2. Les contrats de ville ou la tentative de rationalisation d'une politique foisonnante

a) Une prolifération à laquelle la contractualisation n'a pas totalement mis fin

La politique de la ville, par nature interministérielle, concerne en outre, du fait de la multiplicité des sujets -sécurité, éducation, équipement, habitat, économie et emploi, justice...- un grand nombre d'acteurs, au premier rang desquels figurent les collectivités territoriales, en association avec l'Etat.

Depuis 20 ans, chacun s'accorde sur la nécessité d'une globalisation de cette politique ; aussi a-t-elle été l'un des lieux privilégiés du développement d'abord de partenariats divers, puis d'une contractualisation plus systématique entre les différentes collectivités impliquées.

A compter du milieu des années 1970, les éléments d'une " politique de la ville " se sont progressivement mis en place, réalisant la synthèse de plusieurs actions dispersées. Avec la création d'un ministère de la ville en 1991 et le vote de la loi d'orientation pour la ville, la même année, la politique de la ville a acquis un statut, confirmé par la loi relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville de 1996 168( * ) , de politique transversale, cohérente et, d'ailleurs, non partisane.

Afin de lutter contre la dégradation de cités HLM, les pouvoirs publics ont, dès 1977, créé un groupe de travail interministériel " habitat et vie sociale " (HVS). Ce groupe eut pour mission de financer une partie de l'aménagement de cinquante sites de banlieues et d'y réaliser un accompagnement social.

Malgré la prise de conscience qu'elle a suscitée, cette première tentative de décloisonnement de la politique des banlieues ne prit pas assez en compte l'environnement des quartiers et ne permit pas une implication suffisante des habitants, ni des élus locaux. En outre, elle était soumise à une procédure administrative assez rigide.

C'est la raison pour laquelle, en 1981, la Commission pour le développement social des quartiers fut créée afin d'agir sur les causes de la dégradation des quartiers, de faire des habitants des acteurs du changement et d'associer les collectivités à ces opérations.

A compter de 1984, l'instrument de la politique de la ville fut le comité interministériel des villes , placé sous la présidence du Premier ministre.

En 1988, l'Etat renforça la coordination de ce qui était désormais la " politique de la ville ". Un décret n° 88-1015 du 25 octobre 1988 créa le Conseil national des villes et du développement urbain ; un Comité interministériel des villes et du développement social urbain ; une Délégation interministérielle à la ville (DIV).

En 1990, un ministère de la ville , confié à un ministre d'Etat, fut créé afin de coordonner les initiatives.

Parallèlement au lancement de programmes nationaux, le Comité interministériel des villes s'appuya sur des programmes territoriaux , dans le cadre de conventions signées à l'échelon des quartiers et de la ville : conventions ville-habitat, contrats de ville, programmes d'aménagement concerté du territoire (ou PACT urbains).

Dès son rapport d'information sur la politique de la ville de 1992 169( * ) , le Sénat constatait l'éparpillement de cette politique et estimait que " malgré l'apparence trompeuse du vocabulaire, la politique de la ville n'existe pas et n'est que l'accumulation d'actions dispersées ".

Pourtant était parue, en 1989 une circulaire 170( * ) du ministre de l'équipement et du délégué interministériel à la ville à l'adresse des préfets " relative au développement de la politique contractuelle avec les collectivités locales " . Cette circulaire, estimant que la politique de la ville concerne tous les aspects de la vie quotidienne, invitait les services de l'Etat à systématiser la contractualisation de sa mise en oeuvre et indiquait que les actions à développer devaient être, pour l'essentiel, définies et mises en oeuvre dans un cadre contractuel, avec des contenus diversifiés adaptés aux réalités locales et négociées à l'échelon local. " Le cadre contractuel résulte de la nature des problèmes posés, qui nécessitent un traitement global, et de la superposition sur un même territoire de compétences et de responsabilités multiples ".

D'après ce texte, étaient invités à contractualiser, outre l'Etat et les collectivités locales, les bailleurs sociaux et privés, le mouvement associatif et " l'ensemble des acteurs qui font la ville " , terme au demeurant peu explicite. Cette circulaire précisait enfin -si on peut dire, compte-tenu de l'imprécision du propos !- que ces conventions devaient " prendre en compte " les engagements déjà souscrits dans les contrats de plan au titre du développement social des quartiers et qu'elles pourraient conduire à des " contrats de ville " à vocation plus exhaustive.

Ce texte estimait que les collectivités territoriales " devaient " , dans ce cadre , " contribuer activement aux opérations d'investissement -aménagement urbain, équipements, transports- , mais aussi et surtout aux actions permettant l'amélioration de la vie quotidienne " .

Il était toutefois fort opportunément rappelé que la faculté de contracter devait " naturellement " rester facultative, et ne pouvait résulter que d'une volonté commune ! C'est bien le moins...

D'abord expérimentés dans 13 sites pilotes, les contrats de ville ont été généralisés à compter de 1994. Fondés sur une approche globale (habitat, aménagement urbain, éducation, santé, prévention, développement économique), ils sont censés traduire l'élaboration d'un programme local commun aux différentes parties, de durée quinquennale, pour le développement et la réhabilitation des quartiers.

Mais leur généralisation n'a pas entièrement gommé le caractère foisonnant et presque brouillon de la politique de la ville . Qu'on en juge plutôt : sans parler de la problématique de l'articulation entre contrats de ville, contrats d'agglomération, contrats de pays et contrats Etats-régions, qui sera abordée ci-après, la politique de la ville " bénéficie " à elle seule de 3 procédures contractuelles jusqu'à présent distinctes : les contrats de ville, les programmes d'aménagement concertés du territoire (PACT urbains) et les " conventions de sortie " des opérations de quartiers du Xème plan. Ces procédures contractuelles s'accompagnent par ailleurs de programmes divers, tels les grands projets urbains 171( * ) , par exemple.

L'essor de la contractualisation a donc été parallèle non seulement à celui de la politique de la ville mais aussi, serait-on tenté de dire, à la complexité de cette dernière.

En ce qui concerne les contrats de ville, ils ont été reconduits et pérennisés. Alors que les crédits qu'y a consacré l'Etat pour la période 1994-1999 se sont élevés à 10,4 milliards de francs, cette enveloppe devrait être de 17,4 milliards de francs pour les contrats de ville devant être signés pour la période 2000-2006 172( * ) .

Il existait, fin 1999, 308 contrats de ville, concernant 934 communes et 1.310 quartiers. Trois cents contrats devraient être signés pour la période 2000-2006. Une circulaire 173( * ) du premier ministre sur les contrats de ville de la période 2000-2006 a récemment réaffirmé la place qu'ils sont, à son sens, appelés à avoir, indiquant que " le contrat de ville sera la procédure de contractualisation unique pour la politique de la ville ". Un effort de clarification de cette politique semble pourtant demeurer nécessaire , ne serait-ce que pour préciser l'articulation des différents contrats.

Malgré l'apparente clarté du postulat de la prééminence du contrat de ville comme instrument contractuel de cette politique, la même circulaire -relativisant ainsi l'apparente simplicité du dispositif- indique en effet que :

- les contrats de ville, conclus pour la même période que les contrats de plan, et n'ayant pas le même champ d'application géographique, " déclinent " les priorités de ces derniers pour la politique de la ville ;

- les contrats de ville " en agglomération " ont vocation à " s'insérer " dans les futurs contrats d'agglomération ;

- ils peuvent également être intégrés aux futurs " contrats de pays " ;

- ils doivent servir de " cadre naturel " à la discussion des conventions en vigueur dans le champ du développement social urbain, notamment celles concernant l'habitat, le désenclavement des quartiers, la sécurité, l'éducation, l'environnement, la culture, l'intégration, l'emploi et le développement économique, la santé et la lutte contre les toxicomanies, la jeunesse et les sports, la lutte contre l'exclusion et mettant en oeuvre les conventions prévues par l'article 156 de la loi du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.

La longueur de la liste de ces procédures est édifiante !

b) Une politique partagée

Même s'il a parfois tendance à se présenter comme l'unique financeur de la politique de la ville, l'Etat est en réalité accompagné -voire précédé- dans son action par d'autres partenaires. Au-delà du principe d'une participation possible de divers acteurs -tels que les caisses d'allocations familiales, les offices HLM, les chambres de commerce et d'industrie, les caisses d'assurance maladie, les associations-, c'est bien l'engagement -financier notamment, mais pas seulement,- des collectivités locales qui s'avère particulièrement déterminant.

L'annexe budgétaire récapitulant l'effort financier consacré à la politique des villes estime ainsi à 3,8 milliards de francs pour 2000 la contribution des collectivités territoriales, somme importante s'agissant d'une politique de solidarité et de cohésion nationale et qui concerne, par définition, des communes aux ressources fiscales peu abondantes 174( * ) .

La répartition de sa prise en charge financière, illustrée dans le graphique suivant, montre d'ailleurs le poids non seulement des collectivités, mais aussi de l'Europe ou d'autres acteurs comme la Caisse des dépôts et consignations (CDC) :



Source : annexe budgétaire jaune sur la politique de la ville du projet de loi de finances pour 2000.

La participation des acteurs non étatiques, et en particulier des collectivités, est donc tout sauf anecdotique. Elle est à la mesure de l'engagement de ces dernières pour l'emploi et la cohésion sociale. Elle doit s'accompagner, en contrepartie, d'une véritable reconnaissance de leur rôle .

La récente circulaire du premier ministre rappelle d'ailleurs aux services de l'Etat que l'appui apporté par le conseil régional aux contrats de ville en constitue un élément déterminant et que les conseils généraux " doivent être pleinement associés à l'ensemble du processus ". Le premier ministre " souhaite que soit proposée à chaque conseil général la signature d'une convention particulière sur la politique de la ville, parallèlement au volet du contrat de plan Etat-région relatif à la politique de la ville , convention particulière qui pourra s'accompagner de la signature par les conseils généraux des contrats de ville. A ce niveau également, les compétences propres des conseils généraux devront être sollicitées, qu'il s'agisse en particulier de l'action sociale (aide sociale à l'enfance, fonctionnement des circonscriptions de travail social, protection maternelle et infantile, prévention spécialisée, actions d'insertion liées au revenu minimum et au logement des plus démunis) ou de la gestion des collèges ".

Il est assez révélateur de la nature de la contractualisation actuelle que le chef du Gouvernement ait jugé utile de rappeler à ses services de telles évidences...

L'association des départements à la signature des contrats de ville figure explicitement à l'article 27 de la loi précitée d'aménagement du territoire qui dispose qu'en application des contrats de plan Etat-régions, l'Etat et la région peuvent conclure avec les communes ou les groupements de communes un contrat de ville.

La liste des procédures contractuelles ne s'arrête pas aux contrats de ville : parmi celle-ci, et au-delà d'une multitude de conventions diverses et des contrats déjà cités, on ne peut passer sous silence la récente émergence des contrats locaux de sécurité.

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