TRAVAUX EN COMMISSION

Examen en commission (mercredi 3 août 2022)

Réunie le mercredi 3 août 2022, la commission a examiné le rapport d'information sur la mission de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l'intensification et l'extension du risque d'incendie.

M. Didier Mandelli , vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Madame la présidente, mes chers collègues, nous sommes réunis pour la présentation du rapport de la mission de contrôle relative à la prévention et à la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie. La mise en place de cette mission a été arrêtée par notre commission de l'aménagement du territoire et du développement durable le 16 février dernier. Nous avions alors acté la nécessité d'y associer la commission des affaires économiques, compétente au titre de la forêt.

Je salue d'emblée les quatre rapporteurs, M. Jean Bacci, Mme Anne-Catherine Loisier, M. Pascal Martin et M. Olivier Rietmann, pour le travail d'ampleur réalisé dans des délais resserrés. Depuis le début du mois de juin, vous avez en effet conduit près de 30 auditions ; vous vous êtes également déplacés le 11 juillet dernier dans la plaine des Maures, un an après l'incendie dévastateur qui avait touché le massif ; vous avez enfin mené des consultations à la suite des feux hors normes ayant ravagé le mois dernier la forêt girondine. Le résultat de ce travail est à la hauteur de cet investissement : un rapport riche de 70 recommandations, regroupées en 8 axes.

Voici quelques éléments de contexte qui ont alimenté votre réflexion.

Premier constat : depuis les années 1990 et jusqu'à la fin des années 2010, la France a globalement réussi à maîtriser le risque incendie sur son territoire. Le nombre de surfaces de forêt brûlées a ainsi été divisé par cinq en quarante ans. Ce recul est largement imputable à l'efficacité de notre stratégie de défense des forêts contre les incendies, en particulier à la doctrine d'attaque rapide des feux naissants. Cette doctrine s'appuie sur un équilibre entre prévention, pour empêcher les départs de feu, et lutte immédiate, massive et proactive, pour limiter la propagation des feux, avec un objectif d'intervention dans les dix premières minutes sur des foyers encore maîtrisables.

Ce recul significatif des surfaces brûlées est d'autant plus remarquable que notre pays a, dans le même temps, connu une hausse des facteurs de risque : à la dégradation des conditions météorologiques se sont ajoutés une augmentation du combustible en forêt et un phénomène de déprise agricole.

Malheureusement, la France doit se préparer à une évolution défavorable du risque dans les années et décennies à venir.

Quatre tendances se dessinent d'ores et déjà, comme nous pouvons, hélas, le voir en cet été 2022.

Première tendance : une intensification du risque. En région méditerranéenne française, les surfaces brûlées pourraient ainsi augmenter de 80 % d'ici à 2050. Avec une hausse de la fréquence des feux, les espaces boisés pourraient peu à peu laisser place à des maquis, en région méditerranéenne notamment.

Deuxième tendance : une extension géographique. En 2050, près de 50 % des landes et forêts métropolitaines pourraient être concernées par un niveau élevé de risque, contre un tiers en 2010. En juillet 2022, plus de 1 700 hectares de lande ont ainsi brûlé dans les monts d'Arrée, dans le Finistère.

Troisième tendance : une extension temporelle. La période à risque fort sera trois fois plus longue, les feux hivernaux devraient se multiplier. Rappelons-nous du message fort du président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF), M. Grégory Allione, entendu par nos deux commissions en juin dernier : « aujourd'hui, la saison des feux, c'est toute l'année ».

Quatrième et dernière tendance : le développement d'incendies de végétation ou de terres agricoles.

L'extension géographique et temporelle, l'intensification du risque incendie, le développement d'incendies de végétation ou de terres agricoles s'expliquent structurellement par l'évolution attendue des conditions météorologiques dans le contexte du réchauffement climatique. L'augmentation moyenne du niveau des températures contribue, en effet, à une sécheresse croissante de la biomasse, qui facilite les départs de feux et leur propagation. À cet égard, il est évident que l'atteinte de nos objectifs climatiques et le respect de l'accord de Paris constitueront le levier de prévention incendie le plus transversal et structurant à la disposition des pouvoirs publics.

Des facteurs supplémentaires contribuent ou pourraient contribuer à cette évolution défavorable : la dégradation de l'état sanitaire des forêts, l'impact potentiel d'une sylviculture trop intensive ou, à l'inverse, la « libre évolution » des forêts, car l'adaptation des forêts au changement climatique nécessitera l'intervention active de l'homme.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Mes chers collègues, permettez-moi de féliciter à mon tour nos rapporteurs pour ce travail dense, en bonne intelligence entre les deux commissions, qui a été entrepris bien avant les épisodes spectaculaires du mois de juillet dernier, et qui démontre une nouvelle fois les facultés d'anticipation du Sénat. Ce rapport est très attendu, par les collectivités territoriales, les Français et les services d'incendie et de secours.

Après l'introduction de M. Mandelli et avant de céder la parole aux rapporteurs, il me revient de montrer quelles pourraient être les conséquences socio-économiques et environnementales de la multiplication de feux extrêmes, si rien n'est fait. Si nous n'améliorons pas notre résilience, les conséquences seront lourdes pour la biodiversité, pour la qualité de l'eau et de l'air et pour les émissions de gaz à effet de serre (GES).

Les coûts socio-économiques ont, eux, été relativement limités en France jusqu'à présent. L'« ordre d'opérations » des services départementaux d'incendie et de secours (SDIS) conduit, en effet, à s'assurer d'abord de la sécurité des personnes, puis de la sécurité des biens et, enfin, de l'environnement. C'est pourquoi les habitations, les zones urbaines et les infrastructures productives et de transport sont, en général, préservées.

Mais le dépassement de nos forces de lutte par des feux hors normes fait craindre des dommages socio-économiques grandissants. À La Teste-de-Buch, des infrastructures touristiques emblématiques ont été détruites. Pis, les feux font, d'ores et déjà, en France, des blessés et des morts, et je ne parle pas de ce qui se passe au Portugal, en Grèce, en Australie ou aux États-Unis ni de l'impact psychologique profond pour les populations...

C'est la raison pour laquelle il fallait que la commission des affaires économiques soit impliquée, à parts égales avec la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sur cette question des feux extrêmes. Je remercie donc son président ainsi que M. Mandelli, vice-président.

Pour rappel, les rapporteurs ont renoncé à utiliser la notion de « mégafeux », qui ne fait pas l'objet d'un consensus scientifique et qui est très variable d'une région à l'autre. Ils lui ont préféré les notions de « feux extrêmes » ou « feux hors normes », qui renvoient à une approche statistique du phénomène. En effet, un feu de 500 hectares en Côte-d'Or ou en Haute-Saône peut être considéré comme extrême, mais le curseur serait plutôt de 5 000 hectares dans le Sud et en Occitanie, et plus élevé encore aux États-Unis.

Face à ces feux extrêmes, je ne crois pas trahir la pensée des rapporteurs en disant que leur principale crainte est la multiplication de situations qui nécessitent un tri des interventions. Les feux simultanés de La Teste-de-Buch et de Landiras se sont déclarés à 1 heure et 24 minutes d'intervalle, loin de la base aérienne de la sécurité civile de Nîmes. Il a fallu, en outre, traiter le flux habituel du secours d'urgence aux personnes et, pour couronner le tout, des moyens ont dû être détournés en cours d'opération pour une attaque massive sur un feu naissant plus au sud, dans les Landes.

Par conséquent, nous observons déjà une recrudescence des feux et des surfaces brûlées. Les feux de Gonfaron en 2021, de La Teste-de-Buch et de Landiras ont fait leur entrée dans le classement des feux les plus importants des quarante dernières années.

Le « bouclier » de la lutte a jusqu'alors permis le succès de la France face aux incendies. Il faut désormais, dans le même temps, s'assurer que le « glaive » de l'aléa feu de forêt ne s'abattra pas plus durement sur ce bouclier. La prévention par un ensemble de politiques publiques transversales est indispensable pour réduire le danger.

Une proposition de loi pourra être déposée à la rentrée et nos rapporteurs se déplaceront en septembre en Gironde, pour un retour d'expérience sur les incendies de juillet 2022.

M. Pascal Martin , rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Mes chers collègues, nos 70 recommandations sont regroupées en 8 axes suivant un ordre chronologique, allant de la stratégie d'anticipation au reboisement post-incendie, en passant par la sensibilisation et la lutte. Je remercie les autres rapporteurs pour notre excellente collaboration.

Notre objectif est de traduire dans une proposition de loi certaines de ces recommandations à caractère législatif, avant la fin de l'année 2022.

Commençons par le premier axe, consacré à l'anticipation.

Il nous a tout d'abord paru essentiel de renforcer l'effort de coordination interministérielle dans la conduite et la mise en oeuvre de la politique publique de « guerre contre le feu » : nous estimons que le travail actuellement mené est trop cloisonné entre les ministères concernés - intérieur, agriculture, transition écologique. Cette approche en silo freine les indispensables évolutions. Notre approche est, elle, globale et transversale. Nous préconisons l'élaboration d'une stratégie nationale et interministérielle de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies. Cette transversalité doit primer tant au niveau central qu'au niveau territorial.

Le succès de cette stratégie, vecteur d'une indispensable prise de conscience nationale, dépendra grandement des moyens alloués, dont l'augmentation semble inévitable et urgente, compte tenu de l'intensification et de l'extension géographique et temporelle du risque, de l'ampleur des coûts évités par les politiques de prévention et de lutte et de la multiplication du nombre d'événements en cet été 2022.

Nous sommes néanmoins convaincus de la nécessité d'un accroissement tout particulier des moyens consacrés à la prévention, que nous devrons impérativement doubler. Je pense à l'aménagement du territoire et de la forêt, à la valorisation de cette dernière, à la gestion durable par le développement d'une sylviculture adaptée au risque, à la mobilisation du monde agricole, à la sensibilisation et à la mise en place d'une véritable culture de la prévention. C'est bien sur ce volet préventif, « parent pauvre » de notre politique publique, que notre pays dispose aujourd'hui des plus grandes marges d'amélioration.

Le succès de cette stratégie nationale et interministérielle reposera également sur une amélioration des connaissances et des données relatives aux feux de forêt et de végétation. Nous formulons plusieurs propositions à cet égard, notamment celle de mieux évaluer la « valeur du sauvé », soit la valeur de ce qui peut être sauvé en cas de sinistre, autrement dit les coûts évités par les politiques de lutte et de prévention.

Enfin, face à l'extension géographique du risque incendie, la mise en oeuvre territoriale de la stratégie nationale de défense contre les incendies devra nécessairement être adaptée, de manière mesurée et progressive : les dispositifs aujourd'hui appliqués dans les zones exposées de longue date, comme les zones méditerranéennes ou l'Aquitaine, ne pourront pas être reproduits à l'identique dans les zones plus septentrionales, moins ou pas exposées à ce jour. Nous proposons ainsi d'encourager l'élaboration d'un plan de protection des forêts contre les incendies (PPFCI), aujourd'hui obligatoire sur les seuls territoires réputés particulièrement exposés au risque d'incendie. Cette pierre angulaire de la politique de prévention au niveau local devrait être mise en place dans les territoires aujourd'hui non couverts par ces plans. Nous proposons également de revenir sur les 500 suppressions de postes de l'Office national des forêts (ONF) prévues d'ici à 2025, notamment afin de redéployer des personnels sur la défense des forêts contre les incendies (DFCI) hors de la zone méditerranéenne, aujourd'hui la plus à risque.

Je conclurai sur ce volet en évoquant les échanges que nous avons eus entre rapporteurs concernant l'opportunité de créer un ministère dédié à la sécurité civile, pour assurer un meilleur portage politique de cette politique, aujourd'hui diluée au sein du ministère de l'intérieur. La Grèce, par exemple, à la suite des dramatiques feux qu'elle a connus en 2021, a décidé de créer un ministère de la protection civile et de la gestion de crise. C'est une proposition à laquelle nous sommes favorables, mais il ne nous a toutefois pas semblé opportun d'en faire une recommandation de notre rapport, cette piste dépassant très largement le cadre de la mission qui nous était confiée.

M. Jean Bacci , rapporteur de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - « Aménager le territoire », deuxième axe de recommandations, consiste à mieux réguler les interfaces entre la forêt et les zones urbaines pour réduire les départs de feux et la vulnérabilité des personnes et des biens. Le débroussaillement permet non seulement de diminuer l'intensité et de limiter la propagation du feu, mais aussi de renforcer la défendabilité des constructions. Un débroussaillement effectué conformément aux règles protège, en effet, l'habitation et permet donc le confinement des habitants, évitant ainsi la fuite des particuliers devant le feu. Ces OLD sont malheureusement trop peu appliquées, avec un taux de réalisation souvent inférieur à 30 %.

Nous sommes convaincus qu'une solution unique ne suffira pas à résorber ce déficit de réalisation des OLD : c'est pourquoi nous proposons une palette large de leviers, allant de la sensibilisation à la sanction, en passant par l'incitation.

Nos propositions ont l'ambition de conjuguer plusieurs registres d'intervention : premièrement, les mesures incitatives soutiennent l'idée de développer une pédagogie des OLD, grâce à une bonne information des personnes intéressées, une mise à disposition de conseils personnalisés et des contrôles plus réguliers. Nous devons ainsi établir une stratégie collective concertée à l'échelle des massifs. Nous pourrions également prévoir une exonération fiscale, sous forme de crédit d'impôts pour la réalisation des OLD, ou l'utilisation de chèques emploi service. Nous devons aussi valoriser systématiquement les bois issus des travaux de débroussaillement, en bois énergie ou en paillage, ce qui suppose une réalisation coordonnée des OLD dans un même territoire. Ces mesures doivent s'inscrire dans un cadre facilité de réalisation. L'arrêté préfectoral de définition des OLD doit permettre d'adapter les modalités de mise en oeuvre du débroussaillement en fonction de la nature du risque et de la réalité des territoires, comme le permet déjà l'article L. 131-10 du code forestier. Nous proposons également d'intégrer le périmètre des OLD dans les documents d'urbanisme, pour rendre plus visibles et explicites les périmètres concernés et pour mieux informer les particuliers de l'existence de l'OLD lors de la délivrance des permis de construire.

Nous formulons également quelques propositions plus contraignantes : conditionner la mutation d'une propriété à la réalisation des OLD, rendre la franchise obligatoire dans les contrats d'assurance habitation en cas de non-respect des OLD, solliciter auprès des assurés une attestation de conformité délivrée par les entrepreneurs de travaux forestiers certifiés, ou encore renforcer les sanctions pénales pour non-respect des OLD.

La maîtrise de l'urbanisation constitue un second levier essentiel pour mieux réguler les interfaces habitat-forêt et limiter le mitage. Nous formulons, là aussi, plusieurs recommandations : intégrer dans les documents d'urbanisme des recommandations en matière de mesures de construction, pour que les bâtiments résistent mieux aux incendies de forêt, dans les territoires particulièrement exposés ; étendre plus largement la réalisation des plans de prévention des risques incendie de forêt (Pprif) dans les territoires particulièrement exposés à ce risque, par la simplification des modalités d'élaboration, de modification et de révision de ces plans ; systématiser l'envoi de « cartes d'aléas », adressées par le préfet aux collectivités territoriales, dans les territoires à risque, afin de permettre aux élus locaux d'intégrer les informations relatives au risque incendie dans les documents d'urbanisme ; lutter plus résolument contre l'installation d'habitats légers dans les zones à risque, en s'appuyant sur les documents d'urbanisme existants, sur une doctrine plus stricte des commissions départementales de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) ou sur une application stricte du refus d'autorisation de défrichement pour l'installation d'habitats dans ces zones particulièrement exposées à l'aléa.

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure de la commission des affaires économiques . - J'aborde maintenant notre troisième axe de recommandations. Lors de nos premières auditions, il est apparu très vite que la gestion des forêts et des espaces naturels était le moyen le plus efficace en matière de prévention des incendies et de protection des forêts. Or la forêt privée, majoritaire, qui représente 75 % des surfaces boisées françaises, est morcelée, insuffisamment gérée et plus vulnérable face au risque incendie. En Gironde, 93 % des forêts incendiées à Landiras et La Teste-de-Buch étaient privées.

Nous préconisons donc de nous pencher, région par région, sur les caractéristiques de ces massifs forestiers, d'analyser la pertinence des documents de gestion durable et des dispositifs de certification, au regard de la défense des forêts contre l'incendie (DFCI).

L'une de nos propositions phares consiste à abaisser le seuil d'obligation d'élaboration d'un plan simple de gestion à 20 hectares, contre 25 actuellement. Ce sont ainsi 500 000 hectares et plus de 20 000 propriétaires supplémentaires qui disposeront d'un document attestant de la gestion durable et multifonctionnelle, à long terme. L'intérêt est de disposer d'une cartographie précise de la forêt, des peuplements, de leur âge, des accès pouvant être utilisés comme pistes DFCI, des points d'eau, et de programmer l'adaptation des essences au changement climatique.

Au regard de l'abaissement du seuil des plans simples de gestion, les effectifs du Centre national de la propriété forestière (CNPF), qui accompagne les propriétaires privés et instruit ce document, devront être accrus d'au minimum 10 équivalents temps plein (ETP). Ce réajustement est absolument nécessaire pour permettre la prise en charge et le suivi des documents de gestion durable afférents à ces 500 000 hectares supplémentaires.

Cette montée en puissance des documents de gestion durable devra s'accompagner d'une mise à jour sur le contenu et les priorités du plan simple de gestion, désormais davantage orienté DFCI.

De même, la généralisation de la télédéclaration, déjà engagée, devra s'accélérer pour permettre un traitement et des mises à jour plus rapides.

L'adaptation des forêts au changement climatique passe aussi par la pérennisation du dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt (DEFI), dont la disparition est programmée au 31 décembre 2022. Son taux et son plafond pourraient être élargis en conditionnant toujours l'éligibilité à un document de gestion durable - soit un plan simple de gestion, soit, pour les plus petites parcelles, un code des bonnes pratiques sylvicoles.

Ces dispositifs ne porteront leurs fruits que s'ils s'appuient sur un accroissement des moyens humains d'animation du CNPF, avec notamment un développement des bilans à mi-parcours des documents de gestion durable - tous les huit à dix ans.

Sur le modèle des experts de l'agence DFCI de l'ONF, un réseau d'experts DFCI pourrait être mis en place, de façon souple et adaptative, pour conseiller les propriétaires forestiers en matière de prévention du risque incendie, avec le recrutement d'un correspondant au sein de chaque centre régional de la propriété forestière (CRPF) et une animation nationale pour consolider les retours d'expérience dans le but de constituer une « culture commune du feu » dans la forêt privée.

Enfin, nous proposons que les maires des communes disposant d'un plan de protection des forêts contre l'incendie (PPFCI), d'un plan intercommunal de débroussaillement et d'aménagement forestier (PIDAF) ou de tout document cartographié relatif à la protection des forêts contre l'incendie - puissent disposer d'un droit de préemption DFCI, les parcelles forestières ainsi acquises étant soumises de fait au régime forestier afin d'en assurer une gestion durable et pérenne. Mais je laisse M. Rietmann développer ce point.

M. Olivier Rietmann , rapporteur de la commission des affaires économiques . - J'évoquerai d'abord notre quatrième axe de recommandations, l'appréhension locale du problème, à l'échelle des massifs, par l'aménagement et la valorisation de la forêt, avec trois points principaux.

Le premier point est celui de l'aménagement des forêts via la nécessaire déclinaison à l'échelle des massifs des plans de protection des forêts contre l'incendie (PPFCI). Les massifs forestiers sont vraiment l'échelle pertinente pour favoriser l'appropriation par les élus locaux des PPFCI et pour rechercher des financements, en particulier via le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).

Dans le cadre de ces PPFCI de massif, un droit de préemption pourrait être établi, au profit des communes, sur les parcelles non dotées d'un document de gestion durable et qui sont identifiées comme stratégiques dans la DFCI. Les maires rencontrés sont dynamiques et volontaires pour gérer lesdites parcelles en les soumettant au régime forestier, dans un souci de diminuer le risque d'incendie.

Le deuxième point est celui des synergies entre desserte forestière et pistes DFCI, qui devraient être recherchées plus systématiquement. Un cahier des charges SDIS-CRPF pourrait être établi et les SDIS pourraient rendre un avis sur les schémas de desserte forestière collectifs. De même, une cartographie des synergies actuelles et potentielles au niveau régional serait utile pour comparer ces deux réseaux.

Enfin, le dernier point, particulièrement sensible, est celui de la conciliation de la DFCI avec la protection de la biodiversité. Nous avons longuement échangé avec nos collègues de la commission du développement durable, pour aboutir à une solution que je crois équilibrée. Nous ne pouvions pas passer à côté de cette question ayant suscité de vives polémiques l'an dernier après le feu de Gonfaron, qui a parcouru la moitié de la réserve naturelle de la plaine des Maures, et, plus récemment, après le feu qui a détruit la forêt usagère de la Teste-de-Buch, un statut protecteur qui a été le prétexte à de la « non-gestion ». Dans un cas comme dans l'autre, on ne peut pas dire de façon certaine que des refus d'aménagements de DFCI aient été responsables de l'ampleur des dégâts. Cela n'empêche pas de regretter les signaux contradictoires envoyés par les sanctions et les recours judiciaires contre des actions de prévention destinées à protéger la forêt... et la biodiversité qu'elle renferme !

Nous proposons donc une plus grande gradation des sanctions, en ciblant les délits représentant le plus d'enjeux, via une instruction générale aux parquets pour une meilleure conciliation entre DFCI et biodiversité dans le prononcé des sanctions en matière d'atteintes à la biodiversité. Lors de sa révision, la stratégie nationale de contrôle de l'Office français de la biodiversité (OFB) pourrait aussi intégrer davantage la prise en compte de la prévention du risque incendie.

Il en va de même pour les plans de gestion des aires protégées, qui sont le meilleur outil pour éviter les conflits le plus en amont possible. La solution passera d'abord par une association de l'ensemble des parties prenantes, afin d'anticiper les oppositions et de trouver des solutions territoriales et pragmatiques.

Si toutefois aucune de ces démarches de conciliation n'avait pu aboutir, une instruction technique que nous préconisons d'adresser aux préfets doit rappeler clairement que, compte tenu de l'impact encore plus grand que des incendies pourraient avoir sur la biodiversité, la DFCI doit être priorisée dans les zones particulièrement exposées au risque incendie. Mieux vaut parfois déranger un peu la biodiversité pour protéger la forêt, car, soyons clairs, en cas de grand incendie, il n'y aura plus de biodiversité...

J'en viens à notre cinquième axe de recommandations, la mobilisation de l'agriculture dans la protection des forêts et des espaces naturels contre les incendies, levier qui me tient particulièrement à coeur.

Certaines activités agricoles et pastorales jouent un rôle reconnu dans la protection des forêts contre l'incendie. Un rapport d'il y a plus de vingt ans demandait une « ligne Maginot » de la gestion des espaces forestiers et naturels, mais force est de constater que depuis lors, le sylvopastoralisme n'a pas été suffisamment soutenu par les fonds européens. Des contrats d'entretien pluriannuel devraient systématiquement être recherchés pour favoriser la continuité dans le temps et la cohérence de ces opérations gagnant-gagnant de « pâturage préventif ».

C'est aussi le cas de la viticulture, en particulier en agriculture conventionnelle - car sinon, l'herbe laissée entre les rangs peut servir de « mèche » et propager l'incendie -, qui devrait pouvoir bénéficier plus facilement du second pilier de la politique agricole commune (PAC) quand elle joue le rôle de pare-feu naturel.

Plus globalement, l'indemnité de défrichement devrait pouvoir être minorée plus facilement quand elle a vocation à permettre la valorisation agricole ou pastorale d'une parcelle, dès lors que cela contribue à réduire le risque incendie.

Mais au-delà de ce rôle traditionnel de pare-feu, nous proposons de réfléchir à une approche intégrée de la DFCI, en l'étendant aux surfaces de végétation et aux surfaces agricoles. En effet, bien que nous manquions de données à ce sujet, environ un tiers des surfaces brûlées correspondent à des espaces non boisés : friches, landes ou terres agricoles. Des coupures de végétation pourraient ainsi utilement être réalisées dans les zones à risque, à l'interface entre terres agricoles et forêts, afin de protéger autant les forêts que les parcelles.

Cette approche intégrée des incendies de forêt et de végétation passe d'abord par le renforcement de la sensibilisation des acteurs agricoles pour limiter les feux de chaume ou de récolte, dont ils sont les premières victimes, à l'image de ce qu'a développé de façon proactive le SDIS de la Haute-Saône, avec des bonnes pratiques telles que : veiller au bon entretien des machines utilisées, moissonneuses, presses ou autres débroussailleuses, mais aussi s'équiper d'extincteurs ou compartimenter les parcelles lors des moissons.

En cas de niveau de risque « très sévère », nous proposons enfin, en concertation bien sûr avec les organisations de producteurs, de donner la possibilité au préfet de prescrire la réalisation des travaux agricoles la nuit - je pense en particulier aux moissons. Dans bien des cas, c'est déjà fait ; mais, quand le risque est très sévère, il faudrait pouvoir le généraliser. En cas de pertes de revenus liées à une détérioration de la récolte ou à une augmentation de charges, une compensation devra évidemment être prévue à destination des agriculteurs.

M. Jean Bacci , rapporteur . - À la différence de l'Amérique du Nord, où quatre feux sur dix sont d'origine naturelle, le facteur anthropique est prépondérant en France dans le déclenchement des incendies : neuf feux sur dix sont d'origine humaine, et sept sur dix sont attribuables à l'imprudence humaine. À la lecture de ces chiffres, on comprend bien l'importance de la sensibilisation, qui constitue notre sixième axe de recommandations.

Nous appelons ainsi à renforcer très largement les moyens alloués à la communication, à la hauteur des moyens mobilisés pour d'autres causes nationales, par exemple la sécurité routière. Au-delà des messages de sensibilisation sur les pratiques et les comportements à risque, il convient de sensibiliser à plus grande échelle sur l'intérêt des mesures de prévention, qui souffrent à ce jour d'un déficit de visibilité par rapport aux actions de lutte, souvent plus médiatisées. À cette fin, de la même manière que le préfet participe à l'ouverture de la saison des feux avant l'été, il pourrait être intéressant de procéder à une communication sur la « saison de la prévention », en montrant concrètement en quoi consiste un débroussaillement dans les normes.

L'accroissement des moyens alloués à la communication doit aller de pair avec une meilleure coordination des campagnes menées. Portée par de nombreux acteurs, la sensibilisation des populations souffre encore d'une trop grande hétérogénéité dans les messages relayés auprès des populations, sur la forme comme sur le fond.

De plus, les pics de fréquentation estivaux dans les massifs du sud de la France apportent leur lot de comportements imprudents, l'ensemble des touristes n'étant pas « acculturés au feu ». Nous recommandons de mobiliser le budget des collectivités territoriales pour recruter, former et équiper des jeunes du service national universel (SNU), afin de prévenir et sensibiliser les usagers en forêt lors des périodes à risque.

La sensibilisation passera, enfin, par un renforcement et une clarification des sanctions relatives à la prévention du risque d'incendie. Nous proposons de consacrer au niveau législatif l'interdiction de fumer dans un bois ou une forêt classée à « risque d'incendie » ou particulièrement exposée à ce risque durant certaines périodes.

M. Pascal Martin , rapporteur . - J'en viens aux réponses opérationnelles. Quand les politiques de prévention ont échoué, c'est aux moyens de lutte contre l'incendie d'intervenir. La lutte constitue donc logiquement le septième axe de recommandations de notre rapport.

En premier lieu, nous préconisons d'accroître sensiblement ces moyens de lutte pour faire face à l'intensification et à l'extension du risque incendie. Cette observation vaut tout d'abord pour les moyens aériens de la sécurité civile, actuellement insuffisants pour faire face à l'évolution de l'aléa. Le vieillissement de nos Canadair entraîne de plus longues immobilisations et d'importants surcoûts de maintenance. Cette flotte devra donc nécessairement être renouvelée et renforcée, principalement par un financement direct de l'État et, plus à la marge, dans le cadre du dispositif européen « RescEU ». En 2026, la France devrait récupérer deux Canadair par ce biais. Ces nouveaux Canadair devraient pouvoir être utilisés de nuit - comme les avions militaires. La France devra, en outre, se doter d'un plus grand nombre d'hélicoptères, en particulier d'hélicoptères bombardiers d'eau, plus adaptés que les Canadair pour intervenir sur des incendies à distance des zones côtières.

Par ailleurs, il faudra étudier l'opportunité de créer une seconde base aérienne de la sécurité civile - en plus de celle de Nîmes - pour plus de rapidité dans la mobilisation des moyens de lutte, à l'aune du retour d'expérience des incendies de Gironde, et en s'appuyant sur les projections d'évolution à moyen et long terme du risque.

Au-delà des moyens nationaux, un soutien de l'État s'avère nécessaire par un renforcement des moyens capacitaires des SDIS. Nous attendons de l'État une augmentation significative dans un cadre pluriannuel de la dotation de soutien à l'investissement des SDIS. L'État doit favoriser la mutualisation des secours, dans une démarche de solidarité nationale.

En outre, renforcer nos capacités opérationnelles de lutte contre le feu n'aura de sens que si des moyens humains sont disponibles pour les piloter. Pour armer des véhicules, il faut des femmes et des hommes. Une augmentation des effectifs de sapeurs-pompiers volontaires - qui sont actuellement 197 000 - apparaît donc indispensable pour répondre à l'évolution de l'aléa. Pour atteindre d'ici cinq ans la cible de 250 000 sapeurs-pompiers volontaires, effectifs dont bénéficiait notre pays dans les années 1990, la France devra recruter plus de 50 000 nouveaux « soldats du feu », soit 10 000 par an. Avec plus de 6 000 centres sur le territoire, cela revient à recruter deux sapeurs-pompiers par an et par centre de secours.

Comme l'avait déjà proposé le Sénat dans le cadre des débats sur la « loi Matras », nous proposons donc d'instaurer une réduction de cotisations patronales pour les entreprises et administrations en contrepartie de la disponibilité de leurs employés et agents exerçant en tant que sapeurs-pompiers volontaires. Cette proposition a malheureusement été supprimée en commission mixte paritaire et ne figure plus à l'article 45 de la loi.

La mise en place du cell broadcast , pour alerter et informer les populations par téléphone mobile, doit enfin être gérée à l'échelle non pas centrale, mais territoriale, notamment par le préfet, directeur des opérations de secours, pour plus de réactivité et d'efficacité sur le terrain.

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure . - Dernier axe de notre rapport, particulièrement attendu : le reboisement des parcelles brûlées, quand malheureusement ni la prévention ni la lutte n'ont permis d'éviter un sinistre, est une étape cruciale. Il s'agit de reconstituer une parcelle boisée, un patrimoine forestier, une biodiversité, en les rendant plus résilients à l'avenir. Pour ce faire, il faut une aide de l'État, fondée sur l'écoconditionnalité, et une réflexion sur le choix des essences à planter, en conciliant l'adaptation de la station forestière et la résistance aux incendies.

En complément du levier assurantiel, que nous appelons à renforcer par des mesures ciblées, un financement de l'État est indispensable même dans les cas où, comme dans le Sud, on laisse faire la régénération naturelle : pour autant, celle-ci doit être complétée par des plantations permettant de diversifier les essences et de rendre la parcelle plus résiliente aux incendies. Le site devra être sécurisé, et il faudra réaliser des travaux de nettoyage des parcelles et, parfois, une évacuation des bois, ce qui est coûteux pour les collectivités et les particuliers.

En Gironde, sur environ 20 000 hectares de forêts en partie productives, nous estimons le besoin de financement à environ 50 millions d'euros, à raison de 2 000 à 4 000 euros par hectare et un cofinancement public de 60 à 80 %, soit la moitié du premier volet renouvellement forestier du plan de relance, pour la seule forêt privée autour de Landiras et La Teste-de-Buch. C'est dire l'importance des besoins ! Cette aide de l'État, incluse dans le plan France 2030, devra s'accompagner d'engagements sur de nouvelles pratiques plus adaptées aux risques émergents, notamment en matière de pare-feux, qui devront a minima être respectés, si ce n'est agrandis lorsque l'évolution du risque le justifie.

Un autre enjeu important réside dans le choix des essences plantées ou replantées à la suite d'un incendie. Nous devrons être vigilants sur l'adaptation de ces parcelles et sur leur capacité de résistance en cas d'incendie. Le pin maritime reste l'essence la plus appropriée pour les sols et le climat landais, mais face au risque incendie il ne peut plus être implanté en monoculture sur d'importantes surfaces. La résistance de la forêt aux incendies passe par le mélange des essences, qui crée de la discontinuité, et par de la desserte, des pare-feux... Mais l'adaptation de ces nouvelles essences n'est pas une solution garantie. Il faut en permanence que les forestiers observent et adaptent en conséquence leurs pratiques, accompagnés et conseillés par les SDIS et par les élus locaux.

M. Joël Labbé . - Merci pour ce travail complet mené à huit mains.

Le pastoralisme a été mis en avant par Olivier Rietmann, indiquant qu'un rapport d'il y a vingt ans alertait déjà sur le risque de déprise. La situation s'est aggravée depuis pour le pastoralisme et le pâturage extensif, faute d'exploitants et d'éleveurs, et de moyens pour conserver ces activités ayant un intérêt collectif. Il faut conserver l'existant et regagner sur la friche. Les moyens pourraient être des paiements pour services environnementaux. Évitons d'avoir à redire, dans vingt ans, que cela avait déjà été décrit dans un rapport...

Mme Patricia Demas . - Félicitations pour ce travail intéressant.

La grande majorité des feux est d'origine humaine. Les maires des communes rurales, pour lutter contre les feux, exercent leurs pouvoirs de police pour limiter les activités et les comportements inappropriés. Encore faut-il qu'elles aient les moyens de mettre en oeuvre ce pouvoir de police municipale, qui se limite au territoire communal ; et l'arrêté doit être suffisamment identifiable et ne pas changer d'une commune limitrophe à une autre. Il en va de même pour les arrêtés préfectoraux, qui peuvent différer selon les départements, alors que leurs caractéristiques et les comportementaux à risque sont les mêmes.

Quelles mesures ou quelles incitations proposez-vous pour améliorer la lisibilité des arrêtés municipaux et préfectoraux qui luttent pour prévenir les comportements à risque sur leurs territoires ? Comment assurer une meilleure lisibilité et une meilleure coordination des pouvoirs publics ?

M. Patrick Chaize . - Quelles nouvelles techniques de gestion de l'eau pourraient-elles être développées ? Comment mieux anticiper ? Car, pour éteindre un incendie, après une seconde, il faut un verre d'eau ; après une minute, un seau d'eau ; après dix minutes, une tonne d'eau.

Comment surveiller par caméra numérique pour anticiper et pouvoir mener des actions rapides sur le terrain afin d'éviter la propagation du feu ?

M. Hervé Gillé . - Sénateur de la Gironde, j'ai suivi avec beaucoup d'attention les préconisations de ce rapport. Nous avons organisé une table ronde avec les deux maires de Landiras et de La Teste-de-Buch, le représentant des maires de Gironde et le responsable du SDIS du département pour dresser un premier bilan des événements actuels.

Je voudrais approfondir plusieurs sujets.

Nous avons connu un cocktail explosif, conjonction d'une sécheresse particulièrement intense et de températures élevées ayant accéléré la propagation des incendies. La prédiction météorologique n'a pas été très performante, affectant par là même les préconisations préfectorales d'urgence, qui étaient décalées. Le système de référence est à revoir.

Vous envisagiez l'inscription dans certains documents d'urbanisme des préconisations d'habitat : il faut aller plus loin et les intégrer dans les schémas de cohérence territoriale (SCoT). Les SCoT doivent prévoir les conditions nécessaires pour accueillir les populations correctement. Ils doivent être prescriptifs au niveau des plans locaux d'urbanisme (PLU) et des PLU intercommunaux (PLUi).

Par ailleurs, la gestion de crise est fondamentale. Lors de cet événement, elle a globalement répondu aux attentes, mais il reste des interrogations sur une meilleure articulation entre les services préfectoraux, et les collectivités territoriales, notamment les départements. La gestion logistique est importante : 3 000 hommes et femmes ont été mobilisés en Gironde. Il n'y a pas de cellule de crise mutualisant suffisamment en amont. Il faut revoir les procédures.

Il faut aussi revoir le schéma de réserves d'eau, en matière de sécurité et d'aménagement : après ces feux de quinze jours, nous sommes arrivés à une situation limite sur les réserves d'eau mobilisées.

Enfin, à Landiras, le premier Canadair n'est intervenu que douze heures après le départ du feu. Ce n'était pas le cas à la Teste-de-Buch. Les Canadair ont été mobilisés pour éviter que le massif landais ne soit directement attaqué, ce qui a permis que les feux landais naissants soient rapidement maîtrisés ; mais le retard a été un problème majeur à Landiras. Il faut renforcer aussi les moyens.

M. Daniel Gremillet . - Pour favoriser la gestion forestière, remettons au goût du jour la fiscalisation des petites propriétés forestières - notre commission avait réalisé une étude sur le sujet -, moyen efficace de rappeler aux propriétaires qu'ils possèdent des petites parcelles. Nous sommes capables de le faire pour le foncier agricole, pourquoi pas pour le foncier forestier ? Cela dit, Bercy bloque pour le moment...

Responsable du dossier forêt pour la région Grand Est, j'ai été stupéfait de découvrir que, malgré les aides publiques qui servent à la réalisation des dessertes forestières, les SDIS n'ont pas connaissance de ces dessertes. Personne ne connaît les nouveaux chemins, alors que, souvent, ils sont capables de supporter des véhicules avec un poids considérable ! Allons plus vite pour partager ces connaissances et cette accessibilité.

Oui, il faut rééquilibrer droits de préemption et de préférence. Actuellement, il existe un droit de préférence pour les propriétaires forestiers, il faut un droit de préemption pour les communes.

Sur le rôle que vous envisagez de confier à l'OFB en matière de DFCI, je m'interroge. Est-il le mieux placé pour cela ?

Vous avez proposé de créer une seconde base de canadairs. Voyons-le aussi sous l'angle communautaire. Avec les risques actuels sur l'ensemble de la France, deux bases ne suffiront pas. Dans l'Est, nous pourrions par exemple avoir une approche commune avec la Forêt-Noire....

Enfin, comme vous l'avez bien dit, le moins cher, pour gérer les broussailles, reste de faire pâturer des animaux. Avec un débroussailleur, le risque persiste, puisque les herbes broyées sèchent et fonctionnent comme des allumettes qui risquent de craquer à tout moment. Je suis très inquiet de la fragilité de notre élevage sur l'ensemble du territoire, et on voit les risques complémentaires que cette fragilité peut entraîner.

M. Bruno Belin . - Merci et bravo. Le sujet de votre rapport est de plus en plus souvent d'actualité, y compris hors saison.

Oui, il faut des moyens. Vous évoquez le recrutement de deux bénévoles par centre de secours. Avez-vous des pistes pour en trouver, dans un contexte de crise de recrutement du secteur ?

Demain, tous les SDIS ayant un certain pourcentage de massifs forestiers devront-ils s'équiper ? Je pense notamment aux Vosges, à la Bretagne... Quel cahier des charges auront-ils ? Ne faut-il pas une liste de matériels précis ? Le cas échéant, pour quel coût et avec quelles sources de financement ?

M. Bernard Buis . - Les conditions météorologiques sont le principal facteur à l'origine des feux de forêt. Cette année de sécheresse exceptionnelle, qui s'accentue depuis juin, est dramatique : 45 000 hectares sont partis en fumée depuis le début de l'année. En 1976, année record des plus grands incendies, 88 000 hectares ont brûlé. Espérons que ce record ne sera pas battu cette année. En Gironde, déjà en 1949, un mégafeu avait détruit à lui seul 50 000 hectares. À court terme, pour lutter contre ces incendies, certains préconisent un retour du brûlage ou du feu dirigé pour prévenir en amont les incendies, et brûler, en hiver, feuilles, branches et résidus susceptibles, en été, d'alimenter les feux. Prônez-vous cette technique ?

M. Pascal Martin , rapporteur . - Monsieur Chaize, l'Entente Valabre, établissement public qui regroupe une grande partie des départements de l'arc méditerranéen - région Sud, ex-Languedoc-Roussillon, Drôme et Ardèche, collectivité unique de Corse - mais aussi La Réunion, possède un centre scientifique spécialisé notamment dans la gestion de l'eau.

Le président de la FNSPF, Grégory Allione, également directeur du SDIS des Bouches-du-Rhône, a demandé à ses équipes de réfléchir aux moyens d'éteindre les incendies avec beaucoup moins d'eau, mais aussi en utilisant plutôt de l'eau brute que de l'eau potable.

Sur l'anticipation, mieux vaut parler de « prévention » - faire en sorte qu'un sinistre ne se déclare pas - que de « prévision » - qui, lorsque la prévention a échoué, vaut à préparer l'intervention.

Pour éviter l'engagement de moyens humains dans des circonstances compliquées, on peut substituer des drones, des capteurs de chaleur, des robots. Ces moyens existent déjà et sont utilisés par certains SDIS.

Monsieur Gillé, le directeur des opérations de secours est le maire lorsque le feu est limité au territoire de la commune et le préfet lorsqu'il le dépasse. L'articulation entre les deux est difficile. En Gironde, comme cela a été rappelé, la simultanéité de deux feux a posé problème. Le préfet, le département et les maires ont été confrontés à des difficultés hors normes.

Les communes soumises à un plan de prévention des risques naturels (PPRN) et à un plan particulier d'intervention (PPI) sont obligées de mettre en place un plan communal de sauvegarde (PCS) ; celui-ci est recommandé pour les autres communes. Il peut être intercommunal, et concerne les risques sanitaires, naturels, technologiques... La loi Matras a prévu de désigner un référent pour porter, dans chaque commune ou intercommunalité, l'élaboration et le suivi du PCS. Elle a aussi prévu de tester le PCS tous les cinq ans avec la population. Avant, cela restait théorique ; désormais, il faut tester l'alerte, l'évacuation, l'hébergement provisoire... Mais cela ne règle pas les problèmes logistiques : lorsque plusieurs centaines ou milliers de pompiers arrivent sur un territoire, il faut qu'ils puissent se reposer, manger et boire. Toutes ces questions échappent au maire : c'est au préfet, voire aux conseils départementaux, de s'en charger.

Des feux dits « tactiques » sont déjà utilisés par des sapeurs-pompiers qui en ont la maîtrise : cela permet, à terme, d'économiser de l'eau.

Bruno Belin évoquait les pompiers volontaires. Le maillage territorial des 6 100 centres d'incendie et de secours est assuré par des gardes de pompiers volontaires. Or, on connaît une crise du volontariat. Il y avait 250 000 sapeurs pompiers volontaires dans les années 1990 ; nous en avons perdu plus de 50 000. Il faut les fidéliser. L'engagement de ces pompiers volontaires est avant tout citoyen, et non financier : la vacation horaire est rémunérée 7 euros... Lors de la future réflexion sur les régimes de retraites, on pourrait envisager des bonifications de trimestres.

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure . - Il est difficile, pour les maires, de faire respecter les arrêtés préfectoraux de limitation de l'emploi du feu : nos concitoyens, accoutumés à ces arrêtés, les respectent de moins en moins. Les maires veulent être davantage associés au pilotage avec les services préfectoraux et les SDIS. C'est indispensable. Laissons les acteurs de terrain déterminer certaines modalités réglementaires. Mais ils doivent pour cela disposer de la cartographie des aléas, des zonages, afin d'être mieux informés et mis en capacité d'assumer leurs responsabilités.

Nous proposons de cartographier les massifs et d'identifier les dessertes, les points d'eau, et d'en aménager éventuellement les accès, afin qu'ils soient mobilisables en cas d'incendie, et pas seulement dans les régions où il y a des PPFCI, En Côte-d'Or, le SDIS travaille à une adaptation du schéma départemental d'analyse et de couverture des risques (Sdacr) qui intègre les massifs vulnérables aux incendies et commence à répertorier les dessertes et à travailler davantage avec les forestiers pour connaître les massifs, les points d'eau et les centres de première intervention (CPI).

Pascal Martin proposait de revenir sur une disposition de la loi Matras proposée par le Sénat mais remise en cause par la commission mixte paritaire. Les sapeurs-pompiers font remarquer que de nombreux volontaires seraient potentiellement mobilisables pendant leurs heures de travail, souvent l'après-midi, quand les casernes de pompiers sont plus vides. Il faut accompagner les employeurs privés pour qu'ils puissent participer à cet effort : il y a là une grosse réserve de sapeurs-pompiers volontaires.

M. Olivier Rietmann , rapporteur . - Messieurs Labbé et Gremillet, concernant l'élevage, ce n'est pas pour rien que nous avons évoqué ce rapport de 1999 évoquant une « ligne Maginot » de la gestion des espaces forestiers et naturels. Le commissaire européen à la gestion des crises nous a fait part de la volonté communautaire de participer, y compris financièrement, à la réimplantation forte du pastoralisme et de l'élevage dans la lutte contre les incendies, là où c'est possible et souhaitable. Certes, le pastoralisme peut aussi avoir quelques inconvénients sur la biodiversité, en raison du piétinement ou de la volonté de conserver certaines espèces. Mais il faut pousser ce dossier et l'accompagner financièrement avec les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et les fonds européens.

Évidemment, il est urgent de transmettre aux SDIS les cartes de desserte forestière. Ils doivent participer aux débats relatifs à l'implantation et aux caractéristiques de cette desserte.

J'ai été clair sur le droit de préemption DFCI des communes, qui fait partie des pistes intéressantes à développer.

Nous avons proposé non pas de renforcer le rôle de contrôle de l'OFB par la lutte contre les incendies, mais que celui-ci prenne en compte le sujet dans sa stratégie : nous proposons que la stratégie de l'OFB ne se limite plus, dans les secteurs sensibles aux incendies de forêt, à du contrôle et à la préservation de la biodiversité, mais qu'elle intègre, dans ses contrôles sur le terrain, la lutte contre les incendies.

J'appuie les propos de Pascal Martin, fondés sur les auditions des sapeurs-pompiers et des visites de terrain : si actuellement la politique de lutte contre les incendies en France est reconnue très largement pour son efficacité, c'est grâce à la prévention et à cette lutte, fondées sur les sapeurs-pompiers volontaires, professionnels et sur les colonnes de renfort. Les départements du nord de la France ont pu envoyer ces colonnes car, jusqu'à présent, ils étaient peu concernés par les incendies. Or, désormais, les zones concernées et les saisons s'étendent : ces départements pourront de moins en moins mettre à disposition ces colonnes de renfort. L'État doit donc engager des moyens financiers aux côtés des départements et des communes.

M. Jean Bacci , rapporteur . - Le département des Bouches-du-Rhône réfléchit à l'utilisation de moins d'eau pour la lutte contre les incendies. L'anticipation et la surveillance sont particulièrement importantes. Dans le Var, nous expérimentons, avec Orange, la possibilité de surveiller les massifs avec les réseaux satellites.

Oui, il faut joindre tous les documents d'urbanisme dans les SCoT. Mais ceux-ci sont pilotés par les élus : il convient de les sensibiliser à la nécessité de travailler sur le risque incendie. Nous réalisons des formations avec l'association départementale des communes forestières du Var pour les sensibiliser aux risques et à leurs obligations, ainsi que pour les aider à mettre en place leur propre plan communal de sauvegarde.

La France aurait la flotte aérienne de lutte contre les incendies la plus importante, mais encore faut-il qu'elle soit opérationnelle. Un tiers des avions sont cloués au sol pour maintenance. L'État a commandé quatre Canadair, et nous devrions en recevoir deux de plus de l'Union européenne. C'est très bien, mais quand les recevra-t-on ? Les lignes de fabrication sont fermées et doivent être rouvertes. Ces avions ne seront pas livrés avant 2027 ou 2028. Airbus, cette année, a expérimenté en Espagne un avion porteur d'eau comme les Dash. En attendant, des avions militaires sont utilisés...

Mme Anne Chain-Larché . - J'adhère aux propos qui ont été tenus. Comme cela avait déjà été dit il y a plusieurs années : notre forêt brûle et nous regardons ailleurs. Réveillons-nous !

Je constate trois aberrations.

Sur les parcelles brûlées de chêne-liège dans le Var, replanter avec des cèdres du Liban ou des pins maritimes n'est pas approprié face au risque d'incendie.

L'ONF n'entretient plus ses chemins, lesquels permettaient aux pompiers d'entrer dans les massifs. Désormais, non seulement les avions sont en nombre insuffisant, mais les chemins au sol sont inutilisables. L'ONF devrait faire preuve de plus d'ambition dans les forêts domaniales.

Enfin, je ferai remarquer qu'il n'y a plus de cendriers dans les voitures : les fumeurs au volant jettent donc leurs cigarettes par la fenêtre... Or les incendies sont, pour la plupart, dus à des négligences humaines.

M. Pierre Cuypers . - Très bien !

Mme Anne Chain-Larché . - C'est du bon sens...

Mme Angèle Préville . - Merci pour le travail exhaustif réalisé.

En tant que professeur, je salue la recommandation n° 56 pour sensibiliser les plus jeunes dans les établissements scolaires, en faisant témoigner des intervenants extérieurs. Moi qui ai eu des élèves jeunes sapeurs-pompiers, je propose qu'un jour par an soit consacré à la prévention des incendies. Cela permettrait que les élèves connaissent le métier, afin de leur donner envie de s'engager. Cela pourrait être couplé avec l'enseignement de plusieurs matières.

Une filière de responsabilité élargie du producteur (REP) mégots est une très bonne idée, car ces derniers sont à l'origine de nombreux incendies. Cette REP, que vous proposez de flécher vers des actions de communication d'envergure, pourrait aussi être affectée à des moyens de surveillance.

M. Serge Mérillou . - Merci pour ce travail.

Que va-t-il se passer après les incendies ? C'est à ce moment que commence la prévention au niveau des infrastructures forestières, et que l'on peut créer des pistes forestières, des points d'eau, puisqu'aucun obstacle physique ne s'y oppose plus.

Pour la restructuration foncière, au-delà des droits de préemption, il existe aussi des échanges amiables entre propriétaires pour regrouper des parcelles, afin qu'ils s'y intéressent et les entretiennent. Des outils existent pour des opérations groupées d'aménagement foncier (OGAF), comme la prise en charge des frais de notaires.

L'aide aux propriétaires forestiers permet de reconstituer des boisements les plus adaptés possible à leur station forestière et d'éviter des plantations entières de résineux, même si l'on ne peut pas les remplacer partout, notamment en forêt landaise. Nous aurons besoin de l'ONF, des CRPF et des services forestiers des chambres d'agriculture.

Mme Nadège Havet . - Je remercie les rapporteurs pour leurs travaux.

Le Finistère n'a pas été épargné par les incendies cet été. Comme partout en France, le risque incendie reste élevé.

Lors des incendies des monts d'Arrée, comme sur d'autres territoires, nous avons pu constater que le monde agricole représentait une force de frappe importante et réactive pour soutenir les services d'incendie et de secours, pour véhiculer des tonnes à eau, pour procéder à des arrosages préventifs.

Mais, dans la pratique, il y a parfois des incompréhensions entre agriculteurs et SDIS sur les théâtres d'intervention, leurs objectifs étant un peu différents : les premiers veulent intervenir vite pour éteindre l'incendie, les seconds sont présents avant tout pour protéger les personnes. Ne faudrait-il pas élaborer des conventions et des protocoles permettant de faciliter leur coopération et leur coordination ?

M. Daniel Salmon . - Merci pour cet excellent travail.

Les feux extrêmes suscitent énormément d'angoisse dans la population, car ils visibilisent le changement climatique. Il faut que nous apportions un maximum de réponses.

Vos axes de travail sont essentiels, mais il en est un que nous n'avons pas abordé, parce qu'il porte sur le moyen et le long termes : la lutte contre le réchauffement climatique. Elle doit être immédiate et massive. De fait, les feux de forêt sont provoqués par le stress hydrique. Des arbres se transforment en véritables torches en cas de températures extrêmes.

Je me réjouis que l'on n'ait pas succombé à la facilité en accusant les écologistes de provoquer un certain nombre de feux du fait des embroussaillements - ces polémiques ont pu exister ailleurs.

Concernant les boisements monospécifiques, les boisements de résineux, la réflexion est difficile, puisqu'il faut prévoir le climat à cinquante ans. Je pense qu'il ne faut pas mettre tous les oeufs dans le même panier. Les recherches qui sont menées actuellement concluent plutôt à la nécessité d'une diversification maximale de nos boisements pour avoir toutes les chances d'avoir, demain, une forêt résiliente.

M. Guillaume Chevrollier . - Merci aux rapporteurs pour leur travail sur cette question essentielle.

Vous avez cité un certain nombre d'opérateurs : les SDIS, l'ONF, l'OFB... Vous avez parlé des propriétaires forestiers privés, mais je ne crois pas avoir entendu citer Fransylva, qui est la Fédération des syndicats de forestiers privés de France. C'est pourtant un organisme essentiel, dont le maillage est fin et qui fait beaucoup dans les territoires pour sensibiliser et accompagner les propriétaires. Je pense qu'il doit avoir une place primordiale dans la prévention des feux.

Quel est votre avis sur son rôle dans la diffusion d'une culture du risque et dans la gestion durable et résiliente de nos forêts ?

M. Franck Montaugé . - Merci aux rapporteurs.

Ce sujet relève de la défense de notre patrimoine environnemental national. Avez-vous réfléchi à la possibilité d'utiliser, dans un cadre adapté, l'observation satellitaire militaire, dont les outils offrent une précision extraordinaire ? Cela permettrait de mettre en évidence des départs de feux très rapidement et d'être sur place avant que la situation dégénère.

Mme Sylviane Noël . - Merci aux rapporteurs pour leurs propositions pertinentes.

Aux propositions formulées pour le soutien à l'agropastoralisme, auxquelles je souscris pleinement, je veux ajouter la lutte contre la prédation, notamment celle du loup, qui, dans certains départements de montagne, constitue une pression telle que de nombreux secteurs ne sont désormais plus pâturés. Je crains que nous n'allions, dans les années à venir, au-devant de grandes difficultés si nous ne parvenons pas à trouver une gestion plus équilibrée, dans nos alpages, de certaines espèces qui mettent à mal notre agriculture de montagne.

C'est bien de prévenir les risques d'incendie. C'est bien aussi de s'assurer que, dans les prochaines années, nous aurons suffisamment de « soldats du feu » pour assurer notre protection. Aujourd'hui, dans notre pays, plus de 5 000 pompiers volontaires et 200 professionnels sont suspendus depuis plusieurs mois. Leur réintégration rapide me semble une impérieuse nécessité pour répondre à nos besoins futurs.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Mes chers collègues, je dois participer au dépouillement du scrutin sur la proposition de nomination de Mme Emmanuelle Wargon à la présidence du collègue de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), son audition étant terminée à l'Assemblée nationale.

Je vous souhaite une bonne fin de réunion et remercie une nouvelle fois les rapporteurs du travail qu'ils ont réalisé.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian . - Merci pour la richesse de votre rapport et des pistes que vous dessinez.

Je souscris à la création d'un ministère pour la prévention et la lutte contre les incendies.

Ne pensez-vous pas qu'il serait pertinent de légiférer pour permettre à nos communes de réquisitionner des voies d'accès privées définies comme présentant un risque incendie par le PPRif dans le cadre d'une procédure plus adaptée, plus rapide et plus simple que les procédures d'expropriation ?

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure . - Pour ce qui concerne la présence en forêt, nous proposons de redéployer, dans l'ensemble des forêts publiques, un certain nombre d'agents de surveillance au sein de l'ONF, dont les effectifs ont été limités ces dernières années, et de créer un dispositif identique, piloté par le CNPF, pour les forêts privées.

Nous avons auditionné tous les acteurs de la forêt : Fransylva, mais aussi les coopératives, les exploitants, les gestionnaires. Je pense que tous ces acteurs vont être mobilisés au quotidien pour sensibiliser et diffuser de bonnes pratiques.

Nos propositions concernent essentiellement l'organisme public de gestion, le CNPF, qui contrôle, instruit, ainsi que les services préfectoraux, dans le cadre des schémas régionaux de gestion sylvicole. Derrière ces structures tutélaires fourmillent tous les acteurs de terrain, petites mains qui vont mettre en oeuvre ces dispositifs.

S'agissant de la nécessité de l'aménagement des massifs, notre rapport souligne combien le soutien à toutes les stratégies locales de développement forestier - les chartes forestières de territoire, les plans de développement de massif - mais aussi par exemple les OGAF, permettront de diffuser la culture du risque. Nous préconisons, pour les aides publiques, la mise en place d'une écoconditionnalité : peuplements adaptés non seulement à la station forestière, mais aussi à la résilience aux incendies, bonnes pratiques en matière de desserte, de cartographie... Tout cela doit s'articuler pour une meilleure résilience de l'ensemble de nos massifs.

M. Olivier Rietmann , rapporteur . - Notre collègue a évoqué des désaccords entre agriculteurs et pompiers. Il y en a peut-être eu dans un secteur particulier du Finistère à un moment donné, mais c'est probablement un cas isolé. Dans toutes les auditions que nous avons pu organiser, nous n'avons pas eu de remontées en ce sens. Au contraire, on nous a plutôt fait état d'une bonne entente et d'un appui très important des agriculteurs, notamment dans le transport de l'eau, auprès des pompiers des SDIS, par exemple en Gironde.

Personnellement, je plaide également pour la création d'un ministère de la sécurité civile. C'est absolument nécessaire pour une bonne gestion de crise et la lutte contre les feux extrêmes.

M. Jean Bacci , rapporteur . - Je suis tout à fait d'accord : il faut faire le maximum de sensibilisation. Il faut sensibiliser nos jeunes et les populations au risque incendie.

Il est nécessaire de communiquer pour faire comprendre à tout le monde qu'aujourd'hui, comme les représentants du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa) nous l'ont dit clairement, la forêt a besoin de l'intervention humaine : pour la défendre, il faut enlever de la biomasse. Ainsi, elle brûlera moins facilement, et les sujets qui resteront en place souffriront moins de stress hydrique.

Les représentants du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) nous ont dit que rouler 300 mètres en voiture, c'est faire fondre un kilo de glace des glaciers. De son côté, AtmoSud nous explique qu'un hectare de forêt méditerranéenne qui brûle correspond, en termes d'émissions de gaz à effet de serre, à un véhicule fortement émetteur qui ferait 6,5 fois le tour de la Terre... Je vous laisse faire la conjonction entre ces deux informations !

Il peut être compliqué de travailler avec les satellites des armées. En revanche, nous sommes en train d'essayer de travailler avec Orange, comme je vous l'indiquais tout à l'heure.

Pour terminer, nous avons besoin de nous acculturer au feu et de prendre conscience que, dès lors qu'il a rempli correctement ses obligations légales de débroussaillement, un habitant qui vit à proximité de la forêt ne risque rien dans sa maison. Toutefois, il faut être actif pour protéger sa maison : ne pas laisser le tuyau d'arrosage dehors quand le feu approche, doter sa piscine d'une pompe thermique, etc.

Satisfaire aux OLD permet aussi de libérer un camion de pompiers pour contenir le feu ailleurs, dès lors que l'habitation n'a plus besoin d'être protégée.

M. Pascal Martin , rapporteur . - Les OLD ont été au coeur de nos échanges tout au long de ces trois mois. Elles sont, aujourd'hui, mal expliquées aux personnes concernées. La culture du risque et la pédagogie manquent.

J'insiste sur ce que vient de dire Jean Bacci. Les OLD, c'est tout bénéfice pour les propriétaires : cela leur permet de se sauver en restant chez eux et de sauver leur bien, et cela évite que des sapeurs-pompiers ne soient bloqués près de maisons, alors qu'ils pourraient être utiles ailleurs.

Il existe des conventions entre SDIS et agriculteurs, mais elles ne peuvent s'organiser qu'à l'échelle de chaque SDIS. De même, je connais des communes qui passent des conventions avec des agriculteurs pour le déneigement. Très souvent, les relations entre agriculteurs et services départementaux sont bonnes. On ne peut pas définir une politique générale ; il faut vraiment faire du cas par cas.

Légiférer sur les questions de réquisition est toujours extrêmement sensible. Nous ne l'avons pas prévu explicitement, mais nous notons la proposition. Nous regarderons, dans nos travaux à venir, notamment lors de l'élaboration de la proposition de loi, ce qui pourrait être fait dans ce domaine.

M. Olivier Rietmann , rapporteur . - Le « coût du sauvé » est très important. Les Bouches-du-Rhône ont investi, ces dernières années, 200 millions d'euros dans la lutte contre les incendies, mais cela a permis de sauver l'équivalent de 5 milliards d'euros d'équipements, de forêts et d'espaces naturels. La proportion est très importante.

M. Didier Mandelli , vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - La remarque est judicieuse, et l'exemple édifiant.

Je vous propose, mes chers collègues, de passer au vote sur les recommandations des rapporteurs et d'autoriser la publication du rapport d'information.

La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et la commission des affaires économiques adoptent, à l'unanimité, le rapport d'information et en autorisent la publication.

M. Didier Mandelli , vice-président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Encore bravo et merci pour ce travail. Bonnes vacances à tous !

Audition de représentants des sylviculteurs, des sapeurs-pompiers de France et de l'Inrae (mercredi 15 juin 2022)

M. Jean-François Longeot , président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Nous voici réunis pour une table ronde sur la prévention des mégafeux et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque d'incendie. La mise en place de cette mission a été décidée par le bureau de notre commission le 16 février dernier ; nous avions alors décidé d'y associer la commission des affaires économiques, compétente en matière de forêt. Le 10 mai dernier, nos deux commissions ont désigné MM. Jean Bacci et Pascal Martin, Mme Anne-Catherine Loisier et M. Olivier Rietmann rapporteurs de cette mission d'information. Je remercie Mme la présidente Sophie Primas pour cette collaboration, qui nous permettra d'enrichir notre travail.

Nous ne partons pas de zéro : un rapport flash sur la prévention des incendies de forêt et de végétation a été publié en début d'année par nos collègues de l'Assemblée nationale. Deux rapports sénatoriaux, adoptés en 2019 et en 2021, ont également traité de la lutte contre les incendies.

Mais l'originalité de notre mission de contrôle tient dans l'angle choisi : analyser nos politiques publiques à l'aune du risque grandissant induit par le changement climatique. Le changement climatique, combiné à la déprise agricole et à l'urbanisation croissante, expose en effet le territoire national à une augmentation du risque d'incendie, notamment de forêts. Les feux, historiquement contenus en France et concentrés dans le sud du pays, pourraient se diffuser au nord ; leur ampleur et leur intensité pourraient s'accroître, au point de faire craindre l'arrivée en France de mégafeux, incendies extrêmes particulièrement difficiles à maîtriser comme l'ont récemment expérimenté l'Australie ou les États-Unis. Cette menace nous a notamment été rappelée par les rapports du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), dont des représentants seront à nouveau entendus par notre commission à la fin du mois.

L'objectif de notre mission est clair : formuler des propositions pour adapter notre stratégie de prévention du risque d'incendie au contexte du changement climatique, et faire évoluer le comportement des usagers et les pratiques des professionnels face à cette menace grandissante.

Pour mener à bien cette mission, les rapporteurs mènent un large cycle d'auditions et se rendront, le 11 juillet prochain, dans la plaine des Maures, un an après l'incendie particulièrement dévastateur ayant touché le massif.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - J'ajouterai seulement à ce que vient de dire Jean-François Longeot que l'objectif de nos quatre rapporteurs est d'aboutir, le cas échéant, à une proposition de loi, qui pourrait être déposée dès la rentrée. C'est la raison pour laquelle nous serons très attentifs aux propositions d'améliorations concrètes de notre stratégie de prévention du risque d'incendies de forêt.

Les causes des feux sont multiples, et les forêts sont des écosystèmes complexes, imbriqués dans des espaces naturels, agricoles et urbains ; ainsi, trois personnes ne nous ont pas paru de trop pour nous éclairer ce matin. Nous avons souhaité convier des profils complémentaires, car sur un tel sujet il est essentiel de croiser les approches - c'est d'ailleurs pour cette raison que nos deux commissions unissent leurs capacités d'analyse.

Monsieur François Pimont, vous êtes chercheur spécialisé en écologie des forêts méditerranéennes à l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Vos travaux portent sur la modélisation de la propagation des feux de forêt en fonction des flux d'énergie et de l'hétérogénéité de la végétation. Vous nous aiderez à répondre à la question, non encore tranchée, de savoir si des mégafeux pourraient advenir en France à moyen ou long terme.

Monsieur Christian Pinaudeau, vous êtes sylviculteur, représentant d'une vision productive de la forêt - ce n'est pas un gros mot dans ma bouche ! Vous avez été pendant quarante ans secrétaire général du syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest, implanté dans le massif des Landes de Gascogne, caractérisé par la monoculture du pin maritime. Aussi avez-vous développé une expertise de terrain, dont vous avez tiré un livre, Échec aux feux de forêt , dans lequel vous soulignez le rôle de la gestion sylvicole dans la politique de défense des forêts contre l'incendie (DFCI).

Monsieur Grégory Allione, vous présidez la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France (FNSPF) et représentez, à ce titre, le dernier maillon de la chaîne, vital, celui de la lutte contre l'incendie. La prise en charge précoce des départs de feux par les pompiers explique en partie que l'on compte deux fois moins de surfaces brûlées en France qu'il y a cinquante ans, et quatre fois moins qu'au Portugal, en Espagne ou en Italie. Il faut toutefois veiller à la bonne articulation de la lutte contre l'incendie avec la prévention du risque qui nous préoccupe dans le cadre de ces travaux.

L'état de nos forêts se dégrade, vous le savez. À cet égard, je vous poserai une unique question, très ouverte : comment, face à la montée et à la mutation des risques d'incendie, améliorer notre stratégie de prévention ?

M. François Pimont, ingénieur de recherche en écologie des forêts méditerranéennes à l'Inrae . - Je travaille depuis une vingtaine d'années sur les incendies de forêt. J'ai commencé ma carrière en étudiant le comportement du feu, c'est-à-dire sa vitesse de propagation et sa puissance en fonction de différents facteurs : météo, topographie, caractéristiques du combustible forestier. Mes travaux ont porté en particulier sur l'impact des traitements réalisés sur la végétation pour réduire les activités de feux ; les obligations légales de débroussaillement (OLD), notamment, sont un facteur clé pour réduire les sollicitations thermiques - flux radiatifs et convectifs - dans le voisinage des bâtiments à défendre.

Nos travaux montrent que la distance légale de 50 mètres n'est pas de trop pour permettre aux personnels de lutte d'intervenir en toute sécurité, compte tenu des puissances de feu enregistrées en fonction de la quantité de combustible. Nous avons testé plusieurs distances et modélisé leurs effets respectifs sur la réduction des flux : 10 mètres, 30 mètres et 50 mètres. Ce n'est qu'à partir de 50 mètres que l'on obtient, dans des conditions de propagation sévères, la diminution nécessaire des flux radiatifs et convectifs. La mise en oeuvre des OLD, aujourd'hui insuffisante, constitue donc une priorité.

Plus récemment, nous avons orienté nos recherches vers les activités de feu, c'est-à-dire le rapport entre nombre d'incendies et surfaces brûlées, d'une part, et facteurs météorologiques, d'autre part. Nous intégrons à nos modèles des indices de danger météorologiques régionaux et des facteurs locaux - empreinte agricole, densité routière - afin de déterminer leur influence sur la probabilité que des feux « échappent », c'est-à-dire dépassent le seuil critique d'un hectare, puis des seuils successifs, 10 hectares, 100 hectares, 1000 hectares.

Ce type d'approche nous permet d'analyser rétrospectivement l'évolution des activités de feux au cours des dernières décennies. Dans un contexte où les indices de danger climatique ont augmenté de 20 % environ, dont au moins la moitié est scientifiquement imputable au changement climatique, une diminution très importante des activités de feux a pourtant été constatée ces trente dernières années. Elle a eu lieu en deux temps : d'abord dans les années 1990, puis immédiatement après la crise de 2003. Nous démontrons qu'elle est exclusivement liée à la division par deux du nombre de feux d'un hectare permise par les efforts de prévention et de suppression, la loi du 13 août 2004 de modernisation de la sécurité civile ayant mis au coeur du dispositif la stratégie d'attaque rapide des feux naissants. En revanche, nous n'avons pas constaté d'amélioration quant à notre capacité à éviter que des feux déjà partis deviennent très grands.

Cette transition, autour de la crise de 2003, a conduit à une baisse considérable du nombre de feux, mais peu de progrès ont été réalisés par la suite à niveau de danger équivalent, même concernant les feux naissants. Cela signifie qu'il ne sera pas aisé de continuer à améliorer ces résultats, qui sont d'ailleurs très contrastés entre l'est de la vallée du Rhône, où l'amélioration a été très importante, et l'ouest, où la situation s'est plutôt dégradée à niveau de danger équivalent. Notre interprétation du phénomène, qui ne vaut pas démonstration, est que la DFCI a pu rencontrer des difficultés à encaisser cette augmentation du danger climatique dans la partie ouest du bassin, qui, historiquement, avait connu moins de grands feux que la partie est.

Ni la déprise agricole ni l'augmentation de la surface forestière sur l'ensemble de la zone, dont nous avons testé l'influence, n'apparaissent pour le moment parmi les facteurs explicatifs de ces changements, même s'ils ont pu augmenter la probabilité de petits feux dans l'ouest du bassin.

Je résume : d'un côté, le changement climatique explique l'augmentation du nombre de feux, et, de l'autre, la prévention et la lutte ont permis des gains globaux, en particulier après 2003 sur les petits feux.

L'autre volet de nos travaux consiste à réaliser des projections climatiques.

Nous avons reçu une commande en ce sens, de la part des trois ministères concernés, dans le cadre de l'actualisation du rapport « Chatry » de 2010. Quelques mots, tout d'abord, sur l'augmentation générale attendue : en 2050, on attend une augmentation des surfaces brûlées au sein de la zone sud-est d'environ 80 %. Le chiffre attendu à la fin du siècle, quant à lui, dépend énormément de ce qui se passera à l'échelle globale en matière d'émissions de gaz à effet de serre. Dans le scénario pessimiste, les activités de feux seraient triplées, quand le scénario intermédiaire de réduction des émissions, dit RCP 4.5, permettrait, s'il se réalisait, de les maintenir à 80 % après 2050.

En conséquence, la zone à risque, qui couvre environ 30 % de la zone sud-est aujourd'hui, s'étendrait à 50 % en 2050, puis jusqu'aux deux tiers à la fin du siècle. Cette expansion spatiale, considérable, peut sembler spectaculaire, mais deux tiers des nouvelles activités de feu auraient lieu dans la zone à risque historique, par intensification. Si des adaptations de la prévention et de la lutte seront bel et bien nécessaires dans des territoires actuellement peu exposés à ce risque, l'expansion, contenue par des franges de montagne, devrait se faire à la marge et non sur des centaines de kilomètres.

Se profile surtout un allongement considérable de la haute saison dans les zones où le risque existe déjà : concentrée aujourd'hui du 15 juillet au 24 août, elle irait désormais du 15 juin au 15 septembre, soit un quasi triplement. Là encore, le gros des activités sera attendu dans le coeur de la saison historique, ce qui exigera des interventions simultanées beaucoup plus nombreuses et plus intenses, entraînant usure et fatigue chez les professionnels.

M. Grégory Allione, président de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France . - Au-delà de mon rôle au sein de la FNSPF, qui m'a valu d'être invité aujourd'hui, je tiens à préciser que j'ai connu les feux de 1990, 2003 et 2016, que j'ai réalisé plusieurs missions en renfort sur le territoire national, notamment à La Réunion, ainsi qu'en Australie en janvier 2020.

Les perspectives tracées par François Pimont sont éloquentes. L'expansion du risque sur le territoire national aura des conséquences sur la sollicitation des personnels. Depuis que s'applique le principe de solidarité introduit par la loi de modernisation de la sécurité civile du 13 août 2004, il est devenu habituel que les pompiers du nord de la France viennent aider ceux du Sud pour lutter contre les feux.

Je plaide pour que l'on arrête de parler de « saison des feux » : en tant que directeur du service départemental d'incendie et de secours (SDIS) des Bouches-du-Rhône, je peux vous dire que nous intervenons sur des départs de feux depuis le mois de janvier. Autrement dit, malgré une intensité particulière sur certains créneaux, la saison des feux, c'est du 1 er janvier au 31 décembre, car la sécheresse est chronique !

Depuis 2019-2020, le dérèglement climatique, nous le vivons au quotidien. Avant-hier, je me trouvais dans le Gard pour des feux qui dépassent l'entendement - 10, 20, puis très rapidement 100 hectares -, malgré un faible vent. Ces feux ne sont pas « à taille humaine », leur intensité est telle qu'en l'absence de végétation entre la forêt et les éléments de lutte il est tout simplement impossible d'aller au contact. La puissance dont nous parlons se mesure en mégawatts : ce sont des centrales nucléaires qui se déplacent.

Au-delà du constat, je vous proposerai quatre axes de réflexion en vue de nourrir un éventuel texte législatif.

Premier axe : il faut un renforcement du soutien de l'État à l'investissement des SDIS, aujourd'hui assumé en très grande partie par les collectivités, hormis quelques subventions de l'État et le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA). La loi de 2004, qui a instauré le principe de solidarité « Nord-Sud », l'avait assorti du Fonds d'aide à l'investissement des SDIS, permettant aux départements de former le personnel concerné. Ce fonds, doté de plus de 300 millions d'euros entre 2004 et 2012, a fondu à 32 millions en 2016, puis à 7 millions aujourd'hui, orientés sur le seul projet NexSIS, logiciel d'alerte commun à tous les SDIS.

L'État doit faire bien davantage pour accompagner les collectivités, notamment en finançant les aménagements de défense extérieure contre l'incendie (DECI) pour l'accès à l'eau, ainsi que les aménagements de DFCI.

Je vous livre au passage deux observations. Lorsqu'un SDIS achète un véhicule pour commander la lutte contre les feux de forêt, mais ne contenant pas d'eau, il doit payer un malus qui augmente le prix de presque 50 %. De même, lorsque nos camions partent en opération, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) s'applique aux carburants utilisés, quand d'autres, parce qu'ils partent à la guerre, en sont exemptés. Voilà des pistes pour substituer des baisses de charges aux subventions, en déclin, dont dépendent les collectivités.

Deuxième axe : l'accroissement des moyens aériens de la sécurité civile. Il est prévu que le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) intègre un volet consacré à la sécurité civile ; c'est une première dans l'histoire de notre pays. On y trouve des éléments très intéressants, qu'il s'agira probablement de renforcer par voie d'amendement. Je veux croire à une prise de conscience.

Notre flotte - hélicoptères, avions bombardiers d'eau - est actuellement dotée pour couvrir une zone de risque déterminée. Or l'intensification des feux et leur déplacement sur le territoire national, voire au-delà, vont rompre le contrat opérationnel. Nous devons augmenter nos capacités, notamment en acquérant des hélicoptères bombardiers lourds, car un Canadair, utile sur la frange côtière, ne l'est pas en Bourgogne-Franche-Comté... Il serait par ailleurs intéressant de travailler au niveau européen afin de mutualiser les moyens. Les sapeurs-pompiers français sont par exemple partis en renfort en Suède. Le Groenland brûle, la Norvège brûle ; tout le continent est désormais touché.

Il est par ailleurs indispensable de moderniser nos infrastructures, à commencer par les logiciels -- je pense en particulier à NexSIS et au Réseau radio du futur. Je vais vous donner un exemple pour bien comprendre l'utilité de ces outils : si un camion de pompiers arrive du Vaucluse pour intervenir en curatif dans les Bouches-du-Rhône, il n'est pas géoréférencé dans le logiciel opérationnel du département ; il est alors impossible de le secourir s'il est piégé par le feu. Ces nouveaux outils le permettront et éviteront des drames.

Je pense également au dispositif FR-Alert, car la population a un rôle à jouer. En Australie, il existe des applications pour informer la population sur la situation des feux et des voies de communication en temps réel en cas d'incendies.

Troisième élément sur lequel je souhaite insister : en France, lorsqu'il faut réunir des financements, le réflexe est de solliciter les fonds publics, ceux des collectivités notamment. Nous avons modélisé, avec l'École d'économie de Toulouse et AgroParisTech, la valeur économique du « sauvé ». L'action des sapeurs-pompiers préserve en effet des vies, mais aussi le patrimoine forestier et l'activité économique. Dans le seul département des Bouches-du-Rhône, en 2019, la lutte contre 202 feux de forêt a permis de préserver une valeur de 1,4 milliard d'euros ; dans l'Hérault, la valeur « sauvée » était de 367 millions d'euros en 2021. De ce point de vue, le monde assurantiel a certainement un rôle à jouer, ce qui n'est pas sans lien avec le sujet des OLD.

Quatrième axe : le positionnement des sapeurs-pompiers dans la gestion de la sécurité civile. Nous sommes en pleine canicule : précisément, on ne parle des sapeurs-pompiers qu'en cas de catastrophe. C'est une politique en dessous des radars au quotidien. Dorénavant, toutes nos politiques publiques font une place à l'écologie, y compris lorsqu'une collectivité passe un marché, et il existe un ministère de l'écologie de plein exercice. Il s'agirait probablement de faire de même pour la sécurité civile. La Grèce, qui a subi des drames ces dernières années, l'a fait en créant un ministère de la protection civile et de la gestion des situations d'urgence.

Cette politique doit aussi impliquer la population dans la lutte contre les feux. Quant à doter la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises d'une véritable « direction métiers », je laisserai le sénateur Pascal Martin, en tant qu'ancien officier de sapeurs-pompiers, vous en dire plus. Nous gagnerions, en outre, à ce que l'École nationale supérieure des officiers de sapeurs-pompiers devienne un véritable institut national de sécurité civile : il faut former nos décideurs, préfets, maires, etc., à la gestion du risque et à la gestion opérationnelle.

Il faut une véritable politique des ressources humaines. J'ai évoqué une rupture du contrat opérationnel sur le matériel, mais il faut aussi évoquer, à la suite de notre collègue chercheur, la fatigue des personnels. Lorsque vous luttez contre les feux de forêt, une force civile intervient : les 196 000 sapeurs-pompiers volontaires. Leur nombre est constant depuis au moins vingt ans, alors que les sollicitations augmentent. Actuellement, la crise des urgences conduit à oublier totalement cette force essentielle au quotidien ; la mission flash actuellement menée sur ce sujet se concentre sur les personnels médicaux, alors que les sapeurs-pompiers contribuent également à répondre aux urgences médicales. Or ces mêmes pompiers répondent dans le même temps aux sollicitations qui sont au coeur de leur métier, à savoir canicule et feux de forêt.

Il est nécessaire aussi de renforcer les sapeurs-pompiers volontaires. C'est l'épine dorsale de la sécurité civile. D'ici à 2027, fixons-nous l'objectif de 250 000 volontaires. En Autriche, sur 9 millions d'habitants, on compte 242 000 sapeurs-pompiers volontaires ; en Pologne, pour 38 millions d'habitants, ils sont 260 000 - même s'ils n'ont pas tous les mêmes missions que les nôtres.

Il faut préserver cette force essentielle, faire en sorte que l'Europe considère l'engagement citoyen comme une véritable force. Nous attendons toujours la directive européenne sur ce sujet, même si, récemment, une motion du Conseil européen appelle à protéger l'engagement citoyen.

Ceux que l'on appelait les soldats du feu sont, par le biais des secours apportés en urgence aux personnes, les soldats de la vie : ce sont les mêmes qui, en ce moment, sont les soldats du climat.

M. Christian Pinaudeau, ancien secrétaire général du Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest . - L'expression de « mégafeux » est issue de la presse. Elle ne correspond à aucune définition scientifique. Les mégafeux seraient compris entre 1 000 et 10 000 hectares, ce qui voudrait dire, comme le disait le président de la FNSPF, que ces « mégafeux », en France, ont toujours existé. Quand on entend ce terme, on pense d'abord aux grands feux de Sibérie, du Québec ou des États-Unis parce qu'ils sont devenus totalement incontrôlables. Aucun moyen humain ne peut les arrêter : il n'y a plus qu'à prier. Seuls une pluie très forte, un fleuve, une montagne ou l'océan peuvent les arrêter.

Les mégafeux ne sont pas le vrai sujet. L'enjeu est de savoir comment éviter les risques, ou, en tout cas, les réduire, dans une approche préventive.

La politique de sécurité civile est fondée depuis longtemps sur un triptyque, quels que soient les secteurs : dans l'ordre hiérarchique, la prévention est première, puis vient la prévision et, enfin, la lutte. Le rapport flash de l'Assemblée nationale indique : « il est évident que le bon fonctionnement de la lutte contre les incendies dépend fortement de leur prévention. » La multiplication des moyens de lutte n'est pas la solution
- nous le saurions, sinon, depuis longtemps. Il s'agit d'une solution très coûteuse ; les moyens ne sont pas infinis. La prévention et la prévision sont faiblement développées en milieu forestier, voire ne le sont pas du tout ; étant à la retraite, mes affirmations ne coûteront rien à ma carrière.

Certains constats sont partagés par tous les acteurs de la lutte contre les incendies. Seule la foudre est une cause naturelle : l'homme, directement ou non, est derrière tous les autres départs de feux. Le grand incendie en Sibérie, toujours pas éteint, provient d'une rupture de câble électrique. Près de 95 % des feux sont d'origine anthropique. Le réchauffement climatique, indiscutable, conduit à une augmentation des risques ; une autre cause est la densification démographique. Pour le dire simplement, le feu suit l'homme. Cette extension des risques est cartographiée, depuis le rapport « Chatry » de 2010 : à échéance 2030 et 2060, on sait, globalement, quelles zones seront menacées. Nous ne pourrons pas dire que nous n'étions pas au courant.

Les solutions techniques, également, sont connues. Elles reposent sur une politique de prévention systématique à l'échelle de chaque massif forestier. À l'exception de la forêt de Gascogne, il n'y a pas de politique de prévention systématique dans les autres régions, seulement quelques expériences. Pourquoi ? La forêt, comme les pompiers, est invisible : on la voit seulement quand elle tombe ou qu'elle brûle. Entretemps, il ne se passe rien.

Le coeur du sujet est d'ordre politique, et non technique, car les solutions opérationnelles existent déjà. Le danger de l'expression « mégafeux » se trouve précisément dans cette espèce de connotation qui conduit à penser que le phénomène est inévitable, naturel, et donc que nous ne pouvons rien, si ce n'est fuir. Cela fournit un dangereux alibi supplémentaire pour ne rien décider politiquement. Étant donné le contexte actuel, la protection de la forêt devrait être une priorité nationale : cela n'est pas encore le cas.

Ce contexte est connu : réchauffement climatique, augmentation des populations, en particulier dans certaines zones en période estivale... De fait, l'intensification du risque suit les migrations de populations. Dans le Sud-Ouest, nous avons développé une technologie de géolocalisation des départs de feux : la corrélation est absolument parfaite avec la carte des infrastructures, que ce soient les routes, les autoroutes, les lignes de chemin de fer ou les lotissements.

Il faudrait engager la responsabilité de ceux qui veulent laisser faire la nature en forêt.

Une politique de prévention systématique est tout à fait possible : les modèles existent et sont opérationnels ; une décision politique suffit à les engager.

Toutes les conditions pour leur mise en oeuvre sont connues.

La première est l'application des textes. Nous avons un arsenal juridique complet. J'ai cru entendre que vous vouliez préparer une proposition de loi...

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - ...si nécessaire !

M. Christian Pinaudeau . - Tous les pays envient notre arsenal juridique en matière de lutte contre les incendies de forêt... sauf qu'il n'est pas appliqué. La loi spécifie qu'une fois une forêt classée, les préfets doivent mettre en place des associations syndicales autorisées (ASA). Les forêts sont classées depuis cinquante ans : dans le Sud-Ouest, les ASA ont été mises en place avant même cette loi ; dans le Sud-Est, ce n'est toujours pas le cas : aucun préfet ni aucun directeur de l'agriculture et de la forêt ou des territoires n'a'engagé ce processus. Il ne faut donc pas s'étonner des conséquences.

Une deuxième priorité est de définir ce qu'est la prévention en milieu forestier. Tout le monde en parle, mais personne ne parle de la même chose. La prévention consisterait à distribuer des dépliants aux rencontres avec les élèves... Pour nous, forestiers, la véritable prévention se passe sur le terrain : développement de points d'eau, de pistes d'accès pour les sapeurs-pompiers... À partir du moment où cette définition de la prévention est resserrée, nous pouvons organiser un quadrillage en conséquence, suivant la géolocalisation des départs de feu.

Troisièmement, il faut constituer un interlocuteur responsable. Dans le Sud-Ouest, dans chaque commune, il y a une ASA de DFCI, dirigée et présidée par les propriétaires forestiers. Ils sont responsables de ce qu'ils font et ils la financent. Voilà ce que j'entends par constituer localement un interlocuteur responsable. Certes, d'autres personnes s'occupent localement du risque d'incendie. Le maire, en particulier, responsable dans sa commune de la sécurité des biens et personnes, est confronté à tous les événements locaux, ce qui n'est pas une sinécure. Des bénévoles peuvent s'occuper de ce risque, mais sans interlocuteur responsable en forêt, il ne se passera rien. Selon un rapport de la Cour des comptes de 2000, dans le Sud-Est, environ 30 % environ des pistes financées par des fonds publics avaient disparu, chiffre en deçà de la réalité.

Enfin, je vous transmettrai un dossier formulant des propositions de financement.

M. Jean-François Longeot , président de la commission de l'aménagement du territoire . - Je vous remercie pour ces interventions enrichissantes.

M. Jean Bacci , rapporteur pour la commission de l'aménagement du territoire . - La prévention des feux non contrôlés, qu'on a qualifiés peut-être injustement de « mégafeux », et la lutte contre l'intensification et l'extension du risque incendie, dans le contexte du réchauffement climatique, sont un sujet majeur qui dépasse largement la période estivale.

Ce que nous avons entendu depuis le début des auditions que nous menons est particulièrement inquiétant. Comme l'ont notamment rappelé les rapports du GIEC avec le réchauffement climatique, les conditions deviennent davantage propices aux feux de forêt et de végétation sur l'ensemble du territoire national métropolitain, ainsi qu'à une intensification et une augmentation de l'ampleur de ces feux, lesquels ont un impact sur la qualité de l'air et la capacité de la forêt à stocker le carbone. Cela affaiblit nos plans de réduction et d'absorption des gaz à effet de serre, au moment où notre stratégie nationale bas-carbone (SNBC) nous engage dans des efforts budgétaires considérables.

Pour faire face à cette terrible menace, nous disposons d'un bouclier exceptionnel, celui des forces de sécurité civile, dont le travail remarquable sert d'exemple à nos voisins européens et à nos partenaires internationaux. Ce bouclier très puissant nous permet d'agir selon la doctrine française, fondée sur une attaque systématique, rapide et massive des feux naissants. Le réchauffement climatique va malheureusement accroître considérablement la pression exercée sur ce bouclier : nous n'avons pas d'autre choix que de renforcer drastiquement nos politiques de prévention, conjointement à un soutien continu à nos forces de lutte contre les incendies. Sans quoi le bouclier cédera, et les feux deviendront incontrôlables.

Heureusement, améliorer les actions de prévention nous semble envisageable : aménagement du territoire par un maillage de points d'eau, de pistes et de fossés, réduction des interfaces habitat-forêt, politique de sylviculture durable, mobilisation des activités agricoles pour couper la biomasse combustible, adaptation et extension des plans de prévention des risques d'incendie de forêt (PPRif) et des plans communaux de sauvegarde, application effective et simplification des obligations légales de débroussaillement autour des habitations, renforcement de la sensibilisation...

Sur quels leviers pouvons-nous agir de manière prioritaire et quels sont ceux sur lesquels nous sommes le plus en retard, et qui mériteraient une attention particulière ? Les premières auditions me laissent penser que c'est en matière de prévention au sens de l'aménagement du territoire, mais aussi de communication et de sensibilisation que nous disposons des plus grandes marges d'amélioration. Partagez-vous ce point de vue ? Les moyens alloués à cette politique de prévention sont-ils suffisants ? Pourraient-ils être évalués à l'aune des dommages sociaux et écologiques évités et de la « valeur du sauvé » ?

Par ailleurs, l'extension progressive du risque d'incendie à l'ensemble du territoire national et l'intensification des feux nécessitent de consolider les moyens de prévention, de surveillance et de lutte contre les incendies. Faut-il envisager d'autres niveaux de financement de ces politiques ? Avez-vous des recommandations en matière de gestion de la forêt, de planification territoriale et de responsabilisation des citoyens ?

Enfin, le feu de Gonfaron dans le Var, l'an passé, nous apprend qu'une meilleure coordination entre les règles issues du droit de l'environnement et du code forestier pourrait rendre plus efficace la prévention des incendies. Une application plus pragmatique du code de l'environnement aurait par exemple facilité la réalisation de débroussaillements, indispensables à la limitation de la propagation du feu. Qu'en pensez-vous ?

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure pour la commission des affaires économiques, présidente du groupe d'études « Forêt et filière bois » . - Il existe une approche en amont, la prévention, et une en aval, une fois le feu déclaré. Sur l'amont, vous avez mis en exergue l'enjeu de la bonne gestion des espaces naturels et l'impact que peut avoir l'urbanisme, ce qui renvoie au « zéro artificialisation nette », sujet d'actualité pour nos territoires. Cela nous incite aussi à avoir une gestion forestière plus territorialisée, par massif.

Monsieur Allione, nous comprenons à quel point il faut renforcer les moyens humains et matériels de lutte contre les incendies, selon une stratégie nationale et européenne, et mesurons au quotidien le déficit humain dans les centres de secours sur nos territoires. La stratégie d'attaque rapide sur feux naissants a fait ses preuves. Mais comment s'adapter localement pour réagir rapidement aux feux ? Que pensez-vous des schémas départementaux d'analyse et de couverture des risques (SDACR) ? Sont-ils en cours d'adaptation sur l'ensemble du territoire ? Que pensez-vous des plans communaux de sauvegarde ? Peut-on adapter leur volet incendie ?

Monsieur Pinaudeau, les aires protégées et la libre évolution des forêts font débat. Moins les forêts sont gérées, plus elles sont vulnérables aux incendies. Quel est votre avis sur les documents de gestion durable pour les forêts privées - plan simple de gestion (PSG) à partir de 25 hectares, code de bonnes pratiques sylvicoles (CBPS) en dessous ? Faut-il revoir ces documents pour que moins de petites parcelles échappent à la non-gestion et soient sources de départs d'incendie ?

M. Pascal Martin , rapporteur pour la commission de l'aménagement du territoire . - Cette audition complète le travail engagé depuis quinze jours. Je me centrerai sur le coeur de notre mission, la politique de prévention, à travers la problématique de la nouvelle cartographie du risque.

Les PPRif, un des fondements de cette politique, ne sont prévus que dans les « zones où la protection contre les incendies les rend nécessaires », c'est-à-dire principalement dans le Sud de la France, et particulièrement dans l'arc méditerranéen. Or, avec le réchauffement climatique, les conditions deviennent davantage favorables aux feux de forêt et de végétation sur l'ensemble du territoire national métropolitain. La réalisation d'un plan de prévention devrait-elle être projetée dans les zones réputées actuellement comme non exposées, voire sur l'ensemble du territoire national ? Cela permettrait de préparer le pays entier au risque et de trouver les réponses appropriées à chaque territoire - il est évident que les mesures prescrites dans le Sud-Est de la France n'ont pas vocation à être reprises à l'identique dans le reste du pays.

Plus largement, devrions-nous renforcer la prise en compte du risque d'incendie dans les documents d'urbanisme - schéma de cohérence territoriale (SCoT), plan local d'urbanisme (PLU), cartes communales ? Le cadre posé par la loi Climat et résilience en matière de recul du trait de côte pourrait nous servir d'exemple : nous avons prévu que les PLU définissent dans les zones particulièrement exposées les actions et les opérations nécessaires pour réorganiser le territoire au regard du risque d'inondation, ainsi que leur échéancier prévisionnel. Quel regard portez-vous sur cette piste, adaptée cette fois au risque d'incendie de forêt ?

Les OLD sont un sujet récurrent de nos auditions. Cette mesure de prévention est particulièrement efficace, puisqu'elle protège les habitations des feux et limite en même temps les risques de départ d'incendies à proximité des habitations. Malheureusement, ces obligations ne sont respectées que dans 30 % des cas environ. Face à l'accroissement du risque dans le contexte du réchauffement climatique, cette situation ne peut pas perdurer. Il semble y avoir deux solutions : soit nous maintenons une responsabilité individuelle de débroussaillement, reposant sur les propriétaires, en mettant en place des incitations ou en renforçant les sanctions pour s'assurer de la bonne application de l'obligation, soit nous instaurons - même si je sais le sujet particulièrement sensible - une maîtrise d'ouvrage collective des opérations de débroussaillement, sous l'autorité par exemple des collectivités territoriales. Quelle option vous semble la plus souhaitable ?

M. Olivier Rietmann , rapporteur pour la commission des affaires économiques . - Je salue particulièrement M. Pimont, originaire de ma commune en Haute-Saône.

J'aimerais vous interroger sur l'aspect interministériel de notre politique de prévention du risque d'incendie, sujet déjà évoqué. Lors de nos précédentes auditions, j'ai été surpris de voir un grand nombre d'acteurs, ayant parfois des logiques différentes, voire antagonistes, mais pas d'autorité chargée d'intégrer ces logiques pour assurer la cohérence de cette politique. Jusqu'à quatre ministères sont concernés par le sujet ! Vous me direz que l'interministérialité, localement, c'est le rôle du préfet, mais ne manque-t-on pas d'un délégué interministériel au niveau de l'administration centrale et d'un document de planification national conciliant plus clairement ces logiques ?

Je suis élu d'un territoire rural, la Haute-Saône, qui a été durement affecté par la crise des scolytes. Quand je lis dans un article de presse, écrit l'été dernier, que « les Vosges flamberont comme une torche australienne », cela m'inquiète énormément. En quoi les dépérissements créent-ils un risque d'incendie spécifique ? Dans quelle mesure la prévention et la lutte doivent-elles être appréhendées d'une façon différente, dans un massif touché par des dépérissements ? L'Office national des forêts (ONF) nous fait remarquer qu'à terme, 30 % des arbres seront en inconfort dans leur station forestière...

Un autre sujet qui me tient à coeur est l'imbrication croissante entre feux de forêt, feux de récolte et feux de végétation. Dans mon département, il est de plus en plus difficile d'en faire des risques à part. Comment aménager les interfaces entre ces milieux ? Des aménagements à l'obligation de replanter en cas de défrichement seraient-ils souhaitables pour créer des coupures de végétation ?

Notre politique de prévention du risque d'incendie doit être articulée à nos moyens de lutte contre l'incendie. Il est nécessaire de repenser la répartition de nos forces de sécurité civile à l'aune de l'extension des zones à risque d'incendie dans la moitié nord de la France. Jusqu'à maintenant, si nous sommes les « champions du monde » de la lutte contre l'incendie, c'est parce que nous avons un système de prévention et d'intervention des plus rapides et efficaces, qui repose sur un équilibre fragile, notamment au niveau des forces en présence. Les pompiers du nord de la France venaient pendant la saison des feux pour aider leurs collègues du sud, à travers les fameuses « colonnes de renfort ». Demain, cela sera-t-il encore possible ? Ne serait-ce qu'en Haute-Saône, nous avions régulièrement une équipe de renfort qui partait dans le Sud ; avec les feux toujours plus importants de végétation et de culture, lors des récoltes, avec l'extension de la période et de la zone à risque, avec l'obligation croissante pour les pompiers de porter secours aux personnes, tout amène à penser que demain, ces renforts ne seront plus disponibles.

Hier, en audition, l'Office national des forêts (ONF) nous présentait trois scénarios possibles pour les SDIS : leur accorder davantage de moyens, libérer des effectifs pour lutter contre les incendies en confiant les missions de secours d'urgence aux personnes par d'autres ou enfin mieux identifier les causes de départ de feu pour lutter plus efficacement. De ces scénarios, lesquels vous paraissent les plus susceptibles d'être mis en oeuvre ?

M. Christian Pinaudeau . - On dénombre 2 500 départs de feux dans la forêt de Gascogne, soit un territoire d'environ deux départements et demi, pour 2 000 hectares brûlés en moyenne chaque année. Dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, on compte un peu plus de 500 départs de feu en moyenne par an pour près de 4 000 hectares brûlés.

Les pompiers girondins et landais ne sont pas plus efficaces que ceux du Sud-Est. La différence réside dans l'aménagement de ces territoires et dans la prévention. Je suis certain qu'une prévention systématique à l'échelle des massifs réalisée dans le sud-est de la France permettrait de réduire les risques de départ de feu et d'améliorer la lutte contre les incendies. Pour cela, la logique doit être poussée à son terme.

Un autre exemple : un incendie est en cours au bord d'une autoroute dans l'Aude. Si l'absence d'entretien des lignes de chemin de fer par la SNCF ou des aires d'autoroutes par les concessionnaires - sources connues de départ de feu - donnait lieu à un procès en vue d'une indemnisation comme nous le faisons systématiquement dans le Sud-Ouest, je vous assure que l'entretien de ces zones à risque serait fait régulièrement.

La prévention doit être bien définie et mise en place. En effet, il est dangereux de communiquer ou de donner des informations sur un système de prévention et de lutte contre les incendies qui ne serait pas verrouillé. Cela peut susciter dans le cerveau de certaines personnes l'envie de mettre le feu. L'immense majorité de la population française respecte les consignes de sécurité ; nous travaillons tous à la mise en place de la meilleure sécurité possible pour les 0,5 % de personnes qui déclenchent des feux.

Ainsi, en 1975, année de forts incendies lors de laquelle la Direction de la sécurité civile avait rédigé un rapport sur les risques liés à l'urbanisation, des enfants avaient tenté de mettre le feu pour regarder les Canadairs en action. De même, l'expression « mégafeux » renforce les sentiments d'anxiété, de peur, mais aussi l'attirance pour le spectacle du feu.

Dans les années 1940 et 1950, dans le Sud-Ouest, nous avions mené des actions de communication sans, pour autant, que cela empêche les départs de feux. Nous avons alors abandonné la publicité et commencé un travail de fourmi sur le terrain. Aujourd'hui, nous maîtrisons les départs de feux.

Vous évoquiez l'action des ministères qui souhaiteraient s'occuper de tout. Les administrations centrales s'affrontent en permanence pour délimiter leurs domaines de compétences. En 2007, une circulaire du responsable de la sous-direction de la forêt détaillait la liste des compétences du ministère de l'agriculture en matière de prévention - soit à peu près toutes les compétences possibles. Six mois plus tard, le ministère de l'environnement publiait une circulaire pour rétablir son champ de compétences, tout comme la direction de la sécurité civile, qui ne voulait pas être en reste. Mais, pendant ce temps, il ne se passe rien sur le terrain !

À l'échelle nationale, nos interlocuteurs sont si brillants et compétents qu'il est inutile de leur poser la moindre question. Nous devons travailler localement.

Déjà, Haroun Tazieff, dans un rapport de 1983, déclarait que le ministère de l'environnement faisait de la « prévention réglementaire ».

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Vous parlez de décentralisation, ce qui nous fait plaisir.

M. Christian Pinaudeau . - Je suis un adepte de la décentralisation : il faut réfléchir et agir localement. Cela aide à développer une réflexion à l'échelle nationale. Il faut bien évidemment procéder à un nettoyage du code forestier et du code de l'environnement.

La meilleure façon de protéger les espaces consiste à bien gérer les risques. Il n'est pas possible de craindre le réchauffement climatique, l'augmentation des risques qu'il induit et ne rien faire pour lutter contre les feux, c'est-à-dire laisser faire la nature.

Autant il est possible de laisser brûler 900 000 hectares dans le nord du Québec, peu habité, autant la situation est différente dans les environs de Marseille, de Bordeaux, d'Arcachon ou de Los Angeles, où la densité de population est très importante. Nous ne sommes plus dans des environnements naturels et il n'existe donc pas de solutions naturelles pour ces zones. À Lacanau, dont la population passe de 7 000 habitants à 70 000 habitants pendant trois mois, des structures adéquates de gestion des risques sont mises en place. Si nous voulons limiter les risques, nous devons les gérer.

M. Grégory Allione . - Sur cette question des risques et des dangers, il nous semble nécessaire de mettre en place une stratégie nationale et une application et une tactique locales, ce qui permet de répondre à cette volonté à la fois de déconcentration et de décentralisation.

Monsieur Bacci, nous avons du retard sur les actions prioritaires. Le contrat opérationnel est aujourd'hui en rupture. Il est essentiel de renforcer nos ressources humaines et nos capacités matérielles. Comme le sénateur Rietmann le soulignait, l'urgence est là. Face au réchauffement climatique et aux épisodes de canicule que nous subissons actuellement, se contenter de dire qu'il faut penser à se rafraîchir et éviter tout risque de départ de feu ne sert pas à grand-chose.

Notre politique globale de protection civile marque le pas. Aujourd'hui, en dehors des maires et des personnes en charge de cette politique, personne n'est impliqué. Or les premiers concernés sont nos concitoyens. J'ai déjà souligné l'importance du portage politique : aucune politique globale n'est aujourd'hui mise en oeuvre en termes de prévention des risques. J'ai entendu parler d'un délégué ministériel ; parlons peut-être d'un ministère !

En cas de feu de forêt, vous devez rester confinés dans votre habitation si le terrain est débroussaillé. Or tout le monde s'en va ! C'est bien le signe d'un échec en matière de prévention et d'information. De même, en cas d'inondation, il faut partir, mais tout le monde reste ! Est-il normal qu'un incendie, rue Erlanger, dans le XVI e arrondissement de Paris, provoque la mort de dix personnes, en 2019, dans un bâtiment des années 1970 ? La politique globale de protection civile est en péril, parce qu'elle n'a tout simplement pas débuté. Vous me demandiez, M. Bacci, où nous avons du retard. Il s'agit d'un bel axe de travail pour le législateur.

Madame Loisier, il est évident que pour anticiper les SDACR doivent intégrer le risque incendie. La question du feu dans les espaces naturels doit être prise en compte dans l'ensemble de nos documents structurants dans nos territoires. Elle a des incidences aussi bien sur les personnels et les matériels amenés à lutter contre les incendies que sur les plans communaux ou intercommunaux de sauvegarde et sur les réserves communales de sécurité civile. Le sénateur Bacci pourrait, par exemple, évoquer les comités communaux « feux de forêt », composés de connaisseurs de l'environnement qui nous guident dans notre action. Il existe une vraie synergie entre les SDIS et les maires, chargés de développer une véritable politique au service de nos concitoyens.

Le modèle français de protection civile est particulier, sinon exceptionnel. Il n'a pas d'équivalent à l'échelle européenne ou dans le monde anglo-saxon. Les sapeurs-pompiers assurent à la fois le secours d'urgence aux personnes et la réponse au feu. Sans eux, les déserts médicaux seraient encore plus nombreux. Il ne s'agit pas de recruter à tort et à travers, mais nous avons besoin et de sapeurs-pompiers professionnels, qui constituent la colonne vertébrale de la protection civile, et de sapeurs-pompiers volontaires, citoyens engagés.

À l'heure du service national universel ou du service civique, il faut demander aux jeunes de s'engager dans cette démarche. Pour reprendre les mots d'un Président de la République, « notre maison brûle ». Nous avons besoin de citoyens engagés dans les forces de sécurité civile, aux côtés des pompiers professionnels et des militaires, pour prendre en charge les actions sanitaires quotidiennes et répondre aux événements exceptionnels. Les feux sont le sujet de l'été, mais je vous donne déjà rendez-vous à l'automne pour parler des épisodes méditerranéens.

Il existe un vrai sujet assurantiel à propos des OLD. De manière générale, les gens n'agissent qu'à partir du moment où l'on touche à leur porte-monnaie !

Les maires ne doivent pas être laissés seuls. À une certaine époque, les forces de l'ONF accompagnaient les élus dans la mise en oeuvre d'une politique non seulement d'aménagement du territoire et de gestion de l'espace forestier, mais aussi de prévention, voire de répression. Réduit comme peau de chagrin, l'ONF ne peut plus accompagner les élus sur le terrain.

Quand la prévention et la sensibilisation ont échoué vient le temps de la répression, qui doit être graduée. Dans ce dernier cas, les maires doivent être accompagnés par le pouvoir régalien afin de sanctionner les individus qui refusent de s'intégrer dans le dispositif collectif et qui nous mettent tous en péril.

Quant à l'interministérialité, Monsieur Rietmann, la politique s'étiole aujourd'hui entre les différents ministères. Je n'incrimine pas les personnes, mais notre organisation, qui ne permet pas la transmission des informations.

M. François Pimont . - Les études les plus récentes conduites au niveau européen et français nous montrent que cette extension de la zone à risque est une sorte de tache d'huile. À deux exceptions près que je mentionnerai après, les territoires ne vont pas changer profondément d'un seul coup. Il s'agit de zones faiblement à risque qui vont devenir davantage à risque. À l'échéance de 2050, l'essentiel des efforts est à porter sur les zones en marge des actuelles zones à risque élevé.

Pour déterminer les zones d'intérêt, il est possible de s'appuyer sur les bases de données recensant les feux, même s'il faut mener un effort de systématisation des déclarations, afin de détecter les endroits où les risques de feux de forêt émergent. Il y a maintenant une base de données gérée par l'IGN, ayant permis de réaliser d'importants progrès en la matière, mais il faut poursuivre en ce sens.

La première des deux exceptions que j'évoquais concerne les scolytes. Ce problème est récent en France, mais bien connu aux États-Unis depuis des années. À court terme, les scolytes font roussir sur pied les peuplements, ce qui non seulement disperse la végétation, et donc le combustible, mais l'assèche aussi. Or un peuplement complètement asséché équivaut à un doublement de la vitesse du vent. Ainsi, des zones qui n'étaient pas ou peu sensibles au risque incendie, le deviennent fortement. Ce sont autant de points de vigilance particuliers.

La seconde exception est liée à l'agriculture : les feux de chaume, qui partent des zones agricoles, se propagent à la forêt située à proximité. Ces phénomènes se sont accentués ces dernières années. Il s'agit aussi d'un point de vigilance.

Des outils existent pour cartographier ces zones. Le ministère de l'écologie nous a commandé une carte d'occurrence à l'échelle du Sud-Est. S'appuyer sur ce type d'outils permet de mieux déterminer les zones d'émergence des risques pour y concentrer l'essentiel des mesures.

La prévention joue un rôle essentiel. Des aménagements forestiers, comme des pistes, par exemple, permettent d'éviter que beaucoup de feux ne détruisent plus d'un hectare. Il faut être conscient que la zone Sud-Est connaît déjà des indices de danger sans commune mesure avec ceux observés en en Grèce, au Portugal ou en Californie. Or ces indices vont continuer d'augmenter sous l'effet du changement climatique. Une politique de lutte et de prévention très efficace nous a permis de réduire le nombre de feux qui nous échappent à environ 200 par an dans la zone Sud-Est. Mais nous ne réalisons que peu de progrès en matière de lutte contre les feux qui nous ont échappé. On dénombre aujourd'hui six à sept feux de plus de 100 hectares par an, treize lors de grosses saisons. À la fin du siècle, on anticipe qu'il y en aura quarante par an. Il faut donc dès aujourd'hui diviser par quatre le nombre de petits feux pour en rester au même niveau de grands feux. On pourra sans doute réduire leur nombre, mais jamais les prévenir totalement. Il est donc très important de développer des mesures pour défendre les habitations, car des feux extrêmes - je préfère cette expression à celle de « mégafeux » - se déclencheront partout, quelles que soient les mesures de prévention. Un feu extrême est statistiquement exceptionnel, que ce soit en termes de taille ou de danger. Mais comme le disait un statisticien célèbre : « Il est impossible que l'improbable n'arrive jamais. » Le feu de Gonfaron, en août 2021, en est un bon exemple : même si les services n'ont pas été désorganisés, dès lors qu'il faut traiter 80 kilomètres de lisière, on ne peut plus protéger toutes les habitations.

Les OLD, la culture du risque, l'information des populations sont des sujets importants. Je suis effaré de voir que les médias ne nous sollicitent qu'en été, au coeur de la saison des feux. Je leur demande souvent de me contacter en amont, pour inciter les gens à mettre en oeuvre leurs OLD en hiver ou au printemps - bien évidemment, aucun journaliste ne m'a jamais rappelé.

M. Grégory Allione . - Je n'emploie pas non plus le terme de « mégafeux », qui relève du sensationnel. On a tendance à parler lorsque le feu monte en intensité de « virulent ». Je préfère parler de « feux agressifs », qui se propagent par l'avant, avec des sautes d'un kilomètre, et qui deviennent explosifs en se propageant également de manière latérale quand bien même le vent le dirige vers l'avant.

Un feu agressif, qui peut nous piéger, représente une réelle contrainte pour les services de secours et pour tout ce qui concerne l'interface de la lutte contre l'incendie. Il est plus facile de s'organiser pour combattre un feu dans un espace forestier sans habitation, plutôt que de devoir protéger des maisons. L'urbanisation est venue compliquer notre tâche. Nos concitoyens doivent savoir que nous ne disposerons jamais d'un camion pour chaque habitation.

M. Bruno Belin . - Ancien président de conseil départemental, et accessoirement toujours membre de services de santé et de secours médical (3SM), j'estime que le secours à la personne doit être maintenu. Quelles solutions pouvons-nous mettre en place pour assurer la présence de moyens humains sur l'ensemble du territoire ?

Pensez-vous qu'une forme de récompense - déduction fiscale ou bonus sur la dotation globale de fonctionnement pour les collectivités territoriales, déduction fiscale pour les entreprises... - contribuerait à dégager ces moyens humains ?

M. Jean-Marc Boyer . - Les SDIS sont financés à 95 % par les conseils départementaux, par les communes et par les intercommunalités. La défense incendie d'une commune relève, quant à elle, de la responsabilité du maire. Quels moyens financiers de l'État envisagez-vous pour soutenir cette politique et bâtir une prévention efficace ? Nous avons en effet pris la mauvaise habitude, dans notre pays, d'imposer des obligations aux conseils départementaux et aux communes sans leur transférer les crédits correspondants.

Mme Angèle Préville . - Lorsque les températures sont très élevées et que les matières deviennent très inflammables, des alertes spécifiques sont-elles données ? Un dispositif particulier pourrait être envisagé. Ces derniers jours, alors qu'il n'y avait pas de vent, le feu s'est propagé très rapidement.

Par ailleurs, il faut renforcer la sensibilisation, dont j'ai cru comprendre qu'elle avait été mise un peu entre parenthèses, alors qu'elle fait partie de la prévention. Pourriez-vous nous donner des chiffres concrets concernant l'origine des feux ? Si 95 % des feux sont d'origine humaine, quelles sont les parts des actes accidentels et des actes volontaires ?

M. Daniel Gremillet . - Je suis assez surpris que le représentant de l'Inrae nous dise que la déprise agricole n'a pas fait évoluer le risque d'incendies. Lorsque j'étais un jeune agriculteur, dans les années 1980, le CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs) avait mené un travail approfondi en réponse à une demande forte des pompiers, du ministère de l'agriculture et des forestiers, pour que les agriculteurs débroussaillent. Une politique de reconquête de la production bovine et ovine avait été lancée, car on considérait, à cette époque, que la déprise agricole était un facteur de risque aggravant.

Je suis également surpris par ce qui a été dit des scolytes. Venant des Vosges, où des attaques de scolytes ont lieu depuis longtemps, je peux vous assurer que le problème ne concerne pas que les Américains. Seulement, la réponse a changé : il y a cinquante ans, le propriétaire d'un arbre devait couper l'arbre non quand il était mort, mais alors qu'il était encore habité par les scolytes, avant de l'éplucher et de le brûler, afin de lutter contre la propagation de ces insectes.

Aujourd'hui, on compte les morts sans soigner les blessés. Il y a quatre ans, j'avais interpellé le ministère de l'agriculture : les scolytes sont particulièrement implantés dans l'est de la France, en Bourgogne-Franche-Comté. À l'époque, nous avions estimé que des centaines de milliers d'hectares étaient touchés, mais le ministre avait considéré que nous exagérions, car de telles surfaces n'apparaissaient pas à l'observation satellitaire. Or cette dernière fausse la réalité : le satellite ne voit que les arbres morts, mais ne permet pas de percevoir les attaques en cours. Seule l'observation humaine dans la forêt permet d'intervenir.

D'autres problèmes sont posés par les réserves d'eau et la cartographie, mais je n'ai pas le temps de les aborder. En tant que vice-président Forêt de la commission Agriculture de Régions de France, et vice-président du groupe d'études Forêt et filière bois, nous aurons peut-être l'occasion de discuter plus longtemps.

M. Grégory Allione . - Je vais peut-être vous choquer, mais il y a trois mois, j'ai demandé aux officiers du corps départemental que je dirige de réfléchir aux manières d'éteindre les feux sans eau. Cette contrainte est réelle : l'eau est un élément rare, et les sapeurs-pompiers utilisent de l'eau potable, ce qui me choque en tant que citoyen. Il faut trouver des techniques opérationnelles permettant d'utiliser de l'eau brute. Lorsque j'ai commencé ma carrière de sapeur-pompier, nous apprenions à éteindre les feux avec beaucoup moins d'eau, en particulier parce que les camions pouvaient moins en porter. Nous devons utiliser des techniques ancestrales, comme le contrôle de contre-feux, c'est-à-dire de feux tactiques et dirigés. Il s'agit d'un sujet de préoccupation tant pour les soldats du feu que pour les maires.

Un autre élément important est le volontariat. Les 3SM ont été notre force de frappe durant la crise du Covid, pendant laquelle nous avons vacciné 25 % de la population. Le volontariat est une force du quotidien, qui nous permet de réagir aux situations exceptionnelles. Il faut le favoriser et le défendre.

Je suis en discussion avec l'Assemblée des départements de France (ADF) au sujet d'une nouvelle prestation de fidélité et de reconnaissance. Aujourd'hui, un sapeur-pompier volontaire s'étant engagé pendant 30 ans verra sa retraite augmentée de 70 euros par mois. Il s'agit d'un vrai sujet : une véritable politique publique doit reconnaître l'engagement tant des volontaires que des entreprises et des collectivités leur permettant de se libérer.

Les précédents présidents de la fédération se désolaient que ce message ne soit porté que par la FNSPF. Il s'agit pourtant d'un véritable sujet de politique publique, qui permet que nos territoires soient résilients au quotidien, que cela soit au niveau du Secours d'urgence aux personnes (SUAP) ou lors de catastrophes naturelles.

Au sujet du soutien de l'État, il faut évidemment davantage accompagner les collectivités. L'accompagnement des territoires dans la mise en oeuvre de la Défense extérieure contre l'incendie (DECI) ne relève pas de mes compétences. Les maires sont contraints par la limitation de leurs capacités fiscales, et je comprends le débat à ce sujet. Cependant, en tant que citoyen, je pense que des manoeuvres fiscales peuvent permettre d'agir dans les territoires.

Pour autant, au sujet des crédits qui abondent les SDIS, la solidarité nationale doit s'exprimer. La crise que nous traversons et les situations d'urgence vécues par la protection civile doivent relever du « quoi qu'il en coûte ». Ce terme fait certes réagir, au sortir de la crise du Covid, alors que la question de l'endettement de notre pays se pose à nouveau. Aujourd'hui, face au dérèglement et à l'urgence climatique, il est nécessaire de maintenir un « bouclier » d'intervention rapide - je reprends à mon compte l'expression de M. Bacci -, qui nous permet d'éviter que les feux ne deviennent de gros feux : il faut davantage de moyens, humains et financiers.

Les feux d'aujourd'hui sont particuliers, car ils n'ont plus besoin de vent pour se propager. Nous devons davantage travailler pour que nos concitoyens ne mettent pas le feu. Une grande majorité des feux, à hauteur de 70 %, est liée à de l'imprudence : ils sont dus en particulier à des mégots de cigarettes jetés dans les aires d'autoroutes, ou à des travaux réalisés à proximité de zones à risque, des disqueuses ou des soudeuses projetant des étincelles. Le plus gros feu de 2016 dans les Bouches-du-Rhône, qui a menacé Vitrolles et Marseille, aurait ainsi été provoqué par quelqu'un qui coupait du carrelage.

Nous travaillons donc pour informer le public du comportement à observer dans leur environnement. À hauteur de 30 %, les feux sont dus à de la malveillance, pour diverses raisons - par exemple, les gens mettent sciemment le feu lors de conflits de voisinage, pour chasser ou encore pour détruire les preuves d'un délit. Seules la police et la répression judiciaire peuvent empêcher ces gens-là de mettre le feu.

M. François Pimont . - Pour répondre à la question de Mme Préville sur les températures, Météo-France prévoit le niveau de danger quotidien à partir de différents indicateurs.

Nos recherches tentent de mieux comprendre les effets de la sécheresse et de la température sur l'état hydrique des végétaux, qui est un facteur déterminant : la quantité d'eau dans les végétaux va influer sur la virulence des feux. Une meilleure connaissance de l'hydraulique des plantes et les données satellitaires de surveillance permettent de cartographier plus précisément les risques.

Actuellement, le pilier du suivi de l'état de la végétation est le Réseau hydrique. Organisé par l'ONF, il mesure toutes les semaines l'état hydrique des végétaux dans une trentaine de sites en France. Sa situation budgétaire est extrêmement tendue, alors que les sommes en jeu pour financer ce réseau sont presque négligeables par rapport au coût des incendies de forêt. Ainsi, le nombre de points de mesure a dû être réduit, et les mesures commencent de plus en plus tard, le budget n'étant pas suffisant pour couvrir l'ensemble de la saison - aujourd'hui, les relevés n'ont toujours pas commencé, alors que des feux se déclarent déjà dans les Bouches-du-Rhône ou dans le Gard. Un meilleur suivi de la végétation est nécessaire.

Ces mesures sont croisées avec les observations satellitaires, afin d'étendre spatialement les informations. Des choses doivent encore être développées avant que cela ne puisse devenir opérationnel.

Je voudrais revenir sur la question des mégots, qui représentent entre 2 % et 3 % des causes d'incendies, pour 6 % des surfaces brûlées. Certains endroits souffrent clairement d'un déficit d'information : sur les aires d'autoroutes traversant le Var, aucune information concernant les feux de forêt n'est disponible, et certaines personnes en transit peuvent facilement ne pas s'apercevoir qu'elles se trouvent dans un territoire à risque. Aux États-Unis, dans tous les territoires à risque, un panneau avec un camembert indique le niveau de danger dans chaque commune. En France, il y a un déficit d'information : il faut sensibiliser le public au fait que nous nous trouvons dans une période à risque, même si la saison des feux peut désormais s'étendre tout au long de l'année.

Concernant la déprise agricole, il faut prendre en compte le contexte des observations. Notre étude - qui reste une étude préliminaire - montre qu'à l'échelle de l'ensemble du Sud-Est, la déprise agricole ne peut pas être considérée comme un facteur décisif de la variation des activités de feu. Cela ne veut pas dire que, plus localement, elle n'a aucun effet. Par exemple, dans l'Aude ou les Pyrénées-Orientales, nous suspectons que la déprise agricole liée à la vigne a des effets sur les incendies. Nous creusons actuellement la question avec la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de l'Aude.

Si j'ai parlé des États-Unis au sujet des scolytes, c'est que l'interaction entre les scolytes et les feux existe déjà là-bas. En France, il y a des scolytes depuis de nombreuses années dans l'Est de la France, mais ils étaient relativement peu présents dans les zones à risque de feux de forêt. Pour cette raison, j'ai indiqué que cette interaction scolytes-feux avait été relativement peu considérée jusqu'à maintenant.

Mais il faut reconsidérer la question. Les attaques massives de scolytes, très amplifiées par la sécheresse, pourraient favoriser d'importantes activités de feux dans de nouvelles zones à risque. Aux États-Unis, les études montrent que les scolytes font doubler le niveau de danger. On peut rapidement basculer d'un côté à l'autre du seuil : des centaines d'hectares connexes roussis par les scolytes peuvent être le lieu d'un incendie important. Il s'agit donc d'un point de vigilance, à ajouter aux feux agricoles dans les facteurs de « sauts » en discontinuité de la tache d'huile.

M. Chistian Pinaudeau . - Sans m'étendre sur la question, je voudrais simplement souligner qu'en matière forestière, s'il y a deux contre-exemples qui nous montrent ce qu'il ne faut pas faire, ce sont les États-Unis et le Portugal.

Je ne vais pas insister sur l'efficacité de la prévention et de la lutte contre les incendies dans le Sud-Ouest, mais il pourrait y avoir davantage d'échanges d'expériences. M. Pimont nous dit que la stratégie de la station de recherche d'Avignon est désormais ciblée sur les zones à risque à partir de la géolocalisation des départs de feu, alors qu'une telle stratégie a été mise en place dans le Sud-Ouest à partir des années 1980.

Des marges de manoeuvre importantes existent en matière de prévention, mais il ne faut pas pour autant baisser la garde en matière de lutte. Le sujet est politiquement complexe : il faut a minima conserver les mêmes moyens concernant la lutte, et peut-être espérer une légère augmentation, notamment par l'appui des volontaires. Mais il ne faut surtout pas baisser la garde.

En matière de prévention locale, nous avons un modèle avec les associations syndicales autorisées (ASA). Ces structures présentent l'avantage d'être obligatoires, quelle que soit la taille de la propriété. Elles y ont été développées après que la moitié des terres forestières avait brûlé, entre 1940 et 1950. Au départ, il y a certes eu des hurlements des propriétaires, car les associés devaient payer pour s'organiser collectivement. Mais il est désormais hors de question d'empêcher les propriétaires forestiers et agricoles de diriger leurs ASA de DFCI. L'astuce a été de confier ces associations aux propriétaires eux-mêmes, et non aux représentants d'une autorité. Dans le Sud-Est, il me semble qu'une marge de manoeuvre énorme existe pour permettre de limiter les risques de cette manière.

Concernant le financement des mesures, une modification de la taxe de séjour me semble possible. Comme le risque est socialisé, il ne serait pas aberrant que les personnes traversant ou séjournant dans des territoires à risque payent pour la préservation de ces territoires. Une augmentation de la taxe de séjour d'un euro par jour permettrait de réaliser de nombreuses actions, si les revenus de cette augmentation étaient dédiés à la prévention, selon la définition que j'ai donnée plus tôt, c'est-à-dire à l'aménagement du terrain, et non à des campagnes de communication et de promotion. Pour le Sud-Ouest, cela représenterait une augmentation des recettes de 5 millions d'euros par an. Si l'on ajoute la taxe additionnelle du conseil départemental sur la taxe de séjour, cela représente un joli budget, qui permettrait par exemple de réaliser des kilomètres de pistes ou des points d'eau naturels.

Au niveau national, je propose la mise en place d'un fonds de garantie sur les risques incendie et phytosanitaires, alimenté tant par les ministères compétents que par les régions. Ce fonds viendrait cofinancer les initiatives locales, et permettrait également de faciliter les demandes de cofinancements européens, aujourd'hui quasiment inaccessibles pour les acteurs de terrain.

La valeur des forêts n'est pas comptabilisée. La forêt est invisible : on ne la voit que quand elle tombe ou brûle. Or de nombreux travaux ont été menés, en particulier par M. Chevassus-au-Louis, qui évalue les fonctions environnementales de la forêt à environ 1 000 euros par hectare. Donner une valeur à l'espace forestier lui donne une signification pour les assureurs et pour les financeurs. Il faut comptabiliser cette valeur, car l'État considère aujourd'hui que seules les maisons doivent être remboursées lors d'un incendie de forêt. Il y a un travail à mener sur cette question.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Nous vous remercions de ces précisions. Je laisse la parole à nos collègues pour une dernière série de questions.

M. Guillaume Chevrollier . - D'ici à 2050, compte tenu du dérèglement climatique, 50 % des forêts françaises seront soumises à un risque important d'incendie. Il y a urgence à agir, en particulier en raison des impacts des feux sur la qualité de l'air ou l'état des ressources en eau.

Vous avez dit qu'il fallait commencer par appliquer les lois - cela tombe bien, car le Sénat veille justement à l'application des lois.

Peut-on estimer le nombre d'hectares de forêts dégradées en France, afin de prévenir les feux ? Quel serait l'investissement nécessaire pour la restauration de ces hectares ?

Par ailleurs, connaît-on l'efficacité de la technique du brûlage dirigé, c'est-à-dire d'un débroussaillage fait par de petits incendies volontaires, permettant d'assainir les forêts et de prévenir la survenue de grands feux ? Cette technique est-elle suffisamment employée en France ?

Mme Évelyne Renaud-Garabedian . - Dans un rapport de février dernier sur l'évolution des feux dans le monde commandé par le programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), les chercheurs ont recommandé d'utiliser les connaissances des populations locales sur les reliefs de leurs territoires et la végétation pour prévenir et lutter contre les feux de forêt. En France, dans les régions les plus concernées, ce type de consultation a-t-elle eu lieu ?

Ma deuxième question concerne la faune. Les incendies en Australie en 2019 et en 2020 ont entraîné la mort de plusieurs milliards d'animaux, ainsi qu'une destruction de 13 millions d'hectares. Est-il possible de mesurer les conséquences des feux sur la biodiversité en France ? Des espèces animales sont-elles menacées par l'augmentation de la fréquence des incendies ?

M. Ronan Dantec . - À la fin de 2023 ou au début de 2024, nous verrons arriver une nouvelle occasion d'aborder ces sujets dans un texte législatif - avec le nouveau projet de loi de programmation Énergie-climat. Pour la première fois, nous pourrons remonter le Plan national d'adaptation au changement climatique (PNACC) dans la loi, au même niveau que la programmation pluriannuelle de l'énergie et la stratégie bas-carbone.

Il s'agira d'un moment important si l'on veut faire évoluer la législation, en particulier en ce qui concerne les assurances. Le Sénat doit se mettre en ordre de bataille pour faire converger les propositions législatives des différents groupes de travail, car il ne faudra pas rater cette échéance.

Nous avons parlé des Canadair et de la flotte des bombardiers d'eau, mais nous avons du mal à avancer sur ce sujet. Une mutualisation européenne semblerait logique, compte tenu des enjeux d'investissement et du mauvais état de la flotte, mais pourquoi les choses continuent-elles de bloquer ?

Par ailleurs, nous devons faire le lien entre le débroussaillement, la gestion de la biomasse et les filières de production d'énergie concernées. Y a-t-il des croisements entre ces enjeux ? Je suppose que cela n'est pas le cas, mais cela souligne qu'il faut une approche cohérente de la totalité de ces questions relatives à la forêt.

M. Denis Bouad . - Dans mon département, un record de température pour un mois de juin vient d'être battu : il a fait 37,2 degrés à Nîmes. J'habite dans une petite commune où plus de 20 hectares ont brûlé lundi après-midi - si l'on considère l'ensemble des quatre incendies ayant sévi aux alentours, en quelques heures, plus de 200 hectares sont partis en fumée.

Madame la préfète a pris depuis maintenant plus d'une semaine un arrêté sécheresse sur l'ensemble du département du Gard, et la situation est très compliquée.

J'ai présidé pendant près de six ans le conseil départemental, j'ai participé pendant vingt ans à ses travaux, et je peux dire que le financement des SDIS est problématique. Je suis étonné d'entendre M. Allione dire que les SDIS payent la TICPE : la charge est considérable, d'autant plus que ces structures sont également chargées du secours à la personne.

Nous avons besoin de prévention. Le fonctionnement des Syndicats intercommunaux à vocation unique (SIVU) de défense de la forêt contre l'incendie (DFCI) n'est peut-être pas assez coordonné avec les SDIS. Beaucoup d'argent public est dédié à la réalisation de pistes permettant aux pompiers de lutter contre les incendies, mais encore faudrait-il avoir les moyens de les entretenir.

Il y a deux ans, un incident dramatique a eu lieu, et les Trackers de la flotte de défense aérienne ont été mis en arrêt, car ils n'étaient plus adaptés aux normes de sécurité actuelles. Aujourd'hui, Nîmes a été retenue pour constituer une base aérienne de défense contre les incendies. Dans les départements du Sud, il est difficile d'entretenir la forêt, et la flotte aérienne est particulièrement importante. Le moment n'est-il pas venu de la renforcer, ce qui relève bien des compétences de l'État ?

Mme Marta de Cidrac . - Je voudrais revenir sur le facteur humain. Comme M. Allione l'a mentionné, alors que les besoins sont estimés à 250 000 bénévoles, il n'y aurait que 196 000 sapeurs-pompiers. Pascal Martin a relevé notre manque de culture du risque. Nos trois invités ont également parlé de l'encouragement au volontariat.

Aujourd'hui, sous l'égide de l'éducation nationale, il existe le Service national universel (SNU), d'une durée d'un mois. Pourrait-il inspirer un service de la protection civile citoyenne ? Que signifie s'engager comme volontaire aujourd'hui ? Une formation spécifique est nécessaire, pour informer et sensibiliser à ces sujets sur le terrain.

M. Patrick Chaize . - Concernant l'utilisation des moyens numériques de surveillance et d'anticipation des feux, des réflexions et des expérimentations ont-elles lieu ? Quels seraient les moyens à mettre en oeuvre ?

M. Daniel Salmon . - Dans le renouvellement de nos forêts, y a-t-il des réflexions sur les espèces et les essences à favoriser ? Y a-t-il une corrélation entre la présence de résineux et les risques d'incendie ? Les mono-cultures connaissent-elles des risques plus importants, ou ces risques sont-ils au contraire réduits ?

Mme Sylviane Noël . - Parmi les causes de la déprise agricole, l'abandon des vignes a été mentionné. Je voudrais rajouter la prédation du loup : la pression sur les élevages est parfois telle que des secteurs non pâturés tombent dangereusement en friche. Il me semble qu'il s'agit d'une raison supplémentaire pour reconsidérer rapidement le statut du loup, et envisager une meilleure régulation de ce prédateur.

M. Franck Montaugé . - Ma circonscription est touchée par la diminution des zones de polyculture et d'élevage. Dans une perspective de prévention des risques, pensez-vous qu'il serait pertinent de considérer ces espaces regagnés par la nature comme des biens communs ? Ces espaces auront du mal à être exploités, pour des raisons de rendements agricoles et d'évolution de la société. La notion de bien commun pourrait justifier, auprès des collectivités et de la population, une intervention publique et des financements adaptés.

M. François Pimont . - Plusieurs questions tournent autour de l'entretien du paysage. De manière générale, l'entretien du paysage vise à empêcher le développement d'une strate arbustive continue favorisant la propagation des feux, et il est évidemment favorable.

Le brûlage dirigé est une bonne solution. Il est utilisé pour une gestion extensive de la problématique des incendies de forêt : on fait partir des feux dans des conditions peu sévères, ils brûlent une partie du territoire sans trop d'impacts. Il est utilisé en France, mais il ne peut pas être utilisé partout. Des parcs naturels ou des zones de montagne s'y prêtent bien. À l'inverse, les zones plus densément peuplées, ou celles où les conditions météo propices à la propagation sans trop d'impacts de feux dirigés en hiver sont rares, cette technique ne peut pas être une solution unique. Elle n'en demeure pas moins intéressante.

Le développement de mesures agropastorales, en oeuvre à une époque avant d'être abandonnées, serait utile pour réduire l'embroussaillement, les troupeaux pâturant des zones de coupure. Il serait intéressant de relancer ce type de mesures, mais cela ne relève pas de mon domaine d'expertise.

Concernant les impacts environnementaux des feux, dans le Sud-Est, entre 2 % et 3 % du territoire brûle tous les ans. De grands feux ont touché des réserves naturelles, comme le feu de Gonfaron qui a mis en danger la tortue d'Hermann, mais le taux de survie semble avoir été important. Je n'ai pas l'impression que les feux de forêt sont la principale pression qui pèse sur les écosystèmes, même s'ils pourraient le devenir avec un triplement de leur fréquence.

Je ne suis pas expert concernant la question du choix des essences de bois. Les connaissances ne sont pas si nombreuses : le réseau mixte technologique Adaptation des forêts au changement climatique (Aforce) fournit des informations aux propriétaires et aux gestionnaires forestiers, afin d'améliorer la connaissance de la vulnérabilité des essences face au risque d'incendie. Un appel à projets a été lancé, afin de permettre l'élaboration d'informations supplémentaires.

De nombreuses observations sont réalisées, notamment par l'ONF. La littérature scientifique se penche sur ces questions, notamment en Espagne. Il est certain que les incendies sont plus fréquents dans les zones de conifères, mais en même temps ces arbres sont davantage présents dans des terrains secs. Il n'est pas évident de dissocier l'effet relatif à la sécheresse du milieu de celui relatif aux conifères. Selon les territoires, les éléments sont différents. Nous manquons de connaissances dans ces domaines, et nous essayons de synthétiser les informations disponibles, mais il n'y a pas actuellement de réponse à cette question.

M. Grégory Allione . - Pour revenir sur les conséquences des feux sur la faune et la flore, il faut prendre en compte la répétition des feux de forêt sur un même territoire, qui change par nature la flore et la faune.

La ressource en eau représente une réelle difficulté pour nous. Il est nécessaire de se réapproprier les techniques dites « ancestrales », du brûlage tactique et dirigé, qui m'ont été apprises dès mon plus jeune âge lorsque mon père nettoyait ses châtaigniers. Il me livrait cette phrase : « Dans une châtaigneraie, il faut que tu voies une souris courir. » Aujourd'hui, dans le massif des Maures, je pense qu'il faut chercher la souris.

Le vrai sujet est l'exploitation et la rentabilité des massifs. Il faut prendre en compte la parole de ceux qui vivent de ces massifs, et en particulier du monde agricole. L'exploitation touristique n'est pas suffisante pour que nos forêts soient rentables, et il faut une exploitation agricole. Il faut trouver des débouchés, mettre en place des filières, pour que la forêt soit valorisée et entretenue.

C'est autour de ces questions de rentabilité et d'entretien de nos forêts qu'est faite la consultation des populations locales.

Au sujet des vecteurs législatifs, la loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur (Lopmi) me semble constituer un levier sur lequel vous pourrez intervenir, notamment au sujet des ressources humaines et matérielles, en particulier concernant la flotte des avions bombardiers d'eau.

La mutualisation européenne est une évidence. La base de Nîmes a été reconnue comme un pôle d'excellence par l'Union européenne, mais le renouvellement de la flotte ne progresse pas assez vite par rapport au dérèglement climatique. Pour autant, l'ensemble de la flotte a été remplacé. De gros efforts ont été faits par l'État, et nous disposons de six Dash . Un Canadair coûte de l'ordre de 25 millions d'euros, et le remplacement de la flotte de Trackers a coûté 80 millions d'euros.

Lorsque vous voyez passer un groupe d'intervention spécialisé dans les feux de forêt composé de quatre camions, cela représente un million d'euros pour les collectivités. Les gros camions des Bouches-du-Rhône coûtent chacun 480 000 euros.

Pour le service que je dirige, les 200 millions d'euros injectés dans le budget du SDIS des Bouches-du-Rhône représentent 4,8 milliards d'euros de « sauvé ». Avec les sapeurs-pompiers, c'est comme avec l'assurance de votre voiture ou de votre habitation ; on peut faire ce qu'on veut, mais il faut en assumer les conséquences.

Au sujet des ressources humaines, le volontariat est un élément important pour cultiver la culture du risque. Vous avez parlé du SNU, mais il faudrait le rendre obligatoire et rallonger sa durée. J'ai évoqué la question avec un collaborateur du président de la République lors de sa venue à Marseille. La jeunesse d'aujourd'hui est ouverte et agile, mais il lui manque un élément important : un cap, la faculté de savoir se fixer un objectif et des limites. À notre époque, nous sommes passés par des systèmes qui nous ont donné un cap et des limites : l'éducation parentale, l'instruction nationale et le service national.

Les moyens numériques permettent de développer la prévention et la détection. L'intelligence artificielle nous permet de travailler sur les prises d'appels, de cartographier numériquement les parcours de feu, d'anticiper davantage à l'aide de simulateurs qui participent à la formation des professionnels. Les SDIS investissent dans l'innovation, et il y aura toujours à faire dans ce domaine. En revanche, je pousse un cri d'alerte : il ne faut pas que l'innovation soit un prétexte pour systématiquement mettre aux normes des équipements, qui induit des coûts importants et une augmentation des charges.

Je n'ai pas les compétences pour répondre au sujet des pâturages, mais je sais que lorsque l'on abandonne un territoire, il tombe en friche, et que les friches sont dangereuses pour les incendies.

M. Chistian Pinaudeau . - L'usage des technologies numériques est largement développé, tant en matière de prévention que chez les sapeurs-pompiers : nous disposons de systèmes de prévision des risques tout à fait stupéfiants, et nous avons la capacité technique d'organiser localement des préventions plus efficaces.

Les résineux se situent sur les terrains les moins riches, les plus secs, et brûlent donc plus que les feuillus, qui se trouvent dans des stations géographiques et climatiques différentes. Il est possible d'imaginer changer les espèces pour réduire le risque d'incendies de forêt, mais réaliser un tel changement prendrait une centaine d'années. D'ici là, la forêt aura brûlé plusieurs fois. Si la perspective est peut-être intéressante pour des chercheurs, cela n'est pas le cas pour les forestiers et les pompiers, qui aujourd'hui sont dans une situation d'urgence.

Le calcul de M. Allione sur la valeur du « sauvé » est très juste : dans le Sud-Ouest, la filière bois a le même chiffre d'affaires que le secteur des vins de Bordeaux - 5 milliards d'euros par an -, et cela sans même comptabiliser les revenus de secteurs afférents, comme le tourisme, ou la valeur environnementale de la forêt.

Il faut donner de la valeur aux choses : la rentabilité est là, le rendement de la surveillance et de la prévention est incontestable.

La monoculture ne peut pas se faire dans n'importe quelles conditions, mais il s'agit peut-être du lieu où les risques sont les plus faibles et les mieux gérés, contrairement à des discours que l'on peut entendre loin du terrain, mais qui ne répondent absolument pas à la réalité.

Enfin, concernant la question des biens communs, je n'ai pas le temps de développer, mais je pense qu'il s'agit de la pire solution possible pour nos forêts.

Mme Sophie Primas , présidente de la commission des affaires économiques . - Je vous remercie pour ces interventions très riches.

Nous avons de quoi préciser des recommandations opérationnelles qui, si elles ne sont peut-être pas directement transférables dans une proposition de loi, seront transposables dans une loi de programmation pluriannuelle des moyens. Les besoins financiers supplémentaires de la protection civile pourront être concrétisés au moyen d'amendements lors de l'examen des prochains projets de loi de finances.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page