivent être renforcées pour leur permettre de mieux utiliser les circuits courts et de valoriser les caractéristiques des produits recherchés dans la rédaction des marchés.

Le projet de loi climat et résilience comporte également des dispositions qui permettront d'insister sur ces enjeux auprès du Gouvernement lors de l'examen parlementaire, notamment l'article 15 bis qui prévoit des dispositions dérogatoires en matière de marchés publics en raison du contexte sanitaire et une demande de rapport pour renforcer la formation des acheteurs publics en matière alimentaire.

Plus spécifiquement, la mission CGAER relevait que les conseils départementaux ne disposent pas de l'ensemble des leviers nécessaires pour garantir la cohérence de la politique d'approvisionnement de la restauration collective. Aussi, les rapporteurs soutiennent le transfert des compétences de gestion et d'intendance de la restauration collective dans les collèges et lycées vers les conseils départementaux et régionaux .

Au-delà, il apparaît primordial d'enclencher une négociation européenne pour faciliter la possibilité de confier une partie des lots sous critère géographique . Le CGAER proposait par exemple de porter au niveau européen l'objectif de pouvoir faire référence à une origine ou à une provenance déterminée dans un marché public dans la limite de 30 % du montant des produits frais alimentaires du marché en cause.

L'introduction de clauses environnementales plus strictes pourrait également être envisagée, dès lors qu'un affichage environnemental aura été généralisé à l'échelle de l'Union européenne et permettra de disposer d'un socle technique harmonisé sur la prise en compte des externalités environnementales et du cycle de vie de l'ensemble des produits achetés par les personnes publiques.

Par ailleurs, le CAGER, à la suite des élus et d'autres acteurs, préconise également de permettre aux produits agricoles et alimentaires acquis dans le cadre d'un projet alimentaire territorial de satisfaire aux objectifs d'approvisionnements prévus par l'article L. 230-5-1 du code rural et de la pêche maritime, issu de l'article 24 de la loi EGALIM. Le projet de loi climat et résilience modifie d'ailleurs cette disposition pour l'étendre à la restauration collective privée, ce qui constitue une accroche opportune pour acter cette évolution.

Proposition n° 15 (État ) : donner davantage de leviers d'action aux collectivités en :

- actant le transfert vers les conseils départementaux et régionaux de l'autorité sur les adjoints gestionnaires en charge de la restauration collective de l'État pour les collèges et les lycées ;

- envisageant une évolution du code des marchés publics pour renforcer la part des approvisionnements vertueux sur le plan environnemental, social, territorial ;

- envisageant de faire passer à 80 000 € HT le seuil de passation des marchés de gré à gré pour les approvisionnements en produits alimentaires ;

- accompagnant les acheteurs publics par des outils pratiques (guides, formations) et financiers , en pérennisant les mesures du plan de relance ;

- permettant aux produits agricoles et alimentaires acquis dans le cadre d'un projet alimentaire territorial (PAT) de satisfaire aux objectifs prévus par l'article L. 230-5-1 du code rural et de la pêche maritime.


* 28 Selon les données figurant dans l'étude du GIRA Foodservice (GFS) de 2016 pour FranceAgrimer

* 29 CGAAER, rapport n° 16060 de janvier 2017, Sociétés de restauration collective en gestion concédée, en restauration commerciale et approvisionnements de proximité

* 30 Panorama de la consommation alimentaire hors domicile 2018 Étude réalisée par GIRA Foodservice pour FranceAgriMer

* 31 IDELE, « Où va le boeuf ? », 2019

* 32 V. Chatellier, P. Magdelaine et Y. Trégaro, La compétitivité de la filière volaille de chair française : entre doutes et espoirs (INRA, 2015)

* 33 Créée à l'article L. 230-5-5 du code rural et de la pêche maritime, cette instance est chargée notamment de la concertation sur l'approvisionnement de la restauration collective pour faciliter l'atteinte des seuils de produits à privilégier par la restauration collective.

* 34 Agence bio, Étude n° 1900613, octobre 2019, Mesure de l'introduction des produits bio en restauration collective

* 35 CGAAER, rapport n° 20074 (2021), Les produits locaux

* 36 Date du dernier recensement agricole

* 37 Celles dont le chiffre d'affaires en vente directe pèse plus de 75 % de leur chiffre d'affaires total

* 38 Brunori, G., Galli F., Barjolle D., et al. 2016. Are Local Food Chains More Sustainable than Global Food Chains? Considerations for Assessment. Sustainability 8(5).

* 39 Groupe de travail « Barnier » de 2009 sur les circuits courts

* 40 En le ramenant à la superficie française, la distance équivaudrait à environ 42 kilomètres

* 41 Métropole de Lyon

* 42 Ville de Paris

* 43 Yuna Chiffoleau, Les circuits courts alimentaires, 2019

* 44 Le rapport d'information n° 451 (2020-2021) de M. Henri CABANEL et Mme Françoise FÉRAT, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 mars 2021, intitulé « Suicides en agriculture : mieux prévenir, identifier et accompagner les situations de détresse » estime par exemple la question du revenu « incontournable » dans l'appréhension de la détresse des agriculteurs

* 45 Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires rapport au Parlement 2020

* 46 Rapport n° 628 (2018-2019) de Mme Nicolas Bonnefoy, fait au nom de la mission d'information sur la gestion des risques climatiques, sur la gestion des risques climatiques et l'évolution de nos régimes d'indemnisation

* 47 Ibid.

* 48 Le droit européen, depuis l'adoption du règlement Omnibus de 2017, permettant aux États membres le souhaitant d'augmenter les crédits alloués à ce dispositif, notamment pour baisser le seuil de déclenchement des pertes de rendement, le Gouvernement français ayant fait le choix de ne pas activer cette possibilité

* 49 Sans prairies

* 50 Source : CNDP, ImPactons !

* 51 Article 39 de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. Les dispositions relatives aux PAT figurent désormais aux articles L. 1 et L. 111-2-2 du code rural et de la pêche maritime.

* 52 Source : MAA.

* 53 https://agriculture.gouv.fr/france-relance-65-nouveaux-projets-alimentaires-territoriaux-selectionnes .

* 54 Voir notamment le rapport de France Stratégie, Les PAT, un levier pour une transition écologique réussie, le cas de l'Albigeois, juillet 2020 et les rapport de l'Ademe.

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