B. UNE ADAPTATION NÉCESSAIRE DE L'ACTION PUBLIQUE

1. La nécessité croissante d'une gestion de proximité

a) Une cohésion sociale renforcée

Les évolutions démographiques et socio-économiques décrites ci-dessus constituent de réelles menaces pour la cohésion sociale.

Elles sont donc autant de défis pour l'action publique qui devra définir les modes de gestion les mieux adaptés pour éviter les déchirures du tissu social.

Votre mission d'information a la conviction que la gestion de proximité apparaît la plus efficace pour faire face à ces différents défis.

Ce constat est particulièrement avéré dans le domaine de l'action sociale dont la gestion décentralisée a renforcé les performances. Elle a, en effet, notamment permis d'accélérer la programmation des équipements nouveaux en particulier pour les personnes âgées et les personnes handicapées. Elle a également mieux répondu à l'exigence accrue des citoyens quant à la capacité de réaction des services publics aux différents problèmes sociaux. Elle a enfin contribué à mieux responsabiliser l'ensemble des acteurs de la filière sociale.

Sur le plan fonctionnel, les départements ont su engager progressivement depuis 1990 la restructuration de leur action sociale, en partant d'une approche globale et territorialisée . Ils ont ainsi privilégié une logique de projet, conçue autour d'un concept de " mission ", sur la logique de services. Cette démarche a tendu à faire coïncider l'intervention des services départementaux avec les territoires de vie, afin que la réponse sociale soit mieux adaptée à l'environnement réel des personnes. Elle s'accompagne d' expérimentations de formules diverses, notamment pour l'accueil du public, le traitement des demandes ou l'accompagnement social.

Or cette même approche devra prévaloir dans les prochaines années pour prendre en charge les différentes évolutions socio-économiques.

Le vieillissement de la population et le financement des situations de dépendance, qui auront un impact majeur sur les dépenses d'action sociale, justifieront une adaptation de l'action publique à l'environnement réel des personnes âgées et à la diversité des besoins suscitées par les situations de dépendance, par exemple le cas des personnes handicapées vieillissantes qui impliquera l'établissement de " passerelles " entre les travailleurs sociaux qui s'occupent des personnes handicapées et ceux qui ont en charge les personnes âgées afin de trouver une réponse adaptée à ce nouveau besoin.

Même si elle doit faire toute sa place à l'expression de la solidarité nationale et au rôle des acteurs socio-économiques, l'approche territoriale paraît la mieux adaptée. L'intervention des départements a ainsi permis une meilleure connaissance des besoins des personnes vieillissantes ainsi qu'un réel développement des services dont elles ont besoin. Injustement critiquée, la prestation spécifique dépendance instituée par la loi du 24 janvier 1997 - à la suite d'une initiative sénatoriale - a permis d'améliorer la perception du problème de la dépendance ainsi que la prise en charge des personnes en bénéficiant. Elle a en outre mis fin aux dérives de l'allocation compensatrice pour tierce personne.

En ce qui concerne l'aide sociale à l'enfance , la déstabilisation des familles et l'aggravation de la fracture sociale soulèvent de nouveaux problèmes qui conduisent à réfléchir sur une intervention accrue des collectivités locales. L'apparition du chômage de longue durée, la concentration des difficultés économiques sur des territoires déterminés ont fragilisé les familles et affaibli les solidarités de proximité. Parallèlement le modèle familial s'est transformé, avec notamment une multiplication des familles monoparentales. Ces phénomènes ne sont pas sans conséquence sur les dispositifs de protection de l'enfance. Or la décentralisation se traduit dans ce domaine par une meilleure évaluation des besoins et des réponses qui doivent leur être apportées.

Les évolutions démographiques et socio-économiques dessinent également de nouveaux besoins en matière d'éducation . Or comme l'a admis devant votre mission d'information M. Michel Garnier, directeur de la programmation et du développement au ministère de l'Education nationale, en matière de programmation de l'offre d'enseignement, les critères démographiques globaux sont insuffisants. Ils devraient, selon lui, s'accompagner, dans le cadre d'une contractualisation avec les établissements, d'une nécessaire adaptation aux réalités locales.

L'insertion constitue un autre enjeu qui justifiera des dispositifs plus décentralisés. L'intervention des collectivités locales dans la gestion du volet " insertion " du revenu minimum d'insertion (RMI) a ainsi été efficace. Contrairement à certaines idées reçues et ainsi que l'a rappelé devant la mission d'information M. Pierre Gauthier, Délégué interministériel au RMI, dans les domaines qui ont été transférés aux collectivités locales, les écarts entre les territoires que les politiques sociales conduites par l'Etat avaient laissé se creuser, ont eu plutôt tendance à se restreindre.

Les évolutions en matière de politique de la santé mettent également en évidence qu'une meilleure efficacité du système de soins doit être recherchée dans une approche territorialisée.

Les collectivités locales devront également jouer un rôle majeur pour éviter une dislocation du " lien civique " à laquelle pourraient conduire des évolutions marquées par la perte des repères traditionnels et par des phénomènes d'exclusion.

Enfin, cette exigence d'une cohésion sociale renforcée est particulièrement forte dans les départements d'outre-mer , dont les spécificités ont été relevées par votre rapporteur. A l'inverse des départements métropolitains, ces départements comptent, en effet, une population jeune et sont confrontés à des problèmes très sensibles en matière d'insertion sociale.

b) Les nouvelles attentes de la population

Outre une adaptation aux évolutions démographiques et socio-économiques, les politiques publiques devront répondre aux nouvelles attentes de la population.

A ce titre, la culture constitue d'ores et déjà un enjeu important. A l'heure de la mondialisation, en effet, la demande d'identification culturelle s'accroît.

Les collectivités locales n'ont pas attendu les lois de décentralisation pour s'investir dans le secteur culturel.

Dès le XIXè siècle, les grandes villes ont développé leurs équipements culturels, sans subventions étatiques. Elles ont souvent pris avant 1958 des initiatives culturelles modernes, notamment en organisant des festivals. Les départements ont pour leur part, dès les années soixante, géré un important patrimoine culturel.

Freiné par les besoins de reconstruction après la seconde guerre mondiale, l'intervention culturelle des collectivités locales s'est sensiblement renforcé par la suite. Depuis le début de la Vè République, les collectivités locales se sont impliquées de manière croissante dans ce secteur. Leur intervention a connu son plein essor dès le milieu des années soixante dix. Leur effort financier est ainsi trois fois supérieur à celui du ministère de la culture et deux fois plus importants que l'ensemble des dépenses culturelles de l'Etat.

Les élus locaux perçoivent parfaitement le rôle déterminant de la culture dans le développement local et dans le renforcement du sentiment d'appartenance à un territoire. Toute centralisation excessive ne peut au contraire que nuire à la nécessaire promotion de la diversité culturelle qui fait la richesse de notre pays.

Cette dynamique locale est également nécessaire au renforcement des réseaux culturels européens dont dépend la vitalité culturelle de l'Europe.

Les nouvelle attentes de la population portent également sur les nouvelles technologies de l'information . A l'heure de l'internet, assurer l'accès de l'ensemble de la population à ces nouveaux moyens de communication constitue un enjeu majeur pour éviter que la fracture sociale ne se double d'une " fracture numérique ". Là encore, comme en témoignent les initiatives prises par un certain nombre de collectivités locales, la gestion de proximité doit contribuer à une maillage efficace du territoire national.

L'augmentation du temps libre, qui résulte des évolutions socio-économiques, constitue un autre facteur que les politiques publiques ne peuvent ignorer. Dans ce cadre, le développement de la pratique sportive occupe une place importante. Ainsi les jeunes consacre aux activités sportives 75% de leur temps libre. Les collectivités locales contribuent d'ores et déjà de manière importante au financement du sport. Elles devront continuer à jouer un rôle majeur, notamment pour renforcer la fonction d'intégration sociale du sport et structurer la vie associative.

Les attentes de la population en matière de sécurité de proximité , déjà très sensibles, se renforceront probablement dans les prochaines années.

La première enquête de " victimisation ", qui s'est déroulé en 1999, a donné des résultats inattendus. Devant la mission d'information, M. Alain Bauer, coauteur d'un ouvrage sur les violences et l'insécurité urbaine, a indiqué que cette enquête avait mis en évidence que 16,8 millions de faits étaient subis par la population alors que la police ne recensait que 3,5 millions de crimes et délits.

Les réponses des élus locaux au questionnaire établi dans le cadre des Etats généraux organisés par le président Christian Poncelet à Bordeaux, le 17 mars dernier, ont mis en évidence que le sentiment d'insécurité augmente en fonction de la taille de la commune. Les élus locaux d'Aquitaine relient prioritairement la délinquance à la perte des repères sociaux (citée par 81 % d'entre eux). Si les atteintes aux équipements publics représentent les manifestations d'insécurité les plus graves (cités par 47 % des élus locaux), les incivilités et les effractions de biens privés arrivent en deuxième position (45 % chacune).

Un constat comparable est effectué par les élus locaux d'Alsace. 45% d'entre eux, interrogés dans le cadre des états généraux organisés à Strasbourg, le 19 mars 1999, ont déclaré être confrontés à l'insécurité dans l'exercice de leurs mandats. La perte des repères et de l'autorité (citée par 49% d'entre eux) ainsi que le délitement de la cellule familiale (cité par 38% des élus) constituent les facteurs essentiels du développement des phénomènes d'insécurité.

De plus en plus les politiques de sécurité devront être définies " sur mesure ". Le concept de police de proximité devra s'accompagner d'une dimension territoriale pertinente.

Plus généralement, l'action publique devra prendre en charge les attentes de la population en matière de prévention des risques . Le rapport d'étape de votre mission d'information " insécurité juridique et mandats locaux, deux enjeux majeurs pour la démocratie locale " a mis en évidence que les élus locaux étaient souvent en première ligne pour répondre à ces attentes quand bien même ils ne disposaient pas des moyens adaptés ou que les compétences relevaient en réalité de l'Etat par exemple pour l'élaboration des plans de prévention des risques. Ces attentes renforcées, qui conduisent à une application plus systématique du principe de précaution , se manifestent dans un contexte de pénalisation accrue des rapports sociaux et de recours au juge pénal pour trancher toute sorte de litiges. Le rapport d'étape en a souligné les conséquences sur l'action publique locale.

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