11. La mise en oeuvre des accords de Dayton pour la paix en Bosnie-Herzégovine - Observations de Mme Elisabeth REHN, rapporteur de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, Mme Gret HALLER, coordinatrice de la Commission des Droits de l'Homme pour la Bosnie-Herzégovine, MM. Rolf RYSSDAL, Président de la Cour européenne des Droits de l'Homme, Antonio CASSESE, Président du Tribunal international pour les crimes commis en Ex-Yougoslavie, Sir Peter EMERY, Vice-Président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, MM. STRUBNER, député de l'OSCE en mission en Bosnie-Herzégovine, et Hans KOSCHNIK, ancien administrateur de l'Union européenne à Mostar - Interventions de  Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.), et MM. Jacques BAUMEL, député (RPR), Jean-Claude MIGNON, député (RPR), Jean VALLEIX, député (RPR) (Jeudi 25 avril)

Les rapporteurs font savoir que la Commission des questions politiques a procédé à une évaluation préliminaire de la mise en oeuvre des accords de Dayton. Le projet de recommandation est susceptible d'être revisé en fonction des événements récents. Un addendum sera élaboré après leur visite en Bosnie-Herzégovine, à la mi-avril.

L'évaluation est axée sur certaines des questions suivantes  : la nécessité pour les Etats membres du Conseil de l'Europe de s'engager à apporter leur contribution à la reconstruction de la Bosnie-Herzégovine, les dispositions pour que le Conseil de l'Europe soit représenté en permanence à Sarajevo et la nécessité de lier les relations avec la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro) au respect par celle-ci des accords de Dayton.

Après l'exposé des rapporteurs, l'Assemblée a entendu les observations de  Mme Elisabeth Rehn, rapporteur de la Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies,  Mme Gret Haller, coordinatrice de la Commission des droits de l'Homme pour la Bosnie-Herzégovine, M. Rolf Ryssdal, Président de la Cour européenne des Droits de l'Homme, M. Antonio Cassese, Président du Tribunal international pour les crimes commis en Ex-Yougoslavie, Sir Peter Emery, Vice-Président de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE, M. Strubner, député de l'OSCE en mission en Bosnie-Herzégovine et M. Hans Koschnick, ancien administrateur de l'Union européenne à Mostar.

Mme Elizabeth Rehn, rapporteur spécial de la Commission des droits de l'Homme des Nations Unies, déclare ainsi à l'Assemblée avoir constaté des modifications profondes en Bosnie-Herzégovine. Les violations les plus grossières des droits internationaux ont enfin cessé. De graves problèmes persistent cependant au niveau de la libre circulation, de la liberté d'expression et des mesures discriminatoires. Néanmoins, l'oratrice se dit optimiste et pense qu'une évolution positive dépendra de la disponibilité des parties en présence et de leur volonté de participer au processus de paix.

Les difficultés sont effectivement considérables. On a assisté, il y a peu, au départ de dizaines de milliers de musulmans. En outre, les mouvements de populations entre les différentes fédérations sont extrêmement compliqués.

De lents progrès se dessinent. Des contacts existent entre populations de nationalités différentes, souvent amies avant les événements. De nombreuses personnes ont manifesté leur volonté de rentrer chez elles, ce qui constitue un net progrès. Il ne faut toutefois pas se faire d'illusions. Ce processus prendra des mois. La communauté internationale doit rester vigilante et le Conseil de l'Europe doit assumer ses responsabilités. Il a un rôle déterminant à remplir pour la protection des populations civiles.

Le Conseil de l'Europe est également présent à Banja Luka. L'oratrice estime qu'il est plus important d'œuvrer pour la justice que de rechercher une quelconque revanche. C'est pourquoi il faut appuyer fermement l'action du TPI. Dans tous les cas, il s'agit de culpabilités individuelles et l'oratrice s'interdit de dire que tous les Serbes sont responsables des horreurs de Srebrenica, que tous les Croates ou tous les musulmans sont responsables de telle ou telle exaction. Les coupables sont des individus qui doivent être traduits et punis par le tribunal pénal. Le sort des disparus préoccupe également l'oratrice qui a pris des mesures concrètes pour aider les familles demeurées dans l'incertitude.

L'application de l'accord de Dayton sera difficile dans toutes les zones, mais  Mme Rehn est particulièrement préoccupée par les événements de Krajina, d'où proviennent des informations alarmantes selon lesquelles les discriminations, les harcèlements et les violations des droits de l'Homme se poursuivent. Les entraves à la liberté de circulation sont également nombreuses et le Conseil de l'Europe devra suivre de près l'évolution de la situation, d'autant plus que la Croatie vient d'être admise en son sein. Cela dit, les contacts que l'oratrice a eus avec le Gouvernement croate l'amènent à penser que celui-ci est sincère dans sa volonté de respecter les droits de l'homme. En Ex-République de Yougoslavie, c'est la situation en Voïvodine et au Kosovo qui est très inquiétante et qu'il faudra suivre avec attention.

Mme Rehn est convaincue qu'en matière de droits de l'homme, on se trouve aujourd'hui à un tournant, mais elle est confiante. Les réfugiés ne doivent plus être considérés comme des pions à déplacer sur un échiquier. Les enfants et les jeunes doivent être l'objet d'une préoccupation spéciale dans la mesure où ils ont droit qu'on leur enseigne une histoire objective. Déçus, sans emploi, dans un pays dévasté, il seront les acteurs de nouveaux conflits si on ne leur offre pas d'urgence des emplois.

Le bon déroulement des futures élections est à surveiller, certes, mais il faut aussi porter attention à l'édification d'une nouvelle société civile. La communauté internationale et le Conseil de l'Europe, dont l'attention est trop souvent détournée par une actualité changeante, doivent demeurer vigilants. Mme Rehn a pu constater avec plaisir, lors de son dernier voyage en Bosnie-Herzégovine, que les enfants y dessinent moins d'images de guerre. Elle a vu des couples recommencer à semer et à planter des fleurs. Il ne faut pas décevoir cet espoir, il faut soutenir l'effort.

Puis,  Mme Gret Haller, médiatrice pour la Commission des droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine, expose que l'annexe 6 de l'accord de Dayton prévoit un mécanisme de protection des droits de l'homme sur la base d'un recours individuel et conformément à la Convention des Droits de l'Homme. Aussi est-il institué un tribunal, la Chambre des Droits de l'Homme, composée de quatorze membres, six bosniaques et huit représentants des pays du Conseil de l'Europe.

La Bosnie-Herzégovine n'étant pas encore membre du Conseil, elle nomme ses six représentants tandis que ceux du Conseil sont élus par le Comité des ministres. Par ailleurs, est instituée une "ombudsperson", et l'OSCE a nommé Mme Haller à ce poste.

Sa mission consiste à arbitrer les conflits, mais elle peut aussi se saisir de dossiers et intervenir si nécessaire. Elle a commencé ses activités le 27 mars dernier et cinquante cas ont déjà été notifiés dont dix enregistrés. Les cinq premières années, cette double institution de protection des droits de l'homme sera gérée par des experts étrangers, puis elle sera transmise à l'autorité de l'Etat bosniaque.

Cette Commission pour les droits de l'homme en Bosnie-Herzégovine est une entreprise commune de l'OSCE et du Conseil de l'Europe et le soutien logistique ne peut venir que de ces deux institutions. L'OSCE a déjà apporté un soutien notable. Quant à l'expertise juridique, elle n'existait qu'au sein du Conseil.

L'oratrice se félicite du soutien moral de l'Assemblée et de l'aide des différentes instances et personnalités du Conseil, notamment du Secrétariat général qui lui a fourni deux collaborateurs. Le financement de la Commission des Droits de l'Homme relève en théorie de l'Etat bosniaque, qui n'est pas encore en mesure d'y satisfaire. La Suisse et le Danemark ont déjà offert un million de dollars. Les Pays-Bas et la Norvège financent les salaires des représentants de Mme Haller et ce dernier pays a promis une contribution pour payer des juristes.

Le fonctionnement est donc assuré jusqu'à la fin de 1996. Cependant la Commission doit ouvrir un bureau dans les deux parties de la Bosnie et elle a frappé à la porte de l'Union européenne pour pouvoir être représentée à Banja Luka. Par ailleurs, en l'absence de nouvelles contributions, elle ne pourra plus continuer son travail à Sarajevo même. L'oratrice lance un message pressant aux parlementaires afin qu'ils le répercutent dans leurs capitales. Si tous font le maximum, il sera possible de rétablir -ce sera long- la primauté du droit et de la démocratie en cette région.

M. Ryssdal, Président de la Cour européenne des Droits de l'Homme, prenant la parole à son tour, souligne à quel point l'accord de Dayton constitue un progrès. Il a mis fin au conflit le plus grave que l'Europe ait connu depuis la fin de la seconde guerre mondiale. La Convention européenne des Droits de l'Homme doit d'ailleurs sa naissance aux atrocités qui ont été commises lors de cette guerre, et il est normal qu'elle serve aujourd'hui de cadre au retour de la paix en Bosnie-Herzégovine en participant à la mise en œuvre de l'accord de Dayton. La nouvelle constitution de cet Etat va en effet de pair avec l'adhésion à la convention. C'est dire l'importance de cet instrument.

Le rôle du Conseil de l'Europe dans la mise en œuvre de l'accord va cependant plus loin qu'une simple référence dans la Constitution. Le Comité des ministres a été chargé, après consultation de la Cour et de la Commission, de désigner huit membres, dont le Président, de la Chambre des Droits de l'Homme de Bosnie-Herzégovine. Le Comité des ministres a rempli cette tâche avec diligence, tandis que Mme Haller a été nommée par le Président de l'OSCE. M. Ryssdal rend hommage à l'action de Mme l'Ambassadeur et lui souhaite un plein succès.

En tant que Président de la Cour européenne des Droits de l'Homme M. Ryssdal a été chargé, quant à lui, de désigner des membres de Cour constitutionnelle de Bosnie-Herzégovine et de la Commission des personnes déplacées. Il procédera à la nomination des membres de la Cour constitutionnelle lorsqu'il aura pu consulter le Président de la Bosnie-Herzégovine, par conséquent après l'élection présidentielle.

Etant donné le rôle que doit jouer cette Cour dans le retour à la normalité, M. Ryssdal a commencé déjà à rechercher des candidats et à établir une liste. Pour ce qui concerne les trois membres qu'il avait à désigner pour la Commission des personnes déplacées, qui doit faciliter le retour des réfugiés en réglant les questions de compensation et de propriété, M. Ryssdal souligne que les délais imposés, bien que fort courts, ont été scrupuleusement respectés. Cette tâche n'était pas facile car la Cour ne dispose pas d'infrastructures sur place. Cependant M. Ryssdal a pu convaincre trois personnalités d'assumer cette tâche difficile et il leur exprime sa reconnaissance.

M. Ryssdal souligne que, pour fonctionner, ces institutions auront besoin de beaucoup de bonne volonté, de conditions favorables et de temps. Elles auront également besoin d'une aide pratique et de ressources financières. La protection des forces de l'ONU leur sera également nécessaire et le mandat de l'IFOR, qui doit s'achever à la fin de l'année, devra probablement être prolongé. M. Ryssdal rappelle que les nominations auxquelles il doit procéder dans le cadre de l'accord de Dayton ont une durée de cinq ans. Les autorités locales prendront ensuite le relais.

L'accord de Dayton a fait l'objet de quelques critiques. Il aurait été surprenant qu'un tel texte, élaboré dans ces conditions, fût parfait. Mais avant lui la région était en guerre et sans lui le conflit reprendrait. La communauté internationale n'a pas le choix, elle doit veiller à la mise en œuvre concrète de cet accord et M. Ryssdal se félicite de ce que le Conseil de l'Europe ait répondu si rapidement à ses sollicitations. Il va, pense-t-il, continuer à jouer un rôle actif dans le processus de rétablissement de la paix et de l'ordre juridique. La Cour, dans la limite de ses modestes moyens, fournira son appui à  Mme Haller, ainsi qu'à Mme Saulle.

M. Cassese, Président du Tribunal pénal international pour l'Ex-Yougoslavie intervenant également dans ce débat, souligne que, si l'accord de Dayton a mis fin à un conflit particulièrement sanglant, il ne suffit pas de réparer les routes et les bâtiments pour rétablir l'ordre et la loi. Il ne peut y avoir de paix durable tant que la haine demeure dans les esprits et dans les cœurs, tant que la justice n'est pas restaurée. A cet égard, l'accord de Dayton a été décisif. La résolution du conseil de sécurité qui, en 1993, a institué le TPI, a obligé tous les Etats à coopérer avec celui-ci, à se conformer à ses ordonnances, requêtes et mandats.

Le Tribunal ne peut en effet remplir la mission qui lui a été confiée sans la coopération des différents Etats car, à la différence des juridictions nationales, il n'a pas à sa disposition de forces de police propres. C'est un géant dépourvu de bras et de jambes. Ses membres sont les procureurs, les juges et les officiers de justice des Etats concernés. Si ceux-ci ne s'acquittent pas de leurs responsabilités, le géant est paralysé quels que soient ses efforts. Or, près de deux ans après la création du Tribunal, il était manifeste que certains d'entre eux n'étaient pas disposés à coopérer.

Les accords de Dayton sont donc venus à point pour réaffirmer et préciser leurs obligations. En outre, ils ont eu le mérite de prévoir des mécanismes d'application ainsi que la procédure à suivre en cas de manquements. Ils ont ainsi insufflé un regain de vie au Tribunal et fait de la justice une partie intégrante du processus de paix.

Qu'ont fait les Etats de la région depuis la signature des accords à Paris ? La République de Croatie a accordé une coopération partielle : depuis la fin de 1994, le Bureau du Procureur est en mesure d'enquêter et d'interroger les personnes sur son territoire. En outre, la semaine dernière, le Parlement croate a enfin adopté une loi autorisant l'arrestation des accusés et leur transfert au Tribunal.

En Bosnie-Herzégovine, le procureur peut se déplacer sur le territoire contrôlé par les autorités bosniaques ayant enquêté. C'est également l'un des rares Etats qui aient adopté une loi définissant la coopération à apporter au Tribunal. Malheureusement, les autorités de Sarajevo n'ont pas encore les moyens d'imposer leur volonté dans les zones contrôlées par les Serbes et les Croates de Bosnie.

Pour ce qui est de la République fédérative de Yougoslavie et de la "Republika Sprska", c'est-à-dire la République des Serbes de Bosnie, elles ne sont que très légèrement revenues de l'hostilité qu'elles ont manifestée au Tribunal. Malgré l'absence d'une loi de mise en œuvre, Belgrade vient de remettre deux témoins au TPI et a indiqué qu'elle était disposée à offrir une certaine coopération pour les enquêtes. Le Bureau du Procureur peut également enquêter dans le territoire contrôlé par la "Republika Sprska" mais le progrès demeure bien timide et insuffisant.

Pour M. Cassese, le critère d'une coopération pleine et entière est la façon dont sont exécutés les mandats d'arrêt lancés par le Tribunal. Or, de ce point de vue, le bilan est très décevant : sur plus de cent vingt mandats envoyés à toutes les parties aux accords de paix, aucun n'a été exécuté à ce jour. La République croate a fait valoir qu'il lui était impossible de procéder à ces arrestations en l'absence d'une loi réglementant la coopération avec le Tribunal. Mais, depuis que cette loi a enfin été adoptée, elle prétend que les accusés se trouvent hors d'atteinte, en Bosnie-Herzégovine. Des rapports fiables contredisent ces allégations.

Aucun acte d'accusation ne concernait jusqu'à présent des personnes relevant de la Bosnie-Herzégovine. Deux mandats viennent d'être lancés : il reste à voir si Sarajevo s'acquittera de ses engagements.

La République fédérative de Yougoslavie refuse très fermement d'exécuter tous les mandats sous prétexte que les personnes concernées seront poursuivies sur place, mais cette promesse en est restée à l'état d'intention. C'est cependant dans la "Republika Sprska" que la situation est de loin la plus déplorable. Aucune action n'a été entreprise contre Karadzic et Mladic, qui continuent même d'exercer des fonctions officielles leur permettant d'entraver le processus de démocratisation.

L'attitude des parties est donc décevante : sur 57 personnes inculpées par le tribunal, 51 sont toujours en liberté. Les autorités de Zagreb, de Sarajevo et de Belgrade attachant beaucoup d'importance au soutien moral, politique et économique que peuvent leur apporter les autres Etats européens, il est vital que ces derniers lient cette aide au respect des obligations qui découlent des accords de paix.

Il faut également que M. Bildt envisage des sanctions contre la République fédérative de Yougoslavie et contre la "Republika Sprska", au cas où celles-ci ne prendraient aucune mesure dans un avenir très proche. Il y va de l'efficacité du Tribunal comme de l'avenir du processus de paix. L'orateur appelle les parlementaires à faire pression pour que leurs Gouvernements et parlements exercent toute l'influence possible sur les parties concernées. Il n'y aura pas de paix, en effet, si les auteurs de crimes horribles ne sont pas punis.

La notion vague de responsabilité collective doit s'effacer au profit de poursuites judiciaires à l'encontre des responsables effectifs de cet enfer. Il faut par conséquent convaincre les parties de respecter la justice internationale. Il ne peut y avoir de paix sans justice : les accords de Dayton ne seraient qu'un château de sable, vite balayé par les flots renaissants des querelles ethniques.

Sir Peter Emery, membre du Bureau de l'Assemblée parlementaire de l'OSCE et responsable du groupe consultatif sur les élections en Bosnie-Herzégovine, enfin a formulé, devant l'Assemblée, les observations suivantes  :

Le groupe qu'il préside a été mis en place par l'Assemblée de l'OSCE sur la suggestion de l'ambassadeur Frowick, chef de la mission de l'OSCE en Bosnie-Herzégovine ; il doit élaborer des recommandations relatives au fonctionnement d'une Commission électorale provisoire, et examiner les projets de lois et de règlements que celle-ci élaborera. L'Assemblée soutient pleinement cette initiative, car elle permet d'assurer une contribution parlementaire au processus électoral, de concert avec les missions d'observateurs.

Sir Peter Emery éprouve un très grand plaisir à se retrouver dans une assemblée à laquelle il a appartenu dès 1964. Il occupait alors le fauteuil 118  ! Il y a siégé à nouveau entre 1970 et 1972, et il est donc parfaitement conscient de l'excellent travail accompli par le Conseil de l'Europe. Il ne peut que se féliciter que M. Swaelen, Président de l'Assemblée de l'OSCE, en visite dans les Etats baltes, lui ait demandé de le suppléer.

Chargé de veiller à ce qu'il y ait une contribution parlementaire au processus électoral qui va se dérouler en Bosnie-Herzégovine, l'orateur insiste sur le nécessaire apport des politiques. Certaines constitutions ont été élaborées par des universitaires et des fonctionnaires brillants, mais elle sont entachées d'imperfections parce que les politiques n'ont pas été consultés. En ce qui le concerne, Sir Peter essaie de fournir sa contribution, à la tête d'un tout petit groupe, mais avec l'aide de M. Barsony, Président de la Commission des questions politiques.

L'orateur indique que si l'on approfondit l'examen, on se rend compte que subsistent beaucoup d'autres problèmes que ceux qui ont été présentés par les différents orateurs. Les informations diffusées sur place sont souvent trompeuses. Armes rendues, prisonniers relâchés, emplois créés pour ceux qui reviennent, tout cela n'existe pas.

Il faut malheureusement parler argent. Les coûts budgétaires supportés par l'OSCE sont importants. Dix-sept pour cent des ressources viennent du plan local, douze pour cent sont subventionnés par l'OSCE elle-même et le reste, soit soixante et onze pour cent des dépenses, doivent être assurées par des contributions extérieures. Or, à ce jour, hormis les Pays-Bas et la Suisse, aucun pays n'a libéré les sommes prévues. Sir Peter Emery se doit d'insister auprès des divers Etats, qui doivent comprendre combien il est difficile de préparer des élections. Tout manque : les bâtiments officiels, les logements, le personnel nécessaire pour organiser, surveiller, assurer l'information nécessaire au contrôle et au suivi des élections.

Une grande responsabilité pèse sur l'Ambassadeur mandaté sur place par l'OSCE, puisqu'il doit juger si les conditions sont remplies pour procéder à des élections libres et démocratiques. Il y a quelques semaines, ces conditions étaient loin d'être remplies. Or, si l'on veut s'en tenir au programme des accords de Dayton, à savoir des élections avant le 11 septembre, ces conditions devraient être atteintes au plus tard dans huit à neuf semaines, sans quoi une partie des accords de Dayton échouera. Dans ce cas, les troupes de l'IFOR devraient prolonger leur mandat en Ex-Yougoslavie. Cela poserait problème, notamment dans la perspective des élections américaines, puisque le retour des troupes américaines est prévu dès le mois d'octobre.

Sir Peter Emery pense toutefois qu'il devrait être possible de réunir les conditions nécessaires pour autant que l'on trouve les sommes indispensables.

Il relève aussi des points positifs comme l'existence de partis politiques, la liberté de la presse, la formation des responsables. La surveillance pourra être garantie, bien que difficilement, car la sécurité n'est pas encore assurée en Bosnie-Herzégovine. Il n'y a pas de moyens de transport, ni de logements pour les milliers de personnes affectées à la surveillance. Il a été demandé à l'OSCE d'accueillir les observateurs et de garantir la liberté de circulation. Ce sera possible mais il faudra peut-être avoir recours à moins d'observateurs qu'on le souhaiterait.

Sir Peter Emery invite le Président ainsi que les membres de l'Assemblée parlementaire à se rendre à Stockholm pour discuter du problème avec l'OSCE.

L'OSCE, l'Europe et les Etats-Unis veulent réaliser un miracle, tenir des élections libres en Bosnie-Herzégovine. Des siècles d'histoire n'y sont pas parvenues jusqu'ici, mais l'impossible prend toujours plus de temps. Il faut espérer avoir assez de temps.

M. Strubner, chef-adjoint de la mission de l'OSCE en Bosnie-Herzégovine et Président de la Commission provisoire électorale en Bosnie-Herzégovine, a formulé les observations suivantes  :

" Les élections représentent la pierre de touche des accords de Dayton. La mission de l'OSCE est de superviser celles-ci, de s'assurer qu'elles seront libres et démocratiques et qu'elles remplissent les conditions sociales et politiques requises. Le but de ces élections est de mettre en place un Gouvernement représentatif et d'assurer, ainsi, le cheminement vers la démocratie en Bosnie-Herzégovine.

" La mission de l'OSCE a une lourde responsabilité puisqu'elle doit certifier que les conditions sont remplies et décider d'une date pour les élections. Cette responsabilité est d'autant plus grande que des élections libres et démocratiques ont déjà eu lieu et qu'elles ont conduit à cette guerre tragique. "

M. Strubner indique que, le 1 er février, la Commission provisoire électorale a fixé des critères pour la tenue d'élections libres. Il s'agit d'établir un environnement politique neutre et d'assurer les libertés d'expression, de presse, d'association et de circulation. A ce jour, ces critères ne sont pas réalisés et nul ne peut certifier que les conditions nécessaires seront réunies pour organiser des élections libres. Il faut espérer que, d'ici juin, une recommandation positive soit adressée par l'Ambassadeur mandaté.

Ces élections devraient entamer le changement. Il ne s'agit aucunement de donner des apparences de démocratie à un Gouvernement autoritaire. Aujourd'hui, grâce aux accords de Dayton, les massacres sont terminés en Bosnie-Herzégovine. De l'expérience qu'il a acquise au Salvador, M. Strubner sait qu'il faut arrêter les combats avant de négocier. Il adresse ses remerciements aux soldats de l'IFOR pour leur contribution.

Il a constaté que, au niveau des partis politiques, les élections ne posaient pas problème. Tout est en place pour les organiser rapidement. Il considère comme un avantage le fait que les partis au pouvoir soient autoritaires. Ils peuvent très vite se faire obéir de la police, qui protégera au moins la population ou obtenir que les médias diffusent une information libre.

Ayant récemment travaillé avec des représentants de la "Republika Sprska", l'orateur affirme qu'il y a rencontré des gens de bonne volonté qui ne désirent ni la guerre ni la séparation ethnique. Ce sont eux qu'il faut soutenir.

Il ne faut pas être naïf et penser que les comportements changeront du jour au lendemain. Ce qu'il faut changer, ce sont les manifestations extérieures de la haine. Cette guerre n'est pas née de divisions ethniques mais des ambitions de certains pour accéder au pouvoir. Les nationalistes avaient commencé à la préparer depuis dix ans, bien avant la mort de Tito. Il ne faut donc pas leur laisser le droit de donner libre cours à leur propagande.

Les élections ne sont qu'un début dans la voie de la normalisation. L'orateur espère qu'elles pourront avoir lieu en septembre. Elles ne se dérouleront certainement pas parfaitement, mais il faut aller le plus loin possible dans la normalisation d'ici là. Le Conseil de l'Europe peut y aider en faisant pression sur les partis au pouvoir dans les trois capitales. Ceux-ci peuvent parfaitement et rapidement influer sur la situation.

Après quatre ans passés en Bosnie, M. Strubner ne croit plus à la spontanéité des événements. Tout a été ordonné d'en haut par les partis nationalistes, c'est-à-dire par les hommes au pouvoir, et c'est sur eux qu'il faut agir.

La liberté de circulation n'existe pas en Bosnie, non plus que la liberté de la presse, qui d'ailleurs n'était pas de tradition dans l'Ex-Yougoslavie. Le Comité provisoire électoral a institué des règles tendant à faire respecter cette liberté. La liberté de réunion n'est pas non plus assurée, du fait d'agressions multiples et du refus de mise à disposition de salles. Concernant le droit au retour, il faut noter que les gens veulent rentrer, mais dans la sécurité. Le projet pilote établi à ce sujet n'est malheureusement pas mis en œuvre dans la Fédération. La liberté d'expression ne doit pas concerner seulement la radio et la télévision. Les gens doivent pouvoir se parler entre eux. Les connections téléphoniques ne sont pas rétablies et les autorités utilisent la technologie pour empêcher de communiquer, plutôt que pour y aider.

Le TPI, auquel l'orateur a eu l'honneur de collaborer pendant dix-huit mois, est essentiel au processus de paix. Il faut soutenir financièrement ce tribunal, qui devrait d'ailleurs devenir une Cour permanente. MM. Karadzic et Mladic doivent être traduits en justice. Mais aussi Dario Kordic, chef du HVZ en Bosnie. Il faut fermement réclamer à Zagreb son arrestation, d'autant que la Croatie est désormais membre du Conseil de l'Europe. De même du côté bosniaque : les autorités prétendent être dans l'impossibilité d'arrêter des criminels de guerre qui, pourtant, se permettent de donner des interviews publiques. Il faudrait se pencher sur le charnier de Mrkonjic Grad : on y a retrouvé plusieurs dizaines de corps de Serbes, de vieilles femmes notamment, exécutés. Peut-être par l'armée croate !

En conclusion, M. Strubner dit son espoir de voir se dérouler des élections en septembre. Cela ne sera possible qu'au prix de pressions sur les trois capitales.

Enfin, M. Hans Koschnick, ancien administrateur de l'Union européenne à Mostar, a apporté à l'Assemblée des précisions sur sa mission dans la ville où se déroulèrent les pires combats.

L'Union européenne avait accepté la tâche d'administrer Mostar pour y réunir les communautés et reconstruire une ville unie. Le choix de cette ville n'était pas un hasard. Mostar constituait une véritable pomme de discorde alors qu'elle aurait pu être un modèle pour une fédération multinationale.

L'Union européenne a accepté cette tâche parce qu'elle relève de la politique étrangère et de sécurité commune. Des engagements ont été ratifiés par les trois Présidents, les traités ont été signés, les maires ont donné leur accord ; tout, sur le papier, a été réglé, comme à Dayton, mais sur place, au niveau de l'existence quotidienne, les choses sont différentes.

Il faut chaque jour négocier, sans cesse remettre sur le tapis ce qui a été obtenu, car les dirigeants croates de la ville ne souhaitent pas la réunification, ils rêvent encore de s'amalgamer à la Croatie et s'appuient sur des bandes fortement armées pour imposer la loi du plus fort. Ce qui vaut pour les Croates de Mostar vaut aussi pour les musulmans de Bosnie centrale et il n'est pas facile de briser cette mentalité des barricades, même si, dans certains endroits, les passions nationalistes sont moins fortes, les choses se passent bien. Or, on ne peut pas mettre un policier à tous les carrefours.

Si la Croatie et la Bosnie-Herzégovine veulent se rapprocher de l'Union européenne, elles doivent accepter de reconnaître le principe de la libre circulation. Malheureusement le pouvoir dans la région est morcelé, divisé en de multiples milices locales qu'il faudrait ramener à la raison.

Verra-t-on des élections locales au mois de mai ? M. Koschnick a appris que les miracles se réalisaient parfois. Par conséquent, il ne perd pas espoir, d'autant plus que le cadre financier est déjà fixé. Verra-t-on des législatives en septembre ? Autre miracle... Il est important de rétablir un processus démocratique qui permette aux gens de s'écouter. L'IFOR permet une certaine coexistence. Mais que va-t-il se passer si les Etats-Unis s'en vont à la fin de l'année ? De toute façon leur intérêt pour l'Ex-Yougoslavie sera moins marqué après le 6 novembre et l'Europe devra agir toute seule. Ce ne sont pas des policiers désarmés qui maintiendront l'ordre, dans un pays où l'on offre un revolver en cadeau à un gamin de quatre ans.

Protéger les représentants de l'OSCE, assurer sur le terrain une libre circulation effective, voilà de vastes tâches. S'agissant des réfugiés, le Conseil de l'Europe a agi avec une remarquable rapidité mais il est regrettable que les ministres des finances n'aient pas été présents à Dayton. On ne peut pas inciter les réfugiés à revenir sans argent. L'argent est aussi le nerf de la paix.

Dans le débat qui suit l'exposé du rapporteur ,  Mme Josette DURRIEU, sénateur (Soc.) , formule les observations suivantes  :

" Avec les rapporteurs qui viennent de s'exprimer, je rentre de Bosnie et je voudrais vous livrer, à chaud, mes réflexions personnelles.

" A l'évidence, les accords de Dayton, représentent la paix dans l'immédiat. Comme un orateur l'a souligné, le massacre est terminé. Toutefois ce n'est la paix que dans le cadre de conditions "à minima" et grâce à l'IFOR. Chaque jour qui passe stabilise cette paix mais, pour cela, la présence de l'IFOR est essentielle. Elle a un mandat d'assistance et sa mission est de créer un environnement sûr pour la mise en œuvre des accords de Dayton.

" Que se passerait-il si l'IFOR partait au terme de son mandat, en décembre prochain ? A mon avis, le pire. Aujourd'hui la Bosnie-Herzégovine a ses frontières mais ne soyons pas naïfs !

" A Zagreb, l'idée de "Grande Croatie" n'est sûrement pas abandonnée. Certes la Croatie a signé les accords de Dayton et reconnu la Bosnie-Herzégovine, mais le problème de l'accès à la mer n'est pas réglé. Hier, ce pays est entré au Conseil de l'Europe. Il a donc désormais d'autres obligations, car il a pris des engagements. A nous de les lui rappeler.

" A Belgrade, l'idée de "Grande Serbie" persiste certainement. Néanmoins la Serbie a signé les accords de Dayton et reconnu la Bosnie-Herzégovine. Cependant, elle n'a pas encore établi de relations diplomatiques avec la Bosnie-Herzégovine.

" Quant à la Bosnie-Herzégovine, elle existe dans des limites reconnues. Elle est un Etat multiethnique et multiculturel. Cependant, deux nations ont mené une guerre sanglante et doivent vivre ensemble, malgré la peur, la haine. Est-ce possible  ? Peut-être.

" La situation est équivoque et fragile. Ou elle se stabilise avec le temps, ou le pays se divise. J'ai envie de dire que cela peut marcher alors que je n'y croyais pas avant de me rendre sur place.

" Quant aux élections, elles seront un moment essentiel, tout le monde l'a rappelé. pourtant elles ne constitueront que le début du changement. Elles seront organisées par l'OSCE, mais certains ont fait remarquer que les critères n'étaient pas remplis pour l'instant. Espérons qu'ils le seront avant le mois de juin. Selon les résultats, deux éventualités sont à envisager.

" Ou bien les "candidats ethniques" l'emportent, et les conséquences seront graves. Chacun, côté serbe et côté croate, voudra renforcer ethniquement son territoire et -pourquoi pas ?- demandera son rattachement à l'Etat voisin. Il ne resterait alors qu'un pseudo-Etat musulman autour de Sarajevo.

" Ou bien les élections portent au pouvoir d'autres personnalités, aujourd'hui dans l'opposition. Alors, oui, la cohabitation des communautés pourrait être possible et nous assisterions à une stabilisation, mais à deux conditions : d'abord, que l'IFOR reste après le mois de décembre, ensuite, que la reconstruction soit visible. Pour cela, tous les orateurs l'ont dit, il faut beaucoup d'argent, car ces territoires sont totalement ravagés.

" Enfin, il convient de souligner le rôle primordial de toutes les organisations internationales que vous représentez, et de vous remercier, vous tous ici, représentants de l'ONU, de l'OSCE, de l'Union européenne, de la Croix-Rouge et du Conseil de l'Europe !

" A propos du Conseil de l'Europe, j'ai envie d'ajouter que s'il est présent, il ne l'est pas assez. Il doit affirmer son engagement en Bosnie-Herzégovine et coopérer davantage avec l'OSCE. Comme mon collègue M. Ruffy vient de rappeler tout ce que pouvaient être ses missions, je ne le ferai pas, mais le Conseil de l'Europe peut affirmer sa spécificité car il a des domaines d'excellence : les droits de l'homme, la démocratie locale, la coopération transfrontalière, les médias.

" J'ai envie d'insister sur les droits de l'homme. Oui, Monsieur le Président du Tribunal pénal international, nous avons une mission à laquelle nous ne devons pas faillir ; oui, nous devons coopérer avec vous, ou alors nous n'avons plus aucune raison d'exister ni de siéger ici ! Il y a des criminels de guerre qui ont été individuellement identifiés : la responsabilité n'est pas collective. Ils doivent être jugés et être punis, car aucune complaisance d'aucune nature ne serait tolérable.

" Lors des accords de Paris, au moment de la déclaration de Royaumont, a été évoquée la mise en œuvre d'une initiative sur un accord régional de stabilité que l'on a, semble-t-il, évoqué à nouveau entre partenaires concernés, hier à Vienne. Cela me semble nécessaire.

" Effectivement, dans Sarajevo et en Bosnie, en même temps que les canons qui se sont tus, que les chars que l'on voit, que les femmes habillées de noir que l'on perçoit, oui, Madame, on voit des couples se reformer et, curieusement, dans les décombres, des hommes et des femmes planter des fleurs. C'est vrai, nous l'avons vu. C'est l'espoir. Nous le partageons. "

Pour mieux éclairer encore l'Assemblée, une invitation avait été adressée à M. Radoman BOZOVIC, Président de la Chambre des citoyens de l'Ex-République de Yougoslavie .

Prenant la parole, il affirme que les accords de Dayton, signés à Paris, constituent un tournant dans l'histoire de l'Ex-Yougoslavie. C'est assurément l'avancée la plus importante vers un règlement depuis le début de la crise. En effet, la paix est actuellement restaurée en Bosnie-Herzégovine. Si le volet militaire des accords permet d'espérer un traitement équitable pour tous, le volet civil présente une importance particulière pour l'établissement d'une paix durable et pour la stabilité de la région.

L'orateur se dit convaincu qu'un préalable indispensable au succès de la paix est la tenue d'élections législatives en Bosnie-Herzégovine. Ces élections nécessitent une bonne préparation afin qu'elles puissent se dérouler dans une atmosphère empreinte de démocratie et du respect d'autrui.

Le problème des réfugiés doit être réglé sans tarder. Ils ont le droit au retour sans aucune restriction ni entrave. Le pays a accueilli des centaines de milliers de réfugiés de toutes origines. Il faudrait que la communauté internationale fournisse des garanties tant à ceux qui veulent revenir qu'à ceux qui préfèrent rester. La dernière réunion des pays bailleurs de fonds, qui s'est tenue à Bruxelles, revêt une importance essentielle dans le contexte des accords de Dayton.

Un règlement global dépend d'une approche équilibrée. L'orateur soutient le volet civil des accords. La République fédérale de Yougoslavie a respecté tous les engagements qui étaient les siens dans le cadre des accords de Dayton. Elle a participé aux négociations relatives au contrôle des armements et estime que tous les criminels de guerre doivent être traduits en justice.

Malgré sa politique constructive et pacifique, la République fédérale de Yougoslavie n'a pas encore vu son statut reconnu par la communauté internationale. Cela l'empêche de coopérer avec des organismes comme le FMI et la Banque mondiale et nuit à l'établissement de relations économiques diversifiées avec d'autres pays. Un accroissement des échanges commerciaux serait pourtant indispensable pour permettre les réformes socio-économiques qui s'imposent.

La République fédérale de Yougoslavie se tourne vers une orientation résolument européenne. Dans ce cadre, elle souhaite coopérer avec les institutions européennes et, notamment, le Conseil de l'Europe. C'est dans cet esprit qu'elle s'efforce également de contribuer au règlement des problèmes qui concernent les autres régions de l'Ex-Yougoslavie.

La République fédérale de Yougoslavie a signé des accords de normalisation avec la Macédoine, elle a reconnu la Slovénie et la Bosnie-Herzégovine, elle est en passe de traiter avec la Croatie. Elle a invité la minorité du Kosovo au dialogue. Celle-ci doit comprendre que l'heure n'est plus au terrorisme mais au dialogue. Les Albanais de souche bénéficient de tous les droits précédemment cités.

La République fédérale de Yougoslavie est disposée à coopérer avec la nouvelle instance du Conseil de l'Europe chargée de la mise en œuvre de la paix et elle est prête à tout accord bilatéral. La meilleure garantie de la paix, c'est la réintégration de la Yougoslavie au sein des institutions internationales.

M. Dragoljub MICUNOVIC, membre de l'opposition yougoslave , se déclare ravi de prendre la parole dans l'hémicycle au nom de ceux qui, dans la République de Yougoslavie, ont tenté d'empêcher la désintégration du pays et la guerre qui s'en est suivie. L'isolement de la Yougoslavie a eu de graves conséquences économiques, la classe moyenne a disparu, le niveau de vie a chuté et les forces extrémistes sont apparues au premier plan. Cet isolement a également éloigné le pays des normes démocratiques exigées par le Conseil de l'Europe.

L'orateur pense que son pays est maintenant dans la bonne voie quant au respect des valeurs de la Charte des Nations Unies et de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Cela est vrai de la majorité du peuple et des partis politiques. Les événements de Bosnie-Herzégovine laissent planer de graves incertitudes. Les forces démocratiques yougoslaves doivent être soutenues -elles qui sont restées à l'arrière plan- et reprendre les rênes du pouvoir dans un pays où les extrémistes, même s'ils crient fort, ne sont pas la majorité. Seuls les criminels de guerre doivent être individuellement inculpés. On ne peut condamner globalement un peuple, sous peine de voir surgir de nouvelles haines.

L'orateur espère que les forces qui ont causé la guerre seront punies et que l'on donnera leur chance aux nouvelles forces démocratiques, qui existent dans les deux entités de la Bosnie-Herzégovine. Le parti de l'orateur fera le maximum pour les soutenir, mais le temps presse d'ici aux élections et les moyens sont limités. Les démocrates yougoslaves souhaitent mettre en place des règles totalement démocratiques dans leur pays pour le sortir de la tragique période qu'il vient de traverser.

Puis, M. Jacques BAUMEL, député (RPR) , intervient dans le débat en ces termes  :

" Il aura donc fallu quatre ans, 200.000 morts, 600.000 réfugiés, 30.000 femmes violées pour que, grâce à l'intervention tardive de la puissance américaine, l'on puisse mettre fin au massacre et au génocide !

" Dans cette affaire, il faut juger sévèrement l'impuissance de toutes les grandes nations européennes qui ont laissé se dérouler, à deux heures d'avion seulement de Strasbourg, une des pires tragédies que l'Europe ait connue.

" Néanmoins il faut surtout, aujourd'hui, se tourner vers l'avenir. Dans cette Bosnie-Herzégovine, sauvée, mais terriblement malade et convalescente, il doit d'abord consister à mettre sur pied des institutions démocratiques permettant la survie de ce pays tragiquement découpé par la guerre civile.

" L'une des premières réalisations de ces institutions sera la tenue d'élections, ce qui nous concerne tout particulièrement puisqu'il s'agira d'assurer la liberté de vote, le respect des opinions, la liberté des médias, des journaux, afin que ces élections puissent se dérouler aussi favorablement que possible, en dépit des énormes difficultés auxquelles nous serons confrontés, entre autres celle consistant à recenser des électeurs qui, broyés par la guerre, jetés sur les routes, ont perdu toute attache avec leur village ou leur ville. C'est un problème extrêmement grave.

" Si l'IFOR a réussi, sur le plan militaire, à rétablir une paix provisoire et fragile, il reste un énorme effort de reconstruction politique, de reconstruction économique, et surtout d'apaisement entre toutes les parties prenantes à accomplir. C'est à cela que nous devons faire tendre nos efforts, nous tous, membres du Conseil de l'Europe, de l'Union européenne ou de la communauté internationale. Il est de notre devoir de montrer, que en fin de compte, l'exemple de la barbarie n'est pas payant, afin d'éviter demain, aux lisières de l'Europe et peut-être même en son sein, de nouveaux drames du type de celui vécu par la Bosnie-Herzégovine.

" C'est ce message que nous devons transmettre aux hommes politiques de cette région de l'Europe ainsi qu'à la population des diverses communautés. Cela dit-il sera difficile de réaliser ces élections dans de parfaites conditions, d'autant que je ne pense pas que, d'ici là, ait été réglée la délicate question des criminels de guerre. C'est donc dans un pays où des forces malsaines, nationalistes et revanchardes, vont pouvoir se déployer à l'occasion de ces élections qu'il faudra tout de même maintenir le caractère démocratique de cette consultation.

" Enfin, il est nécessaire d'apporter à ce pays non seulement de quoi reconstruire les infrastructures, ruinées par la guerre, mais surtout un aliment permanent en vue de la cohabitation pacifique entre les différentes cultures et différentes origines, faisant oublier les horreurs de la guerre civile, pour qu'enfin ces peuples qui avaient vécu en cohabitation paisible pendant quarante ans puissent, malgré les blessures et les cicatrices, retrouver cette paix.

" Nous avons, nous Européens, à jouer un rôle important puisque un jour ou l'autre, probablement plus tôt qu'il ne le faudrait, la puissance américaine va retirer ses troupes, après les élections dans ce pays, probablement à l'occasion des élections américaines. Nous nous retrouverons dans une situation difficile. On nous dit : "nous sommes arrivés ensemble, nous devons repartir ensemble". Mais si nous partons ensemble et si tout n'est pas réglé d'ici là, allons-nous prendre la responsabilité de replonger ce pays à nouveau dans les affres d'une guerre qui recommencera ? N'est-il pas souhaitable d'obtenir le maintien d'une force internationale pendant quelques temps, avec si possible la présence limitée mais utile des forces américaines, la participation de l'Union européenne et probablement de l'institution qu'est l'UEO  ?

" Il faut imaginer que ce n'est pas en quelques mois que tout sera reconstruit. C'est la raison pour laquelle je tiens à souligner, pour conclure, que les pires mines que nous devons désamorcer ne sont pas seulement les mines de la guerre mais celles qui existent dans les cerveaux et dans les cœurs et qui portent toujours les traces du nationalisme et des haines ancestrales. "

M. Jean-Claude MIGNON, député (RPR) , intervient quant à lui en ces termes :

" Quatre mois après la signature des accords de paix en Bosnie-Herzégovine, les dispositions militaires semblent largement réalisées. Hormis quelques difficultés techniques, le désarmement et le retrait des armées progressent comme prévu. Il en va tout autrement avec les aspects civils des accords. La Fédération entre Bosniaques et Croates est loin d'être stable et les nationalistes serbes réclament toujours une division totale du pays. La paix en Bosnie-Herzégovine semble très fragile, comme l'illustre la situation dans les villes de Mostar et de Sarajevo.

" Que faire pour stabiliser la paix ? Comment ouvrir la voie à un bon déroulement de la mise en œuvre des accords de Dayton ?

" Il importe, tout d'abord, de reconstituer la société civile et de garantir l'unité du pays. Pour cela, il est indispensable d'écarter les forces qui s'opposent obstinément à l'application des accords, et notamment MM. Karadzic et Mladic, tous deux accusés de génocide par le Tribunal de La Haye.

" Karadzic est de tous les chefs de guerre en Ex-Yougoslavie celui qui représente le plus fort obstacle à la paix. Bien qu'il soit désormais isolé, il garde suffisamment de pouvoir pour mettre en danger les acquis de Dayton. A cause de lui, les Serbes n'ont pas été représentés à la conférence de Bruxelles, les 12 et 13 avril dernier, et n'ont donc pas accès à l'aide économique, ce qui pourrait à nouveau attiser les rancœurs nationalistes. S'affrontant au chapitre constitutionnel des accords, Karadzic poursuit ouvertement son but du partage de l'Etat bosniaque et d'une unification de la République serbe avec la Serbie et le Monténégro. Par sa récente nomination à la tête d'un "comité de coopération avec la communauté internationale et la Fédération croato-musulmane" qui luttera contre la rétablissement d'un Etat unitaire, il persiste à provoquer la communauté internationale. Discrédité depuis longtemps par ses actes criminels, Karadzic doit être définitivement refusé comme interlocuteur.

" La poursuite acharnée et l'écartement du pouvoir des personnes incitant à la haine et coupables de crimes de guerre, qu'elles soient serbes, croates ou bosniaques, est un premier pas indispensable vers la paix.

" Un deuxième facteur clé, pour réaliser avec succès le plan de paix, est la reconstruction économique. La priorité doit être de fournir du travail et des logements. Cela nécessite une assistance importante de la communauté internationale, mais aussi une volonté politique et des efforts concertés de la part des parties en Bosnie-Herzégovine.

" Plusieurs problèmes se posent.

" D'abord la communauté internationale tarde à verser l'argent promis lors des négociations de Dayton. Il est pourtant important que les Etats respectent pleinement leurs engagements concernant l'assistance économique et financière à la Bosnie.

" De plus, la coopération des responsables en Bosnie est insuffisante. Il importe de trouver des moyens de faire bénéficier directement la population des aides accordées.

" Un autre problème réside dans l'absence de lois appropriées, qui protégeraient les investisseurs étrangers.

" La troisième priorité des mois à venir sera la préparation d'élections libres et démocratiques. C'est uniquement en optant pour un système véritablement démocratique que la Bosnie-Herzégovine s'ouvrira la voie vers la paix. L'instauration de la démocratie est aussi une condition fondamentale pour son adhésion au Conseil de l'Europe. Pour créer un climat favorable à la tenue des élections, les organisations internationales, telles que l'OSCE, la Communauté européenne, l'OTAN, les Nations Unies et le Conseil de l'Europe, sont appelées à coordonner leurs activités sur le terrain. Avec ses "programmes d'assistance et de coopération", le Conseil de l'Europe jouera un rôle central dans la création des conditions sociales et politiques nécessaires pour l'installation de la démocratie en Bosnie-Herzégovine.

" De nombreuses tâches restent à accomplir, comme l'établissement des listes électorales et l'organisation du vote des réfugiés. Surtout il faudra assurer la liberté des médias et des réunions électorales, pour que tous les candidats puissent se faire entendre.

" Toutes ces difficultés doivent être surmontées afin de permettre l'instauration d'une paix durable en Bosnie-Herzégovine. Les organisations internationales et, parmi elles, le Conseil de l'Europe, sont prêtes à accepter le défi et à s'engager pleinement dans la coopération avec ce pays. Reste à voir s'il sera possible de trouver des solutions satisfaisantes avant la fin de cette année, de sorte que la Bosnie puisse se passer de tutelle étrangère. Il paraît plus réaliste de s'attendre à un développement à plus long terme. Mais, dans tous les cas, il est urgent d'agir pour que ce pays ravagé par la guerre retrouve enfin l'unité et la paix. "

M. Jean VALLEIX, député (RPR) , fait les observations suivantes :

" Monsieur le Président, mes chers collègues, le débat d'aujourd'hui est particulièrement important alors que chacun s'interroge sur les chances de réussite du volet civil des accords de Dayton, et sur la manière d'y contribuer.

" La phase militaire conduite par l'IFOR en vue de créer un environnement sûr et stable pour la mise en œuvre des accords a donné dans l'ensemble d'excellents résultats. Les échéances de l'application du règlement territorial ont été tenues, ce qui n'était pas évident au départ. Toutefois, on ne peut que regretter l'exode de la population du quartier serbe de Sarajevo restitué à la Fédération. Des pressions de toutes sortes ont été exercées en ce sens, ce qui hypothèque l'avenir pluriculturel de la Bosnie-Herzégovine.

" Par ailleurs, le regroupement des armes lourdes et des unités combattantes dans les casernes, ainsi que la démobilisation des forces non cantonnées a pris quelque retard, faute d'une préparation suffisante.

" En outre, un point majeur reste à régler : la définition de la ligne interentités dans le couloir de la Posavina, soumise à un arbitrage international devant être rendue entre le 14 juin et le 14 décembre 1996. J'appelle l'attention de l'Assemblée parlementaire sur le fait qu'à ce jour, ni la Fédération croato-bosniaque, ni la République serbe n'ont désigné leur arbitre.

" Le règlement de ces questions est fondamental pour que soit engagée dans de bonnes conditions la mise en œuvre du volet civil de l'accord de paix, car il s'agit maintenant de reconstruire la société civile en Bosnie-Herzégovine après les déchirements d'une guerre sans merci.

" Dans son excellent rapport, M. van der Linden rappelle l'ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés.

" Le plan de rapatriement et le retour volontaire de plus de deux millions de personnes déplacées et de réfugiés, soit la moitié de la population d'avant le conflit, donnent la mesure des difficultés de la tâche. Pourtant, nous devons fermement poursuivre et consolider les efforts entrepris. Sur le plan économique, le conférence des donateurs, qui vient de se tenir à Bruxelles, a permis de recueillir des annonces de contribution couvrant les besoins de l'année en cours. Nous nous félicitons également de voir que plusieurs principes essentiels ont été affirmés à cette occasion, en particulier la priorité donnée aux projets favorisant la réconciliation entre les communautés et le rappel de la nécessité de respecter les modalités de l'accord de paix.

" Qu'en sera-t-il de la position de la République serbe ? Les nationalistes jusqu'au-boutistes de M. Karadzic l'emporteront-il sur les partisans de la coopération avec la communauté internationale ? L'avenir proche nous le dira certainement. Tout doit être fait pour que les partisans de la réconciliation et de la paix civile l'emportent.

" Il reste que la préparation des élections est l'objectif majeur de la période qui s'ouvre. La coopération entre le Conseil de l'Europe et l'OSCE trouve là un terrain propice pour se développer harmonieusement. Elle devra être poursuivie et donner lieu à un partenariat renforcé, notamment pour l'observation des élections car de nombreux problèmes restent à régler : établissement des listes électorales, organisation du vote des réfugiés et, surtout, accord des deux entités pour "jouer le jeu", le jeu électoral et autoriser un égal accès aux médias des candidats en présence.

" Nous voyons bien que la question essentielle, majeure, celle qui domine toutes les autres et qui conditionne la réussite de l'accord de paix est celle de savoir si la Bosnie pourra reconstituer une société multiethnique ou si elle se laissera emporter par les ferments de la division. Si la logique de séparation, qui est à l'œuvre entre les trois communautés de Bosnie-Herzégovine, devait l'emporter, nous aurions à redouter que ne puisse s'établir dans cette région sensible une paix durable.

" Cette paix durable doit reposer sur la préservation de l'unité de la Bosnie-Herzégovine dans ses frontières internationalement reconnues, le maintien de son caractère pluriethnique et la réconciliation entre les différentes communautés qui la composent. Il est également essentiel que nous puissions parvenir à un accord régional de stabilité et de bon voisinage, comme nous y invite l'initiative française prise en décembre 1995 à l'occasion de la Conférence de Paris.

" L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe doit fermement marquer sa volonté que soit établie une paix durable et, pour cela, elle doit placer les différents protagonistes devant leurs responsabilités. Nous devons leur faire comprendre que l'adhésion au Conseil de l'Europe est à ce prix.

" Enfin, je formulerai deux observations.

" La première est que seule la volonté politique est payante. C'est, en grande partie, grâce au Président Chirac que le tournant de la paix a été pris en Bosnie, même si les Américains, et c'est heureux, ont apporté leur appui. L'Europe en tant qu'entité se décidera-t-elle à exister politiquement, et, face à l'Amérique, se décidera-t-elle à faire entendre sa voix ?

" Ce qui se passe au Proche-Orient nous montre que l'Europe peut être un des principaux bailleurs de fonds tout en ne parvenant pas, ou même en ne voulant pas peser sur les décisions politiques majeures.

" Ma deuxième observation sera pour souligner qu'il est urgent de mettre en place des mécanismes efficaces de prévention des conflits. Nous voyons bien, au Liban, où vont nous conduire, une fois encore, des actions militaires irresponsables : au financement de la énième reconstruction de ce pays. Dans une Europe qui compte vingt millions de chômeurs, les opinions publiques, les contribuables européens tolèrent-ils longtemps de participer au financement des énormes réparations dues aux dégâts causés par tant de folie  ?

" Nous atteignons, dans ce domaine, une certaine limite et il appartient au Conseil de l'Europe de la faire clairement savoir et de poser les conditions qui s'imposent avant de s'engager dans des programmes ou des initiatives nouvelles. "

La recommandation n° 1297 contenue dans le rapport 7509 est adoptée à l'unanimité, telle qu'amendée.

Puis, la directive n° 521 contenue dans le rapport 7539 est à son tour adoptée.

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