II. LE SÉJOUR DE LA DÉLÉGATION À CANBERRA (11-13 FÉVRIER 1997)

1. L'entretien avec M. Tim Fischer, vice-Premier ministre et ministre du commerce extérieur

Recevant la délégation sénatoriale le 12 février 1997 au nom du Premier ministre, M. John Howard, empêché, M. Tim Fischer, vice-Premier ministre et ministre du commerce extérieur, a d'abord été remercié par M. Xavier de Villepin, président, pour le sauvetage des marins français du " Vendée-Globe " par la marine australienne.

M. Xavier de Villepin, président, lui a remis un message de M. Alain Juppé, Premier ministre, à son homologue australien.

M. Tim Fischer s'est ensuite félicité de l'aboutissement heureux de certaines difficultés dans les relations commerciales bilatérales : importations de viande de kangourou en France et levée de l'embargo australien sur la signature de nouveaux contrats de livraisons d'uranium à la France.

S'agissant de l'accord-cadre entre l'Australie et l'Union européenne , dont la négociation se heurtait à une clause, proposée par les Européens, relative aux droits de l'homme, le vice-Premier ministre a estimé que cette question ne devait pas être dramatisée et ne devait pas avoir un impact négatif sur les échanges et le tourisme. Il a rappelé le sang australien versé en Europe, au nom des droits de l'homme, durant les deux conflits mondiaux. M. Xavier de Villepin, président, a indiqué qu'il attirerait l'attention du ministère français des Affaires étrangères sur les difficultés relatives à la conclusion de cet accord-cadre et précisé que M. Hervé de Charette avait retenu le principe d'un voyage en Australie d'ici un an.

Le président de Villepin ayant regretté la faiblesse des investissements australiens en France -alors que le développement des exportations françaises en Australie était lié à l'accroissement important de nos investissements dans ce pays-, M. Fischer, reconnaissant ce déséquilibre, a souhaité que les entreprises australiennes établies en Europe n'installent pas systématiquement leur siège social à Londres.

Abordant enfin les questions agricoles, M. Fischer -président du parti national agrarien- a estimé que le mécanisme européen des subventions agricoles avait des répercussions négatives et que l'Union européenne devrait nécessairement, dans la perspective de son élargissement, réformer en profondeur la politique agricole commune. M. André Boyer a alors rappelé les raisons sociales, économiques, mais aussi écologiques, de notre politique agricole et de notre attachement à nos traditions.

M. Xavier de Villepin, président, a souligné que l'Union européenne a déjà fortement évolué et progressé dans le sens souhaité par l'Australie. Il a ensuite évoqué avec M. Fischer la conjoncture économique en France et en Australie, et les perspectives relatives à la création de l'euro -dont M. Xavier de Villepin a souligné sa conviction qu'elle constituerait un progrès pour l'Europe et pour le monde.

2. L'entretien avec M. Alexander Downer, ministre des Affaires étrangères

Quatre thèmes principaux ont ensuite été évoqués lors de l'entretien, particulièrement cordial et chaleureux, accordé à la délégation par M. Alexander Downer, ministre australien des Affaires étrangères.

Evoquant tout d'abord, à l'invitation du président de Villepin, la coopération franco-australienne dans le Pacifique-sud, M. Downer s'est réjoui de l'amélioration des relations bilatérales et s'est félicité des contacts noués à l'occasion de son séjour en Nouvelle-Calédonie en décembre 1996. Il a réaffirmé l'approbation de son pays au processus des " accords de Matignon ". Il a souligné que, si l'Australie soutenait naturellement le principe d'autodétermination, elle ne voyait aucun obstacle au maintien de liens à l'avenir entre la Nouvelle-Calédonie et la France et verrait au contraire avec beaucoup d'inquiétude un éventuel retrait français du Pacifique-sud -qui laisserait inévitablement un vide qu'il reviendrait à l'Australie de combler. M. Downer s'est enfin réjoui des projets de coopération franco-australienne, dont il a souhaité le développement, au profit des pays insulaires de la zone.

En réponse à M. Xavier de Villepin, président, qui regrettait, une nouvelle fois, la faiblesse des investissements australiens en France, le ministre des Affaires étrangères a reconnu que les sociétés australiennes avaient tendance, pour des raisons historiques et culturelles, à s'installer au Royaume-Uni, mais estimé que cette situation s'améliorerait -en particulier avec la création de l'euro- si la Grande-Bretagne, comme il était probable, n'en faisait pas partie.

M. Downer a ensuite souhaité la suppression de l'obligation de visa pour les Australiens se rendant en France, soulignant que celle-ci était, avec l'Espagne, le seul pays européen à maintenir cette obligation. Il a souligné que l'Australie mettrait en place, en avril prochain, un nouveau système informatique (" electronic travel authority ") permettant d'écarter les voyageurs indésirables, titulaires d'un casier judiciaire, dès le moment de la délivrance du titre de transport. M. Xavier de Villepin, président, s'est toutefois interrogé sur la possibilité de voir ce système unilatéral australien permettre le respect du principe de réciprocité.

Revenant enfin sur l'accord-cadre Australie-Union européenne , le ministre a souhaité le soutien de la France à la proposition de son pays tendant à faire référence, dans le préambule de l'accord -et non dans le document lui-même- aux vues communes des deux parties en matière de droits de l'homme. L'Australie ne saurait, en revanche, accepter une situation où sa position dans ce domaine pourrait être interprétée de manière unilatérale par un tiers, au risque de menacer la pérennité de l'accord.

3. L'entretien avec M. Ian Mc Lachlan, ministre de la Défense

Rappelant d'abord sa récente visite en France, en décembre dernier, M. Mc Lachlan, ministre de la Défense, s'est félicité de la complète restauration des relations bilatérales en matière de défense après la crise de 1995. Il a annoncé à la délégation que le nouvel attaché de défense australien en France serait en poste à Paris fin mars 1997. Il a enfin souhaité que soient pleinement exploitées et développées, à l'occasion des prochains contacts, les possibilités de coopération franco-australienne dans le Pacifique sud .

Abordant ensuite les projets de réforme militaire qu'il avait initiés en Australie, le ministre de la Défense a exposé à la délégation les raisons pour lesquelles il avait lancé une " revue de détail " des forces armées australiennes pour les adapter et leur insuffler en particulier une plus grande mobilité. Il a rappelé que l'effort de défense australien avait été réduit de 2,6 % à 1,8 % du PIB au cours des dix dernières années, mais que la défense était aujourd'hui la seule à être épargnée par les coupes budgétaires actuelles, dans le cadre d'un programme couvrant les trois prochaines années.

M. Mc Lachlan a enfin précisé les principaux axes de la politique de défense australienne dans le contexte stratégique actuel. Après avoir souligné que l'alliance avec les Etats-Unis en constituait la base, tandis que l'Australie maintenait des relations très étroites avec la Nouvelle-Zélande , il a insisté sur l'importance des relations de Canberra avec ses voisins, en particulier l'Indonésie , avec laquelle existait désormais une relation de sécurité particulièrement importante. Le ministre a enfin indiqué la qualité des relations de l'Australie avec les pays asiatiques, comme le Japon ou la Corée du Sud, qui partageaient certains de ses intérêts de sécurité, sans avoir pour autant les moyens d'entretenir avec eux des relations de défense très denses.

4. Les autres contacts de la délégation en matière de défense

- La délégation a par ailleurs participé le 13 février, au ministère de la Défense, à une table ronde réunissant des experts australiens de la défense, civils et militaires, autour de M. White , conseiller stratégique du gouvernement australien.

Après avoir rappelé les évolutions du contexte géostratégique à l'issue de la guerre froide et les conséquences internationales liées à la croissance économique de la zone Asie-Pacifique, M. White a souligné que la position stratégique australienne restait dominée par l'Asie et son alliance avec les Etats-Unis. Mais il a relevé que, contrairement à ce qui existait en Europe, il n'y avait aucune structure asiatique susceptible de tirer les conséquences de la fin de la guerre froide et aucun mécanisme multilatéral de gestion des crises. Il a par ailleurs souhaité la pérennité de l'engagement américain dans la région.

M. White a ensuite répondu aux questions des commissaires. Il a précisé à M. Xavier de Villepin, président, le contenu des garanties résultant du traité ANZUS , devenu bilatéral après la suspension des liens américano-néo-zélandais, mais apportant une garantie de sécurité forte à l'Australie même si les engagements en résultant étaient moins forts que dans le cadre de l'OTAN. Toute une gamme d'instruments bilatéraux techniques reliait par ailleurs l'Australie aux Etats-Unis en matière de défense. L'Australie n'avait pas pour autant demandé l'installation de bases américaines sur son territoire, même si elle souhaitait favoriser le maintien de la présence des Etats-Unis dans la zone.

M. White a également souhaité le développement de la coopération franco-australienne , en particulier dans le domaine des technologies de pointe, compte tenu des capacités des entreprises françaises et de la qualité de la base technologique de notre pays en matière de défense.

En réponse à des questions de MM. André Rouvière et Maurice Lombard, M. White a précisé les relations entre l'Australie et la Nouvelle-Zélande en matière de sécurité et de défense. Il a fortement souligné le caractère exceptionnel et la densité des liens entre Canberra et Wellington. La communauté des intérêts stratégiques fondamentaux des deux pays n'empêchait naturellement pas des perceptions différentes -l'Australie se sentant en particulier plus proche de l'Asie que la Nouvelle-Zélande- et une relation bilatérale parfois difficile à gérer. La proximité et l'étroitesse des liens entre les deux pays - qui ont notamment combattu côte à côte durant les deux conflits mondiaux - ne devaient pas pour autant déboucher sur la création d'une armée commune. La sévérité de la politique néo-zélandaise en matière nucléaire affectait la coopération trilatérale avec les Etats-Unis mais n'avait pas d'impact majeur sur les relations transtasmanes.

A M. Jean-Luc Bécart qui estimait que la fin de la guerre froide avait conféré aux Etats-Unis un rôle de super-puissance hégémonique et que l'Australie pourrait diversifier ses appuis politiques pour favoriser l'émergence d'un monde multipolaire, M. White a opposé le fait que l'Australie et ses voisins asiatiques devaient d'abord gérer leurs relations avec la Chine et le Japon -les deux grandes puissances asiatiques- et que la présence américaine avait, dans ce contexte, un effet stabilisant. Cette présence n'était pas excessivement pesante puisque aucune force américaine n'était stationnée sur le territoire australien. L'Australie ne souhaitait pour autant naturellement pas entretenir avec les Etats-Unis des relations exclusives.

M. White a alors estimé, en réponse à M. Jean-Luc Bécart, que, s'agissant de la Chine, la question majeure pour l'avenir était de savoir comment les autorités de Pékin, toujours très centralisées malgré la révolution économique chinoise, utiliseraient demain leur propre puissance. Il a enfin convenu avec M. Bécart des opportunités très intéressantes qu'offrait aujourd'hui le Vietnam , tant pour les sociétés australiennes que pour les entreprises françaises.

- La délégation a complété ses contacts en matière de défense par la visite de l'Australian Defence Force Academy " (ADFA). Créée en 1986, déjà renommée par son niveau remarquable dans le domaine militaire et universitaire, l'ADFA a pour mission de préparer les leaders australiens de demain -un peu à l'image de l'IHEDN français- mais a, au-delà de son rôle d'enseignement et de formation militaires, un rôle de recherche et d'enseignement universitaire.

La scolarité à l'ADFA s'étend sur trois années et rassemble, au total, plus d'un millier d'étudiants (421 en première année, 334 en deuxième année, et 313 en troisième année), pour un taux moyen de réussite de 75 %.

- La délégation a enfin tenu à rendre hommage aux anciens combattants australiens en visitant le remarquable et très émouvant " War Memorial " de Canberra en l'honneur de tous les Australiens morts au combat, en particulier lors des deux guerres mondiales.

5. L'accueil de la délégation au Parlement australien

La délégation a naturellement eu, à l'occasion de son séjour à Canberra, des entretiens et des contacts multiples avec le Parlement australien qui constitue le centre incontesté de la vie politique nationale.

D'inspiration britannique, mais reposant sur une constitution écrite (de 1901) et non coutumière, et s'inscrivant dans le cadre d'un Etat fédéral, le Parlement australien est composé de la Chambre des représentants et du Sénat , dont les membres sont élus les uns et les autres au suffrage universel direct et qui partagent à égalité le pouvoir législatif. Le Sénat -qui représente les Etats fédérés et où le gouvernement actuel ne dispose pas de la majorité- peut donc refuser de voter une loi et contraindre le gouvernement à démissionner.

a) Les entretiens avec Mme Margaret Reid, présidente du Sénat, et M. Bob Halverson, président de la Chambre des représentants

Accueillie avec chaleur, dès son arrivée à Canberra, le 11 février, par Mme Reid et M. Halverson à l'occasion d'un dîner offert en leur honneur au Parlement, les membres de la délégation ont eu, le lendemain, un entretien de travail avec la Présidente du Sénat et le Président de la Chambre des représentants qui a principalement porté sur l'organisation et le fonctionnement du régime parlementaire australien.

En réponse aux questions des sénateurs, Mme Reid et M. Halverson ont notamment apporté les précisions suivantes :

- le " cabinet fantôme " australien joue un rôle important sans disposer naturellement d'un quelconque pouvoir exécutif ; le leader de l'opposition dispose en particulier de prérogatives importantes ;

- les ministres sont membres du Parlement et participent aux votes ; la délégation a ainsi eu l'occasion de constater que les membres du gouvernement australien avaient leurs bureaux à l'intérieur même de l'enceinte du Parlement et interrompaient, toutes affaires cessantes, leurs activités gouvernementales pour prendre part à un scrutin public en séance plénière ;

- le " speaker " de la Chambre des représentants -doté d'un uniforme comme dans le système de Westminster- ne participe pas aux débats et est assisté de " speakers adjoints " ;

- dans l'attente de l'introduction d'un vote électronique, les votes s'effectuent en se plaçant à la gauche ou à la droite du Président ;

- Le Parlement australien siège entre 70 et 85 jours par an ; en dehors de trois grandes périodes d'intersessions, il est tenu compte de l'immensité du territoire australien en alternant quinze jours où le Parlement siège et quinze jours d'interruption pour permettre aux parlementaires de rejoindre leurs circonscriptions ;

- en cas de désaccord persistant, il peut être procédé à une double dissolution de la Chambre des représentants et du Sénat ;

- comme dans le système britannique, les " whips " de chaque parti coordonnent et organisent le travail de parlementaires de base (les " back benchers ") ; ils jouent un rôle efficace dans la lutte conre l'absentéisme parlementaire ;

- les femmes jouent un rôle substantiel dans la vie politique de l'Australie -premier pays à leur avoir accordé le droit de vote- sans être pour autant exceptionnellement nombreuses au sein des assemblées fédérales.

b) La réunion avec le Président et des membres de la commission mixte (Sénat-Chambre des représentants) des Affaires étrangères, de la défense et du commerce

La délégation a, le même jour, participé à une réunion avec M. Ian Sinclair, président de la commission mixte des Affaires étrangères, de la défense et du commerce. Plusieurs autres parlementaires ont également participé -entre deux votes en séance publique- à cet échange de vues : Mme Gallus, MM. Dondas, Taylor et Brough.

M. Sinclair et M. Xavier de Villepin, président , ont notamment évoqué, au cours du débat :

- les opérations de maintien de la paix accomplies sous l'égide de l'ONU, notamment en Afrique (Somalie, voire Zaïre) ;

- le déroulement du processus des accords de Matignon en Nouvelle-Calédonie ;

- et, plus généralement, les évolutions dans la zone Pacifique, notamment à Hong-Kong.

En réponse à M. André Rouvière, le président Sinclair a également précisé le fonctionnement et les méthodes de travail de la commission mixte qui dispose notamment de quatre sous-comités dont les travaux débouchent sur des recommandations faites au gouvernement australien.

c) Les autres contacts avec les parlementaires australiens

Le séjour de votre délégation au Parlement de Canberra lui a donné l'occasion de divers autres contacts avec les parlementaires australiens :

- elle a participé le 12 février à un déjeuner avec les membres du groupe d'amitié interparlementaire France-Australie, présidé par le sénateur Paul Calvert, qui fut l'occasion d'échanges de vues particulièrement francs et cordiaux avec les parlementaires australiens, portant notamment sur les relations bilatérales, la francophonie, les relations entre l'Union européenne et l'Australie, et les perspectives liées à la création de l'euro ;

- elle a assisté aux séances des questions orales, successivement à la Chambre des représentants et au Sénat ; directement inspirées du " question time " britannique, ces séances se déroulent à la Chambre des représentants en présence du Premier ministre, des membres du gouvernement et de ceux du " cabinet fantôme " et donnent lieu à des échanges extrêmement brefs, vifs parfois violents ; la sérénité des débats est apparue à votre délégation beaucoup plus grande au Sénat ;

- les membres de la délégation ont enfin participé à l'inauguration de l'exposition photographique sur le Parlement français (Assemblée nationale et Sénat), ouverte le 12 février 1997 dans les locaux du Parlement de Canberra.

6. La réception à l'Ambassade de France, symbole de la " réconciliation " franco-australienne

Première visite d'une délégation parlementaire -ou gouvernementale- française en Australie depuis 1995, le séjour de votre délégation a permis, en quelque sorte, de sceller la " réconciliation " politique entre les deux pays après la crise suscitée par notre ultime campagne d'essais nucléaires.

Les multiples contacts de la délégation ont démontré, dans une atmosphère excellente, toujours cordiale, souvent chaleureuse, la disponibilité de ses interlocuteurs australiens.

C'est ainsi que de très nombreuses personnalités australiennes -trois ministres, les trois chefs d'état-major des armées, de très nombreux parlementaires, journalistes et personnalités diverses- se sont pressés, le 12 février 1997, dans les salons de la résidence de l'Ambassadeur de France à l'occasion de la réception qu'il offrait en l'honneur de la délégation.

S'il est clair que les essais et les questions nucléaires en général n'ont pas disparu des esprits, il est entendu que " la page est aujourd'hui tournée " et que rien ne s'oppose désormais au développement de relations économiques et commerciales fructueuses et à l'approfondissement de relations politiques et culturelles chaleureuses.

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