B. LES AMBIGUÏTÉS D'UN SYSTÈME COMPLIQUÉ

1. Le mode de calcul des compensations ne permet pas une compensation intégrale

a) Le calcul des compensations repose sur la distinction entre l'évolution théorique et l'évolution réelle des ressources et charges transférées

Le mode de calcul des compensations retenu par les lois de décentralisation repose sur un postulat de départ ambigu, et à l'origine de la grande complexité du système. Il part en effet du principe que, à compter du transfert de compétence, le coût de leur exercice pour les collectivités locales n'augmentera pas plus vite que la dotation globale de fonctionnement (DGF). Comme pour confirmer le bien fondé de cette approche, le code général des collectivités territoriales ajoute que les montants ainsi calculés " assurent la compensation intégrale des charges transférées ".

Or, comme il a été choisi d'assurer principalement la compensation des transferts de compétences par la dévolution aux collectivités locales d'impôts d'Etat, dont l'évolution du produit est totalement déconnectée de celle de la DGF, un écart apparaît entre le montant théorique des ressources transférées aux collectivités et leur montant réel, qui résulte de l'évolution des bases des impôts transférés. De même, rien n'assure que le coût réel des compétences transférées soit équivalent à leur coût théorique, résultant de l'indexation sur la DGF du coût de la compétence au moment du transfert.

En outre, il est important de rappeler que, en 1983, la DGF était indexée sur l'évolution du produit de la taxe sur la valeur ajoutée , qui est l'un des impôts au rendement le plus dynamique. Depuis 1990, les modalités d'indexation de la DGF ont été modifiées à de nombreuses reprises, dans un sens moins favorable que l'indexation sur la TVA. Par ailleurs, le mode de calcul de cette dotation doit désormais prendre en compte les opérations de " recalage de la base " et de régularisation de son montant, dans les conditions prévues aux articles L. 1613-1 et L. 1613-2 du code général des collectivités territoriales.

La complexification du mode de calcul de la DGF s'est accompagnée d'une réduction de son rythme d'évolution. Par conséquent, s'il était concevable en 1983 de lier l'évolution de la compensation des transferts de compétences à une dotation dont le montant évoluait en fonction du produit d'un impôt assis sur les transactions et l'activité économique, la pertinence de ce lien n'apparaît plus aussi nettement aujourd'hui.

Le tableau ci-dessous confirme que les écarts, tant en dépenses qu'en recettes, entre les montants théoriques et les montants réels s'accentuent depuis l'entrée en vigueur des lois de décentralisation, et que les montants théoriques sont toujours inférieurs aux montants réels.

Financement des transferts de compétences : écarts entre théorie et pratique

 

1984

1990

1996

Départements

 
 
 

Coût théorique/coût réel des compétences transférées

0,94

0,89

0,73

Produit théorique/produit réel de la fiscalité transférée

0,98

0,62

0,86

Régions

 
 
 

Coût théorique/coût réel des compétences transférées

0,93

0,44

0,46

Produit théorique/produit réel de la fiscalité transférée

0,78

0,46

0,40

Données chiffrées  : Commission consultative sur l'évaluation des charges, rapport au Parlement, 1999.

Les écarts entre les montants réels et les montants théoriques ont conduit la commission consultative sur l'évaluation des charges (CCEC) à élaborer une double comptabilisation :

- d'une part, la CCEC a mis en place un suivi de l'évolution théorique des transferts de charge , par l'analyse de l'évolution théorique du coût des compétences (qui détermine le " droit à compensation " des collectivités locales) et le suivi du " produit théorique " de la fiscalité transférée et de l'évolution de la dotation générale de décentralisation (DGD), qui est la seule variable de ce système dont l'évolution réelle est la même que son évolution théorique, c'est-à-dire le taux de progression de la DGF.

Contrairement aux dispositions du code général des collectivités territoriales, la DGD ne finance pas seule le " solde " entre le coût des compétences et le produit de la fiscalité transférée. Elle est complétée par une DGD spécifique au financement de la formation professionnelle et par deux dotations d'équipement, la dotation régionale d'équipement scolaire (DRES) et la dotation départementale d'équipement des collèges (DDEC). Ces deux dernières dotations ne sont d'ailleurs pas indexées sur la DGF mais sur l'évolution de la formation brute de capital fixe des administrations publiques ;

- d'autre part, la CCEC assure le suivi des évolutions réelles du coût des compétences transférées et du produit de la fiscalité transférée. Toutefois, elle ne le fait que " pour information ", l'ensemble du système d'évaluation des transferts de charges reposant sur les évolutions fictives.

Il arrive cependant que le réel et le fictif se recoupent. Ainsi, l' article L. 1614-4 du code général des collectivités territoriales prévoit que si le produit fictif de la fiscalité transférée se révèle supérieur au coût théorique des compétences transférées, il est procédé à un prélèvement sur le produit réel de la fiscalité transférée, d'un montant égal à la différence entre les deux montants théoriques .

b) Cette distinction n'a pas permis une compensation intégrale des charges transférées

Pour les gestionnaires locaux, il est surtout important que l'évolution réelle des recettes transférées soit en adéquation avec l'évolution du coût réel des compétences.

Il ressort du tableau ci-dessous que les recettes transférées augmentent beaucoup moins vite que les charges transférées . Ainsi, alors que les charges transférées étaient 1,4 fois supérieures aux recettes transférées en 1987, elles étaient 2 fois supérieures en 1996. Entre ces deux dates, le coût des compétences transférées a augmenté de 111 % alors que les recettes transférées n'ont augmenté que de 39,6%.

Evolution des recettes et des dépenses transférées par les lois de décentralisation
(en millions de francs)

 

1987

1996

Evol. en %

Recettes

Recettes transférées *

Recettes totales des collectivités **

Part (en %) des recettes transférées dans les recettes totales

44.583

467.925

9,5

62.258

749.557

8,3

39,6

60

Dépenses

Coût des compétences transférées *

Dépenses totales des collectivités locales **

Part (en %) des compétences transférées dans les dépenses totales des collectivités

62.563

463.155

13,5

132.423

745.788

17,8

111,6

60

Coût des compétences transférées / recettes transférées

1,4

2,1

 

* Source : Commission consultative sur l'évaluation des charges, rapport au Parlement , 1999.

** Source : Les collectivités locales en chiffres, DGCL,1999.

En réalité, l'écart entre l'évolution des dépenses et des recettes n'est pas aussi important. En effet, les départements assumaient déjà 52 % des dépenses d'aide sociale et 62 % des dépenses de transport scolaire dès avant le transfert des ces compétences. En sens inverse, les régions percevaient déjà 35 % du produit de la taxe sur les cartes grises avant le transfert de cet impôt.

Par conséquent, pour avoir une idée de l'évolution de l'adéquation entre l'évolution des recettes et des dépenses, il faut prendre en compte uniquement l'évolution des recettes et des dépenses que les collectivités ont acquis au moment des lois de décentralisation :

- pour les départements, il faut établir le montant de ce que la CCEC appelle les " dépenses de référence ", en déduisant du coût des compétences transférées la fraction de ces compétences qu'ils exerçaient avant le transfert ;

- pour les régions, il faut établir le montant des " recettes de référence ", en ne prenant en compte que l'évolution de la fraction du produit de la taxe sur les cartes grise antérieurement perçue par l'Etat.

Même avec cette méthode, il apparaît que les compensations ont été défavorables aux collectivités locales, du moins aux départements et aux régions 223( * ) :

- la compensation des transferts de charges aux départements

Entre 1985 et 1994, les départements ont globalement bénéficié du mode de compensation des transferts de charges. Toutefois, à partir de 1991, le poids des dépenses d'action sociale s'est accru , notamment sous l'effet de la montée en puissance des dépenses de revenu minimum d'insertion (qui n'ont pas donné lieu à compensation), et, dans le même temps, le rendement des impôts transférés a décru. Depuis 1995, le coût des compétences transférées est supérieur aux recettes transférées.

Le ratio coût des compétences transférées/ressources transférées est passé de 1,26 en 1989 à 0,89 en 1996.

Source : Commission consultative sur l'évaluation des charges, rapport au Parlement, 1999.

Ce résultat global masque toutefois d'importantes disparités territoriales . La tableau ci-dessous retrace, pour l'année 1996, le rapport entre le montant réel des ressources transférées et le coût réel des compétences transférées pour chacun des départements métropolitains. Lorsque le ratio est supérieur à 1, le montant des ressources transférées est supérieur à celui des charges :

Départements : ressources transférées/coût réel des compétences transférées en 1996

1,02 à 1,81

Hautes-Alpes (05) ; Aude (11) ; Cantal (15) ; Charente-Maritime (17) ; Corrèze (19) ; Corse (20) ; Côtes d'Armor (22) ; Indre-et-Loire (37) ; Loire-Atlantique (44) ; Lozère (48) ; Haute-Marne (52) ; Meurthe-et-Moselle (54) ; Haute-Saône (70) ; Yonne (89) ; Territoire de Belfort (90) ; Corse du Sud ; Haute Corse ; Paris

0,93 à 1,02

Alpes-de-Haute-Provence (04) ; Calvados (14) ; Charente (16) ; Cher (18) ; Creuse (23) ; Dordogne (24) ; Drôme (26) ; Gard (30) ; Ille-et-Vilaine (35) ; Jura (39) ; Haute-Loire (43) ; Lot (46) ; Lot-et-Garonne (47) ; Meuse (55) ; Morbihan (56) ; Moselle (57) ; Orne (61) ; Pyrénées-Atlantiques (64) ; Seine-Maritime (76) ; Deux-Sèvres (79) ; Haute-Vienne (87) ; Vaucluse (84) ; Vosges (88)

0,89 à 0,93

Allier (03) ; Ardèche (07) ; Ardennes (08) ; Aveyron (12) ; Hérault (34) ; Indre (36) ; Landes (40) ; Manche (50) ; Nièvre (58) ; Hautes-Pyrénées (65) ; Bas-Rhin (67) ; Saône et Loire (71) ; Yvelines (78) ; Vendée (85)

0,82 à 0,89

Alpes-Maritimes (06) ; Côte d'Or (21) ; Doubs (25) ; Eure (27) ; Finistère (29) ; Gers (32) ; Gironde (33) ; Isère (38) ; Loir-et-Cher (41) ; Loire (42) ; Marne (51) ; Nord (59) ; Oise (60) ; Pas-de-Calais (62) ; Rhône (69) ; Sarthe (72) ; Savoie (73) ; Somme (80) ; Tarn et Garonne (82) ; Val de Marne (94)

0,57 à 0,82

Ain (01) ; Aisne (02) ; Ariège (09) ; Aube (10) ; Bouches-du-Rhône (13) ; Eure-et-Loir (28) ; Haute-Garonne (31) ; Loiret (45) ; Puy-de-Dôme (63) ; Maine-et-Loire (49) ; Mayenne (53) ; Pyrénées-Orientales (66) ; Haut-Rhin (68) ; Haute-Savoie(74) ; Seine (75) ; Seine-et-Marne (77) ; Tarn (81) ; Var (83) ; Vienne (86) ; Essonne (91) ; Hauts-de-Seine (92) ; Val d'Oise (95)

Source : commission consultative sur l'évaluation des charges, rapport au Parlement, 1999.

- la compensation des transferts de charges aux régions

Contrairement aux départements, les régions ont toujours été pénalisées par le mode de compensation des compétences transférées, sauf en 1984 et 1985. Par ailleurs, le ratio coût des compétences transférées/ressources transférées n'a cessé de se dégrader, passant de 0,96 en 1986 à 0,66 en 1996.



Source : Commission consultative sur l'évaluation des charges, rapport au Parlement, 1999

A la différence des départements, toutes les régions sont " pénalisées " par le système de compensations puisque, en 1996, les dépenses transférées étaient supérieures aux recettes transférées dans l'ensemble des régions métropolitaines  :

Régions : ressources transférées/coût réel des compétences transférées en 1996

Alsace

0,95

Champagne-Ardenne

0,81

Midi-Pyrénées

0,74

Aquitaine

0,62

Franche-Comté

0,71

Nord-Pas-de-Calais

0,74

Auvergne

0,66

Haute-Normandie

0,49

Pays-de-la-Loire

0,50

Basse-Normandie

0,70

Ile-de-France

0,66

Picardie

0,60

Bourgogne

0,73

Languedoc-Roussillon

0,64

Poitou-Charentes

0,60

Bretagne

0,68

Limousin

0,69

Provence-Alpes-Côte d'Azur

0,78

Centre

0,47

Lorraine

0,92

Rhône-Alpes

0,55

Source : Commission consultative sur l'évaluation des charges, rapport au Parlement, 1999.

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