H. REBOISER : FINANCER LA RECONSTITUTION DE FORÊTS PLUS RÉSILIENTES APRÈS L'INCENDIE

Lorsque la politique de prévention et de lutte n'a pas permis d'éviter un sinistre, vient l'étape cruciale de la reconstitution post-incendie, particulièrement délicate dans la mesure où elle exige à la fois une forte volonté politique et beaucoup d'humilité face à un milieu endommagé.

1. Une réhabilitation des terrains incendiés nécessitant en tout état de cause un financement public

Une fois le feu définitivement fixé et tout risque de reprise de feu exclu, la priorité est de sécuriser les surfaces brûlées, ce qui nécessite en règle générale des travaux de génie civil : remblaiement du terrain, le cas échéant fascinage pour lutter contre l'érosion, et en tout état de cause nettoyage des parcelles et évacuation des bois.

Cette première étape de réhabilitation est tout autant un enjeu de bonne conservation du site , en vue de faciliter la restauration de l'écosystème et la régénération naturelle, qu'un enjeu de sécurité des personnes , des glissements de terrain pouvant succéder rapidement à un incendie, en particulier à l'occasion d'orages d'été (cf. supra , partie I, sur les coûts écologiques).

Dans la forêt méditerranéenne non productive, cette étape suffit bien souvent à remettre les parcelles brûlées en l'état, celles-ci ne faisant qu'exceptionnellement l'objet d'un reboisement par l'homme . En effet plusieurs espèces ont des stratégies de reproduction qui intègrent l'incendie. Tel est en particulier le cas de plusieurs conifères et de l'eucalyptus qui répandent plus aisément leurs graines sous l'effet de la chaleur.

L'ONF rappelle en outre dans sa contribution qu'« il est très difficile de réussir des plantations derrière un incendie ; en général les processus de cicatrisation naturelle sont plus rapides et efficaces ». Pour le chercheur Michel Vennetier (INRAE) entendu par les rapporteurs, « des feux dans les milieux méditerranéens ont théoriquement un rôle d'ouverture des milieux pour permettre aux espèces cicatricielles d'après feux de se maintenir dans les paysages, et donc de reconquérir rapidement les milieux en protégeant le sol et en permettant le retour ultérieur des espèces plus sensibles et demandant du couvert ».

L'homme peut cependant accompagner la régénération naturelle, par des mesures passives de protection du site endommagé , de façon obligatoire ou facultative. Ainsi, le pâturage après incendie est prescrit pendant une durée de dix ans, renouvelable une fois par le préfet (article 131-4 du code forestier), les animaux pouvant sinon manger les graines et plants à même le sol. Dans des sites d'un intérêt particulier, des arrêtés de réglementation de l'accès aux massifs peuvent être pris par le préfet, comme cela a par exemple été le cas dans la réserve naturelle nationale de la Plaine des Maures après l'incendie de 2021 52 ( * ) .

Dans la mesure où la répétition plus fréquente d'incendies dans un même couloir de feu pourrait d'après les chercheurs de l'Inrae se traduire par « une dégradation irréversible du milieu » en raison d'un « déficit de milieux anciens fermés » (cf. supra ), causant la disparition progressive de végétation ligneuse haute au profit d'une végétation arbustive en friche, l'Homme pourrait être amené à se montrer plus interventionniste, avec une palette d'actions pouvant aller jusqu'au reboisement.

L'ONF indique à ce sujet que l'« on peut avoir besoin de faire des plantations dans certains contextes, mais [qu']il faut alors les faire avec beaucoup de soins sans lésiner sur l'investissement initial ».

D'après la DGPE, le prix moyen de la reconstitution forestière serait de 2 à 4 000 euros l'hectare, en comptabilisant les plants et les nécessaires travaux d'entretien ultérieurs (débroussaillage régulier des interlignes). En multipliant par 20 800 hectares de forêt brûlés, et en prenant l'hypothèse d'un taux de financement de l'État compris entre 60 et 80 %, on obtient des dépenses publiques autour de 50 millions d'euros (fourchette base de 25 M€, fourchette haute de 70 M€), rien que pour le reboisement autour de Landiras et de La Teste-de-Buch . Pour la forêt domaniale, départementale et communale, l'effort financier de l'État devra être encore plus important. Au total, cela représente la moitié du premier plan de relance en faveur du renouvellement forestier, à destination notamment des forêts scolytées.

À cet égard, les rapporteurs souhaitent insister sur la nécessité de débloquer des fonds supplémentaires, ce qui exclut le « recyclage budgétaire » des fonds affectés au renouvellement forestier des parcelles touchées par les scolytes, afin de ne pas « déshabiller les forêts dépérissantes pour habiller les forêts incendiées ».

Axe n° 8 - Recommandation n° 66 : Consacrer de nouveaux crédits dans le cadre du plan France 2030 à la reconstitution post-incendie.

2. Renforcer l'éco-conditionnalité pour des forêts plus résilientes

Le plan de relance en faveur du renouvellement forestier, d'un montant initial de 100 millions d'euros, imposait dans ses appels à projet certaines conditions, dont la gestion durable. Il semble possible de rehausser significativement ces exigences, en s'inspirant notamment des réglementations relatives aux matériels forestiers de reproduction (MFR).

Certaines des actions de lutte, comme les bandes pare-feu constituées en urgence, pour couper la continuité du couvert forestier combustible et servir de point d'appui aux forces de lutte, ont en fait constitué la première des actions de prévention. Or, d'après certains élus de Gironde entendus par la mission de contrôle, le reboisement suivant les tempêtes de 1999 et 2009 ont pu donner lieu à un certain relâchement dans le respect de l'interdiction de planter sur des zones pare-feu. Dans le cadre du reboisement, celles-ci devraient a minima être respectées, si ce n'est agrandies. En outre, une réflexion sur la densité des peuplements devrait être engagée. Ces aménagements sont absolument indispensables si une sylviculture en couvert continu souhaite se maintenir dans la région, compte tenu de l'intensification du risque incendie.

Un autre enjeu important réside dans le choix des essences plantées ou replantées dans les suites d'un incendie . Il convient de se montrer prudent car la recherche n'est pas tranchée sur ce sujet (cf. supra ). Le seul consensus porte sur la gestion des sous-étages, qui doivent être autant que possible entretenus pour éviter qu'un feu se propage.

Il convient en particulier de distinguer l'adaptation à la station forestière et à son évolution sous l'effet du changement climatique d'une part, de la résilience à l'incendie d'autre part. Ces deux dimensions peuvent entrer en contradiction. Le pin maritime reste l'essence la plus appropriée pour les sols et le climat landais, mais il n'est pas nécessairement le plus approprié pour limiter la propagation de l'incendie.

À titre d'exemple, les associations environnementales entendues par la mission ont alerté sur l'eucalyptus, essence connue pour être pyrophile, dominante en Australie et au Portugal. Encore très faiblement implantée en France, elle a certes une capacité de survie au feu importante reposant sur la propagation de ses graines par le feu (voir les résultats de l'outil d'aide à la décision Climessences ci-dessous) et semble adaptée à certaines stations forestières dans le sud de la France, mais contribue à propager l'incendie en cas de sinistre.

Fiche Climessences de l'eucalyptus

Source : Climessences

En situation d'incertitude, la meilleure assurance reste la diversification , tenant compte des contraintes propres à la station forestière, avec l'expérimentation de la plantation de feuillus sur le pourtour des parcelles ou de corridors de feuillus ou d'autres essences afin de créer une discontinuité par des essences à la combustion moins rapide (chêne liège par exemple) ou moins hautes (chêne vert, pin d'Alep) . Il faut bien mesurer toutefois que l'adaptation de ces essences relève de l'expérimentation et que son succès n'est pas garanti. C'est pourquoi, avant de se précipiter pour reboiser, il conviendra de réfléchir avant d'agir, de concerter et de faire dialoguer.

Axe n° 8 - Recommandation n° 67 : Conditionner plus strictement les crédits de l'État à un choix d'essences adaptées aux stations forestières et à leur évolution prévisible en raison du changement climatique, en expérimentant notamment des corridors d'essences feuillues et en maintenant des pare-feux.

3. Mobiliser aussi des fonds privés et l'outil assurantiel face à la montée des risques

Les rapporteurs de la mission souhaitent préciser au préalable que les faibles revenus que la forêt rapporte à ses propriétaires devraient en priorité être mobilisés pour sa gestion qui, en amont , doit prévenir la survenue d'un sinistre ou à tout le moins permettre d'en limiter les dégâts. C'est tout l'esprit de la cotisation aux associations syndicales autorisées DFCI, établie à l'initiative des acteurs privés dans le Sud-Ouest à la suite de l'incendie dévastateur de 1949.

Il est toutefois impossible de se prémunir entièrement du risque de feu de forêt (cf. supra ), a fortiori dans un contexte où ce risque va augmenter structurellement avec le changement climatique. Ainsi, il est indispensable de réfléchir à des modalités de financement en aval des sinistres éventuels, pour la réhabilitation et la reconstitution des forêts.

À cet égard, le mécénat privé , via le label bas carbone ou d'autres outils de partenariat public-privé, peut constituer ponctuellement une source de financement complémentaire intéressante. On peut citer par exemple l'action du fonds de dotation « Plantons pour l'avenir » situé en Gironde, ou du fonds « RESPIR » piloté par la région Sud, financé par le secteur privé dans le but de reboiser certaines parcelles et d'améliorer les peuplements. Il convient toutefois de s'assurer que le reboisement réalisé dans ce cadre respecte les savoir-faire sylvicoles, et tienne compte en particulier de l'impératif d'adaptation des essences au milieu. Les recommandations en matière de diversification des essences devraient de même être suivies autant que possible, sans quoi la pérennité de ces peuplements ne pourra être garantie.

L'assurance contre le risque incendie offre aux propriétaires forestiers privés une solution de financement plus certaine car moins ponctuelle.

Malgré une augmentation des surfaces couvertes sur les vingt dernières années, l'assurance contre le risque incendie reste à ce jour insuffisamment diffusée en France. Trois acteurs se partagent le marché - XLB-Pacifica (Crédit agricole), Groupama et Sylvassur (acteur lancé par Fransylva pour concurrencer les deux précédents) - pour une couverture au total d'environ 800 000 hectares si l'on comprend tous les types d'assurance (tempête, incendie et même neige). Il est à noter qu'aucun groupe ne s'est pour l'heure risqué à proposer des produits assurantiels concernant les risques sanitaires (parasites) compte tenu de l'ampleur du coût des indemnisations.

L'assurance est peu développée car les arbres sont des « cultures » pérennes et non annuelles, en raison du faible revenu généré par la forêt et enfin à cause de la faible connaissance par un nombre important de petits propriétaires des enjeux de leurs parcelles (cf. supra ).

Un effort de sensibilisation devrait être mené, et les différents interlocuteurs ont indiqué à la mission que l'acteur naturellement indiqué pour cette mission serait le Centre national de la propriété forestière (CNPF) , en lien avec les syndicats de propriétaires forestiers qui jouent déjà ce rôle, en incitant à souscrire à une assurance lors de l'adhésion. Le CNPF accepterait volontiers cette nouvelle mission (article L. 321-1 du code forestier) mais précise - comme pour toutes les autres compétences que les rapporteurs entendent lui confier - que pour être effective, cette nouvelle mission devrait nécessairement être accompagnée des moyens afférents, tout redéploiement interne à l'établissement étant impossible à l'étiage actuel. Afin de ne pas créer de déséquilibre par rapport au risque lié aux tempêtes, il s'agirait de promouvoir à la fois l'assurance contre le risque incendie et contre le risque tempête.

Axe n° 8 - Recommandation n° 68 : Promouvoir l'intérêt de l'assurance contre les risques incendie et tempête en s'appuyant sur le Centre national de la propriété forestière (CNPF), en lien avec les syndicats de propriétaires forestiers.

Par son rôle d'animation, le CNPF pourrait en outre faciliter la mobilisation de cofinancements européens, très faible à ce jour dans l'assurance des forêts, alors que les fonds européens le permettraient, comme l'assurance-récolte en donne l'exemple dans le monde agricole.

Il n'est toutefois pas question de prévoir une incitation aussi forte à la souscription d'une assurance que dans le cadre de l'assurance agricole, et encore moins de prévoir une obligation. Deux outils incitatifs complémentaires pourraient néanmoins permettre de renforcer la diffusion d'une logique assurantielle dans la forêt privée :

- Le premier levier serait de faciliter l'accès au dispositif d'encouragement fiscal (DEFI) « assurance » (en complément de la pérennisation du DEFI « travaux » mentionnée supra ) pour les propriétaires qui auraient uniquement souscrit à une assurance incendie, mais qui n'auraient pas souscrit à une assurance tempête ou tempête-incendie. Le coût de l'assurance incendie est en moyenne au moins trois fois inférieur au coût de l'assurance tempête, et certains peuplements sont plus vulnérables aux incendies qu'aux tempêtes (et inversement). Les conditions actuelles d'accès au DEFI découragent donc la souscription de l'assurance incendie.

Axe n° 8 - Recommandation n° 69 : Créer un dispositif d'encouragement fiscal (DEFI) « assurance incendie » dont la seule condition serait de souscrire à une assurance incendie (seule l'assurance tempête ou tempête-incendie y donnant aujourd'hui accès).

- Le second levier consisterait à faciliter l'accès au compte d'investissement forestier et d'assurance (CIFA) , dispositif d'auto-assurance créé en deux temps, en 2010 puis en 2014 (articles L 352-1 à L 352-6 du code forestier). Alimenté par le produit des ventes de bois, le CIFA est destiné au financement des « travaux de reconstitution forestière à la suite de la survenance d'un sinistre naturel ». Seulement, d'après les données de la DGPE, seuls 280 comptes de ce type sont ouverts, pour un encours de 6 millions d'euros, en raison de règles trop complexes qui ont découragé les banques (un seul groupe continue d'offrir ce produit) et les forestiers. Plusieurs modifications législatives et réglementaires ont depuis 2016 permis d'alléger les procédures. Afin de donner un nouvel élan à ce produit et d'élargir ses clients potentiels, il pourrait être envisagé de déplafonner les sommes pouvant être déposées sur un CIFA, aujourd'hui de 2 500 €/ha, en passant à 5 000 €/ha après un nombre d'années minimal de détention du compte à définir.

Axe n° 8 - Recommandation n° 70 : Élargir le Compte d'investissement forestier et d'assurance (CIFA) en le complétant par un dispositif pouvant concerner davantage de propriétaires forestiers.


* 52 https://www.suberaievaroise.com/documents/AP%20mesures%20post%20incendie%20RNN%2020210910.pdf

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