7. L'exploitation sexuelle des enfants - Interventions de MM. Jean VALLEIX, député (RPR), et Nicolas ABOUT, sénateur (Ap. RI) (Mercredi 25 septembre)

Le rapporteur présente son travail en ces termes  :

" Monsieur le Président, mes chers collègues, pendant l'été, un iceberg d'atrocités envers les enfants a émergé. Il est apparu, lors de la conférence de Stockholm, que des centaines de milliers d'enfants sont à l'abandon et s'adonnent à la prostitution, dès l'âge de sept ans. Il paraît que l'Europe de l'Est est devenue le supermarché des pédophiles. Mais il ne faut pas se leurrer  ; l'exploitation sexuelle des enfants n'est pas uniquement le fait du tourisme sexuel, elle est due également à la " clientèle locale "  !

" Je signalerai à mes collègues ici présents qu'il s'agit d'un débat d'urgence dans lequel il est impossible d'inclure toutes les données nécessaires. De ce fait, il est un début et non une fin. Il faudra revenir sur le sujet après avoir réalisé une étude comparative de nos législations et des dispositifs sociaux en la matière, afin de pouvoir tirer des lignes directrices en vue de l'établissement d'une législation harmonisée, à tout le moins dans les pays membres de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Il serait évidemment souhaitable que cette harmonisation dépasse les limites géographiques du Conseil de l'Europe, car le phénomène n'est évidemment pas seulement européen mais mondial.

" N'oublions pas que ce phénomène est lié à l'expansion du Sida et que les médias ont un rôle important à jouer en ce domaine.

" Je tiens à signaler que le fait que la Convention des Nations Unies de 1989 ait été, depuis, signée par 188 pays, ne signifie pas qu'elle soit appliquée dans tous les Etats qui l'ont ratifiée. La mise en oeuvre de cette Convention exige, en effet, la mise à disposition de moyens budgétaires considérables. Malgré la ratification, les pays ne sont pas toujours d'accord pour mettre à disposition les fonds nécessaires pour la totale application de la convention.

" Je me permettrai aussi de rappeler que la résolution n° 1286, adoptée par l'Assemblée, l'année dernière, demandait au Conseil des ministres l'institution d'une structure permanente à composition pluridisciplinaire habilitée à traiter toutes les questions relatives aux enfants.

" Si besoin était, ce dont je doute, la preuve est faite que cette structure s'impose. Celle-ci pourra aussi s'occuper, de façon plus précise, du phénomène de l'exploitation sexuelle.

" Il va de soi que tous les pays du Conseil de l'Europe devraient s'engager à mettre en oeuvre la plate-forme d'action dégagée à Stockholm avant d'envisager les nouvelles démarches qui s'imposent.

" Mes chers collègues, le rapport qui vous est présenté pourrait se résumer en trois mots-clés : premièrement, information et prévention  ; deuxièmement, extension ou amélioration de la coopération policière et judiciaire  ; troisièmement, diversification ou accroissement de l'arsenal répressif.

" La résolution invite le Conseil des ministres à élaborer -c'est une demande ancienne, non suivie d'effet depuis 1990- un protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l'Homme sur les droits des enfants, afin qu'ils soient appliqués aux enfants qui en sont justiciables. Tant que les droits des enfants restent théoriques et ne peuvent être défendus en justice, ils risquent de rester lettre morte. Il faut lutter contre ce fait et, donc, pour ce protocole additionnel.

" La résolution invite également les Etats membres à soutenir l'élaboration d'une convention européenne ou internationale ou d'un protocole sur les droits des enfants ayant trait plus spécialement aux divers phénomènes d'exploitation sexuelle.

" Autre fait : quelques-uns des Etats membres du Conseil de l'Europe n'ont pas encore signé et ratifié la Convention des Nations Unies ou la Convention européenne d'application des droits des enfants. Il serait grand temps que ces pays, qui n'ont pas encore fait leur devoir à domicile, le fassent dans un proche avenir.

" Quant à la prévention et à l'information, la résolution demande l'institution d'une structure appropriée pour informer, conseiller les enfants et intervenir, le cas échéant, en leur nom, y compris le droit d'ester en justice pour eux. Le système visé est celui d'un médiateur spécial pour les enfants, de préférence une personne isolée. En raison de considérations de quelques collègues de la Commission des questions juridiques et des droits de l'homme, ce système précis a été retiré pour donner toute latitude aux différents pays membres pour prévoir une autre structure dotée des mêmes missions.

" La formation et l'information des professionnels en contact journalier avec les enfants s'imposent alors que souvent, les policiers, les magistrats et les avocats ne sont pas formés ou équipés pour recevoir plus spécialement les enfants. Ce ne sont, en effet, pas des " clients " comme tout le monde. Une formation spécifique s'impose qui, elle aussi, a été demandée dans la recommandation de l'année dernière. Là encore, il serait important de suivre son exécution.

" En deuxième lieu, vient la coopération policière et judiciaire. Elle est essentielle et il a déjà été question dans la presse d'étendre les missions d'Europol à l'exploitation sexuelle des enfants. Il est impérieux de dresser un fichier informatique européen, et même de préférence mondial, sur les pédophiles afin que ce qui se passe à l'heure actuelle quant à la récidive cesse.

" Il n'est pas normal en effet que des personnes condamnées pour fait de proxénétisme pédophile ou autre aspect de l'exploitation sexuelle des enfants puissent être, dans un autre pays, considérées comme des délinquants primaires et ainsi échapper à la circonstance aggravante de la récidive. C'est une pratique désormais absolument inadmissible.

" Quant à l'arsenal répressif, il existe dans de nombreux pays du Conseil de l'Europe mais dans tous, il essaie de dégager des principes communs et parmi ces principes, j'estime que l'extra-territorialité est le plus important  ; l'extra-territorialité des poursuites et des condamnations pour crimes et délits sexuels commis à l'étranger permettra de poursuivre chez nous, par exemple dans les pays d'Europe, des faits qui se sont passés sur un autre continent.

" Reste à régler le problème de l'instruction de ce genre d'affaires. Il ne faut pas oublier, dans ce domaine, de mettre en place les dispositions spéciales concernant la protection des témoins.

" Deuxième principe important  : l'interdiction de décriminaliser les crimes contre les enfants, ce qui permettrait de réduire les pénalités et de qualifier autrement des faits pénaux à établir.

" Troisième principe  : étendre le délai de prescription est impérieux afin de permettre, pendant plus longtemps, de poursuivre des faits qui se sont passés dans la jeunesse de certaines personnes. En tout état de cause, il faut prolonger ce délai pendant un minimum de cinq ans au-delà de la majorité.

" Les médias aussi sont particulièrement interpellés. Il faut qu'ils aident l'opinion publique à prendre conscience du phénomène, contribuant ainsi à la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants. La pornographie sur Internet est un autre phénomène marginal dont il faudra s'occuper ainsi que celui des agences de voyage "spécialisées". Des campagnes dissuasives contre les clients des agences ainsi que des sanctions pénales et administratives contre ces agences, telle que par exemple le retrait du permis d'exploitation, sont des mesures envisageables qu'il faut essayer de mettre en pratique de préférence de façon concertée.

" Tels sont, Monsieur le Président, mes chers collègues, les points essentiels de la résolution. Je prierai tous ceux qui restent sur leur faim sur un point ou sur un autre de se rappeler que ce n'est qu'un début et non une fin. Nous reviendrons peut-être avec un rapport plus élaboré et plus précis après l'établissement d'un questionnaire et avec les réponses de nos Gouvernements respectifs, afin de progresser dans ce domaine qui est urgent et d'une importance capitale. "

Puis, le rapporteur pour avis de la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille, dit qu'il est essentiel de ne pas laisser retomber l'élan donné par la Conférence de Stockholm, à laquelle il a assisté en sa qualité de membre de la Commission et au cours de laquelle il a pu entendre le Secrétaire général prononcer un discours impressionnant.

Après avoir rendu hommage au Gouvernement suédois, le rapporteur pour avis rappelle que le Conseil de l'Europe a été l'une des premières organisations internationales à s'intéresser au bien-être des enfants, adoptant en 1987 la recommandation 1065 relative à la traite et à d'autres formes d'exploitation des enfants, en 1990, la recommandation 1121 et, au début de 1996, la recommandation 1286. Sans aucun doute, le rapport présenté par Mme Err marquera une étape supplémentaire importante dans la protection de l'enfance et la Commission des questions sociales, de la santé et de la famille l'appuie absolument. Elle juge particulièrement importants les paragraphes 7 à 10 du projet de résolution, et elle incite vivement les Etats membres à suivre les recommandations contenues au paragraphe 12, dans lequel il leur est demandé de renforcer les mesures répressives et d'adopter sans tarder une législation relative à l'exploitation sexuelle des enfants.

Les ressortissants des pays membres du Conseil de l'Europe qui se livreraient à des crimes et délits de cette sorte sur d'autres continents doivent savoir qu'ils seront poursuivis dans leur propre pays. Quant aux agences de voyage visées au paragraphe 13, qui organisent sciemment le tourisme sexuel, elles doivent s'attendre à des retraits de licence et à des amendes. Inutile de soutenir que rien ne peut être fait, puisque l'Australie a démontré le contraire.

Nul ne saurait non plus se contenter de pousser des cris d'orfraie en prétendant que cela n'arrive qu'ailleurs, car ces pratiques honteuses sont universelles. Tous les parlementaires doivent donc travailler ensemble pour garantir une meilleure protection des mineurs et inciter leurs Gouvernements à renforcer leur coopération à cette fin.

Tous ceux qui ont des enfants ou des petits-enfants devraient bien consacrer quelques minutes, quand ils les tiennent dans leurs bras, à ces enfants d'autres pays, victimes d'abus abominables. Tout le monde est concerné, personne ne peut se dérober à sa responsabilité en refusant la réalité.

M. Jean VALLEIX, député (RPR) , prend la parole en ces termes :

" Enfin ! Notre Assemblée débat enfin de ce problème grave qui se pose, ne nous le cachons pas, dans tous les Etats du Conseil de l'Europe, comme dans tous les pays du monde.

" Je regrette seulement que nous tenions enfin ce débat sous l'urgence d'événements dramatiques.

" Dois-je rappeler, mes chers collègues, que nous avons consacré des heures et des heures depuis des années et des années à satisfaire les revendications de différents lobbies irresponsables.

" Dois-je rappeler le "livre blanc" sur la jeunesse marginalisée, qui nous était soumis en juin dernier (en annexe d'un rapport) et qui préconisait le démantèlement de toutes les règles de la vie familiale ?. Dois-je souligner que ce "livre blanc" a été demandé à une personnalité qui n'a d'autre qualité, semble-t-il, que celle de Président de "l'Organisation internationale de la jeunesse gay et lesbienne" ? Cette personnalité "particulièrement qualifiée" n'a-t-elle pas été recrutée comme agent de la Direction de la jeunesse de notre Organisation ?

" Les responsables, si l'on ose dire, de ce recrutement, sont-ils conscients des risques pour les jeunes qui participent aux activités du Conseil de l'Europe, et des risques pour notre Organisation d'un éventuel scandale ? Si j'évoque cette dérive, mes chers collègues, c'est pour vous rendre attentifs au climat dans lequel se développent les crimes contre les enfants.

" Quand ceux qui sont chargés d'édicter la loi semblent adopter le slogan : "il est interdit d'interdire", comment s'étonner que certains pervers passent à l'acte et imposent leurs dérèglements aux enfants et aux adolescents ? Je crois qu'il est grand temps de réagir et de redonner à la jeunesse comme aux adultes des repères clairs.

" A cet égard, je veux bien féliciter Mme Err de son rapport, mais elle me permettra de trouver son projet de résolution bien timoré à l'égard des exigences de la protection des enfants et des adolescents.

" Aussi, j'appuie nettement la proposition de nos collègues MM. About et López Henares tendant à la définition d'une limite d'âge en-deçà de laquelle on ne saurait présumer le consentement d'un enfant à des actes sexuels.

" Entre les dépravés et l'enfant, je choisis d'accorder la protection de la loi au plus faible, à l'enfant, dont l'équilibre futur peut être saccagé à jamais par une atteinte à son intimité.

" De même, est indispensable la constitution d'un fichier non pas au niveau d'Europol, mais bien dans le cadre de la grande Europe ; nous devons établir par une convention spécifique du Conseil de l'Europe un fichier des condamnations définitives permettant la répression sans faiblesse des criminels récidivistes.

" L'Europe unie ne doit pas être l'espace de la libre circulation des criminels, mais celui de la protection des enfants et des adolescents. "

M. Nicolas ABOUT, sénateur (Ap. RI) , a présenté sur le projet de résolution un amendement visant à demander aux Gouvernements :

" De prévoir dans la législation nationale que toute relation sexuelle entre une personne majeure et un mineur de moins de quinze ans fait l'objet d'une présomption irréfragable de violence, sans possibilité d'alléguer un quelconque consentement du mineur de moins de quinze ans, et doit donc être qualifiée de délit ou de crime, selon la gravité des faits. "

M. Nicolas ABOUT défend cet amendement en ces termes :

" Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, notre jeunesse violée, vendue, martyrisée, nous implore aujourd'hui. Les cadavres de nos enfants nous rappellent avec violence que les politiques n'ont pas su prendre les mesures nécessaires à leur protection. Une communauté qui ne protège pas ses enfants, qui en abuse ou qui les laisse se faire massacrer, n'a pas de courage et n'a plus aucune dignité.

" Notre première mission consiste à arrêter une barrière claire et incontournable, définissant les limites de l'enfance. C'est pourquoi, avec mon collègue Lopez Henares, nous demandons que soit fixée une limite, celle de quinze ans, afin que soit retenue une présomption irréfragable de violence, sans possibilité d'alléguer un quelconque consentement du mineur de moins de quinze ans, et doit donc être qualifiée de délit ou de crime, selon la gravité des faits.

" Je ne souhaite pas qu'il soit répondu à notre proposition  : "Nous verrons cela plus tard !" Ce que j'ai entendu au sujet d'une énième recommandation ! Il y en a déjà eu trois  ! Si nous ne votons pas cet amendement aujourd'hui, nul n'aura plus le droit d'essuyer les larmes de nos enfants martyrisés pour leur vie entière  ! "

Après le rejet de l'amendement, M. Nicolas ABOUT présente un nouvel amendement visant, dans le projet de résolution, à insérer un nouveau paragraphe rédigé comme suit :

" L'Assemblée invite les Etats membres à élaborer une convention établissant un fichier des condamnations définitives rendues contre les auteurs de délits ou crimes sexuels contre les enfants, fichier que seules les juridictions saisies de faits de cette nature pourraient interroger afin de rechercher si un inculpé n'a pas déjà commis les mêmes délits ou crimes dans un autre Etat, et établir ainsi la récidive. "

Mme FERNÁNDEZ DE LA VEGA, membre de la délégation espagnole (Soc.) , s'oppose à cet amendement, qu'elle estime pénalement inadéquat. Selon elle, fixer à quinze ans l'âge en dessous duquel on présume qu'un rapport sexuel est un délit relève de l'ordre moral et non du droit pénal. Prendre une telle mesure reviendrait à considérer comme un crime toute relation sexuelle entre jeunes. Pour l'oratrice, le problème de l'âge n'est pas le critère primordial. Elle considère qu'il serait plus utile d'établir une norme générale au niveau de la prostitution des mineurs.

Le rapporteur, Mme ERR (Luxembourg - Soc.) , prend à son tour la parole en ces termes  :

" Je me rallie aux propos à l'instant développés par notre collègue Mme Fernánda de la Vega. Il est exact que, d'un point de vue juridique, nombre d'éléments de cette proposition ne sont pas corrects, voire sont incohérents. D'autres se retrouvent dans le texte. Je renvoie l'auteur à l'alinéa 15 sur la coopération judiciaire, policière et les dispositifs de l'Europol. Dans le mémorandum, on évoque un fichier, non pas seulement européen, mais également international, des pédophiles. Le fait de pouvoir prendre en compte la récidive est un élément essentiel. Mais le principe de l'extra-territorialité dans la législation pénale est évidemment introduit dans le rapport pour s'assurer que la récidive puisse être appliquée à chaque cas. Un fichier international figure donc dans le dossier. S'ajoute le protocole additionnel, qui, par rapport à une convention, est plus fort, puisque les droits d'un protocole sont justiciables. La récidive étant assurée par l'extra-territorialité, j'estime que cet amendement est superfétatoire. "

Après la prise de position de Mme Err, rapporteur, M. Nicolas ABOUT a quitté ostensiblement l'hémicycle en déclarant  : " On protège la pédophilie. Je n'ai rien à faire ici  ! "

L'amendement est alors considéré comme retiré. Néanmoins, un amendement de délégués belges tendant, dans le projet de résolution, à insérer un nouvel alinéa demandant aux Etats membres :

" d'inscrire dans la législation qu'un mineur de moins de 15 ans ne peut pas donner son consentement à des relations sexuelles avec un majeur ; "

s'attire à son tour les observations suivantes de Mme ERR (Soc.) , rapporteur :

" Sur ce point, et conformément à ce qui a été dit sur l'amendement de M. ABOUT , la Commission juridique des droits de l'homme a pris une décision. Elle s'est prononcée contre. En effet, elle a estimé que l'âge à partir duquel on est censé donner un consentement valable à des relations sexuelles est une question de morale et non une question de droit pénal. Les différences culturelles expliquent aussi qu'il y a des différences d'un pays à l'autre. Je sais que dans mon pays on a eu des discussions terribles pour réduire l'âge à 16 ans et je sais que dans d'autres pays la situation est la même.

" Les préoccupations, je tiens à le dire, sont les mêmes  : protéger les enfants. Mais on ne peut les protéger forcément sur tous les points par l'intermédiaire de la loi pénale.

" Je propose de rejeter l'amendement qui nous est soumis. "

Malgré ces observations, l'amendement est adopté sous les applaudissements, donnant, de fait, après réflexion de l'Assemblée, satisfaction à l'amendement de M. Nicolas ABOUT .

A l'issue du débat, la résolution n° 1099 contenue dans le rapport 7659 est adoptée telle qu'amendée .

Puis la directive n° 526 contenue dans le rapport 7663 est adoptée sans modification .

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