Sommaire

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Philippe Adnot, Mme Colette Mélot.

1. Procès-verbal

2. Décès d’un sénateur

3. Remplacement d’un sénateur décédé

4. Remplacement d’un sénateur nommé membre du Gouvernement

5. Démission et remplacement d'un sénateur

6. Candidatures à des commissions

7. Candidature à une délégation sénatoriale

8. Renvoi pour avis multiples

Suspension et reprise de la séance

9. Hommage aux victimes des attentats

M. Gérard Larcher, président du Sénat

10. Débat sur les attaques terroristes dont la France a été victime

Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste, républicain et citoyen

M. Jacques Mézard, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen

M. Philippe Adnot, délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe

M. François Zocchetto, président du groupe Union des démocrates et indépendants-UC

M. Bruno Retailleau, président du groupe Union pour un mouvement populaire

M. Didier Guillaume, président du groupe socialiste

M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur

11. Nomination de membres de commissions

12. Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale

Suspension et reprise de la séance

13. Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en Irak. – Débat et vote sur une demande du Gouvernement

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international

M. Robert Hue

M. Stéphane Ravier

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

M. Aymeri de Montesquiou

M. Bruno Retailleau

M. Daniel Reiner

Mme Leila Aïchi

Mme Michelle Demessine

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères

M. Laurent Fabius, ministre

Adoption, par scrutin public, de la demande d’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en Irak.

Suspension et reprise de la séance

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

14. Désignation d’un sénateur en mission temporaire

15. Demande d'inscription à l'ordre du jour d'une proposition de résolution européenne

16. Commissions mixtes paritaires

17. Demandes d'avis sur des projets de nomination

18. Nominations de membres d'organismes extraparlementaires

19. Dépôt de documents

20. Nouvelle organisation territoriale de la République. – Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

M. Philippe Bas, président de la commission des lois

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique

Articles additionnels avant l'article 1er

Amendement n° 652 de M. Gérard Collomb. – Retrait.

Amendement n° 674 de M. Bernard Cazeau. – Rejet.

Amendement n° 813 de M. Christian Favier. – Rejet.

Amendement n° 810 de M. Christian Favier. – Rejet.

Amendement n° 811 de M. Christian Favier. – Rejet.

Amendement n° 812 de M. Christian Favier. – Rejet.

Amendement n° 814 de M. Paul Vergès. – Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion.

21. Ordre du jour

compte rendu intégral

Présidence de M. Gérard Larcher

Secrétaires :

M. Philippe Adnot,

Mme Colette Mélot.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à seize heures vingt.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le procès-verbal de la séance du jeudi 18 décembre 2014 a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Décès d’un sénateur

M. le président. Mes chers collègues, j’ai le très profond regret de vous faire part du décès de notre collègue Jean-Yves Dusserre, survenu le 27 décembre dernier.

Il avait été élu sénateur des Hautes-Alpes le 28 septembre 2014.

Je prononcerai son éloge funèbre ultérieurement, mais je tiens d’ores et déjà à saluer sa mémoire.

Au nom du Sénat, je souhaite exprimer notre sympathie et notre profonde compassion à sa famille, à ses proches et au groupe UMP.

3

Remplacement d’un sénateur décédé

M. le président. Conformément aux articles L.O. 325 et L.O. 179 du code électoral, M. le ministre de l’intérieur a fait connaître que, en application de l’article L.O. 319 du code électoral, Mme Patricia Morhet-Richaud est appelée à remplacer, en qualité de sénatrice des Hautes-Alpes, notre regretté collègue Jean Yves Dusserre, décédé le 27 décembre 2014.

Son mandat a débuté le dimanche 28 décembre, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite une cordiale bienvenue.

4

Remplacement d’un sénateur nommé membre du Gouvernement

M. le président. Conformément à l’article 1er de l’ordonnance du 17 novembre 1958 portant loi organique pour l’application de l’article 23 de la Constitution, j’ai pris acte de la cessation, le dimanche 21 décembre 2014, à minuit, du mandat sénatorial de M. Jean-Marc Todeschini, nommé secrétaire d’État chargé des anciens combattants et de la mémoire, par décret du 21 novembre 2014.

Il est remplacé par M. Patrick Abate, dont le mandat de sénateur de la Moselle a commencé le lundi 22 décembre 2014, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue.

5

Démission et remplacement d'un sénateur

M. le président. J’ai reçu une lettre de M. Philippe Marini par laquelle il s’est démis de son mandat de sénateur de l’Oise, à compter du mercredi 7 janvier 2015, à minuit.

Il est remplacé par M. Alain Vasselle, dont le mandat de sénateur de l’Oise a commencé le jeudi 8 janvier 2015, à zéro heure.

Au nom du Sénat tout entier, je lui souhaite la plus cordiale bienvenue.

6

Candidatures à des commissions

M. le président. J’informe le Sénat que :

- le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean-Yves Dusserre, décédé ;

- le groupe communiste républicain et citoyen a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, dont le mandat de sénateur a cessé ;

- le groupe socialiste et apparentés a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, dont le mandat de sénateur a cessé.

Ces candidatures vont être publiées et les nominations auront lieu conformément à l’article 8 du règlement.

7

Candidature à une délégation sénatoriale

M. le président. J’informe le Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à la délégation sénatoriale aux entreprises en remplacement de M. Jean-Yves Dusserre, décédé.

Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.

8

Renvoi pour avis multiples

M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la transition énergétique pour la croissance verte (n° 16, 2014-2015), dont la commission des affaires économiques est saisie au fond, est envoyé pour avis, à leur demande, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, à la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire et à la commission des finances.

Mes chers collègues, le débat à l’Assemblée nationale sur les attaques terroristes dont la France a été victime s’étant quelque peu prolongé, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures vingt-cinq, est reprise à seize heures quarante.)

M. le président. La séance est reprise.

9

Hommage aux victimes des attentats

M. le président. Mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, « je préfère mourir debout que vivre à genoux ». Tels étaient les propos de Charb, au mois de septembre 2012.

Ils sont morts debout : Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Bernard Maris et leurs camarades, Elsa Cayat, Michel Renaud, Mustapha Ourad, Frédéric Boisseau. Eux qui n’avaient que leur crayon, leur carton, leurs convictions, leur vie, ils ont été frappés par les balles du fanatisme, qui croit que l’on peut aussi tuer les idées, la liberté.

Oui, liberté, celle de penser, celle de s’exprimer, celle de dessiner, y compris quand cela nous dérange…

Clarissa Jean-Philippe, policière municipale, Franck Brinsolaro, Ahmed Merabet, policiers, sont morts dans l’exercice de leurs fonctions. Ils sont morts pour l’État de droit, pour l’ordre républicain, victimes de leur devoir.

Yohan, Yohav, Philippe, François-Michel, leurs vies innocentes se sont arrêtées par la haine nourrie dans l’ignorance de l’autre, à la veille de la journée consacrée par eux à la prière.

L’antisémitisme, celui de la porte de Vincennes, après celui de Créteil, de Bruxelles, de Toulouse, c’est l’antithèse du visage de la France.

Notre pays s’est rassemblé. Je voudrais saluer l’action du Président de la République, du Gouvernement, la vôtre, monsieur le ministre de l’intérieur, saluer l’esprit de responsabilité des mouvements politiques, de la majorité comme de l’opposition.

La République vient de se dresser dans cette épreuve, elle a cheminé dans un long cortège de dignité, de refus et de silence.

Oui, liberté, « J’écris ton nom ! […]

Et par le pouvoir d’un mot, je recommence ma vie ».

Oui, vivre ensemble, c’est tellement plus fort que nos différences !

Oui, « fraternité » n’est pas qu’un mot du triptyque républicain.

Samedi, dimanche, ils étaient des milliers, ils étaient des millions, partout, à Paris, dans chacune de nos villes et chacun de nos bourgs, pour crier que la France qui est la nôtre, c’est celle de la fraternité, celle qui jamais ne se laissera aller aux complaisances de la haine, du rejet, du fanatisme.

Mais cette levée en masse, cette levée de citoyens nous oblige ! Ces drames nous obligent à l’unité ; ils nous obligent au courage ; ils nous obligent à l’action.

Nos mains, nos esprits ne peuvent trembler. Il nous faut lucidement faire notre devoir d’exigence absolue.

Il nous faut analyser en profondeur comment, dans le pays des Lumières, peut se construire une telle expression de la barbarie et du crime.

Il nous faut traiter plusieurs questions concrètes, car ce sont celles auxquelles nos concitoyens attendent des réponses : la question de l’organisation du renseignement, la question du prosélytisme dans nos prisons, la question des réseaux sociaux utilisés pour véhiculer des messages de haine que l’on continue à voir bourgeonner tels des bubons, la question de l’éducation, qu’elle soit à la citoyenneté ou à la connaissance de l’autre, au travers de ses origines, de sa religion.

Ces questions-là, et d’autres encore, nous avons le devoir de les entendre et d’y répondre.

Mes chers collègues, la compassion, la tristesse vont nous étreindre encore : ce matin, elles ont été exprimées à la préfecture de police et à Jérusalem, dans quelques jours, elles le seront aux Invalides.

Mais pour que la paix soit mieux qu’une incantation répétée avec ferveur, il nous faut agir. Agir en nous écoutant les uns les autres, agir aussi dans l’exigence et sans faiblesse. C’est notre devoir de parlementaire ; et le Sénat fera son devoir ! J’y veillerai, et je prendrai les initiatives qui m’incombent.

Je vous propose maintenant de nous lever, d’observer un moment de silence et de le conclure par cet hymne qui nous a rassemblés si nombreux ces jours derniers et qui est toujours le ciment de la République. (Mmes et MM. les sénateurs ainsi que les membres du Gouvernement observent une minute de silence, puis entonnent l’hymne national.)

10

Débat sur les attaques terroristes dont la France a été victime

M. le président. L’ordre du jour appelle le débat sur les attaques terroristes dont la France a été victime.

La parole est à Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste, républicain et citoyen.

Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste, républicain et citoyen. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, aujourd'hui, le Parlement est réuni pour rendre hommage à toutes les victimes des actes terroristes perpétrés le mercredi 7 janvier au siège de Charlie Hebdo et le vendredi 9 janvier avec l'agression antisémite meurtrière du magasin Hypercacher.

Les sénateurs du groupe CRC qui ont chevillé au corps le combat non seulement pour la liberté de la presse et pour la liberté d’expression, mais aussi contre toutes les censures, contre l’antisémitisme, la xénophobie et le racisme, s’inclinent devant ces morts pour la liberté.

Nous apportons notre soutien et notre compassion aux familles, aux proches et à ceux qui, blessés parfois très gravement, seront meurtris à vie par ces actes insensés et criminels.

Dans cette France soudainement plongée dans la violence et la peur, la formidable mobilisation populaire de samedi et de dimanche derniers soulève un immense espoir.

Uni, le peuple a lui aussi rendu hommage aux victimes. Il a manifesté sa peine et affirmé, au-delà de la diversité bien naturelle des messages, une profonde aspiration à vivre ensemble, à vivre en paix et à faire respecter la devise de la République française : « liberté, égalité, fraternité ».

Cette vague humaine qui a déferlé dans tout le pays était digne, profondément pacifique ; nul message de haine n’a pris le dessus.

Vivre libre, penser librement, écrire librement, dessiner librement fut le message dominant.

« Je suis Charlie » a fait écho au « j’écris ton nom […] liberté » de Paul Éluard. Notre peuple, de la Libération à aujourd’hui, a su se lever pour défendre les valeurs de la République. Il s’agit donc d’un événement majeur, qui ne pourra pas être oublié.

Ces millions de femmes et d’hommes qui sont descendus dans la rue ont lancé un immense appel aux dirigeants de notre pays, au Gouvernement et aux élus, pour que cela ne se reproduise plus, pour que des mesures fortes soient prises, afin que notre société se reconstruise là où la République vacille, et pour que les idéaux affichés sur les frontons redeviennent réalité pour tous et partout sur le territoire de la République.

Le débat démocratique commence, et il y va de notre responsabilité de contribuer à faire fructifier ce qu’il peut produire de meilleur.

Cela suppose de condamner et de combattre toutes les formes de stigmatisation ; de condamner et de combattre le racisme ; de condamner et de combattre la haine du musulman ; de condamner et de combattre l’antisémitisme.

Oui, nous devons faire en sorte que ce débat soit poursuivi avec nos concitoyens, mais aussi sur le fond.

Avec nos concitoyens, nous voulons parler de liberté, de laïcité, d’égalité, de fraternité, de paix, de solidarité. Avec eux, nous voulons aussi bien entendu débattre non seulement de sécurité, car sans sécurité, il ne peut y avoir de liberté, mais également du monde de la prison, de l’école et de la culture.

Mais, mes chers collègues, pour résoudre la crise profonde que traversent notre pays et ses quartiers populaires, nous vous le disons clairement, il faudra changer de logique politique.

En effet, c’est uniquement en donnant les moyens aux services publics, et ce en premier lieu à l’école à travers l’engagement d’un vaste plan d’éducation populaire, que la République pourra réinvestir des zones de misère sociale.

Tout cela aura un prix et nécessitera des investissements. Ce n’est pas le dogme de l’austérité qui permettra d’apporter une réponse, ni même un début de réponse.

Aujourd’hui, le temps est encore au recueillement, à l’émotion, à la solidarité, mais, très vite, il faudra passer à l’action, donner du contenu, un sens au vivre ensemble.

Après des décennies de dérégulation libérale, d’individualisme, au détriment de l’intérêt général, il faut marcher ensemble vers une société plus juste, une société plus solidaire, qui place en son cœur le travail, l’éducation, la culture et non plus l’argent roi.

Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste, républicain et citoyen mèneront ce combat en mémoire de celles et ceux qui sont tombés pour la liberté.

Ce jour, au sein de cet hémicycle, nous pensons fortement à eux, à leurs familles, à leurs proches, à leurs collègues. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen.

M. Jacques Mézard, président du groupe du Rassemblement démocratique et social européen. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, la France et la liberté sont blessées.

Parce que le premier mot de la devise nationale est « liberté », parce que, depuis plus de deux siècles, en dépit des guerres, des crises, des souffrances et de nos erreurs, liberté et France sont indissociablement unies aux yeux du monde, parce que l’attentat a frappé ceux qui incarnaient au plus haut degré cette liberté, ceux qui la protégeaient ainsi que des otages martyrs, la nation s’est levée, criant, face à la sauvagerie et à la barbarie, une seule réponse : ignorer la peur, faire face, combattre.

Le choc est d’autant plus fort que les victimes pleurées sont des hommes de liberté, capables de rire de tout et d’abord d’eux-mêmes, rendant tous les jours l’intolérance ridicule.

La force de ce cri impose aux responsables de ce pays de toutes sensibilités d’être à la hauteur du message transmis, car le temps de la colère suivra de près le temps de l’émotion si le temps de l’action ne vient pas rapidement.

Il le faut pour châtier les assassins – cela a déjà été fait –, mais aussi pour poser les bases d’une politique de nature à assurer la sécurité de nos concitoyens dans une République apaisée.

Le 11 septembre 1848, Victor Hugo devant l’Assemblée nationale constituante déclarait : « Les véritables amis de l’ordre ont toujours été les plus sérieux amis de la liberté. »

Oui, mes chers collègues, il n’est de démocratie sans autorité, sinon c’est toujours le plus faible qui sera victime de l’insécurité.

L’heure n’est point à un quelconque laxisme ni à un angélisme béat. Il appartient en premier lieu au pouvoir exécutif de restaurer l’État et son autorité, de ne jamais céder à quelque violence que ce soit quand il s’agit d’appliquer la loi et les décisions de justice.

Voilà quelques semaines, dans cette enceinte même, je saluais et défendais l’action de M. le ministre de l’intérieur lorsqu’il était injustement dénigré, tout comme d’ailleurs les forces de l’ordre, qui ont été justement applaudies par le peuple ce dimanche.

Si la loi n’est plus adaptée, on la change : c’est notre devoir de législateur ; sinon, on l’applique. « Mais que doit faire le législateur ? Il doit concilier ce qui convient aux principes et ce qui convient aux circonstances » ; c’est du Danton dans le texte.

Aujourd’hui, nous sommes face à des phénomènes terroristes rendus en partie inédits par la mondialisation, le numérique, internet et les réseaux dits « sociaux », qui bouleversent les comportements et facilitent le recrutement direct par les sectes de toute nature. Cela doit inéluctablement nous amener à adapter la loi à cette révolution que connaissent les relations humaines. Internet ne saurait être le monde du non-droit, un monde hors-la-loi.

Cela n’occulte aucunement la nécessité de donner aux forces de l’ordre les moyens de leur action sur le terrain, sur tout le territoire. Pour mémoire, monsieur le ministre de l’intérieur, Chérif Kouachi a fait un séjour dans mon département en 2010, auprès de son mentor, à quelques dizaines de kilomètres d’une gendarmerie qui vient d’être supprimée…

Je dis au gouvernement, à cette assemblée, qu’il nous appartient d’examiner rapidement nos responsabilités sur les causes de ces drames.

Causes endogènes, d’abord, dans nos quartiers, dans le développement d’un communautarisme incompatible avec nos principes républicains, facilité par nombre de discours et de médias, mais aussi dans un système éducatif débordé. Comment lutter contre l’illettrisme dans des classes où une majorité d’élèves ne parle pas le français ?

Causes exogènes, ensuite, dues à la politique extérieure au Moyen-Orient et au Maghreb, et à la politique d’ingérence dans les pays tiers ; en 2003, Jacques Chirac et son Premier ministre avaient vu juste.

L’homme sait faire mal à l’homme depuis un temps immémorial. À toutes époques, quels que soient les civilisations et les continents, les massacres ont ponctué l’histoire. Ce qui change, mes chers collègues, ce ne sont que les méthodes. Ces crimes ont été commis au nom de Dieu, comme cela est récurrent depuis des siècles ; c’est l’apanage des extrémistes de toutes religions. C’est en 1209, sur notre sol, qu’a été prononcée cette phrase : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens » ; les djihadistes d’aujourd’hui sont de la même veine. Attenter à la vie terrestre pour mériter la vie éternelle : quelle absurdité !

Qualifié dans cette enceinte de « laïc intégriste », président du groupe pour lequel la République laïque est l’essence même du combat politique, je le dis ici, oui, la République laïque est toujours plus nécessaire pour garantir les valeurs de la France ; aucun gouvernement ne doit céder en rien à toute dérive communautariste. Plus que d’un observatoire de la laïcité, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, nous avons impérativement besoin d’une politique laïque à tous les niveaux. La religion doit demeurer dans la sphère privée, ce qui la protégera. Tel est le vrai moyen de rejeter le sectarisme et l’intolérance, pour que vivent la démocratie et la République ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Philippe Adnot, délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, je souhaite m’associer à l’hommage qui a été rendu par l’ensemble des citoyens français aux victimes de l’agression dont la France a été l’objet ; aux victimes innocentes qui n’avaient comme tort que de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment ; aux policiers, dont nous ne soulignons jamais assez le dévouement, alors qu’ils ont un rôle difficile et dangereux ; aux membres de la rédaction de Charlie Hebdo qui n’ont jamais renoncé à être ce qu’ils étaient malgré le danger. On a le droit d’aimer ou de ne pas aimer ce qu’ils faisaient, mais on n’a pas le droit de s’en prendre à la liberté d’expression par la violence. Au-delà des personnes, en effet, c’est bien ce qu’ils symbolisaient avec talent : la liberté d’expression.

Ce drame doit nous conduire à réfléchir. Au fil des lois, des comportements, nous constatons bien qu’il y a de plus en plus d’ayatollahs de la pensée unique, du politiquement correct. Tous les jours, nous voyons croître la liste de ce qu’il n’est plus possible d’exprimer.

Cette liberté d’expression que des millions de Français ont soutenue comme une valeur fondamentale est tous les jours remise en cause, et pas seulement par des intégristes religieux. Je pense que chacun doit faire son examen de conscience et, malheureusement, je crains que nous ne voyions refleurir rapidement les interdits.

Au-delà de cet examen de conscience, au sein de cette enceinte, de la société française, il faudra bien que la communauté internationale se penche un jour sur le conflit israélo-palestinien, lequel, en plus de la souffrance infligée aux deux peuples concernés, nourrit tous les fantasmes dans nos banlieues et sert de paravent au terrorisme international.

Soyons lucides : rien n’est résolu par la grande manifestation des Français ; il faudra bien examiner les dysfonctionnements entrevus, non pas pour désigner des coupables, mais pour identifier des manquements. Le tueur de Vincennes a été libéré au bout d’un an et demi de détention, alors qu’il avait écopé d’une peine de cinq ans.

Partout, la République, dans son exigence de laïcité, recule ; l’exemple de la minute de silence dans les établissements scolaires est flagrant.

Je ne suis pas sûr qu’il y ait besoin de nouvelles lois ; il faudrait plutôt revoir les conditions de l’application de celles qui existent. Songeons à ce policier qui a déclaré avoir eu les frères Kouachi dans le viseur pendant dix secondes et n’avoir pas tiré car il n’était pas en situation de légitime défense.

Je pense aussi qu’il y a un problème de moyens. Nous voyons parfois, dans nos territoires, des véhicules de gendarmerie immobilisés, faute d’essence.

Je voudrais terminer mon propos en rendant hommage aux forces de l’ordre. Leur courage, leur détermination, leur sang-froid forcent notre admiration ; nous sommes fiers d’elles, et c’est la raison pour laquelle nous devons les soutenir, aujourd’hui comme demain. Dès lors, mes chers collègues, ce sont elles, et non pas mon intervention, que je vous demande d’applaudir. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, président du groupe Union des démocrates et indépendants-UC.

M. François Zocchetto, président du groupe Union des démocrates et indépendants-UC. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, assassinés pour s’être exprimés, assassinés pour avoir choisi de défendre leurs concitoyens, assassinés pour leur confession religieuse : tel est le sinistre bilan des attentats de la semaine dernière.

Face à cette violence, je tiens à saluer le sang-froid, le professionnalisme de tous les agents de nos forces de sécurité.

Je salue aussi l’ensemble des chefs d’État et de gouvernement qui nous ont témoigné leur solidarité et celle de leurs compatriotes.

Évidemment, je salue au plus haut le peuple français et sa réaction de dignité, d’unité, de sagesse. L’objectif des barbares est d’instaurer leur loi en créant la peur et l’insécurité. Mes chers collègues, nous sommes debout, ensemble ; nous le crions, nous l’avons même chanté !

Il nous faut, en tant que parlementaires, être désormais à la hauteur de nos compatriotes. Nous sommes confrontés à la nécessité d’agir. Le travail du Parlement sur ce sujet doit être rappelé. Une commission d’enquête sénatoriale est à l’œuvre depuis plusieurs mois, créée d’ailleurs à la demande du groupe UDI-UC. S’il faut en accroître les moyens, nous devons, me semble-t-il, tous y être favorables. Nos collègues qui en sont membres nous feront des propositions.

Mais n’oublions pas que la loi ne règle pas tout. Pensons surtout à donner aux services chargés de protéger les Français les moyens requis : les moyens juridiques, bien sûr, mais aussi, plus que jamais, les moyens humains et matériels. Face à la contrainte budgétaire, tant rappelée, sachons assumer cette priorité.

La réflexion qui s’engage devra aborder la question pénitentiaire. Il est primordial que nos prisons ne deviennent pas des centres de radicalisation. On ne peut pas tolérer qu’un délinquant soit incarcéré à la suite d’une décision de justice et que son séjour en prison fasse de lui un terroriste en puissance. Il nous faut donc accepter que les moyens de l’administration pénitentiaire soient largement renforcés si l’on veut endiguer de telles dérives.

La lutte contre le terrorisme commence cependant bien en amont. Elle commence en refusant de laisser tout espace aux fondamentalistes. Notre lutte contre le fanatisme et l’obscurantisme doit évidemment être un rappel incessant de nos grands principes, mais elle doit, d’abord et surtout, être un combat de terrain quotidien. Plus que jamais, il nous faut être aux côtés des enseignants, des médecins, des personnels de nos hôpitaux, des gardiens de prison, des agents de nos mairies et de nos collectivités, malheureusement confrontés au quotidien à l’intolérance, au négationnisme, à la misogynie, à l’antisémitisme, sur tout le territoire.

Il nous faut être suffisamment fiers des valeurs de la République pour refuser les compromis, voire les compromissions, du quotidien, par lesquels se répand la radicalité.

Plus en amont encore, il nous faut nous poser les questions qui vont gêner. Quels sont les ressorts qui poussent certains de nos enfants, certains Français, à basculer dans une telle haine de notre société et de notre pays, de leur pays ? Sans céder, bien sûr, à la culture de l’excuse, et tout en étant fermement attachés aux notions d’autorité rappelées à cette tribune, il nous faut examiner quelles frustrations, quelles humiliations, quelles lacunes familiales et sociétales sont à l’œuvre pour aboutir à un tel résultat.

Les réponses ne seront pas simples, mais il est indispensable qu’elles soient apportées rapidement, si nous voulons que les victimes de la semaine dernière ne soient pas mortes pour rien. (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, président du groupe Union pour un mouvement populaire.

M. Bruno Retailleau, président du groupe Union pour un mouvement populaire. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, depuis dimanche dernier, plus que jamais, nous sommes fiers d’être Français. Nous en sommes fiers, car la République française s’est révélée plus forte que le terrorisme. Nous en sommes fiers, car la nation française n’est jamais aussi belle et aussi grande que lorsque les Français sont réunis.

Dimanche dernier, les Français sont redevenus un peuple, un grand peuple, à la face du monde, uni dans cette émotion nationale, uni dans l’hommage à ses morts : ceux de Charlie Hebdo, ceux qui ont été pris en otage parce qu’ils étaient juifs, les policiers. Cette mobilisation nationale, qui a rassemblé tant de Français, de toutes origines, de toutes conditions, ressemble tant à la France !

Dimanche dernier, nous avons tous marché contre le terrorisme, mais nous avons aussi marché pour la France, pour cette grande passion française qu’est la liberté.

Cette liberté, les Français la revendiquent pour eux-mêmes. La liberté d’expression est d’abord et avant tout l’affirmation d’un droit fondamental : la liberté de conscience, la liberté de croire ou de ne pas croire.

Cette liberté, les Français la revendiquent aussi pour le monde. Comme l’indiquait le général de Gaulle, « il y a un pacte vingt fois séculaire entre la grandeur de la France et la liberté du monde. » C’est au nom de ce pacte que la France est aujourd’hui attaquée, que notre pays est aujourd’hui en guerre. Il faut le dire car « mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde », comme l’écrivait si bien Camus. Après cette tragédie, les représentants de la nation que nous sommes n’ont pas le droit d’ajouter au malheur de la France.

Bien sûr, cette guerre n’est pas une guerre conventionnelle, une guerre entre les nations. C’est une guerre radicalement nouvelle. Notre ennemi se moque des frontières ; il frappe en Orient, en Occident, au cœur même de Paris.

Ce n’est pas non plus une guerre de religion, car la barbarie n’a pas de religion ! Jamais ceux qui professent la haine de l’autre ne pourront parler au nom d’une espérance.

Mais c’est bien d’une guerre qu’il s’agit, d’une guerre nouvelle, qui prospère eu égard à une situation inédite, à l’échelle nationale et internationale.

Nationale d’abord, car notre société est aujourd'hui aux prises avec de nouvelles formes de radicalité. J’en veux pour preuve cette jeunesse déboussolée, fanatisée, hypnotisée et fascinée, de façon morbide, par l’absolue radicalité du mal, cette jeunesse qui a grandi chez nous, sur le sol français, et qui part faire le djihad !

Internationale ensuite, car toutes les grandes puissances peinent aujourd'hui à combattre le terrorisme islamiste, lequel a changé de nature en se glissant dans les habits de la mondialisation. Il est déterritorialisé, mais il cherche en même temps à s’enraciner. Il est diffus et à la fois connecté. C’est un terrorisme qui a également changé de mode d’expression, puisqu’il ne se contente plus de livrer une guerre militaire ; il mène aussi une guerre de l’information au travers de la révolution numérique.

Nous devons donc nous donner les moyens non seulement juridiques, budgétaires, mais également politiques de conduire et de gagner cette guerre.

Tout d’abord, monsieur le ministre, nous devons nous doter de moyens juridiques en adaptant tout notre arsenal juridique à l’évolution de la menace. C’est la raison pour laquelle la commission d’enquête sénatoriale sur l’organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe doit être renforcée, qu’il s’agisse de son périmètre ou de ses missions, afin d’apporter des réponses concrètes aux interrogations de millions de Français. Comment ces attentats ont-ils été possibles ? Quelles mesures efficaces devons-nous prendre pour que cela ne se reproduise plus ?

Tous nos moyens doivent être réévalués par rapport à cette menace, qui pourrait encore frapper. Sur toutes ces questions, je souhaite que le Sénat, bien au-delà des clivages traditionnels, fasse des propositions au Gouvernement, car les Français exigent la vérité. Ils veulent de la fermeté et ils demandent à être protégés. Ils en ont le droit et nous en avons le devoir. Voilà pourquoi, par-delà les moyens juridiques et budgétaires, nous avons également besoin de moyens politiques !

Après cette tragédie, il n’y a plus de place pour l’angélisme. La mobilisation nationale ne doit pas occulter ce qui s’est passé ces derniers jours dans des écoles et sur internet. Je veux parler du refus de participer à la minute de silence à la mémoire des victimes et de toutes les réactions qui ont fait écho à d’autres refus, communautaires, identitaires, dans l’espace public, au mépris de toutes nos valeurs de liberté et, bien sûr, de laïcité.

Non, mes chers collègues, la France ne sera jamais un archipel de tribus, de communautarismes. La France n’est pas non plus une juxtaposition d’individus. Il nous faut redonner le goût de la France à tous ces jeunes Français. Cependant, nous devons regarder les choses en face, car si nous baissons les yeux devant le communautarisme, nous baisserons aussi les bras devant l’islamisme. Or nous n’en avons pas le droit, car il s’agit de la France. Dans ce combat pour la liberté, notre pays doit rester ce « soldat de l’idéal » évoqué par Georges Clemenceau à la tribune de l’Assemblée nationale le 11 novembre 1918. C’est parce que nous sommes ce soldat que nous devons mener cette guerre et la gagner, pour la République, pour la sécurité des Français et pour la liberté des hommes. Vive la République et vive la France ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Didier Guillaume, président du groupe socialiste et apparentés.

M. Didier Guillaume, président du groupe socialiste et apparentés. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, l’année 2015 a commencé dans le sang. Dix-sept morts, dix-sept morts pour la France ! Ils étaient agent de maintenance, journaliste, dessinateur, policier, psychiatre, économiste, correcteur, cadre commercial, employé de supermarché, étudiant, retraité. Ils représentaient la France, dans toute sa diversité sociale, d’origines, de croyances et d’opinions.

L’odieux attentat commis contre la rédaction de Charlie Hebdo, c’est une véritable atteinte à la liberté de la presse que nous condamnons. Ils ont été tués parce qu’ils dessinaient librement.

L’assassinat de la policière municipale et la lâche exécution dans la rue du policier, c’est une véritable atteinte à la République que nous condamnons. Ils ont été tués parce qu’ils représentaient l’État.

L’attaque antisémite et la prise d’otage sanglante du magasin Hypercacher, c’est une véritable atteinte à la religion juive que nous condamnons. Ils ont été tués parce qu’ils étaient juifs.

C’est la nation tout entière qui a été visée. La France a été attaquée pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle fait. La France, pays des Lumières. La France qui a su faire la Révolution. La France qui a toujours réussi à combattre l’obscurantisme d’où qu’il vienne et où qu’il soit. C’est cette France-là que nous aimons. Oui, nous sommes fiers d’être Français ! Oui, nous sommes fiers de la France !

L’objectif des terroristes est d’instiller le doute dans nos consciences, de nous faire peur. Mais la France n’a pas peur. C’était déjà le sens du message du général de Gaulle lors de l’appel du 18 juin. La France doit rester digne, debout, fière de son héritage.

La mobilisation des citoyens, d’une ampleur inconnue jusqu’alors, a été une réponse à une tragédie qui a touché la France dans sa chair et la République laïque dans ses symboles.

Le peuple français a répondu à la barbarie par la fraternité dans les rues de tout le pays, de toutes nos villes et de tous nos villages.

Il faut malheureusement des événements dramatiques pour que nous prenions conscience collectivement de ce que nous sommes, pour que nous nous fédérions derrière le drapeau tricolore, en chantant La Marseillaise. Oui, nous aimons ce que nous sommes, et nous l’avons clamé haut et fort à la face du monde.

Gloire à nos forces de l’ordre, à ces hommes et à ces femmes de sacrifices !

Oui, la France a un État, un État fort. Les Français l’ont vu à l’œuvre. Je rends hommage à tous ceux qui ont agi et qui agissent encore pour nous défendre : policiers, gendarmes, forces du renseignement qui nous protègent au quotidien, responsables politiques qui prennent les décisions. L’État a été efficace.

Le chef de l’État a été à la hauteur de cet événement à la fois national et mondial. Il a été le garant, la première incarnation de l’unité nationale. Il représentait la France.

Le Premier ministre a coordonné l’action du Gouvernement avec exemplarité et sérénité. Il a été le moteur efficace de la cohérence gouvernementale.

Le ministre de l’intérieur a agi avec rapidité et fermeté. Il a démontré son sang-froid et son efficacité, d’immenses qualités. Mes sincères félicitations, cher Bernard Cazeneuve ! (Mmes et MM. les sénateurs applaudissent longuement et les membres du groupe socialiste ainsi que MM. Claude Kern, Daniel Dubois et Christian Namy se lèvent.) Vous avez fait honneur à la République, monsieur le ministre. Nous pouvons tous ressentir une fierté particulière.

En ces périodes agitées, il nous faut garder la tête froide. Ne sombrons pas dans la tentation du tout sécuritaire, mais ne soyons pas naïfs pour autant.

Le groupe socialiste n’est pas favorable à un Patriot Act à la française à l’instar de celui qu’ont adopté les États-Unis d’Amérique en 2001, parce que nous sommes la France.

Des voix se sont élevées pour réclamer la restauration de la peine de mort. Or l’abolition de la peine de mort, c’est notre patrimoine républicain, c’est notre identité, c’est notre civilisation. La peine de mort ne sera jamais rétablie dans notre pays ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC et du groupe écologiste. – MM. Robert del Picchia et Philippe Bas, ainsi que Mme Nathalie Goulet applaudissent également.)

Mais ne sombrons pas pour autant dans l’angélisme. Si des mesures exceptionnelles doivent être prises contre le terrorisme, nous les voterons. Les Français attendent des réponses à la hauteur de ces attentats odieux. Des mesures exceptionnelles, oui ; des mesures d’exception, non !

Assurer la liberté et la sécurité, voilà comment nous entendons travailler aux côtés du Gouvernement. Notre identité, c’est la liberté, c’est la République, c’est l’humanisme. La sécurité est un droit fondamental pour chacun de nous, notamment pour ceux qui sont les plus exposés. Notre jeunesse l’espère, nos quartiers l’attendent, nos concitoyens la réclament, notre nation tout entière y a droit.

Nous ne sommes pas en guerre contre une civilisation. Nous ne sommes pas en guerre contre une religion. À cet instant, je veux avoir une pensée pour tous les musulmans de France et leur dire que nous ne faisons pas d’amalgame.

La France ne serait rien sans les juifs, les musulmans, les athées, les croyants et les non-croyants. Mais la France ne serait rien non plus sans la laïcité – oui, la France est laïque. Cette laïcité, qui permet à chacun de pratiquer ou de ne pas pratiquer un culte. La laïcité, ce ciment des différences qui permet l’égalité dans la République. La laïcité, qui est le fondement de notre pacte républicain, celui du vivre ensemble.

Nous sommes tous et toutes attendus, mes chers collègues. Notre mobilisation a été saluée par les Français.

Travaillons à la mise en avant de nos valeurs fondamentales que sont la liberté, l’égalité, la fraternité, gages d’une meilleure prise de conscience de notre appartenance à une nation commune.

Partageons ensemble optimisme et détermination pour la République et pour la France ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste.

M. Jean-Vincent Placé, président du groupe écologiste. Monsieur le président du Sénat, au nom de mon groupe, je tiens à vous remercier des mots que vous avez eus, qui sont à la hauteur des circonstances tragiques qui nous rassemblent ce jour.

Je veux également saluer l’action du Président de la République et du Premier ministre, la vôtre aussi, monsieur le ministre de l’intérieur, qui, dans cette épreuve, fut efficace ; vos paroles ont permis le rassemblement et votre comportement a été d’une grande dignité.

Par ailleurs, je félicite l’ensemble des formations politiques républicaines de leur sens profond des responsabilités en ces temps si tragiques pour le pays. C’était indispensable durant ces trois jours terribles au cours desquels la liberté d’expression, l’autorité de l’État et la laïcité ont été touchées au cœur. En un mot, la République.

Tout d’abord, j’évoquerai la liberté d’expression. Certains membres de mon groupe connaissaient bien les journalistes de Charlie Hebdo qui étaient pacifiques et généreux. Avec leur disparition, c’est un pays qui est sous le choc. L’attentat dont ils ont été victimes nous oblige à affronter une réalité épouvantable : on risque de mourir en France pour avoir fait un dessin irrévérencieux sur Mahomet. C’est une réalité inacceptable, cruelle, insoutenable !

Liberté fondamentale, la liberté d’expression est indissociable de la liberté d’opinion, de la liberté de pensée. C’est la raison pour laquelle nous ne céderons jamais rien sur ce droit. Je le dis haut et fort, nous tous sénateurs, pas seulement les écologistes, nous sommes tous Charlie !

Par ailleurs, pour ce qui concerne l’autorité de l’État, nos forces de sécurité ont payé un lourd tribut au cours de ces jours sombres : deux policiers et une policière municipale assassinés. Notre reconnaissance, profonde, va aux agents du GIGN, du Raid, de la BRI qui ont mis leur vie en péril ; certains ont été blessés pour sauver des otages et mettre un terme à la cavale des meurtriers. Notre reconnaissance va aux gendarmes, aux policiers, aux militaires, aux agents de la protection civile mobilisés encore en ce moment même dans le cadre du plan Vigipirate écarlate ; ils méritent tout notre respect : nous sommes tous des policiers !

J’évoquerai enfin la laïcité. Quatre personnes sont mortes uniquement parce qu’elles étaient juives. Nous devons toujours lutter inlassablement contre l’antisémitisme.

Chacun de nos concitoyens, quelle que soit sa confession, son origine, doit pouvoir vivre libre et en sécurité en France. Ce droit, cette liberté, c’est à l’État, c’est à la France de les garantir. C’est ça la vraie laïcité !

Cela étant, il y a un temps pour le recueillement. Nos pensées les plus bouleversées vont à ceux qui ont perdu la vie, aux blessés – certains le sont encore grièvement –, à leurs familles, à leurs proches. Nous ne les oublierons jamais !

Il y a un temps pour la mobilisation. Le peuple qui s’est dressé dimanche, crayon au poing, a été à l’initiative d’une manifestation inédite et digne, soutenue dans le monde entier. Cette mobilisation ne doit surtout pas retomber. C’est à nous, responsables politiques, de la faire vivre.

Et il y a, il y aura un temps pour la réflexion. Chacun sait que le drame ne s’est pas terminé vendredi. Nous sommes en droit de craindre d’autres violences. Comment protéger notre République ? Quelles actions immédiates conduire ? Quelles politiques mener dans la durée ?

Le président Gérard Larcher, dans son intervention, a posé les bonnes questions, auxquelles il nous faudra effectivement apporter des réponses.

Face au terrorisme, les réponses ne peuvent être que globales, collectives, solidaires.

Il nous faudra continuer, jour après jour, à mobiliser le pays dans toutes ses composantes politiques, religieuses – en particulier nos compatriotes musulmans –, philosophiques et citoyennes, tous nos amis et alliés en Europe et dans le monde venus si vite manifester leur solidarité ce dimanche auprès du chef de l’État. Qu’ils en soient remerciés chaleureusement.

Cette attaque en règle contre nos valeurs appelle à l’unité nationale et à la défense de valeurs que nous croyions intouchables.

L’unité du pays, le rassemblement des Français, voilà une condition sine qua non, pas seulement aujourd’hui, mais également demain, et après-demain.

On le sait, cette unité nationale est si fragile. Je forme le vœu aujourd’hui, à la tribune du Sénat de la République, que nous sachions la préserver chaque instant comme notre bien commun le plus précieux.

Je forme le vœu que nous tous, sénatrices et sénateurs de la République française, nous sachions nous élever, comme l’ont fait le Gouvernement et le peuple français, à la hauteur des enjeux et des dangers auxquels nous devons faire face tous ensemble.

Nous sommes tous Charlie, nous sommes tous policiers, nous sommes tous juifs. Vive la France ! Vive la République ! (Applaudissements.)

M. le président. La parole est à M. le ministre. (Nouveaux applaudissements.)

M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est dans une immense émotion partagée que je m’exprime devant vous aujourd’hui.

Cette émotion, je l’ai ressentie, monsieur le président, dans vos propos, très justes, très profonds, qui rappelaient ce que nous sommes, ce que sont les valeurs de la République, ce qui nous rassemble dans cet hémicycle et, par-delà, dans le pays.

J’ai retrouvé cette émotion, cette force dans les interventions de tous ceux qui se sont succédé à la tribune, quelle que soit la formation politique à laquelle ils appartiennent.

J’ai ressenti cette émotion aussi dans le discours qu’a prononcé le Premier ministre avec une force exceptionnelle tout à l’heure à l’Assemblée nationale.

Nous avons tous ressenti cette émotion dimanche dans les rues de Paris, alors que, derrière les victimes rassemblées dans la dignité, étaient présents des chefs d’État et de gouvernement venus de toute l’Union européenne et bien au-delà.

Autour du Président de la République française, ils étaient venus dire leur amour de la France et leur attachement aux valeurs que nous incarnons, qui sont des valeurs universelles, dont ils se sont parfois inspirés pour mettre en place leurs institutions.

Nous étions nombreux dimanche – représentants des institutions, des corps constitués, mais aussi simples citoyens – à dire que nous n’avions pas peur, que, face au terrorisme, nous étions debout, déterminés à défendre fermement ce que nous sommes, exigeant qu’à chaque instant prévalent les valeurs de la République et exprimant la volonté que, à tout moment, la sécurité des Français, notamment des plus exposés d’entre eux, soit assurée.

Nous avons tous à l’esprit – vos propos, mesdames, messieurs les sénateurs, en témoignent – l’importance du drame qui s’est produit la semaine dernière.

Ce drame a touché des journalistes, des caricaturistes, des dessinateurs, parce que, par leur crayon, ils étaient les héritiers de l’esprit de Voltaire. À l’instar de Micromégas venu de Sirius, ils regardaient notre pays d’un autre point de vue et, par la distance qu’ils créaient parfois, parvenaient à déceler ce qui en nous méritait d’être corrigé ou dénoncé. Le crayon de ces caricaturistes était leur manière à eux de témoigner de leur impertinence et de créer, entre leur regard et la réalité, cette distance dont nous avons besoin parfois pour nous changer nous-mêmes.

Cette impertinence, cette liberté, c’est ce qu’on a voulu atteindre. Cette impertinence, cette liberté, c’est la France de Daumier à Wolinski, à Cabu, et à tant d’autres qui, par leur talent, témoignent de notre amour pour la liberté.

On a voulu atteindre des policiers, nationaux et municipaux, parce que, dans la République, ils incarnent le droit et l’ordre. Quand je dis « l’ordre », je ne parle pas d’une fermeture, d’une rigueur, d’une rigidité. Non, je veux parler de l’amour de la République, du droit, de l’État de droit qui constituent notre patrimoine commun.

Je vais vous parler de ces policiers, parce qu’ils ont été en première ligne durant ces événements et, comme vous l’avez justement souligné les uns et les autres, ils méritent notre estime et notre considération.

Je vais vous parler des camarades membres du service de protection des hautes personnalités de Franck, qui assurait la protection de Stéphane Charbonnier, dit « Charb », et qui est tombé, quelques minutes après l’entrée des terroristes dans les locaux de Charlie Hebdo, la main sur son pistolet, afin de protéger courageusement celui dont il avait la charge. Je n’oublierai jamais leurs larmes, eux qui connaissaient le courage, la droiture et la valeur de leur collègue. Je n’oublierai jamais non plus le regard de la mère de Franck ce matin lors de la cérémonie disant sa détermination à résister à la peur dans la dignité.

Je n’oublierai jamais l’effroi des camarades de la jeune policière municipale de Montrouge qui venaient d’assister au crime abject dont elle avait été victime – on lui a tiré dans le dos ; par-delà les larmes, il y avait la colère et l’indignation.

Je n’oublierai jamais non plus les visages et les regards des policiers du commissariat du XIe arrondissement, camarades du policier Ahmed, qui a tenté de s’interposer, après que le crime eut été commis dans les locaux de Charlie Hebdo, afin que la fuite funeste s’arrête. Il y avait dans ces regards une tristesse incommensurable et la fierté d’être policier.

Je n’oublierai pas davantage les regards, parfois derrière le masque qui assure leur protection – il ne faut pas qu’on les reconnaisse, qu’on les distingue, qu’on les identifie –, des policiers de la BRI et du Raid qui sont intervenus et ont sauvé toutes les vies qui pouvaient l’être à l’épicerie Hypercacher. Ces regards témoignaient non pas de la peur après l’engagement, non pas de l’effroi – qui dut pourtant à un moment être rencontré –, mais simplement de la fierté d’avoir sauvé des vies.

À ces hommes, à ces femmes qui constituent nos forces de l’ordre que j’ai eues sous ma responsabilité pendant ces événements tragiques, je veux, de cette tribune hautement symbolique, leur dire, du fond du cœur, mon immense gratitude. (Applaudissements prolongés.) Et je sais, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’elle est l’expression de ce que chacune et chacun d’entre vous éprouvez, car nombreux ont été vos témoignages, vos lettres, vos appels, vos SMS en ce sens.

Je n’oublierai jamais non plus à quel point, au cours de cette période, vous avez été proches de celles et de ceux qui assurent la sécurité des Français. À vous aussi, sénateurs et sénatrices de France, je veux exprimer ma gratitude et mes remerciements pour cette solidarité, pour cet amour de la République.

Je n’oublierai pas plus les propos qui ont été tenus par les représentants de la communauté juive française, notamment par ceux des institutions juives de France, qui nous ont dit leur lassitude et leur tristesse d’avoir peur : ils voient en effet l’antisémitisme ressurgir dans des formes qui donnent le sentiment que jamais les choses ne s’arrêteront, que jamais il ne sera mis fin à l’abjection.

Comme l’a fait le Premier ministre tout à l’heure à la tribune de l’Assemblée nationale avec force, je veux, avec vous, leur dire que nous mettrons tout en œuvre pour que plus jamais un seul juif de France n’ait peur d’aller dans une école ou dans un lieu de culte parce que des barbares et des assassins veulent s’attaquer à ce qu’il y a de plus précieux dans notre pays, le droit de croire ou de ne pas croire. Dès lors que l’on a fait le choix d’une religion, on doit pouvoir la pratiquer en sécurité et librement. (Applaudissements.)

Dimanche, lorsque nous étions ensemble dans les rues de Paris, nous avons ressenti l’élan du peuple de France qui prenait dans ses bras, par-delà les proches des victimes qui conduisaient le cortège, tous les journalistes de France qui incarnent la liberté et qui la font vivre dans la République, tous les policiers de France, nationaux et municipaux, les gendarmes qui assurent l’ordre et font respecter l’État de droit, tous les juifs de France qui aiment profondément la République et n’entendent pas qu’on l’atteigne, mais aussi tous les autres qui peuvent avoir honte, qui peuvent avoir peur et qui n’admettent pas que, dans la République, on crée la division, l’effroi et la peur.

Bien entendu, comme l’ont dit le Premier ministre à l’Assemblée nationale, le Président de la République ce matin encore avec beaucoup de force, les orateurs qui viennent d’intervenir à l’instant, nous devons maintenant regarder l’avenir et tirer tous les enseignements des événements qui se sont déroulés.

Je veux vous indiquer, en vertu de la responsabilité qui est la mienne en tant que ministre de l’intérieur – mais le Premier ministre a précisé tout à l’heure que c’était un devoir pour l’ensemble du Gouvernement –, que je tiens à la disposition des assemblées pour expliquer, pour rendre compte. Cette exigence de rendre compte fait partie de la démocratie ; elle doit être encore plus forte aujourd’hui que par le passé, lorsque des événements difficiles se sont produits, non seulement en raison de la dimension du drame, de la tragédie que nous venons de vivre, mais aussi parce que c’est ensemble que nous devons tirer les enseignements de ce qui s’est passé pour apporter les justes corrections, pour entamer les évolutions adéquates, afin d’être plus forts et mieux armés encore face au risque terroriste.

À l’instar du Premier ministre à l’Assemblée nationale, je voudrais esquisser devant vous rapidement – nous aurons prochainement l’occasion de revenir sur ce sujet – les quelques pistes que nous avons retenues afin d’avancer ensemble.

D’abord, il y a l’urgence qui, selon moi, se rapporte à deux sujets.

Le premier concerne les enquêtes qui se poursuivent. Nous avons mis en place – et ce fut l’une des raisons du succès des opérations qui ont été conduites – une cellule interministérielle de crise destinée à assurer le bon déroulement des enquêtes placées sous l’autorité du parquet antiterroriste et à mettre hors d’état de nuire tous ceux qui avaient commis certains actes ou pouvaient en commettre encore. À la demande du Président de la République et du Premier ministre, nous avons décidé de ne pas la désarmer. Cette cellule rassemble plusieurs fois par jour autour de moi les hauts responsables du ministère de l’intérieur qui travaillent ensemble, échangent des informations, de manière que les enquêtes progressent rapidement et permettent de déterminer toutes les complicités et l’identité de ceux qui ont participé ou contribué aux actes tragiques de la semaine dernière afin qu’ils soient mis hors d’état de nuire.

Vous comprendrez, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il ne serait pas responsable de ma part de donner des éléments sur les enquêtes en cours, qui sont placées sous l’autorité du procureur de la République de Paris et de la section antiterroriste du parquet.

Néanmoins, je veux vous assurer que tout est mis en œuvre pour que, d’une part, ces enquêtes progressent et soient concluantes et, d’autre part, l’ensemble des services placés sous ma responsabilité, notamment la direction générale de la sécurité intérieure, puissent identifier ceux qui représentent un danger pour notre pays.

Car, et il faut dire les choses et y faire face avec sang-froid et détermination, nous sommes confrontés à un terrorisme d’un nouveau type.

Il y a ces combattants, dont le nombre a augmenté de près de 80 % depuis le début de l’année, qui partent sur le théâtre des opérations terroristes, notamment en Irak et en Syrie, et en reviennent après avoir procédé à des exactions, des exécutions, des décapitations, animés par le seul instinct de la haine.

Il y a tous ceux qui sont organisés au sein de structures – je pense notamment à Al-Qaïda – et qui peuvent, par d’autres moyens, frapper encore et à tout moment.

Il y a ceux qui n’appartiennent à aucune structure, mais qui, dans une relation exclusive de toute autre, « fréquentent » la violence sur internet et qui peuvent, seuls, sans avoir été commandés par personne, passer à l’acte et commettre des crimes ; ce sont d’ailleurs les plus difficiles à détecter.

Il y a les cellules dormantes. Il y a aussi les réseaux organisés du crime, du trafic d’armes et du trafic de drogue, qui alimentent financièrement ces structures terroristes organisées, qu’il faut démanteler.

Je veux vous dire clairement et fermement la détermination du Gouvernement à agir sans trêve ni pause pour que la France ne devienne pas un sanctuaire pour ces acteurs du crime, quelles que soient les activités auxquelles ils se livrent.

Les services qui sont placés sous ma responsabilité sont résolus à atteindre ces derniers en multipliant les actions et les initiatives, comme ils le font depuis des mois. (Applaudissements.) Je vous demande solennellement de leur transmettre toutes vos questions, car ils sont déterminés à y répondre. Dans le même temps, il faut bien comprendre que, face au risque auquel nous sommes confrontés, nous devons faire preuve d’une grande mobilité, d’une constante capacité d’adaptation et d’une totale détermination.

Au-delà de la poursuite des enquêtes et de la garantie de la sécurité des Français par l’action de nos services de renseignement, il convient d’assurer la protection des lieux et des institutions qui peuvent se trouver frappés par ces assassins et ces barbares.

C’est la raison pour laquelle nous avons pris la décision de protéger l’ensemble des écoles et des lieux de culte de la communauté juive, à sa demande et en liaison étroite avec elle, mais aussi d’autres, car les actes islamophobes se sont multipliés au cours des derniers jours. Il est du devoir de la République de protéger tous ses enfants et de traquer ceux qui veulent s’attaquer à ses valeurs et à ses principes. Pour cela – plusieurs orateurs l’ont dit –, nous devons être intransigeants, comme l’a indiqué aujourd'hui le Premier ministre avec force, à l’égard du respect du principe de laïcité.

Parallèlement, nous devons nous armer davantage. À cette fin, nous devons traiter au fond trois questions évoquées précédemment, en très étroite concertation avec l’ensemble des groupes représentés à l’Assemblée nationale et au Sénat. C’est l’esprit de la réunion que j’ai tenue hier place Beauvau ; d’autres suivront très rapidement, car la réponse, comme vous l’avez dit les uns et les autres, ne saurait trop attendre.

Le Premier ministre a proposé que nous engagions une réflexion collective et que je travaille, avec d’autres membres du Gouvernement, sur trois sujets.

Il s’agit d’abord de la question des moyens.

Nous sommes dans une période d’unité et de concorde nationales. Espérons qu’elle dure le plus longtemps possible, car, comme vous l’avez tous relevé, l’unité nationale est la condition d’une réponse forte aux attaques terroristes.

Alors, il n’est pas temps, pas plus aujourd'hui qu’ultérieurement, de faire le bilan des décisions prises par les uns et les autres à tel ou tel moment. Nos forces de sécurité ont perdu des moyens, et nous sommes tous déterminés à faire en sorte qu’elles en retrouvent. C'est l’esprit de la décision du Gouvernement au début du quinquennat de procéder à des recrutements nouveaux dans la police et la gendarmerie. Au sein de la direction générale de la sécurité intérieure, dont 50 % des effectifs se consacrent à la lutte antiterroriste, sur les 432 postes envisagés, la moitié a d’ores et déjà créée. Il en faudra sans doute plus.

Le Premier ministre m’a demandé de lui faire des propositions. Nous avons besoin d’ingénieurs, de techniciens et d’informaticiens pour mieux détecter les filières qui agissent sur internet et mieux résister aussi à des cyber-attaques dont nous pourrions faire l’objet.

Nous avons également besoin de conforter nos moyens hors personnels. Dans le cadre du budget triennal, 12 millions d’euros par an ont été affectés à la direction générale de la sécurité intérieure pour lui permettre d’améliorer ses capacités technologiques d’intervention. J’ai récemment indiqué au Premier ministre qu’il me paraissait nécessaire d’aller plus loin dans la modernisation des infrastructures informatiques du ministère de l’intérieur, des réseaux et des applications, car les défaillances constatées, notamment celles du système CHEOPS à l’occasion du retour de trois combattants étrangers ayant transité par la Syrie, sont le signe d’un sous-investissement chronique dans les moyens informatiques nécessaires pour assurer la sécurité. Nous allons procéder, là aussi, à des investissements significatifs dans le cadre du plan que je présenterai au Premier ministre dans quelques jours.

Les moyens concernent aussi ceux qui permettent à nos forces d’être rapides et réactives lorsque des incidents graves se produisent. La question des véhicules a été évoquée : ce n’est pas un sujet mineur. D’ores et déjà, 40 millions d’euros sont affectés pour permettre l’achat de 2 000 véhicules par an. Cet effort doit se poursuivre et s’intensifier.

Au-delà des moyens pour la police, la gendarmerie et la direction générale de la sécurité intérieure, il faut évoquer les moyens de l’administration pénitentiaire. On le sait, la radicalisation s’effectue aussi en milieu carcéral. Nombre de délinquants de droit commun incarcérés sont confrontés en prison à l’islamisme radical. Certains, à l’issue de leur emprisonnement, ont la tentation de commettre des crimes qu’ils n’avaient pas envisagés. Tout doit être mis en œuvre pour apporter la juste réponse, comme a commencé à le faire, avec beaucoup de force et de détermination, Mme le garde des sceaux. (Mouvements de doute sur les travées de l'UMP.)

Nous devons aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, nous attaquer aux insuffisances ou aux inadaptations de notre système juridique. Je me souviens très bien, à cet égard, des débats que nous avons eus à l’occasion de l’examen de la loi renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, voilà deux mois seulement.

Depuis le début du quinquennat, deux lois antiterroristes ont été adoptées : la première soutenue par le Premier ministre lorsqu’il était ministre de l’intérieur, la seconde par moi-même il y a quelques semaines, au mois de novembre dernier.

Je me souviens donc des débats que nous avons eus. Il ne faut d’ailleurs pas les revisiter pour nous faire grief les uns aux autres de nos positionnements de l’époque. Il est normal en démocratie – je n’en ai pas été choqué au moment où des discussions – que l’on cherche constamment le juste équilibre entre la nécessité de renforcer la sécurité des Français et celle de ne pas porter atteinte à leurs libertés.

Lors de ces débats, j’avais insisté sur le rôle déterminant joué par internet, et sur la nécessité de prévoir davantage de régulation et d’intervention pour que les messages de haine qui s’y déploient sans limites soient enfin cantonnés. Une discussion s’était alors engagée sur la nécessité de trouver le bon équilibre entre, d’un côté, cette exigence de régulation et, de l’autre, la neutralité d’internet et la liberté d’expression sur la Toile.

Je me souviens que la proposition d’interdiction administrative de sortie du territoire pour les individus dont on savait qu’ils allaient s’engager dans des opérations terroristes et dont on était, à juste titre, convaincu qu’ils reviendraient habités par le seul instinct de la haine, avait donné lieu à des discussions sur la liberté d’aller et venir.

Nous avions présenté, lors de l’examen de l’article 15 de la loi, une disposition qui permettait à mon ministère de conserver au-delà de trente jours le contenu des interceptions de sécurité, de manière à aller au bout de l’exploitation des renseignements. Or je me souviens que, à l’issue des débats, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, cette mesure, qui devait nous permettre de disposer de la totalité des éléments dont nous avons besoin pour mener les opérations de surveillance, n’a pas pu être adaptée.

Cela étant, dans le contexte nouveau résultant des événements qui viennent de se produire, nous ne devons pas mettre en place des lois d’exception, car elles constitueraient une première victoire des terroristes sur nous-mêmes, sur la démocratie. (Mme Esther Benbassa applaudit.) Nous devons, au contraire, regarder lucidement la réalité et prendre toutes les mesures, notamment au travers de la future loi sur le renseignement, qui permettront à nos services de se doter de moyens de lutte efficaces contre le terrorisme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Enfin, je voudrais insister sur l’importance des organisations et des coopérations. Certes, nombre de sujets qui devront être traités dépendent de nous, les représentants du Gouvernement, et de vous, les législateurs. Face à la situation nouvelle à laquelle nous sommes confrontés, nous allons devoir, ensemble, prendre nos responsabilités. Mais beaucoup dépend aussi d’un cadre qui associe d’autres institutions et d’autres États. Je pense notamment aux enjeux européens sur lesquels nous devons nous mobiliser et que nous avons de nouveau mis sur le métier dimanche dernier, lors du rassemblement à Paris des ministres de l’intérieur non seulement de l’Union européenne, mais aussi d’autres grandes puissances. Nous devons travailler étroitement ensemble pour être plus efficaces en termes de renseignement et de démantèlement des grandes filières du crime organisé, en particulier terroristes.

Je veux parler, tout d’abord, de ce qui doit être fait pour démanteler de façon volontariste tous les réseaux de trafic d’armes. Ce trafic international dépasse largement les frontières de l’Europe ; il mobilise des organisations criminelles qui ont parfois une dimension multinationale et conduit les acteurs concernés à utiliser des sociétés-écrans, des comptes dans des paradis fiscaux pour alimenter le terrorisme. Il faut que nous soyons capables, par des actions plus puissantes sur internet, par des échanges plus réguliers entre services de renseignement, de démanteler rapidement ces filières organisées du crime, notamment dans le domaine susvisé.

Nous devons ensuite mieux identifier les trajets des membres de ces réseaux terroristes. Le système d’information Schengen, doté d’un dispositif de signalement, doit ainsi nous permettre d’interrompre à tout moment les parcours des individus susceptibles de commettre des crimes dans l’un de nos États après avoir traversé l’Europe, ou même dans plusieurs États après avoir fait escale dans différents aéroports.

Je veux parler, ensuite, de la mise en œuvre du PNR, ou passenger name record. Comme l’a fait le Premier ministre aujourd'hui devant l’Assemblée nationale, je veux profiter de ce débat au Sénat pour dire à l’ensemble des parlementaires européens que nous ne pourrons pas gagner la lutte contre le terrorisme si nous ne mettons pas rapidement en place le PNR (Applaudissements.), ce qui est possible sans préjudice pour les libertés publiques. En effet, la Cour de justice de l’Union européenne vient de prendre une position sur la durée de détention des données grâce à laquelle un équilibre peut être trouvé entre la protection des données et une meilleure sécurité au plan européen.

Mme Nicole Bricq. Très bien !

M. Bernard Cazeneuve, ministre. Nous devons aussi faire évoluer le regard que nous portons sur le code frontières Schengen actuel.

Nous devons l’interpréter intelligemment pour que des contrôles plus réguliers, plus systématiques puissent s’exercer sur des vols en provenance d’un certain nombre de pays, de manière à assurer une plus grande efficacité des contrôles de la police de l’air et des frontières dans les aéroports.

Mais nous devons aussi accepter d’engager, au sein de l’Union européenne, une réflexion permettant une modification rapide du code précité, destinée non pas à remettre en cause l’atout que représente la liberté de circulation en Europe, mais à faire en sorte que celle-ci se conjugue avec l’exigence de sécurité dont nous avons besoin. (M. Robert del Picchia applaudit.)

Nous avons besoin de plus de coopération européenne, de plus de coopération internationale.

Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, notre agenda est riche. Il nous engage !

En conclusion, comme le Premier ministre l’a fait tout à l'heure devant les députés, je veux indiquer que le Gouvernement est déterminé à réaliser ce travail avec vous. Des propositions seront élaborées rapidement, parce que nous devons être dans le mouvement et avoir une réaction efficace et véloce. Nous vous associerons à cette réflexion, parce que nous voulons, en matière de lutte contre le terrorisme, une unité nationale et les meilleures dispositions, adoptées dans le consensus le plus large.

Enfin, je veux vous dire que tout ce que nous allons faire ensemble doit être inspiré par la volonté, que vous avez soulignée et qui nous rassemble, que la laïcité, qui permet à la République d’accueillir en son sein tous les enfants, et le respect des valeurs de liberté, de tolérance, ainsi que le respect de l’autre, aussi différent de nous soit-il, continuent à prévaloir sur toutes les formes de terrorisme et d’intolérance. En effet, ce qu’a révélé la manifestation de dimanche et ce que révèle l’unité qui préside à notre action, c’est l’amour que nous avons de la République et de ses valeurs. C’est cet amour qui nous donne de la force face aux attaques des terroristes ! (Applaudissements nourris et prolongés.)

M. le président. Mesdames, messieurs les ministres et secrétaires d’État, mes chers collègues, je tiens à vous remercier d’avoir rendu hommage aux victimes des attaques terroristes et d’avoir partagé les interrogations que nous inspirent ces drames.

Monsieur le ministre, vous le savez, le Sénat est disponible, vigilant et engagé !

Nous en avons terminé avec le débat sur les attaques terroristes dont la France a été victime.

11

Nomination de membres de commissions

M. le président. Je rappelle au Sénat que :

- le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la commission des affaires sociales ;

- le groupe communiste républicain et citoyen a présenté une candidature pour la commission de la culture, de l’éducation et de la communication ;

- le groupe socialiste et apparentés a présenté une candidature pour la commission des affaires européennes.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare ces candidatures ratifiées et je proclame :

- Mme Patricia Morhet-Richaud, membre de la commission des affaires sociales, en remplacement de M. Jean-Yves Dusserre, décédé ;

- M. Patrick Abate, membre de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, dont le mandat de sénateur a cessé ;

- Mme Gisèle Jourda, membre de la commission des affaires européennes, en remplacement de M. Jean-Marc Todeschini, dont le mandat de sénateur a cessé.

12

Nomination d’un membre d’une délégation sénatoriale

M. le président. Je rappelle au Sénat que le groupe Union pour un mouvement populaire a présenté une candidature pour la délégation sénatoriale aux entreprises.

Le délai prévu par l’article 8 du règlement est expiré.

La présidence n’a reçu aucune opposition.

En conséquence, je déclare cette candidature ratifiée et je proclame Mme Patricia Morhet-Richaud membre de la délégation sénatoriale aux entreprises, en remplacement de M. Jean-Yves Dusserre, décédé.

Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

13

Autorisation de prolongation de l'intervention des forces armées en Irak

Débat et vote sur une demande du Gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle un débat sur la demande du Gouvernement d’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en Irak, en application du troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution, suivi d’un vote sur cette demande d’autorisation.

La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, par coïncidence, c’est le même jour que le Parlement est appelé à débattre avec le Gouvernement de la situation en matière de terrorisme, des actions d'ores et déjà engagées et restant à engager face à cette menace, et à se prononcer sur la demande d’autorisation de prolongation de l’intervention de nos forces armées en Irak.

En effet, c’est le 19 septembre dernier que le Président de la République a décidé de faire intervenir nos forces armées dans ce pays, à la demande des autorités irakiennes, confrontées à une organisation terroriste du nom de Daech.

Le 24 septembre, j’avais eu l’occasion, dans cette enceinte, de vous exposer les motifs et les conditions de l’engagement de nos moyens de défense, dans le cadre d’une coalition internationale. Depuis lors, aussi bien mon collègue ministre de la défense que moi-même nous sommes tenus à votre disposition pour vous apporter des informations sur la situation, chaque fois que vous l’avez souhaité.

Si nous sommes intervenus en Irak, c’est parce que, depuis la chute de Mossoul, Daech avait réussi à contrôler près du tiers du territoire irakien et à maîtriser les principaux points de communication et les axes stratégiques, ce qui menaçait la capitale, Bagdad. La stabilité de l’Irak était donc en cause. Son existence même était en danger et le risque, à l’époque, était une déstabilisation profonde de toute la région et, au-delà, de l’Europe et de notre pays, la France.

À cette occasion, Daech, qui n’était pas tellement connu jusque-là, révélait au monde son véritable visage, celui d’une organisation criminelle, ultraviolente et, au sens étymologique, sectaire. Daech, c’est le synonyme du chaos, avec des pillages, des massacres, des décapitations, mais aussi des prises d’otages, de l’esclavagisme, des viols, le commerce des femmes, des persécutions contre les minorités, avec le choix terrible laissé aux sunnites de se rallier ou de mourir, ou encore la traque permanente des chiites, sans parler de la situation des chrétiens et des yézidis. J’ai eu l’occasion de débattre de ces questions avec plusieurs d’entre vous.

Nous devions donc agir pour affaiblir Daech, par conséquent le terrorisme, et pour permettre aux Irakiens de restaurer, si cela était possible, la souveraineté de leur pays.

J’en viens au point essentiel de mon intervention – peut-être y aura-t-il débat entre nous sur ce sujet, auquel cas vous pouvez compter sur moi pour vous répondre : nous devions également agir là-bas pour nous protéger ici.

M. Laurent Fabius, ministre. En effet, à rebours de l’illusion que le terrorisme connaîtrait des frontières et à l’inverse du raisonnement selon lequel c’est parce que nous sommes là-bas qu’il y a du terrorisme ici, nous sommes là-bas parce qu’il y a du terrorisme là-bas ! Nous devons être très précis sur ce point – c’est normal dans une démocratie –, en particulier en ce moment.

Les objectifs qui étaient les nôtres lors de l’intervention et que vous aviez approuvés au mois de septembre dernier n’ont pas changé. À cet égard, nous devons poursuivre l’action engagée – je vais essayer de le montrer –, car, si des coups majeurs ont été portés, notre mission n’est pas achevée.

Mesdames, messieurs les sénateurs, c’est donc juridiquement en application de l’article 35 de la Constitution que, au nom du Gouvernement, je sollicite votre autorisation de donner à nos armées le mandat de poursuivre leurs opérations.

Je m’efforcerai de ne pas être très long, surtout après les très justes considérations qui viennent d’être émises sur le terrorisme, par vous-mêmes et par mon collègue et ami Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur.

Quels sont les résultats obtenus ?

En quatre mois, de premiers résultats militaires ont été atteints. L’offensive d’envergure qui avait été lancée par Daech l’été dernier a été stoppée. Un certain nombre de territoires qui avaient été conquis ont été repris. Toutefois, restons prudents : ces premiers résultats restent, dans une certaine mesure, fragiles. Nous les devons à l’action d’une large coalition, coordonnée par les États-Unis d’Amérique. Cette coalition a été renforcée avec la participation d’un certain nombre de partenaires d’Europe, d’Asie, d’Océanie et du Golfe. En tout, elle regroupe plus de soixante nations, dont une trentaine a engagé directement des moyens militaires.

Bien évidemment, je veux saluer l’engagement tant de nos soldats – à peu près une centaine sur place – à faire la démonstration de leur courage et de leur compétence d’une façon magnifique, que de ceux de pays européens et arabes qui avancent côte à côte avec eux.

Après quatre mois d’opérations contre Daech, le rapport de forces sur le terrain a été modifié, en particulier ces dernières semaines. Mais il faut l’inverser durablement.

En effet, l’organisation terroriste conserve l’essentiel de son potentiel militaire. Elle a adapté ses modes d’action et consolidé un certain nombre de ses positions défensives – vous avez la carte à l’esprit –, et la menace qu’elle fait peser, en particulier à l’ouest de Bagdad, demeure préoccupante.

Quant à notre dispositif, il est monté progressivement en puissance. La représentation nationale est informée sur ce point, en toute transparence. Après une première phase de déploiement, le Président de la République a décidé d’adapter nos moyens à l’évolution de la situation des forces irakiennes. Aujourd’hui, quinze avions de combat, Rafale et Mirage 2000, sont engagés dans les opérations. Ils interviennent depuis les Émirats arabes unis et la Jordanie. Des moyens de soutien au ravitaillement en vol, à la détection et à la collecte de renseignements sont aussi déployés.

Depuis la mi-septembre, nos avions ont réalisé plus de trois cents missions. Ils ont effectué notamment trente-quatre frappes contre des infrastructures, des véhicules et des postes de combat. Ces opérations aériennes ont contribué à affaiblir le potentiel des terroristes et permis d’obtenir des renseignements, en particulier sur les combattants en provenance de l’étranger.

En plus de ces opérations aériennes, la France participe, avec d’autres pays partenaires, à la fourniture d’armement, ainsi qu’au conseil et à la formation des combattants kurdes. Au total, une centaine de formateurs français sont sur place – je donne cette précision, parce qu’il existe parfois une confusion dans les chiffres. Dans les pays circonvoisins, notre dispositif représente un millier de personnes. La France est donc, après les États-Unis, l’un des pays les plus impliqués au sein de la coalition.

Ce dispositif continuera d’évoluer : les militaires français vont participer à des missions de formation de l’armée irakienne et le porte-avions Charles de Gaulle, qui fait sa tournée annuelle vers l’Inde, pourrait être présent dans le Golfe arabo-persique.

J’aborderai maintenant un point sur lequel nous sommes, je pense, tous d’accord, mais qu’il importe de rappeler : nous avons décidé d’intervenir avec nos moyens aériens parce que c’était nécessaire. Cependant, nous le savons tous, la stabilité de l’Irak et celle de la région ne sauraient être obtenues uniquement par des moyens militaires. Une stratégie politique d’ensemble est indispensable. Et cette remarque vaut pour tous les conflits : les précédents qui se sont déroulés nous l’enseignent.

Tout d’abord, en Irak, l’action de la coalition sur le terrain ne peut venir qu’en appui d’un processus politique. Au cours des derniers mois, la situation politique s’est stabilisée. Le nouveau Premier ministre, Haider al-Abadi, a constitué un gouvernement ouvert à toutes les composantes politiques et ethniques. C’est maintenant un immense travail de reconstruction qui doit être entrepris ; il a d’ailleurs commencé, mais les chantiers sont considérables : réforme et modernisation de l’appareil de sécurité, lutte contre la corruption, mise en place d’un nouveau cadre fédéral garantissant le maintien de l’unité de l’Irak tout en permettant la représentation équitable des différentes communautés – ce que l’on appelle, en recourant à un anglicisme, une « pratique inclusive » – et, bien sûr, reconstruction économique.

La France est aux côtés du nouveau gouvernement irakien pour la mise en œuvre de ce programme. Le Président de la République a fait part de notre soutien au Premier ministre irakien lorsque nous l’avons reçu au mois de décembre dernier. L’action diplomatique que je mène, qui doit être conduite en parallèle de l’action proprement militaire, va également dans ce sens.

Vous le savez, la France concentre son action sur le théâtre irakien. Nous avons fait le choix – certains le discutent, mais nous le confirmons – de ne pas mener de frappes aériennes en Syrie. Cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faille rien faire, et nous agissons notamment en soutenant fortement l’opposition modérée. C’est aussi le choix de nos partenaires européens, à l’exception de nos amis britanniques. Bien évidemment, la situation des villes assiégées, comme Kobané et Alep, ne laisse aucun d’entre nous indifférent, et nous sommes actifs. Mais notre ligne demeure la même et le Premier ministre la résumait tout à l’heure à l’Assemblée nationale par cette formule : « ni Bachar, ni Daech ».

Je précise qu’il n’est évidemment pas question de soutenir si peu que ce soit le groupe terroriste Daech, mais il serait illusoire de croire que nous parviendrions à le combattre durablement si l’autre terme de l’alternative est de maintenir éternellement au pouvoir M. Bachar al-Assad. Le choix offert à la population ne peut se limiter à, d’un côté, des terroristes, de l’autre, un pouvoir qui a facilité le terrorisme. Car, rappelez-vous, pour une bonne part, ces terroristes ont été sortis des prisons par le dictateur. Cela reviendrait à la fois à mener un combat et à épauler en permanence ces deux parties.

Entendons-nous bien : il faut mener la lutte et avoir une perspective politique. Nous y travaillons avec les Nations unies, bien sûr, mais aussi avec les Russes et d’autres pays. Même si c’est extrêmement difficile, l’objectif est d’arriver à une solution politique comprenant certains éléments du régime – faute de quoi tous les piliers de l’État s’effondreraient, comme ce fut le cas antérieurement – et d’autres de l’opposition que l’on qualifie de « modérée », afin que toutes les communautés soient représentées – alaouite, chrétienne et autres – et que l’on parvienne à une Syrie unie où chacun soit respecté.

Donc, ne nous trompons pas, si le présent débat concerne l’aspect militaire, notre objectif reste politique. En Syrie, nous affichons, si je puis dire, clairement la couleur : il n’est absolument pas question de nous désintéresser du problème, d’être naïf – aucun de nous ne l’est –, mais il s’agit de trouver une solution, ce qui est très difficile, puisque les négociations de Genève I puis de Genève II ont échoué. Avec nos partenaires, nous continuons à travailler dans cette direction, à savoir une approche politique et militaire.

Je tenais à être précis en la matière, car j’entends parfois, ici ou là, des approximations. Selon certains, Daech étant composé de terroristes, nous devrions oublier les reproches que nous pouvons faire à M. Bachar al-Assad et nous précipiter pour l’étreindre. La réalité, vous le comprenez, est bien plus complexe.

C’est à cette complexité qu’entend répondre la position de la France. Notre choix n’est absolument pas synonyme d’immobilisme. Nous soutenons l’opposition syrienne qui combat les groupes djihadistes. Nous nous tenons prêts, aux côtés de nos partenaires, à mener des actions renforcées en matière de formation et d’équipement.

En Syrie comme en Irak, il n’y a pas d’alternative : seule une solution politique passant par un régime de transition comprenant toutes les forces qui veulent reconstruire une nouvelle Syrie est possible, mais celui-ci ne pourra pas durablement inclure M. Bachar al-Assad. Nous devons travailler en ce sens avec les Nations unies, nos partenaires américains, les États voisins, mais aussi avec les Russes.

Agir, c’est également continuer notre mobilisation sur le plan humanitaire. Le travail est considérable. Les pays de la région – je pense au Liban, à la Jordanie, notamment – consentent d’énormes sacrifices pour accueillir des réfugiés syriens. Vous avez reçu comme moi des amis libanais venus nous décrire la situation. L’un d’entre eux me disait que si la France accueillait une proportion de réfugiés syriens aussi élevée que celle qu’accepte le Liban, près de 20 millions de personnes seraient concernées. Imaginez ce que cela signifie d’un point de vue économique, politique et social. Cette situation est épouvantable.

Notre devoir est d’assister ces populations. Nous avons déjà livré des centaines de tonnes d’aide humanitaire. Ce chiffre peut sembler élevé ; il est dérisoire par rapport aux besoins. Je remercie le Sénat tout entier d’être attentif et extrêmement actif en la matière. Nous continuerons aussi à accueillir en France, au titre de l’asile, des familles syriennes et irakiennes appartenant aux minorités pourchassées. C’est l’honneur de notre pays.

Pourquoi faut-il poursuivre dans cette voie ?

Les interventions militaires, comme les solutions politiques, ne peuvent malheureusement pas donner de résultats immédiats. Il faut être lucide, en l’espèce comme sur le thème, très lié, abordé tout à l’heure par Bernard Cazeneuve à cette tribune : réduire Daech est un objectif que nous devons atteindre, mais qui prendra du temps. Nous sommes donc engagés dans la durée. Quitter nos partenaires aujourd’hui serait plus qu’un échec : ce serait abandonner l’Irak et ses populations aux terroristes, des assassins dont l’ambition territoriale n’a aucune limite.

Là encore, évitons les réactions par réflexe que certains de nos compatriotes qui n’ont pas vu l’ensemble du problème peuvent adopter. Je veux rappeler que le drame de Toulouse, que chacun de vous a à l’esprit, s’est produit à un moment où la France n’était présente ni au Mali ni en Irak. Il faut donc faire très attention. Nous sommes confrontés malheureusement à un phénomène international face auquel nous devons faire preuve d’une grande détermination.

Daech a un programme : exporter la terreur partout, répandre le crime dans le monde, menacer nos sociétés. Aujourd’hui, nous voyons les conséquences de son plan : le Liban fragilisé par le poids des réfugiés, la Jordanie et la Turquie subissant de plein fouet le contrecoup de la crise syrienne.

Parce que les terroristes continuent de tuer, de massacrer, d’exterminer, nous devons poursuivre notre tâche.

Parce que le terrorisme continue de menacer l’équilibre de la région et de déstabiliser, ce faisant, les pays voisins tout comme le nôtre, nous devons poursuivre notre action.

Parce que Daech continue de vouloir recruter, former des terroristes – dont des Européens et des Français – pour nous frapper, pour semer la terreur et la destruction sur notre sol, nous devons aussi poursuivre notre stratégie.

Parce que la mission n’est pas terminée et parce que nous ne devons abandonner ni nos partenaires ni les Irakiens, nous devons poursuivre notre action.

Nous la poursuivrons aussi au Sahel. Nos inquiétudes se tournent vers la Libye, dont les déserts immenses et non contrôlés du sud deviennent un nouveau repaire pour le terrorisme djihadiste, ainsi que vers la région du bassin du lac Tchad, où prospère dangereusement la secte Boko Haram qui sème la terreur – ce fut encore le cas ces tout derniers jours – en commettant des crimes effrayants non seulement au Nigeria, mais aussi au Cameroun et dans les pays voisins.

Une nouvelle fois, je veux saluer nos soldats présents dans de nombreuses régions que j’ai citées ; ils accomplissent au nom de la France et de l’humanité un travail absolument magnifique.

La question gravissime du terrorisme a été évoquée ces jours derniers, puis tout à l’heure dans cette enceinte – M. Cazeneuve a bien décrit la situation – comme à l’Assemblée nationale par M. le Premier ministre. Vous connaissez les chiffres, mesdames, messieurs les sénateurs : à ce jour, près de quatre cents individus, français ou résidents français, combattent à l’étranger. Soixante-sept sont morts récemment au cours de combats. Certains de nos compatriotes sont malheureusement impliqués dans les atrocités commises par Daech. D’autres participent à la propagande et appellent à commettre des attaques sur notre territoire. Face à cela, il nous faut agir avec sang-froid, discernement et détermination.

Nous avons abordé les moyens précédemment. Vous aurez l’occasion d’y revenir au cours des prochaines semaines. Nous entendons les adapter à l’évolution de la menace. Mais nous le savons, au-delà des moyens, ce qui compte, c’est la profonde détermination de la population française. La démocratie ne combat jamais aussi efficacement le terrorisme qu’en promouvant ses valeurs, la liberté, l’égalité et, cela a été rappelé à juste titre, la laïcité.

L’épreuve que nous venons de vivre est aussi une invitation à un sursaut, et elle doit nous rendre encore plus forts.

Je sors un instant du sujet pour vous livrer simplement cette remarque, mesdames, messieurs les sénateurs : cette image du quart des dirigeants de la planète rassemblés dimanche autour des plus hautes autorités françaises me fait dire que la France est bien la patrie des libertés et que, lorsque l’on touche aux libertés de la France, on touche aux libertés de tous les pays ! Je pense que ce sentiment a également été ressenti profondément par chacune et chacun d’entre vous, et assurément par tous nos compatriotes.

J’ajoute qu’un grand pays, c’est un pays uni – vous en donnez d’ailleurs une belle illustration cet après-midi, mesdames, messieurs les sénateurs. L’unité de la République, c’est aussi la réponse que nous devons apporter au terrorisme.

Le choix ayant été fait, pour les raisons que j’ai indiquées, d’engager des soldats français à l’extérieur de nos frontières – ce n’est jamais une décision qui se prend à la légère, puisque, derrière elle, ce sont des femmes et des hommes qui s’exposent pour nous protéger –, il vous est demandé ce soir de juger, avec nous, que cette décision est, malheureusement, toujours nécessaire, car la guerre contre le terrorisme est un combat de longue haleine.

C’est la raison pour laquelle je sollicite votre assemblée, au nom du Gouvernement de la République, afin de permettre à la France d’agir conformément à ses valeurs et à ses intérêts.

Je vous demande donc d’autoriser nos armées à poursuivre leurs opérations en Irak, au service des valeurs auxquelles nous croyons, des valeurs qui font par ailleurs l’unité de la France, au service de la démocratie et de la liberté. (Applaudissements.)

M. le président. J’indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé, à raison d’un orateur par groupe, à quinze minutes le temps attribué au groupe UMP et au groupe socialiste, et à dix minutes le temps attribué aux autres groupes, les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe disposant de cinq minutes.

Je rappelle que les interventions des orateurs vaudront explication de vote.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Robert Hue, pour le groupe du RDSE.

M. Robert Hue. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, le débat sur la prolongation de l’opération Chammal en Irak intervient seulement quelques jours après les attentats terroristes tragiques qui ont coûté la vie à dix-sept personnes et blessé plusieurs autres de nos concitoyens.

Ce drame est d’abord celui de familles brutalement endeuillées, des familles auxquelles j’adresse ici solennellement toutes mes pensées, ainsi que celles de mes collègues du RDSE – je rejoins bien évidemment les propos du président Jacques Mézard, qui s’est exprimé au nom de notre groupe, dans le débat précédent, consacré précisément à ces attaques terroristes.

Qu’il me soit permis de souligner une nouvelle fois, mes chers collègues, que, dimanche, la France a offert au monde et à elle-même l’image de l’unité, de la solidarité et de la détermination. La mobilisation massive, d’une grande dignité, de millions de Français a montré une capacité certaine à la résilience.

Bien entendu, après le temps de l’émotion, nous devons passer, comme M. le ministre de l’intérieur l’évoquait précédemment, au temps de la réflexion et de l’action. Je sais toutefois que tel n’est pas l’objet de ce débat, même si ce dernier n’est pas sans lien avec ce que nous avons connu ces derniers jours sur le territoire national.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, la lutte contre le terrorisme, c’est aussi, bien sûr, un combat que nous devons mener à l’extérieur de nos frontières, en soutien aux États fragilisés par les groupes djihadistes et terroristes. Le dernier Livre blanc sur la défense le rappelait clairement : « La possibilité que des territoires échappent durablement au contrôle d’un État est un risque stratégique de première importance pour l’Europe. » Nous y sommes !

Aussi, au regard de la menace que représente l’établissement d’un califat dirigé par le groupe terroriste Daech, le Président de la République a décidé de lancer l’opération Chammal, en septembre 2014.

L’attachement profond au respect des droits de l’homme que chacun d’entre nous peut avoir impose des responsabilités lorsque ces droits sont bafoués. En répondant à la demande officielle des autorités irakiennes, la France a tenu son rôle.

Les atrocités commises contre des minorités religieuses et ethniques, en particulier contre les femmes, par les djihadistes de Daech dans leur progression jusqu’à Mossoul, ainsi que l’assassinat barbare de plusieurs otages occidentaux ont dicté la réaction de la communauté internationale.

Comme je l’ai souligné lors du débat qui s’est tenu le 24 septembre dernier, les visées expansionnistes d’un certain nombre dans la région et leur volonté farouche de réussir là où Ben Laden a échoué nécessitaient une réponse d’urgence, à la hauteur. Sans contester le principe de l’engagement d’une coalition internationale en Irak, monsieur le ministre, j’avais toutefois émis quelques réserves, d’ailleurs partagées par plusieurs de mes collègues, et je continue de penser que l’intervention de nos forces militaires, en Irak comme en Afrique, exige un engagement plus grand et plus significatif d’autres forces de la coalition, en particulier de nos alliés européens.

Après quatre mois de soutien aérien aux forces irakiennes, devons-nous poursuivre l’opération ?

Il est vrai que le délai est assez court pour que l’on puisse apprécier l’efficacité de cet engagement, tant la situation sur le terrain est complexe. Concrètement, comme l’indique régulièrement le ministre de la défense dans ses points de situation, et comme vous le soulignez aussi, monsieur le ministre, nos forces armées remplissent parfaitement chacune de leurs missions. Très récemment encore, des avions de chasse français ont participé avec succès à une opération d’envergure dans le mont Sinjar pour aider des réfugiés harcelés par Daech.

Mais, plus globalement, force est de constater que l’Irak n’a toujours pas retrouvé son intégrité territoriale, l’un des principaux objectifs de la résolution 2170. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, les frappes aériennes de la coalition internationale, conjuguées aux actions des forces de sécurité irakiennes et des peshmergas, ont permis de contenir les positions de Daech mais pas, hélas, de les faire reculer significativement.

Nous allons donc vers un engagement long. Vous ne l’avez d’ailleurs pas caché, monsieur le ministre. Mais l’on sait ce qu’il en coûte.

Sommes-nous en mesure d’assumer un conflit de longue durée alors que nous menons bien d’autres opérations sur des théâtres extérieurs ? Je pense, par exemple, à l’opération Barkhane en cours dans la bande sahélo-saharienne. Nous avons aussi de nombreux soldats en République centrafricaine dans le cadre de l’opération Sangaris.

À cela s’ajoutent, plus que jamais, les exigences intérieures liées au plan Vigipirate, qui nous ont été rappelées à l’instant encore. Dans l’Hexagone, le fameux « continuum sécurité-défense », promu dans le dernier Livre blanc, va être largement mis en œuvre, avec la mobilisation actuelle de 10 000 militaires pour parer au risque élevé d’attentats.

Tout cela est, bien sûr, légitime, mais va peser fortement sur notre format capacitaire. Nos forces armées sont déjà sous tension.

Nous avons déjà eu ce débat dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances, et je ne m’étendrai pas davantage, mais il n’est pas inutile de le rappeler, car nous faisons des choix qui, parfois, nous dépassent. Et c’est bien naturel. Nous voyons bien que les frappes aériennes ne vont pas suffire à déloger Daech. Or personne ne souhaite envoyer des troupes au sol. Même les Américains sont réticents, alors que, disons-le clairement, ils sont en grande partie responsables de la situation actuelle dans la région, depuis qu’ils ont mené leur guerre dite « préventive » en 2003 et qu’ils n’ont pas su, par la suite, gérer notamment les rapports entre sunnites et chiites.

J’en profite pour rappeler et saluer la décision courageuse prise à l’époque par le président Chirac, décision responsable qui, a posteriori, était la bonne, et plus encore au regard du chaos qui a finalement suivi le retrait américain.

Ce constat doit nous amener, comme je l’ai indiqué lors du premier débat, en septembre, à conduire une politique stratégique toujours plus clairvoyante et, surtout, à privilégier le temps long dans la gestion des conflits régionaux, sous peine d’entrer dans des contradictions qui ne font que compliquer la recherche de solutions politiques et diplomatiques.

Cela doit nous conduire à considérer que la voie diplomatique et politique appelle à renforcer plus encore nos relations avec les pays incontournables dans cette région : je pense naturellement à la Turquie et à l’Iran, deux grandes puissances régionales ; je pense aussi, dans un sens différent, au Qatar, à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, qui doivent sortir de leur comportement souvent ambigu ; je pense enfin à la Russie, qui est un interlocuteur majeur.

Mes chers collègues, si l’on peut et si l’on doit encore maintenir les frappes aériennes pour le moment, car la situation l’exige, nous devons avant tout soutenir les acteurs de la région dans la lutte contre les groupes terroristes, leur permettre de s’emparer d’un conflit qui les concerne en premier lieu et aider les populations locales, qui sont les premières victimes de la violence et de la barbarie.

Toutefois, attention à ne jamais confondre la responsabilité de protéger les populations avec le changement de régime, comme cela a été fait, par exemple, en Libye, avec le résultat que l’on sait et que l’on vit aujourd’hui. C’est ce que nous rappelions voilà un an à cette même tribune.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans ces conditions, au regard de ce qui se passe là-bas, mais aussi après ce qui est arrivé ici, les membres du groupe du RDSE voteront de façon unanime et responsable en faveur de la prolongation de l’intervention des forces armées françaises en Irak. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et de l’UMP)

M. le président. La parole est à M. Stéphane Ravier, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.

M. Stéphane Ravier. Monsieur le président, permettez-moi, en préalable à mon intervention, de saluer la mémoire d’un jeune lycéen de seize ans, Mickaël Asaturyan, sauvagement et mortellement poignardé à Marseille, alors qu’il sortait de son lycée. Je présente à sa famille et à ses proches mes plus sincères condoléances.

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, notre pays est en guerre. Son ennemi a un nom : le terrorisme islamiste, qui est l’instrument du djihad.

Il y a moins d’une semaine, le terrorisme islamiste a frappé notre pays en plein cœur. Les terroristes ont clairement revendiqué leur filiation avec Al-Qaïda et l’État islamique, qui contrôle de vastes territoires à cheval sur la Syrie et l’Irak.

Plus que jamais, aujourd’hui, la peur doit changer de camp et, pour cela, nous devons à notre tour aller frapper au cœur de l’épicentre de la terreur. Parler de notre intervention en Irak, c’est parler de la France, car nul ne peut plus nier que la menace est devenue intérieure et que cette menace a la même origine, ici et là-bas.

Mais, en préambule, je ne saurais décemment passer sous silence les responsabilités écrasantes qui sont les vôtres, et celles de vos prédécesseurs de l’UMP, dans la situation actuelle.

En effet, qui a laissé notre pays devenir une place forte des djihadistes, en abdiquant tout contrôle sérieux de nos frontières et en laissant les imams les plus radicaux fomenter la haine dans nos quartiers ? C’est vous !

Qui a défilé dimanche dernier à Paris aux côtés de représentants des pays du Golfe qui abritent les sponsors du djihad mondial, ou encore la Turquie de Recep Erdogan, allié objectif de l’État islamique par peur de l’autonomisme kurde ? C’est encore vous !

M. Jeanny Lorgeoux. C’est le peuple de France !

M. Stéphane Ravier. Qui a fait le lit de l’islamisme le plus violent en déstabilisant tout le Proche-Orient au nom de faux prophètes médiatiques les cheveux au vent et de leur idéologie mondialiste, à l’opposé de toutes les réalités locales ? C’est toujours vous !

Nous seuls avions prédit, avec Marine Le Pen, que la stratégie atlantiste des changements de régime, que vous avez appelés « printemps arabes », déboucherait inévitablement sur des hivers islamistes. Les régimes autoritaires alors en place n’étaient certes pas des parangons de vertu politique, mais ils étaient préférables au chaos et à la violence fanatique qui les ont remplacés. Ils étaient également préférables au régime que vous soutenez toujours dans la péninsule arabique. Ces financeurs du djihad ont largement contribué à plonger la Syrie et l’Irak dans la situation actuelle.

C’est à partir de la Syrie, où vous l’avez laissé prospérer contre le régime, que l’État islamique a pu mettre la main sur des pans entiers de l’Irak. Dans ces régions, il pratique un véritable génocide des chrétiens d’Orient et d’autres minorités. Ce génocide, mes chers collègues, vous ne pourrez pas dire que vous ne le connaissiez pas !

Face à cela, qu’aurons-nous fait aux yeux de l’Histoire ? Nous intervenons en appui des forces irakiennes et kurdes, au moyen d’une quinzaine d’avions de combat et de deux bâtiments de la marine nationale. Le porte-avions Charles-de-Gaulle doit quitter Toulon cette semaine, et vous avez annoncé le 17 décembre dernier, devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat, l’envoi de 120 soldats français aux côtés des forces de sécurité irakiennes et kurdes. Cela fait de nous le deuxième contributeur à la coalition, devant les Britanniques, ces mêmes Britanniques qui, à cause de leur intervention en 2003 aux côtés des États-Unis, portent une lourde responsabilité dans la déstabilisation de la région.

Toutefois, le poids militaire de la coalition reste relativement mesuré, et ses forces n’arrivent toujours pas à stopper l’armée djihadiste de Daech.

Nous voterons donc la prolongation de notre intervention, mais nous pensons qu’il faut aller plus loin si nous voulons non seulement honorer notre rôle multiséculaire de protecteurs des chrétiens d’Orient, mais aussi, tout simplement, protéger les Français en France. La priorité de notre pays est d’éliminer ce cancer de l’islamisme armé et ses métastases qui s’étendent jusque sur notre sol, et de permettre ainsi aux populations déplacées de revenir chez elles vivre en paix.

Je n’ignore pas que les modalités d’intervention relèvent de l’exécutif, mais, pour être efficace, vous allez devoir revenir sur certains de vos choix, qui ont eu des conséquences gravissimes. Vous devez de toute urgence cesser de dépouiller nos armées de leurs moyens humains et financiers. Vous leur demandez toujours plus avec toujours moins de moyens, non seulement pour les opérations extérieures, mais aussi, désormais, sur le territoire national. Avec le déploiement de 10 000 hommes sur notre sol, la France est aujourd’hui notre premier théâtre d’opérations. Vous l’avez dit vous-même, il s’agit d’une « véritable opération intérieure » sans précédent.

Vous devez exiger de la Turquie qu’elle soit enfin claire dans son appui contre l’État islamique, au lieu d’utiliser ce dernier contre les Kurdes. Vous devez tirer toutes les conséquences de la continuité territoriale entre la Syrie et l’Irak, qui constitue une vaste bande incontrôlable où l’État islamique prospère sur fond de trafics. Vous devez également reprendre un dialogue soutenu avec le régime syrien, non pas pour le sanctifier ou l’absoudre, mais tout simplement pour réduire notre ennemi premier, qui est un ennemi commun.

J’ajoute que ce dialogue, qui implique les autres grandes puissances – les États-Unis et la Russie –, doit prendre en compte les spécificités régionales. De grâce, cessons de vouloir dupliquer nos propres institutions et faisons enfin preuve de réalisme dans des pays qui n’ont pas les mêmes traditions politiques que les nôtres.

Il est urgent et légitime de prolonger notre intervention en Irak, mais aussi d’agir en Syrie et de monter en puissance jusqu’à ce que cette région ne soit plus un sanctuaire et un camp d’entraînement géant pour ces djihadistes qui nous ont si durement frappés dans notre chair.

(M. Claude Bérit-Débat remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Claude Bérit-Débat

vice-président

M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou, pour le groupe UDI-UC.

M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, nous fûmes totalement pris par surprise. Comment près de 200 000 kilomètres carrés d’Irak et de Syrie ont-ils pu être conquis en quelques semaines ? Comment Mossoul, deuxième ville d’Irak, avec 3 millions d’habitants, a-t-elle pu être prise en quelques heures ? D’où est issue cette force motorisée, comment toute cette logistique a-t-elle pu être mise en place ? Certes, il y a eu des prises de guerre au détriment des armées syriennes et irakiennes, mais personne n’imaginait une telle montée en puissance. La carence des services de renseignement occidentaux est vraiment stupéfiante, et très alarmante.

Nous fûmes donc contraints de déclencher l’opération Chammal dans l’urgence. Notre réaction fut émotionnelle et improvisée. Maintenant, nous devons nous engager dans une action réfléchie, en coordonnant tous les adversaires de Daech autour d’un seul objectif : le détruire.

Oui, il faut détruire Daech, pour des raisons humanitaires, afin de protéger les populations locales, faire cesser les massacres abominables de milliers de chrétiens, de yazidis, de sunnites modérés et de chiites, faire cesser les viols et le commerce de petites filles.

Il faut détruire Daech, pour des raisons de sécurité intérieure. Combien de Kouachi, combien de Coulibaly sont présents sur notre sol, équipés de kalachnikov, de RPG ou d’explosifs par des cellules dormantes, prêts à exécuter des policiers, des juifs, des journalistes ? Nous n’en savons rien.

On évalue entre 1 000 et 1 500 le nombre de djihadistes français de Daech. Ils sont sans doute plus, selon les Kurdes qui les affrontent. En effet, on peut se rendre en Irak et en Syrie par avion et être repéré, mais aussi en voiture, en train ou en bateau sans l’être. Mes chers collègues, on ne peut être que très alarmé par un sondage, même indicatif, selon lequel 25 % des 18-25 ans éprouveraient de la sympathie pour Daech. Mes chers collègues, 25 %... !

Daech a su s’adapter aux frappes aériennes en se mêlant à la population des villes et des villages. Il est donc absolument impossible de l’éradiquer sans forces au sol.

Quelles sont les forces au sol qui peuvent être mises en œuvre ? On a constaté à Mossoul la piètre qualité de l’armée irakienne. On ne peut pas compter sur les forces des pays du Golfe et de l’Arabie saoudite : non seulement elles sont peu importantes, mais, en outre, comme elles sont composées de sunnites, elles ne se battront pas contre d’autres sunnites aux côtés de chiites.

Les États-Unis ne veulent que positionner des forces spéciales et acheminer des équipements lourds pour les peshmergas, car le président Obama craint trop l’enlisement et ne rééditera pas les erreurs commises en Afghanistan ou la désastreuse campagne d’Irak.

Les forces britanniques, qui se sont épuisées sur ces mêmes théâtres d’opérations, ne peuvent ni ne veulent envoyer de troupes au sol.

Quant à la France, les opérations extérieures absorbent la quasi-totalité de nos forces disponibles et, même si nous le voulions, il nous serait impossible de faire plus que l’envoi de quelques conseillers et de forces spéciales.

Pour éliminer Daech, nous devons remettre en cause un certain nombre d’a priori et ne pas oublier la responsabilité de ceux de notre camp qui ont contribué à sa genèse.

Quelles sont les forces qui peuvent se battre au sol ? Les Kurdes. Nous fournissons des armes lourdes et des conseillers aux Kurdes d’Irak, les peshmergas. Ils sont en phase de reconquête de leur territoire. Cependant, comme ils sont en état de paix depuis 2003, ils ont, hormis la garde présidentielle, perdu une partie de leur efficacité. Sous la poussée de Daech, après la prise de Mossoul, Erbil aurait pu et même dû tomber. C’est la garde présidentielle du président Barzani, appuyée par le PKK et renforcée par les armes lourdes iraniennes et les frappes américaines, qui a brisé l’offensive. Ce sont ces combattants qui ont évité, avec leur branche syrienne du PYD, que Kobané ne soit prise.

Le PKK est la force la plus efficace sur le terrain, mais nous ne coopérons avec lui que de façon occulte, car il est considéré comme une organisation terroriste. En effet, depuis trente ans, un conflit très meurtrier l’oppose au gouvernement turc. Ce conflit a fait près de 45 000 victimes – des soldats turcs et des membres du PKK –, mais aussi provoqué la destruction de 4 000 villages kurdes.

Le terrible danger que représente Daech et notre objectif d’efficacité doivent amener notre diplomatie à œuvrer pour que les négociations de paix qui se déroulent entre le PKK et la Turquie aboutissent. Nous devons aussi convaincre la Turquie de participer activement, ne serait-ce qu’en raison de sa longue frontière avec les théâtres d’opérations. Ce sont là des éléments majeurs pour venir à bout de Daech.

Ayons en mémoire, pour contribuer à sortir le PKK de la liste des organisations terroristes, que la frontière entre résistants et terroristes s’efface souvent dans le temps. Rappelons-nous que l’Israélien Menahem Begin et le Palestinien Yasser Arafat, d'abord considérés comme des terroristes et pourchassés en tant que tels, reçurent tous deux le prix Nobel de la paix !

Les peshmergas, le PKK et le PYD ont stoppé l’offensive de Daech, mais ils ne sont pas en mesure de reconquérir les 200 000 kilomètres carrés qu’il contrôle. La seule force capable de le faire, c’est l’Iran.

L’Iran lutte en Syrie contre l’armée islamique par l’intermédiaire du Hezbollah. Il effectue des frappes aériennes en Irak et approvisionne les milices chiites en armes. Les pasdarans sont présents en nombre ; la mort d’un de leurs généraux démontre l’importance de leur engagement.

Nous avons hérité de relations exécrables avec l’Iran, en partie pour des raisons valables, mais aussi pour des raisons moins convaincantes : elles ont surtout pour origine la révolution islamique de 1979.

Faire la guerre pour la gagner, c’est porter au plus haut le pragmatisme. Pour éradiquer Daech, quelle autre solution qu’une coordination avec l’Iran ? Une telle coordination sera certainement difficile, car elle représentera un véritable aggiornamento pour notre diplomatie. Ajoutons-y le très sensible dossier nucléaire.

Cependant, cette coordination serait pragmatique et courageuse. Elle incarnerait à nouveau la capacité de notre diplomatie à s’émanciper qu’ont démontrée en leur temps le général de Gaulle, en reconnaissant la Chine, en 1962, en pleine guerre du Vietnam, et le président Chirac, en refusant de participer à la guerre contre l’Irak, en 2003.

Faisons preuve d’autonomie. Quel est notre poids dans la coalition ? Participons-nous aux décisions ? Notre contribution militaire, fortement symbolique, n’est aujourd’hui que mineure, mais nous pouvons jouer demain un rôle politique majeur par notre action diplomatique.

Dans notre action pour coordonner les acteurs, nous devons introduire aussi la Russie et la Turquie dans le débat. Nous devons avoir la volonté d’engager des négociations avec l’Iran, puissance régionale incontournable avec laquelle nous entretenions des liens privilégiés. Nous devons l’inciter et l’aider à trouver sa place dans le débat international ; cela permettrait en outre d’améliorer le respect des droits civiques à l’intérieur du pays.

M. Aymeri de Montesquiou. Malgré notre hostilité au régime de Bachar al-Assad, nous devons, comme nos alliés, élargir les frappes aériennes à la Syrie, sous peine de faire de ce pays un sanctuaire pour Daech. Il faut savoir choisir !

Poursuivons l’opération Chammal en l’élargissant donc à la Syrie, poursuivons les livraisons directes d’armes lourdes aux Kurdes d’Irak, la présence des forces spéciales et les frappes aériennes. Participons bien sûr à la reconstruction de l’armée irakienne, et coordonnons-nous avec les forces locales, ennemies irréductibles de Daech : les peshmergas, le PKK, le PYD et l’Iran. C’est notre seule option pour que notre action humanitaire et sécuritaire en Irak tourne à notre avantage.

M. Aymeri de Montesquiou. La guerre est le domaine où le pragmatisme est le plus nécessaire. Nous devons réaliser que, si nous nous refusons à coopérer avec les Iraniens et à agir en Syrie, l’opération Chammal ne connaîtra pas de fin. Aujourd’hui, la guerre est sur notre sol. Pour la gagner en France, il faut d’abord la gagner en Irak et en Syrie. C’est pourquoi le groupe UDI-UC votera la prolongation de notre intervention en Irak. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC, ainsi que sur certaines travées de l’UMP, du RDSE et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour le groupe UMP.

M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les secrétaires d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, lors du débat précédent sur les attaques terroristes, nous avons tous tenu à saluer, pour leur rendre hommage, les forces de l’ordre.

En cet instant, je veux également rendre hommage à celles et ceux de nos soldats qui sont engagés non seulement en Irak, mais également sur d’autres théâtres d’opérations. Je souhaite aussi saluer nos diplomates, monsieur le ministre des affaires étrangères, ces hommes et ces femmes qui composent notre réseau diplomatique et qui font preuve, comme nos forces armées, d’un très grand courage. Pour connaître certains de nos diplomates, je puis vous assurer que, à leur façon, ce sont aussi des soldats, les soldats de l’idéal, comme aurait dit Georges Clemenceau.

Le Gouvernement nous demande aujourd’hui de l’autoriser à prolonger l’engagement français en Irak, ce qui, à mon sens, nécessite de répondre à deux questions.

Existe-t-il aujourd’hui des éléments qui contredisent l’analyse qui nous a amenés à cet engagement ?

Si la réponse est négative, et si donc cet engagement conserve son bien-fondé, pouvons-nous dire que les moyens et les modalités que nous avons définis sont proportionnés aux objectifs que nous nous sommes donnés et qu’ils nous permettront de les atteindre ?

S’agissant tout d’abord du bien-fondé de notre intervention, il m’apparaît aujourd’hui évident que nous devons absolument remettre en perspective l’engagement international avec les attentats perpétrés sur le sol français, au cœur de l’Île-de-France, la semaine dernière.

Si vous me le permettez une digression un peu personnelle, je vous dirai comment s’est forgée ma conviction sur la nécessité de cette opération. Monsieur le ministre des affaires étrangères, souvenez-vous, nous en avons discuté ensemble dans votre bureau.

C’était au mois d’août dernier et j’étais sans doute un des tout premiers parlementaires à me déplacer, après vous, en Irak. Daech venait de conquérir une très grande partie de la plaine de Ninive qui est, je vous le rappelle, l’un des grands berceaux de la civilisation, mais aussi Mossoul, Karacoch, grande ville chrétienne. À Erbil, au Kurdistan irakien, j’ai vu s’entasser par milliers des enfants, des vieillards, des femmes et des hommes, dans des églises, dans des appartements encore en construction, sur le moindre terrain vague.

Je les ai entendus et je les ai vus, la peur au ventre, l’effroi marquant leurs regards, leurs visages. Bien sûr, les médias ont relayé ces images et ces témoignages, qui nous ont permis, intellectuellement au moins, d’appréhender l’étendue du désastre, mais lorsque vous êtes en présence d’hommes et de femmes, en chair et en os, qui racontent ce qui vient de leur arriver, le ressenti est absolument différent. Grâce à ces personnes, j’ai compris que nous étions en présence d’une radicalité absolue, que j’ai qualifiée, après d’autres, d’islamo-fascisme, une forme de totalitarisme caractérisée par la haine de l’autre.

Aussi, j’ai immédiatement eu la conviction qu’il fallait impérativement que mon pays, la France, terre de liberté qui a encore une ambition diplomatique internationale, puisse contribuer à l’éradication de Daech, non seulement au nom de nos intérêts vitaux et de notre qualité de membre du Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi pour toutes ces minorités, chrétiennes et yazidies.

Mes chers collègues, nous devons agir au nom de nos valeurs, pas seulement les valeurs françaises ou occidentales, mais les valeurs de toute l’humanité, les valeurs universelles.

Cette certitude qu’à quelques heures de Paris se met en place une base terroriste d’une puissance inégalée, qui s’appuie sur un quasi-État, avec une armée et des moyens financiers considérables, m’amène à penser que la réponse au terrorisme ne peut être que globale.

L’engagement français en Irak est aussi le prolongement naturel du combat que nous menons sur notre sol. Aussi, bien sûr, le groupe UMP soutiendra et votera cette demande d’autorisation de la prolongation de l’engagement des forces françaises en Irak.

Néanmoins, ce soutien à la prolongation de l’intervention ne nous exonère pas collectivement de l’obligation d’en discuter les objectifs et d’en connaître les modalités.

Quels sont ces objectifs ? Les premières frappes américaines, puis françaises, ont d’abord eu pour but de stopper Daech, d’empêcher que l’État islamique ne s’empare de Bagdad et d’Erbil, ce qui aurait entériné de fait la disparition de l’Irak. Désormais, l’objectif est l’élimination, l’éradication de Daech, avec les problèmes qu’une telle entreprise peut poser.

Les buts sont clairs, mais est-ce que les moyens, les modalités sont proportionnés et nous permettront de les atteindre ?

Sur le plan militaire, la doctrine est la suivante : pas de présence au sol, recours aux frappes aériennes. Seulement, nous savons parfaitement, tout comme vous, monsieur le ministre des affaires étrangères, que nous n’obtiendrons pas l’élimination de Daech sans forces au sol. Je parle non pas de forces françaises ou américaines, ni même des forces issues de la grande coalition, mais des peshmergas, que nous devrons soutenir, et de l’armée irakienne. Il nous faudra aussi, à un moment ou à un autre, clarifier la situation à l’égard de la Syrie.

En parlant des modalités, ici, au Sénat, qui, voilà quelques mois, a refusé – et pour la première fois - de voter les crédits militaires, je ne peux que répéter nos interrogations et redire l’inquiétude que nous inspire le budget de la défense nationale, qui ne nous semble pas à la hauteur de ce que nous exigeons de nos soldats, les recettes n’étant pas garanties. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Monsieur le ministre des affaires étrangères, n’y voyez aucun désir de polémiquer, mais, au moment où le Président de la République et le Premier ministre demandent à 10 000 soldats français de se déployer dans la profondeur du territoire pour faire face à un danger intérieur imminent, cette question prend une particulière acuité. Nous devons nous en emparer pour mettre fin, à un moment ou à un autre, à cette ambiguïté. Si nous n’anticipons pas, nous n’en sortirons qu’à nos dépens.

S’agissant des modalités politiques, vous devez avoir à l’esprit qu’aucune victoire militaire n’est possible si elle n’est précédée de victoires politiques. Aussi, je suis heureux que le nouveau premier ministre, M. al-Abadi, que nous avons rencontré voilà quelques semaines avec le président Larcher, ait tiré les enseignements de l’action malheureuse de son prédécesseur. Il poursuit une politique d’unité et d’inclusion nationale de toutes les minorités et de toutes les confessions. Cela me paraît absolument fondamental pour que la paix civile règne dans l’Irak libre, pays qui doit se dresser comme un seul homme face à l’inhumanité de Daech.

J’en viens maintenant naturellement à la question diplomatique. À cet égard, je pense qu’il faudra sortir d’un certain nombre sinon de contradictions, du moins d’ambiguïtés à l’égard de pays qui nous seront utiles pour atteindre nos objectifs.

Il y a d’abord la Syrie, dont j’ai déjà parlé, et que vous avez tout à l’heure évoquée. La situation n’y est pas simple. Évidemment, il ne s’agit pas de légitimer Bachar al-Assad, mais, pour reprendre les propos tenus par Hubert Védrine devant la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat voilà quelques semaines, il s’agit d’établir une priorité.

L’art de la guerre est tout d’exécution, un art qui exige de hiérarchiser des priorités sans pour autant transiger avec les idéaux qui sont les nôtres et pour lesquels nos soldats sont envoyés là-bas. Aussi, il nous faut bien considérer qu’il n’y aura pas d’élimination de Daech si cette organisation n’est pas atteinte en sa tête, qui se trouve non pas sur le territoire irakien, mais sur le territoire syrien.

Nous sommes aussi dans l’ambiguïté avec d’autres pays sans lesquels, vous le savez parfaitement, il ne pourra pas y avoir de solution diplomatique et politique. Je veux parler, comme d’autres avant moi, de la Russie, de l’Iran et de la Turquie.

Pouvons-nous travailler avec la Russie et l’Iran pour atteindre notre objectif dans cet arc de terreur absolue et de conflits qui court de l’Afrique subsaharienne, avec Boko Haram, jusqu’à l’Afghanistan, sinon même jusqu’au Pakistan ? Je pense que la raison nous commande de dire oui, sans brader les exigences que nous devons avoir sur le nucléaire avec les Iraniens, sans brader les exigences que nous devons opposer, dans la crise ukrainienne, à ce grand pays qu’est la Russie.

Enfin, il y a la Turquie, qui est certes un grand pays de l’OTAN,…

Mme Michelle Demessine. Elle est ambiguë !

M. Bruno Retailleau. … mais qui interdit toujours à la grande coalition, dont elle fait partie, de faire décoller ses avions des bases aériennes turques.

Pourtant, à mon sens, les Kurdes ne peuvent pas être mis au même niveau que les terroristes de Daech.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, c’est un travail énorme. Nous ne vous demandons pas de tout résoudre à l’instant, mais, au moment où notre groupe s’apprête à vous accorder la confiance pour continuer à agir dans ces pays, nous voulons être sûrs que vous vous en donnez bien les moyens, car la vie de nos soldats en dépend aussi.

Enfin, je voudrais terminer sur la question humanitaire, qui me tient particulièrement à cœur, comme vous le savez. Dans quelques semaines, les agences onusiennes n’auront plus les moyens de soutenir les 2 millions de déplacés, alors qu’il fait froid aujourd’hui en Irak.

Mes chers collègues, lorsque j’ai reçu les témoignages, à deux reprises, de ces gens, chrétiens ou yazidis, voire d’autres minorités, je vous assure que j’ai vu dans leur regard s’allumer une lumière quand le traducteur qui m’accompagnait leur indiquait que j’étais Français.

Ces réfugiés n’étaient jamais allés en France, ne savaient d’ailleurs sans doute pas situer notre pays sur une carte du monde, mais, dans leur carte affective intime, la France était pour eux une grande espérance. Je le répète, j’ai vu dans leur regard, par ailleurs marqué par la terreur et par l’effroi, cette lumière s’allumer.

Faisant écho au général de Gaulle, qui a déclaré que la France resterait toujours la voix des hommes qui n’en ont pas, je pense que ces peuples et ces réfugiés, qui n’ont plus rien du tout, attendent de nous que nous puissions mobiliser la communauté européenne.

Car où est l’Europe, mes chers collègues ? Il y a le Royaume-Uni, peut-être un peu l’Allemagne, mais où est l’Union européenne ? Si l’Union ne peut pas, ce que je peux comprendre par ailleurs, prendre les moyens de la force, qu’elle donne au moins les moyens budgétaires nécessaires à cette cause humanitaire ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Bruno Retailleau. On ne peut pas aller en Irak pour protéger non seulement les Irakiens et ces minorités dont nous avons la charge depuis si longtemps, mais aussi le peuple français, sans considérer également cette donnée humanitaire. Dans quelques semaines, mes chers collègues, je vous l’assure, il pourrait être trop tard et ce pays pourrait connaître un drame humanitaire sans précédent. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, pour le groupe socialiste.

M. Daniel Reiner. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les 7, 8 et 9 janvier dernier, la France a été victime, sur son sol, d’attaques terroristes d’une nature inédite par leur ampleur, puisqu’elles ont fait dix-sept morts et de nombreux blessés, mais aussi inédite par leur portée.

En effet, au-delà du lâche assassinat des journalistes de Charlie Hebdo, de plusieurs membres des forces de l’ordre et de civils de confession juive qui faisaient simplement leurs courses dans un supermarché, c’est-à-dire de ceux qui s’expriment librement, de ceux qui font appliquer les lois et de ceux qui ont d’autres croyances, c’est aux valeurs qui fondent notre République que les terroristes s’attaquaient.

Au-delà des personnes touchées dans leur chair et leur vie, c’est une partie de notre âme que l’on a cherché à atteindre. En cela, les mobilisations citoyennes du 11 janvier sont une formidable réponse de la France et du monde à l’obscurantisme, et elles nous obligent à poursuivre et renforcer notre combat pour faire vivre les valeurs républicaines qui nous animent tous.

C’est au nom de ces mêmes valeurs que nous nous sommes engagés sur de multiples théâtres d’opérations, parmi lesquels le Mali, la République centrafricaine, l’Irak...

Avec Serval, on peut assurer que nous avons atteint les objectifs que nous nous étions fixés, à savoir la sauvegarde de l’intégrité territoriale et politique du Mali et la relance d’un processus politique, certes lent, mais réel. Naturellement, le terrorisme, tel qu’il évolue dans la bande sahélo-saharienne et auquel répond Barkhane, opération régionalisée avec cinq États africains, nécessitera de relever le défi libyen. Ces deux clefs permettront de juguler cette menace.

Il y a quelques jours, nous étions avec le ministre de la défense au Niger, plus exactement à Madama, au plus près de la frontière libyenne. Sur place, dans ce fortin battu par les vents de sable, nous avons pu prendre physiquement la mesure de l’immensité du défi que doivent relever nos troupes dans ce bastion avancé de la lutte contre le terrorisme. Je veux rendre ici un hommage appuyé au courage de ces femmes et de ces hommes qui représentent si bien l’état d’esprit de nos forces armées.

Venons-en à l’Irak, où l’opération Chammal s’inscrit dans cette stratégie globale visant à lutter contre ce qui devient un nouveau centre de gravité du djihadisme international. Nourrie d’une idéologie salafiste sommaire, Daech est à l’opposé de nos valeurs et de tout ce sur quoi notre République est bâtie. Les atrocités commises par ses membres dans les territoires qu’elle occupe, sur les femmes yazidies, les prisonniers de guerre, sur toutes les minorités, ainsi que sur celles et ceux qui ne se plient pas à leur idéologie, sont d’une inhumanité inqualifiable.

On sait comment est né Daech et comment il a prospéré. En participant à la guerre civile en Syrie, il est devenu l’État islamique en Irak, puis l’État islamique en Irak et au Levant. Daech contrôle aujourd’hui 200 000 kilomètres carrés, c’est-à-dire un tiers de l’Irak et un quart de la Syrie, une population de dix millions de personnes, des ressources matérielles et financières considérables et des stocks d’armes lourdes. Cette organisation, qui n’est pas un État, dispose de plusieurs dizaines de milliers de combattants constitués en organisation militaire.

En bâtissant cette entité, Daech s’inscrit dans la durée et veut déstabiliser le Moyen-Orient.

À cela, il faut ajouter l’élément de difficulté lié au contexte de la globalisation, qui est une source de mieux-être pour nos sociétés et permet à bien des pays de se développer, mais qui offre aussi à des organisations comme Al-Qaïda et Daech de puiser des ressources en finances et en hommes pour propager leurs idéologies rétrogrades.

Comme nous l’avons entendu dire lors de l’audition d’un général par la commission des affaires étrangères du Sénat, la notion de théâtres d’opérations avec des limites géographiques strictes perd peu à peu de sa pertinence. Quelle plus terrible illustration de ce constat que les événements que la France vient de connaître sur son sol ?

Le lien est de plus en plus fort entre la défense de « l’avant » – les opérations extérieures – et la sécurité de « l’arrière » – le territoire national –, ce qui valide plus encore la fameuse notion de « défense et sécurité nationale » définie dans le Livre blanc. Dès lors, il ne fait aucun doute que la guerre contre cette organisation sera longue. Aucun désengagement n’est possible et notre stratégie doit s’adapter à ces contraintes.

La France a une stratégie cohérente et souple. À ceux qui pourraient douter de sa légitimité, je veux rappeler que notre action est doublement incontestable, d’abord parce qu’elle s’appuie sur la résolution 2170 des Nations unies, qui incite les nations à agir, et ensuite parce qu’elle répond à la demande des autorités irakiennes. Tel était le sens du déplacement en Irak du Président de la République, le 12 septembre dernier, au cours duquel il a réaffirmé son soutien à ces autorités.

La France a donc pris ses responsabilités, bâti un dispositif militaire adapté et mis en œuvre une stratégie à la mesure des menaces, en adéquation avec ses moyens et en conformité avec le droit. Ne pas participer à cette coalition eût été étrange, voire curieux, compte tenu de nos responsabilités.

La France tient son rang.

Il s’agit de stabiliser un Moyen-Orient dont les frontières sont aujourd’hui remises en cause par l’expansion de Daech et, avant cela, par l’implosion de la Syrie. Il s’agit également de protéger les minorités de la région : chrétiens, yazidis, Kurdes, tous connaissent le même calvaire, tous doivent bénéficier d’une action vigoureuse de la communauté internationale.

Il s’agit enfin de participer à la sécurisation de notre propre territoire et de nos intérêts nationaux, de dissuader ceux que les islamistes radicaux appellent « combattants étrangers » de se rendre en Syrie ou en Irak et qui, une fois de retour sur le territoire national, sont en mesure de commettre d’autres attentats. Les opérations conduites par nos militaires en Irak sont donc parties prenantes de notre sécurité nationale. Parmi ces combattants, figurent, hélas, trop de citoyens français. Il convient que nous poursuivions la réflexion sur la stratégie nécessaire pour y faire face.

Quel rôle s’est donné cette coalition ? Briser l’élan des groupes armés de Daech, faire en sorte que les forces armées irakiennes et leurs partenaires, qui sont nos alliés sur place, je pense en particulier aux peshmergas kurdes, et les organisations syriennes modérées soient en mesure de reconquérir le terrain perdu.

Comme cela a été rappelé, plusieurs priorités découlent de cette stratégie. Il s’agit de faire converger des objectifs de cette coalition composée de soixante États membres, aux moyens et aux implications très disparates. Les attendus de l’Arabie saoudite, de la Turquie ou des États-Unis ne sont pas les mêmes. Il y a urgence à mettre en cohérence ces stratégies, qui ne visent pas toutes les mêmes objectifs.

Il faut reconquérir le cœur et les esprits – pour reprendre une terminologie propre aux théories de la contre-insurrection – des tribus sunnites en Irak. En effet, c’est lorsque celles-ci se sont mobilisées qu’Al-Qaïda en Irak, dirigée alors par le Jordanien Abou Moussad al-Zarqaoui, a pu être vaincue.

Il s’agit également de trouver et d’aider des partenaires en Syrie, une opposition syrienne modérée, qui permette de faire le poids face à Jabhat al-Nosra et Daech, qui contrôlent la majeure partie du territoire soustrait à l’autorité de Bachar-al-Assad. Il s’agit enfin de réduire les ressources matérielles et financières de Daech. Ces trois points sont essentiels.

Le 19 septembre 2014, la France a donc lancé l’opération Chammal, qui vise à apporter un soutien aérien aux forces armées irakiennes. Nous avons déployé des moyens à la mesure de nos capacités et des objectifs à atteindre. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, il s’agit de neuf appareils de combat de type Rafale sur notre base d’Abou Dhabi, de six appareils de combat Mirage 2000D en Jordanie, ainsi que d’un ravitailleur et un avion de patrouille maritime. Sur mer, une frégate antiaérienne a intégré le groupe aéronaval américain et demain, mais cela reste à confirmer, le porte-avions Charles-de-Gaulle appareillera pour l’Océan indien.

Nous bénéficions de l’appui logistique des États-Unis qui complètent nos capacités de ravitaillement en vol. Lorsque nous mettons en perspective les opérations Chammal et Barkhane, nous ne pouvons que constater l’excellence de la coopération entre les États-Unis et la France.

Ces moyens déployés font de la France, très loin devant nos partenaires britanniques, la seconde puissance contributrice de la coalition. Par ailleurs, contrairement à une idée répandue dans certaines sphères, les décisions sont prises et la stratégie militaire est élaborée de façon concertée avec nos partenaires. La France garde son autonomie quant au choix des cibles, puisque notre pays possède des capacités de renseignement satellitaires et électroniques suffisantes pour lui permettre de conserver cette liberté d’action.

Je rappelle que la France n’effectue pas de frappes en Syrie et qu’elle ne plaide pas encore pour une intégration de l’Iran à la coalition internationale. Elle ne souhaite pas renforcer par son action le régime de Damas, tant qu’une solution politique entre les différentes parties prenantes ne verra pas le jour. La Syrie doit connaître un processus politique semblable à celui qui s’est esquissé en Irak, avec des élections sous supervision internationale et la formation d’un gouvernement d’union nationale inclusif. Une telle évolution en Syrie n’est possible qu’en dehors de Bachar al-Assad.

L’Iran ne pourra participer à la coalition qu’une fois les négociations sur le nucléaire abouties. Il est évident que la participation de l’Iran à la lutte contre Daech serait déterminante, mais elle ne doit pas se faire au détriment d’un règlement ferme et définitif de la problématique nucléaire. (M. Yves Pozzo di Borgo s’exclame.)

Nous pouvons donc considérer aujourd’hui que nous avons atteint un premier objectif : Bagdad a été sécurisée, Daech aurait perdu près de deux mille combattants depuis l’été, 1 300 cibles ont été détruites, dont les raffineries et une partie des infrastructures militaires... La première phase de l’opération Chammal peut être considérée comme réussie.

La question de l’engagement au sol, à ce stade du débat, est régulièrement posée, mais il nous semble que ce rôle ne nous incombe pas en Irak, compte tenu de l’ensemble des précédents malheureux. Il est important que les peuples que nous soutenons produisent l’effort nécessaire pour susciter un sursaut militaire et un processus politique permettant de consolider les États. Tel est le sens de nos actions en matière de formation, d’équipement et de financement, en Jordanie, au Liban et dans certains pays d’Afrique. Si nous nous concentrons sur la reconstruction de l’armée malienne et sur la consolidation des armées des pays partenaires, les Américains, quant à eux, gardent leur leadership, en quelque sorte, sur la remontée en puissance de l’armée irakienne.

Envisageons à présent l’issue de cet effort. D’emblée, je crois ici nécessaire d’affirmer qu’il est important de ne pas se fixer de calendrier. Personne n’imaginait que cette guerre serait gagnée en quatre mois, pour deux raisons qui tiennent à la nature et à l’échelle de l’espace-temps.

D’une part, fixer un délai à nos actions permettrait à notre adversaire d’adapter sa stratégie. Ce serait un contresens, car ce combat relève évidemment du temps long. Il faut au contraire bien affirmer qu’il s’agit d’une priorité stratégique de notre propre agenda.

D’autre part, l’échelle de ces opérations est inédite, car il s’agit d’une lutte globale sur plusieurs points du globe : hier en Afghanistan, aujourd’hui au Mali, au Yémen, en Somalie ou en Irak et, qui sait, demain, en Libye ou face à Boko Haram, dont l’actualité rappelle, hélas, l’horreur des exactions.

Il faut continuer à travailler à l’adaptation de nos forces armées à ce type de guerre où elles doivent pratiquer un nomadisme stratégique. De ce point de vue, le Livre blanc de 2008 et celui de 2013 avaient bien anticipé ces menaces et les efforts aujourd’hui engagés en matière d’équipement et de modernisation vont dans le bon sens, même si j’admets volontiers qu’ils sont difficiles à concilier avec la diminution des effectifs en cours.

Issus d’une idéologie totalisante, déshumanisante et régressive, Daech et ses émules prospèrent au Moyen-Orient sur les frustrations engendrées par le Réveil arabe. La non-prise en compte du pluralisme multiséculaire de ces pays en est une preuve supplémentaire. Seules des solutions politiques répondront à ces questions. La France doit donc continuer à plaider en faveur d’une action concertée des pays du Moyen-Orient au sein de la coalition internationale : cela constituerait une avancée majeure.

Les chefs d’État qui étaient présents à Paris lors du rassemblement de dimanche dernier ont pu prendre la mesure de la menace terroriste, ce qui devrait inciter encore plus de nations à s’engager dans cette guerre contre le terrorisme, en particulier en Europe.

Pays des droits de l’homme, la France, désignée par ces organisations comme l’une de leurs cibles privilégiées, doit livrer ce combat pour préserver ses libertés – les libertés ! –, son pluralisme et son universalisme, cette façon si singulière de voir le monde et que le monde libre apprécie et salue. Les attentats perpétrés sur notre sol ces derniers jours, les atrocités commises par Daech renforcent notre détermination à poursuivre le combat que nous menons aujourd’hui en Irak. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste. – M. Alain Gournac applaudit également.)

M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour le groupe écologiste.

Mme Leila Aïchi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les secrétaires d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, après la tristesse et l’effroi devant les événements dramatiques qu’a vécus notre pays, je me permettrai d’exprimer à mon tour, au nom de l’ensemble du groupe écologiste du Sénat, toute notre indignation, notre incompréhension et, surtout, notre très grande émotion. Et nous avons, à cet instant, une pensée toute particulière pour les familles et les proches endeuillés.

Notre inaction ferait injure à la mémoire des victimes. Nous devons donc agir avec discernement et tenter une analyse objective de la situation.

Vous l’aurez bien compris, monsieur le ministre, chers collègues, la seule considération qui doit nous guider aujourd’hui, de manière responsable, est celle de la protection et de la sécurité des Français, sur le territoire national comme à l’étranger.

Dans les circonstances graves et dramatiques que connaît notre pays, l’heure est à la mobilisation et à l’unité nationale, comme l’a clairement exprimé, ces derniers jours, le Gouvernement.

J’étais, comme vous tous, dans les diverses manifestations à Paris et en province. À travers elles, c’est également un message d’espoir, de paix et de fraternité qui a résonné à travers tout le pays.

Je suis fière du peuple français ! Je suis fière de ce formidable sursaut républicain ! Et ce sont bien ces valeurs que la France doit porter dans le monde.

Mes chers collègues, notre pays a été amené à conduire plusieurs opérations militaires d’envergure sur des théâtres extérieurs : l’opération Serval, au Mali en janvier 2013, l’opération Sangaris en République centrafricaine, en décembre 2013.

À chaque fois, le groupe des écologistes a soutenu ces interventions, conformes aux choix politiques légitimes de notre pays : s’opposer à l’avancée du terrorisme au Mali, éviter l’affrontement entre communautés en République centrafricaine, apporter la paix dans des zones de tensions.

Et, chaque fois, nos forces armées ont mené ces opérations dans le strict respect de la légalité internationale, sous mandat de l’ONU.

Pour autant, j’ai personnellement émis de grandes réserves, au mois de septembre 2013, lorsque notre gouvernement a formé le projet de frappes aériennes contre la Syrie, considérant que l’absence de base légale affaiblirait notre pays et qu’un soutien militaire à l’opposition syrienne ne pouvait favoriser ni le retour à la paix civile, ni la protection des minorités chiite, kurde ou chrétienne de ce pays.

Le vote des Communes en Angleterre, les choix du Président Obama aux États-Unis nous ont, je crois, évité d’engager des opérations militaires dont les conséquences pour notre pays auraient été imprévisibles.

En outre, nous ne pouvions pas agir sans mandat de l’ONU et sans l’Europe. Cela me permet également de dire un mot sur l’absence criante ces dernières années d’une défense européenne.

La multiplication des opérations extérieures, que nous connaissons, couplée avec la restriction de nos budgets, est une chance pour relancer ce projet.

Et, malheureusement – malheureusement ! – une fois encore, le résultat n’est pas à la hauteur de nos ambitions. Pourtant, il est clair, et même très clair, que l’absence de défense européenne est une chance supplémentaire pour le terrorisme.

Aujourd’hui, nous devons nous prononcer sur la prolongation, ou non, de l’opération Chammal de la France, laquelle a rejoint, dès septembre 2014, la coalition internationale qui lutte en Irak contre Daech.

Daech n’est pas un État. C’est une organisation de fanatiques qui violent les femmes, se livrent aux massacres de masse et tuent des civils.

Il faut aujourd’hui combattre cet obscurantisme et le neutraliser militairement.

Pour autant, si louable soit-elle, cette tâche incombe tout d’abord aux Irakiens, qui affrontent Daech sur le terrain et que nous nous devons d’aider dans ce combat difficile.

Toutefois, comme pour chaque débat sur une intervention militaire française, nous devons à tout prix – à tout prix ! – éviter de nous enfermer dans une approche à court terme. Après l’urgence se posera nécessairement la question de la formation et de l’assistance des troupes au sol et, à plus long terme, celle de la reconstruction de la zone. La stratégie de sortie de crise, tant militaire que politique, peine à se dessiner.

La Libye nous prouve, si cela était encore nécessaire, qu’il est impératif d’articuler intervention militaire et règlement politique.

Soyons conscients que les erreurs du passé ont mené à de nouvelles violences et à de nouvelles déstabilisations dans la région. Nous le savons tous ici, l’invasion anglo-américaine de l’Irak en 2003 et l’éradication des structures civiles et militaires du parti Baas qui a suivi ont contribué à l’avènement de cette entreprise criminelle. Daech est en partie composé des anciens cadres de l’armée de Saddam Hussein.

Cette vision à moyen et long terme passe également par notre diplomatie. Où en sommes-nous de la concertation avec la Russie et la Turquie sur ce sujet ?

En outre, nous devons, quelles que soient nos divergences, admettre qu’avec l’Iran, puissance régionale incontournable, nous avons aujourd’hui un objectif commun.

Il en va de même pour notre action diplomatique envers la Syrie. L’opposition démocratique syrienne est-elle capable, à elle seule, fût-ce au prix de notre aide en armement et en logistique, de résister et de combattre à la fois la puissance militaire de Bachar al-Assad et la puissance militaire de Daech ? Posons-nous légitimement cette question.

Tout le monde s’accorde aujourd’hui à penser que le problème de Daech est bel et bien un problème irako-syrien.

Monsieur le ministre, vouloir lutter efficacement contre le terrorisme, c’est faire preuve de pragmatisme et de realpolitik. Il faut que nous soyons capables de dire à certains de nos amis du Golfe qu’aucune stratégie qui aurait pour objet – ou même pour effet – de conforter ou d’épargner cette organisation terroriste est devenue radicalement inacceptable

Au-delà de la réponse militaire que nous apportons aujourd’hui, nous devons avoir également une approche globale et ambitieuse en nous attaquant aux sources mêmes de Daech.

Alors, mes chers collègues, plusieurs questions s’imposent à nous : d’où vient l’armement ? D’où vient le financement ?

M. Alain Fouché. Très bonnes questions !

Mme Leila Aïchi. Qui sont les intermédiaires ? Qui sont les clients ?

Le contrôle de ces réseaux est l’un des objectifs affichés de la coalition. Nous en prenons acte. Cependant, ce contrôle n’aura de sens que s’il s’accompagne d’une action internationale concertée et transparente – condition sine qua non pour y mettre fin.

C’est en ayant une approche globale que nous serons également à même de nous prémunir de toute « importation » du conflit sur notre territoire.

Les événements récents et le risque de nouveaux attentats sur le sol français ne doivent pas nous pousser à l’établissement d’un Patriot Act à la française.

Nous avons moins besoin de lois qui réduisent les libertés que de moyens logistiques, financiers et opérationnels donnés à nos services de sécurité, notamment aux renseignements, afin de mener une politique préventive efficace.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire devant vous lors des débats sur la dernière loi relative à la lutte contre le terrorisme : c’est précisément en période de crise que l’on voit la force de nos principes et c’est justement pendant les périodes de crise que les fondements de notre démocratie doivent être le plus protégés.

Il appartient au Gouvernement et à la représentation nationale, à travers une approche responsable, réaliste et objective, d’apporter l’espoir, mais aussi de rassurer les citoyens, d’atténuer les crispations et de rassembler les Français.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, soyons unis contre la barbarie, la violence, le terrorisme et les extrémismes, d’où qu’ils viennent, qu’ils soient politiques ou religieux !

Je forme le vœu que cette assemblée se montre exemplaire et ne légifère jamais pour une France contre une autre.

Je forme le vœu d’un monde dénué de corruption et à l’abri du pillage de ses richesses.

Je forme le vœu d’un monde de justice où aucun peuple ne pourra avilir, soumettre ou dominer un autre peuple.

Alors, ensemble, faisons en sorte que la paix, la fraternité, la liberté, la justice, la solidarité et la tolérance prospèrent dans le monde !

Vous l’aurez donc compris, monsieur le ministre, chers collègues, une intervention militaire est un sujet délicat et complexe, surtout pour nous autres, écologistes. Et c’est après un riche débat que le groupe écologiste au Sénat votera en faveur de la prolongation de l’opération Chammal en Irak. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UDI-UC et de l’UMP.)

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine, pour le groupe CRC.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame, messieurs les secrétaires d’État, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, mes chers collègues, l’effroyable attentat commis mercredi dernier contre le journal Charlie Hebdo, suivi de l’assassinat de la policière municipale, et le massacre commis dans une épicerie juive vendredi donnent une dimension toute particulière à notre débat de cet après-midi.

Les dix-sept morts de ce carnage – journalistes, policiers, citoyens – ont été les cibles choisies d’individus fanatisés qui combattent les principes démocratiques et les valeurs républicaines fondements de notre société. Comme cela a été proclamé dès mercredi après-midi par les plus hautes autorités de l’État, par les présidents des assemblées parlementaires et par l’ensemble des forces politiques, comme cela a été réaffirmé dimanche par l’exceptionnelle manifestation citoyenne et internationale, l’heure est, dans la clarté, au rassemblement et à l’unité de la Nation pour défendre ses valeurs et ses principes.

Car nos valeurs et nos principes sont menacés, en particulier la liberté sous toutes ses formes, mais aussi l’égalité et la fraternité. La décision que nous devons prendre ce soir a donc un rapport direct avec les drames des 7, 8 et 9 janvier.

Il est légitime, dans une démocratie comme la nôtre, qu’il puisse éventuellement y avoir des divergences d’appréciation sur l’opportunité ou sur la forme de telle ou telle intervention militaire dans un pays étranger. La démocratie, ce n’est pas le consensus mou, c’est la confrontation des idées, le débat permanent !

La question qui nous est posée est donc de savoir s’il est nécessaire de prolonger notre participation à des opérations aériennes en Irak.

Le bilan macabre des victimes irakiennes pour l’année 2014 vient d’être publié. Les violences en Irak ont coûté la vie à plus de 15 000 personnes en 2014 – l’année la plus sanglante depuis 2007 –, soit deux fois plus qu’en 2013. Le bilan est encore plus lourd en Syrie, où la guerre civile, d’abord autonome, se trouve désormais imbriquée dans la situation irakienne. Avec plus de 76 000 morts, la guerre civile a connu en 2014 son année la plus meurtrière.

Derrière ces chiffres, il y a des drames humains, des vies brisées, une société meurtrie, un État défaillant et un peuple fragmenté par les luttes intercommunautaires et interconfessionnelles.

Il faut réfléchir au sens et à l’efficacité de l’intervention militaire de la France, conduite sous l’égide des États-Unis.

D’un côté, l’avancée de l’État islamique en Irak a été freinée par les frappes aériennes de la coalition, par l’action des forces kurdes et irakiennes, elles-mêmes soutenues par la coalition, et par des milices chiites et les pasdarans iraniens. De l’autre côté, la coalition démontre son impuissance sur le front diplomatique.

L’action militaire n’a pas permis d’éliminer les capacités offensives de l’État islamique. Cette nébuleuse terroriste reconstitue régulièrement ses troupes et voit sans cesse grossir ses rangs. Depuis des décennies, nous assistons à ce sinistre scénario de l’intervention occidentale sous égide américaine, qui suscite toujours plus de vocations djihadistes. Il faut sortir de cet engrenage mortifère !

Face à ces forces fanatiques, le silence et l’inaction ne peuvent être de mise, et tel n’est pas notre propos. Notre conviction est la suivante : toute opération de contre-offensive qui permettrait à l’Irak de retrouver son intégrité territoriale revient aux forces de résistances, nationales et locales.

Or l’armée irakienne ne semble toujours pas prête à lancer une telle contre-offensive générale. Alors que l’État islamique a conquis environ 30 % du territoire, les Américains n’ont pas d’alliés au sol, leurs raids aériens limités n’ont pas fait reculer l’État islamique, sauf à Kobané, à la frontière turque, défendue par les Kurdes syriens et irakiens.

Comment ne pas ouvrir ici, après certains de mes collègues, une parenthèse sur le rôle ambigu de la Turquie au sein de la coalition ? Son attitude vis-à-vis des Kurdes de la ville syrienne de Kobané est inacceptable ! Le gouvernement turc a trop longtemps fermé sa frontière aux réfugiés, aux combattants kurdes, ainsi qu’à l’aide humanitaire. Dans le même temps, il a laissé passer des djihadistes et leur a apporté un soutien logistique parce qu’ils combattent Bachar al-Assad. Cette attitude est incompréhensible vis-à-vis des Kurdes syriens, qui sont nos alliés contre l’État islamique !

Savez-vous que les autorités turques vont rechercher jusque sur leur lit d’hôpital les combattants blessés kurdes, syriens et turcs, pour les mettre en garde à vue au nom de la lutte contre le PKK ? C’est incompréhensible, et nous ne pouvons pas l’accepter !

Face aux avancées des forces fanatiques et à leur folie meurtrière, il est de notre responsabilité de répondre à l’appel à l’aide du peuple irakien. Toutefois, en tant que démocrates, il est aussi de notre responsabilité de réaffirmer nos principes face à la décision de l’exécutif d’engager la France sous un commandement américain et sous la tutelle de l’OTAN.

La France doit retrouver une voix indépendante, comme ce fut le cas durant des décennies, notamment en 2003.

Cette question du leadership américain, lequel privilégie ses intérêts liés aux pétromonarchies, se pose avec une acuité d’autant plus particulière en Irak que la coalition est menée par le pays à l’origine du chaos irakien. Car – faut-il le rappeler ? – Daech n’est pas un phénomène spontané.

Sa genèse se situe dans la situation de chaos provoquée par l’intervention militaire américaine de 2003, consécutive à l’intervention internationale, d’ores et déjà contestable, de 1991. Une décennie s’est écoulée depuis l’opération « Liberté pour l’Irak ».

Ainsi les États-Unis, à la tête de la coalition internationale contre Daech, sont-ils les principaux responsables de la montée en puissance de cette organisation.

Le peuple irakien, et plus largement les peuples de cette région du monde, n’ont pas cessé de payer le prix de cette folle idée de refaçonner le Proche-Orient en imposant le modèle démocratique occidental par la force et la violence. Cette expédition, comme celle d’hier, nourrit le fantasme du « choc des civilisations » lancé par Georges Bush et aujourd’hui toujours en vogue, y compris en France.

Il faut sortir de cette spirale infernale de la « guerre contre le terrorisme » qui, finalement, n’a fait qu’alimenter le terrorisme au fil des années.

L’occupation américaine a tout simplement démantelé l’État irakien en privilégiant notamment les chiites. La division de facto de l’Irak en entités ethniques ou confessionnelles ne date évidemment pas de l’avancée de Daech.

Cette guerre, justifiée par la « guerre globale contre le terrorisme », a finalement fait naître un nouveau foyer du terrorisme international dont se réclament les assassins qui ont sévi sur notre territoire.

Pour remédier à cette situation, et pour aider efficacement et durablement le peuple irakien, une seule voie existe, telle est notre conviction : la résolution du conflit sera politique ou ne sera pas !

On assiste aujourd’hui à une énième intervention, à de nouveaux bombardements, succédant à des opérations militaires qui n’ont fait qu’empirer la situation dans la région. Cette intervention suscite la mobilisation, marginale mais inquiétante, d’une certaine jeunesse, au sein même des pays occidentaux, et multiplie les foyers de tensions dans le monde.

Nous considérons encore et toujours que la réponse au défi lancé par Daech est d’abord politique, avant d’être militaire.

La communauté internationale doit, pour élaborer cette réponse, exiger une stratégie globale de la part de tous ses membres et des pays de la région, notamment ceux du Golfe et la Turquie, pour priver Daech de ses moyens militaires et financiers. Très concrètement, il convient de lutter contre le trafic de pétrole, d’armes et d’argent qui l’alimente.

La vente de pétrole par Daech lui rapporte pas moins de 2 millions de dollars par jour, sans compter le milliard de dollars de subventions annuelles versé par des milliardaires du Golfe : autant d’argent qui permet à cette organisation de se fournir en armes les plus sophistiquées, d’entretenir et de former des terroristes à travers le monde.

Il faut, enfin, sortir de l’ambiguïté vis-à-vis de l’Arabie saoudite, du Qatar et des Émirats. Il faut sortir du chantage mené par ces énormes puissances financières qui monnaient le silence sur leur relation coupable avec l’islamisme radical par l’injection massive de pétrodollars dans nos économies.

Notre diplomatie doit rompre avec la tolérance actuelle à l’égard de ces régimes autocratiques dictatoriaux qui ignorent les droits de l’homme et placent la femme en état de soumission permanente. Ces pays jouent un rôle important dans la montée de l’islam fondamentaliste et intolérant. Il faut enfin le dénoncer.

Plus généralement, monsieur le ministre, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, les drames vécus par notre pays ces derniers jours, le choc qui a frappé notre peuple, doivent, de l’avis de tous, susciter des réponses novatrices importantes et particulièrement urgentes.

C’est vrai dans le domaine de la politique étrangère. Je le disais, il faut sortir des ambiguïtés et des hypocrisies, et retrouver la voie de la recherche du développement et de la paix. Il faut redonner sa puissance à l’ONU et renoncer à cette funeste idée du « choc des civilisations ».

Il faut mener la guerre à l’ignorance, à l’obscurantisme et au fanatisme avec les meilleures armes, les seules armes, que sont le développement, l’éducation, la culture et la négociation.

Le message de notre groupe n’est pas celui du laxisme, il est celui de la raison.

La paix est un immense chantier et notre pays, la France, doit mettre toute son énergie, comme elle a su le faire au cours de son histoire, au service de ce grand dessein.

Les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen considèrent que la voie de l’intervention militaire sous tutelle américaine est sans issue. Ils s’abstiendront donc sur l’idée de sa continuation. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.

M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, madame, messieurs les secrétaires d’État, mes chers collègues, les Français ont tragiquement mesuré que nous étions en guerre contre le terrorisme.

Devons-nous poursuivre cette guerre ? Telle est, au fond, la question qui nous est posée ce soir.

À cette question, le peuple français a répondu massivement, avec une maturité, une sérénité et un courage qui ont construit, dimanche, quelque chose de puissant et de nouveau.

Dimanche, les Français nous ont envoyé un message de fermeté pour la liberté.

Le peuple de France a montré sa grandeur. À nous d’être à sa hauteur !

Bien sûr, toute guerre est haïssable. Mais nous devons répondre à cette exigence de sécurité, tant extérieure qu’intérieure, qui est le cœur des missions de tout État et le ciment du pacte républicain.

Sur le plan intérieur, c’est sans esprit polémique ou partisan que nous devons tirer les leçons des attentats qui ont endeuillé notre pays.

Sous l’impulsion du Livre blanc de 2008, poursuivie en 2013, les moyens des services de renseignement ont été augmentés. Mais ont-ils crû aussi vite que les menaces ? Le cadre juridique des services de renseignement, renforcé par la récente loi de novembre 2014, approuvée par une écrasante majorité, doit-il encore être consolidé ?

La délégation parlementaire au renseignement, que je préside en 2015 et que je réunirai demain après-midi au Sénat, s’est déjà prononcée en ce sens, notamment s’agissant des pouvoirs donnés au renseignement intérieur.

À cet égard, les sujets de préoccupation sont multiples.

Oui, nous avons devant nous un sujet sur le potentiel terroriste dans notre société, révélé ces derniers jours par certains silences ou certaines absences dans les manifestations.

Oui, nous avons un sujet « réseaux sociaux », ces réseaux sur lesquels les terroristes ont aujourd’hui libre champ ; oui, nous avons un sujet « efficacité du suivi des terroristes », avec un système d’écoute remontant à 1991, autant dire le Moyen Âge des télécommunications...

Oui, nous avons un sujet « suivi des passagers aériens », avec un système européen d’échange de données qui est en panne.

Oui, comme le disait le ministre de l’intérieur, nous avons un sujet « code Schengen », code qu’il faudrait sans doute adapter à la menace, sans pour autant remettre en cause la liberté de circulation au sein de l’Union européenne.

Il faut expertiser ces sujets graves dans le calme, sans céder à l’émotion ni perdre de vue nos principes fondateurs.

Au fond, dans l’équilibre indispensable entre sécurité et liberté, avons-nous placé le curseur au bon endroit ? La délégation parlementaire au renseignement et les deux commissions d’enquête parlementaires sur les réseaux djihadistes doivent apporter leur contribution à ce débat, au service de la sécurité des Français.

Pour ce qui concerne la délégation parlementaire au renseignement, nous entendons travailler à la construction d’un consensus républicain de nature à rassembler nos familles politiques autour de quelques évolutions législatives qui devraient pouvoir être soutenues par le plus grand nombre d’entre nous. Nous devons, mes chers collègues, faire vivre l’unité nationale !

Sur le plan extérieur, c’est avec nos alliés que nous devons mener le combat là où l’ennemi concentre ses forces, dans le cadre de la légalité internationale et en union avec nos partenaires européens.

L’intervention militaire de la France contre les organisations terroristes en Irak, à l’appel du gouvernement de ce pays et sur le fondement d’une résolution de l’ONU, est donc légitime et doit être poursuivie.

On ne peut pas ne rien faire contre Daech et ses affiliés d’Al-Qaïda, qualifié d’« armée terroriste » par le ministre de la défense et de « califat de la barbarie et de la terreur » par vous-même, monsieur le ministre des affaires étrangères, Daech qui représente, aussi, un danger mortel pour les populations soumises à son joug et pour les minorités chrétiennes, chiites et yazidies persécutées, comme le disait avec force le président Retailleau.

Le danger est aussi pour la stabilité régionale : au-delà de la Syrie et de l’Irak, je pense au Liban, à la Jordanie et, bien sûr, à Israël et à la Palestine. Cette menace nous concerne singulièrement, nous, Européens, avec ce lien de plus en plus étroit entre la défense de l’avant – notre intervention en Irak – et la sécurité de l’arrière, c’est-à-dire celle de notre territoire national.

Pour autant, notre stratégie en Irak, à la fois militaire et politique, pose question.

Sur le plan militaire, cela a été dit, le « tout aérien » s’explique sans doute davantage par le traumatisme de la guerre d’Irak de 2003, avec les 4 500 morts américains, que par les nécessités de l’action, car les terroristes savent se protéger des raids aériens.

Il faudra sans doute une bataille de Mossoul, en Irak, tout comme il y aura une bataille d’Alep, en Syrie. (Marques d’approbation sur les travées de l'UMP.) Mais qui conduira ces opérations au sol ?

En Irak, nous formons les forces irakiennes, et nous soutenons les peshmergas kurdes, sans être à même de mesurer, peut-être, toutes les conséquences de long terme au plan régional.

En Syrie, où la France n’intervient pas au plan militaire, nous tentons de participer au programme de formation d’une armée syrienne libre, armée qui n’a cessé de « fondre » depuis le début du conflit. Qui peut affirmer que ce sera suffisant ?

Pour autant, je le dis avec fermeté, nos troupes ne doivent pas être engagées au sol en Irak. Ancien Premier ministre de Jacques Chirac, je ne regrette en rien la décision qu’il a courageusement prise en 2003.

L’action en coalition pose également la question de notre autonomie stratégique. Certes, l’état-major français définit ses objectifs en Irak, mais, pour ce qui est de peser vraiment sur la stratégie globale de la coalition, le doute est possible... Notre participation est peut-être, aussi, une forme de contrepartie au renseignement américain dont nous dépendons pour éradiquer AQMI dans la bande sahélo-saharienne.

Quant au règlement politique du conflit, il suppose la création d’un Irak fort, où le gouvernement chiite respecterait les sunnites, ce qu’il n’a jamais fait par le passé et ne fait pas encore suffisamment. D’ailleurs, ce dialogue entre sunnites et chiites est-il possible aujourd’hui sans l’Iran ?

La tête de l’organisation djihadiste est en Syrie, mais, en éradiquant les groupes terroristes, on prendrait le risque de consolider le régime de Bachar al-Assad, car il n’y a pas aujourd’hui de force démocratique syrienne assez puissante sur le terrain, malgré tous nos efforts.

Nous sommes donc face à des contradictions difficilement surmontables.

Devrons-nous accepter de coopérer davantage avec l’Iran et nous résigner à reporter la chute de Bachar al-Assad ? Le Gouvernement nous a répondu, et nous l’avons bien entendu : « ni Daech ni Bachar ». Ce nouveau « ni-ni » gouvernemental est une réponse dictée par les circonstances, mais il nous faut réfléchir aux étapes suivantes.

Et comment dissocier les intérêts russes de ceux du régime syrien ? Cette question a été posée par les collègues qui m’ont précédé à cette tribune.

On voit bien la complexité de l’exercice et de votre mission, monsieur le ministre, et l’on mesure toute la difficulté de faire converger les soixante pays de la coalition.

Peut-on vraiment dire aujourd’hui que nous avons défini clairement « l’état final » qui signera la fin de l’opération militaire et que nous disposons d’une « stratégie de sortie » sur le plan politique ?

Nous partons donc dans un engagement de moyen terme, à l’issue incertaine, et dans une posture qui n’est pas si modeste puisque, outre nos moyens aériens, il est question de déployer le porte-avions et son groupe aéronaval dans le Golfe arabo-persique.

Au-delà du théâtre irako-syrien, c’est bien la question, plus large, de la soutenabilité dans le temps de nos opérations extérieures qui nous est aujourd’hui posée avec ce vote sur l’opération Chammal.

La France déploie actuellement 8 500 militaires dans une vingtaine d’OPEX. C’est un effort considérable. Dix-huit de nos soldats y ont laissé leur vie ces deux dernières années. Naturellement, comme vous tous, mes chers collègues, je veux leur rendre un hommage appuyé.

Le surcoût des opérations extérieures a dépassé le milliard d’euros pour la deuxième année consécutive en 2014.

En deux ans, trois opérations majeures ont été engagées : Serval, au Mali, devenue Barkhane au Sahel, avec aujourd’hui 3 000 hommes et 500 millions d’euros de surcoût annuel ; Sangaris, en République centrafricaine, avec 2 000 hommes et 250 millions d’euros par an ; Chammal, en Irak, avec 800 hommes et un surcoût qui dépassera probablement en 2015 la centaine de millions d’euros en année pleine.

Parallèlement, nous connaissons tous les grandes fragilités de la trajectoire financière de nos armées. Ce sont les doutes sur les recettes de la défense en 2015, avec les 2,2 milliards d’euros de ressources exceptionnelles difficilement réalisables, qui ont conduit le Sénat à rejeter les crédits de la mission « Défense ».

Plus d’opérations, moins de crédits budgétaires : quel paradoxe ! À la demande forte de sécurité, massivement exprimée par le peuple français qui, dimanche, embrasse ses policiers et ses gendarmes, on répond par des solutions financières « improvisées », sur la crédibilité desquelles on peut s’interroger...

Bercy n’est pas innocent de la guerre. La sécurité doit être à l’extérieur du périmètre des restrictions budgétaires. C’est une conviction forte que nous avons. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC. – Mme Bariza Khiari applaudit également.)

Or un outil de défense se construit dans le temps long, dans une continuité républicaine faite d’esprit de responsabilité. Ce sont les décisions d’hier qui permettent les engagements d’aujourd’hui. Qu’en sera-t-il demain ? Nous ne voulons pas être guettés par ce que certains appellent le « syndrome britannique », celui d’un outil de défense éreinté par la fatigue d’un surcroît d’engagements...

Et s’il nous fallait renforcer encore la posture de protection du territoire, aurions-nous encore la marge pour le faire ? Mobiliser 10 000 hommes, c’est le plafond du contrat opérationnel du Livre blanc pour les missions intérieures. Cela induira forcément des tensions fortes sur un outil de défense déjà sollicité.

Cette question de la soutenabilité est essentielle. Ce soir, avec l’opération en Irak, nous n’avons qu’une seule pièce du puzzle entre nos mains, mais la loi de programmation militaire a prévu une revue annuelle de l’ensemble des opérations extérieures, débattue au Parlement. Ce sera pour nous l’occasion de questionner plus largement le Gouvernement sur l’ensemble de ces opérations.

D’autres sujets nous inquiètent.

Je pense au problème libyen, pour l’instant entier. Qu’on le veuille ou non, la France sera forcément engagée dans la gestion de cette crise libyenne, qui s’annonce considérable. Le vibrant appel au sommet de Dakar du président tchadien Idriss Déby en est une parfaite illustration. Ce problème est donc devant nous. Il appelle une solution avant tout politique, mais sans doute aussi militaire. Sur quelles capacités, sur quelles alliances, sur quels partenaires, régionaux mais aussi européens, reposerait une éventuelle intervention ?

Nous voyons bien que l’autorisation que nous nous apprêtons à donner ce soir sur la prolongation de l’intervention en Irak s’inscrit dans un contexte lourd, dont nous ne pouvons faire abstraction.

Monsieur le ministre, vous l’avez compris, vous pouvez compter sur notre soutien et nos armées peuvent compter sur notre confiance pour la conduite des opérations. Sachez toutefois que nous serons vigilants. Car nous avons une ambition : être à la hauteur de la grandeur que le peuple nous impose. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre.

M. Laurent Fabius, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la qualité des interventions et des questions, lesquelles contenaient souvent leurs propres réponses, me permet d’aller à l’essentiel. Par courtoisie, cependant, et pour être à la hauteur de ce débat, j’apporterai quelques précisions.

Je l’ai bien compris : tous les groupes, à l’exception d’un seul, qui s’abstiendra, apporteront leur soutien au Gouvernement. De cela, je sais gré au Sénat.

Je remercie Robert Hue de ses propos, tant sur le fond que sur la forme. Je reviendrai sur l’un des éléments qu’il a abordés, comme beaucoup d’autres de ses collègues, notamment le président de la commission à l’instant. Il n’est pas possible de séparer les ambitions légitimes que nous avons pour lutter contre le terrorisme dans certains pays du monde et qui rendent notre présence nécessaire, des moyens financiers pour ce faire. Cela suppose des arbitrages, ceux que le Gouvernement vous propose et ceux qui sont de la responsabilité de la Nation.

Ce qui m’a frappé dans les différentes interventions, en même temps que la hauteur de vues qui les caractérise, c’est que, vous qui connaissez ces sujets, mesdames, messieurs les sénateurs, vous n’avez jamais séparé les ambitions que nous avons pour notre sécurité des moyens que nous devons déployer à cette fin. C’est cela que je retiendrai de ce débat et, bien sûr, c’est de cela dont je me ferai l’interprète auprès des plus hautes autorités de l’État.

Je ne reviendrai pas longuement sur les propos du deuxième intervenant, qui s’exprimait au nom du Front national et qui, à ce titre, a développé une pensée que nous connaissons de la part de cette formation. J’ai cru comprendre – mais peut-être est-ce aller trop vite à la conclusion – qu’il soutenait Bachar al-Assad. (M. Stéphane Ravier s’exclame.) C’est évidemment l’une des grandes différences entre nous. Même si son vote est positif, l’accueil que l’ensemble du Sénat a réservé à son discours me semble la meilleure réponse et c’est celle que je lui donnerai à mon tour…

Plusieurs d’entre vous sont revenus sur la notion d’indépendance, y compris Mme Demessine. J’entends lever toute ambiguïté. Dans l’intervention en Irak, nous faisons partie d’une coalition au sein de laquelle les Américains occupent une place particulière. Je connais bien ces sujets, pour les suivre et intervenir régulièrement à leur propos : ce serait une erreur de céder à un réflexe antiaméricain – ne prenez pas mal mes propos, chère madame Demessine – et de considérer que nous ne pouvons pas soutenir une opération à laquelle participent, qui plus est d’une façon importante, les Américains. Non, telle n’est pas notre conception de l’indépendance et j’imagine d’ailleurs que ce n’est pas la vôtre non plus.

Nous nous déterminons en fonction des intérêts de la France et des intérêts universels, puisque c’est l’une des spécificités de la Franc que de plaider sans cesse pour l’universel et de toujours tenter d’agir en ce sens. Ce n’est pas parce que, dans certains cas, nous partageons les positions des Américains qu’il faut immédiatement se retirer de la partie. En outre, nous voulons être actifs. Or vous admettrez avec moi, chère Michelle Demessine, que ne pas participer serait une façon particulière de traduire cette volonté en actes...

Il est vrai que, même si ce n’était pas le même gouvernement, les Américains ont une responsabilité énorme dans ce qui s’est passé en Irak ; vous avez tout à fait raison. Plusieurs d’entre vous ont souligné que le gouvernement de l’époque, soutenu par l’opposition de l’époque – j’en étais –, avait eu raison de refuser de participer à l’aventure irakienne, laquelle a eu toute une série de conséquences.

Toutefois, vous avez tous appelé au réalisme et au pragmatisme. Il nous semble que, dans l’état actuel, compte tenu des risques immenses que fait peser Daech non seulement sur l’Irak, mais sur nous-mêmes, ne pas prendre sa part de l’effort, sans que cela implique d’être l’esclave, le domestique, le serviteur ou le suiveur de qui que ce soit, aurait été une faute. Par conséquent, même si nous avons notre propre jugement sur ce que font les uns et les autres, nous pensons qu’il faut participer à cette action.

Dans son intervention charpentée, longue, forte, Bruno Retailleau a, comme vous tous, rendu hommage à nos soldats, sans oublier, et vous ne manquerez pas de l’approuver, j’en suis sûr, les diplomates. Il a eu raison et nous partageons son analyse : tous sont au service de la France et tous, militaires ou civils, servent notre pays de façon exceptionnelle.

Bruno Retailleau a insisté avec justesse sur le fait que notre engagement international était à la fois fondé et légitime du point de vue international : qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur ce point.

La question des modalités, que Bruno Retailleau a également soulevée, est importante. Parmi toutes les observations qu’il a formulées, j’en retiendrai une que je fais volontiers mienne. Pour l’évoquer, j’utiliserai un langage diplomatique tout en essayant de me faire comprendre, ce qui doit tout de même être l’un des objectifs de la diplomatie... (Sourires.)

Nous sommes Européens. Pourtant, nous avons parfois, voire souvent le sentiment que la France non seulement prend sa part, mais fait plus que sa part. Pour le dire autrement, nous pouvons avoir le sentiment que d’autres ne prennent pas la même part que la France.

Il ne sert à rien de ratiociner ou de maudire : il faut que, par notre action, mais aussi par vos interventions, mesdames, messieurs les sénateurs, y compris celles de vos collègues qui appartiennent à la même formation que vous et qui siègent au Parlement européen, il soit clairement dit que la France assume une mission non seulement en son nom, non seulement au nom de l’humanité, mais aussi au nom de l’Europe. À ce titre, il est légitime qu’un partage soit établi, y compris sur le plan financier, comme vous l’avez souligné à maintes reprises.

Nous sommes ravis, émus, touchés, lorsque l’on nous explique que nous sommes la capitale des libertés en Europe et dans le monde. Tant mieux ! Bravo ! Pour autant, il ne saurait y avoir de libertés sans les moyens de ces libertés !

L’appel humanitaire que Bruno Retailleau a lancé est malheureusement tout à fait d’actualité. Dans l’ensemble de la région, de l’aveu même du Haut-Commissaire des Nations unies pour les réfugiés, la situation humanitaire est gravissime. Pour en prendre conscience, il suffit de songer à ce qui est en train de se passer là-bas, alors que les températures sont de plus en plus basses.

Comme à son habitude, M. Reiner a développé une analyse extrêmement fouillée, évoquant non seulement Daech et l’Irak, mais aussi le Mali, le Niger, la Libye. Je retiendrai de cette intervention très riche un point particulier.

Bien sûr, nous défendons une certaine idée de l’humanité et je vous rejoins quand vous évoquez les uns et les autres le comportement de Daech. Un comportement, que dis-je ? C’est l’horreur en permanence, et Daech en joue, bien évidemment.

Toutefois, comme l’a rappelé Daniel Reiner, nous défendons aussi nos intérêts nationaux. Je répéterai ce que j’ai dit à la tribune, car je souhaite que nous livrions ce message ensemble à nos concitoyens. Or je ne suis pas sûr que ce message prévale, y compris dans les semaines et les mois qui viennent.

Nous n’avons pas une vision éthérée, naïve de l’humanité. Nous savons quelles sont nos limites : la France ne peut malheureusement pas régner seule sur le monde et y introduire partout la justice, l’égalité et la fraternité.

Comme l’a dit Jean-Pierre Raffarin, le premier devoir d’un État est d’assurer la sécurité de ses ressortissants. Or notre sécurité ne se joue pas simplement à nos frontières, comme certains voudraient nous le faire croire ; elle se joue aussi physiquement au Sahel, en République centrafricaine, en Irak, et ce serait une folie – le mot n’est pas galvaudé – de penser que ces gens s’arrêteront aux limites de ces territoires.

Comme vous, j’ai examiné ces questions de très près. Tous les jours, on me remet des rapports non seulement sur les exactions qui sont commises, mais également sur les thèmes qui sont développés. Pour ces gens, il faut être clair, tous ceux qui ne sont pas comme eux et qui ne leur sont pas soumis doivent être tués.

Certains pourraient être tentés de dire, surtout si des attentats sont malheureusement commis – cette hypothèse ne peut pas être complètement écartée – qu’il faut que nous restions chez nous, que nous nous calfeutrions, que, après tout, il ne faut pas ennuyer ces gens et que, si nous les laissons faire, si nous n’intervenons pas, nous serons chez nous en sécurité.

C’est faux, faux, et archi-faux !

Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne défendons pas seulement une certaine conception de l’humanité ; nous défendons aussi nos intérêts nationaux et nous protégeons nos citoyens.

M. Aymeri de Montesquiou. Et notre sécurité !

M. Robert del Picchia. C’est vrai !

M. Laurent Fabius, ministre. Nous devons le dire à l’opinion publique, sinon, nous risquons de nous exposer à de sérieux mécomptes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du RDSE, de l'UDI-UC et de l’UMP.)

Madame Aïchi, comme vous l’avez dit vous-même avec nuance et tact, il n’a pas dû être facile pour votre groupe de prendre la position qu’il s’est résolu à adopter. Je le remercie en tout cas de l’avoir prise, et l’en félicite.

Vous avez posé des questions et porté un certain nombre de jugements sur le passé. Personne ne pourra nous départager et dire qui a raison, car on ne peut pas refaire l’histoire, mais je tiens tout de même, pour ne pas donner le sentiment d’approuver tel ou tel élément que le Gouvernement ne partage pas, à vous livrer une analyse différente de la vôtre sur la Syrie.

Si je vous ai bien comprise, madame Aïchi, et je pense que c’est le cas, vous vous félicitez – vous n’êtes pas la seule dans ce cas – qu’il n’y ait pas eu d’intervention en Syrie après le recours aux armes chimiques, car elle aurait déclenché de grands malheurs. Personne ne peut souhaiter une intervention, mais, pour avoir vécu cette affaire de l’intérieur, j’ai un avis, je dois à la vérité de le dire, radicalement différent du vôtre.

Où en étions-nous ? Je le rappelle, car nous sommes en train d’écrire l’histoire. Alors que le drame était déjà fortement engagé, M. Bachar al-Assad - ou ses commandants, peu importe, il est responsable en tant que chef des armées –, a décidé le recours à des armes chimiques massives, provoquant ainsi la mort de centaines de personnes. Pour des raisons que vous comprenez très bien, dans la catégorie des horreurs, le recours à de telles armes chimiques massives est une horreur différente des autres, ce qui justifie d’ailleurs un régime juridique spécifique.

Le président américain avait pris l’engagement, si des armes chimiques étaient utilisées, de réagir, considérant qu’une « ligne rouge », pour reprendre son expression, serait alors franchie. Comme les États-Unis, la France, vous le savez, s’était préparée, de même que la Grande-Bretagne.

Or les Britanniques ont soumis la décision d’intervenir à leur Parlement, lequel, pour des raisons diverses, auxquelles n’étaient pas étrangères des considérations de politique avec un petit « p », a voté contre. Les Britanniques n’ayant pas pu intervenir, le président américain, c’est sa responsabilité, a considéré qu’il ne pouvait pas le faire non plus. Dès lors, il n’était évidemment pas question pour les Français d’agir seuls.

Madame Aïchi, pour avoir vécu tout cela de très près aux côtés du Président de la République, du Premier ministre et du ministre de la défense, je peux vous dire que cette non-intervention a immédiatement eu une traduction concrète sur le rapport des forces à l’intérieur de la Syrie, mais également une conséquence absolument massive sur le jeu des forces internationales.

Je présenterai la question de manière interrogative : un dirigeant constatant que les États-Unis d’Amérique, la plus grande puissance du monde, renoncent à intervenir – c’est cette puissance que M. Bachar al-Assad avait en face de lui – n’est-il pas fondé, l’engagement pris n’ayant pas été tenu, à considérer qu’il peut agir en toute impunité ? Pour ma part, madame la sénatrice, je suis convaincu qu’il en est ainsi.

Si cette opinion n’était que celle de celui qui vous parle, elle serait anecdotique. Or je suis frappé de voir, et j’essaie de mettre la politique politicienne de côté, que, aux États-Unis, un certain nombre des acteurs de l’époque, qui ne sont pas suspects d’être critiques, y compris celui qui a été amené à prendre cette décision, partagent l’analyse que je viens de vous livrer.

Je vous prie de m’excuser de revenir sur ce sujet, qui n’est pas à l’ordre du jour aujourd'hui, mais il me paraissait nécessaire de le faire, pour que vous sachiez bien comment les choses se sont passées.

Vous avez également évoqué, madame Aïchi, comme beaucoup d’autres, les questions de l’Iran et de la Turquie, de notre diplomatie envers la Syrie, des questions qui méritent d’être abordées, vous avez tout à fait raison.

Certes, les situations sont différentes, mais plusieurs d’entre vous – je force un peu le trait – se sont demandé si le moment n’était pas venu, dans ce contexte très difficile, d’abandonner certains présupposés et de chercher simplement à être efficace. Daech étant le mal absolu, ne faudrait-il pas établir un ordre de priorité ? Il est vrai que la diplomatie n’est pas affaire d’amitié et que, comme on le dit souvent, si, dans nos rapports avec le reste du monde, nous ne devions parler qu’avec de parfaits démocrates, il y aurait de longs silences…

Nous sommes tout à fait réalistes : la France n’a aucun intérêt à être en conflit partout, et le Gouvernement n’est mu par aucune pulsion belliqueuse. Chaque fois que cela est possible, nous cherchons au contraire à nouer des alliances, et ce avec tout le monde, sauf peut-être la Corée du Nord, mais disons avec tous les États installés. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pouvons pas, seuls, faire prévaloir nos valeurs et gagner partout !

Croyez-moi, nous avons de nombreuses relations avec des pays très différents. C’est ainsi le cas avec les Russes. Qui, en ce moment, tente de maintenir un lien avec la Russie et d’obtenir une désescalade entre ce pays et l’Ukraine ? C’est la France, encore plus, vraisemblablement, que nos amis allemands, même si nous travaillons ensemble. Ainsi, j’étais encore à Berlin jusque tard dans la nuit lundi pour essayer de trouver les voies d’un rapprochement entre les Ukrainiens et les Russes.

C’est aussi le cas avec les Iraniens. Je recevrai vendredi mon homologue M. Zarif. Nous évoquerons ensemble divers sujets, et pas seulement la question nucléaire, même si elle est très importante.

En politique étrangère et de façon plus générale, le premier objectif d’un gouvernement, c’est d’assurer la paix et la sécurité, ce qui ne signifie pas le pacifisme. Atteindre cet objectif suppose, sans se départir de ses principes, de tenter d’épouser le terrain et de faire preuve de pragmatisme. Il ne faut cependant pas utiliser des moyens contraires au but poursuivi.

C’est pourquoi nous restons extrêmement vigilants, et le mot est faible, concernant Bachar al-Assad, et pas pour des considérations personnelles, qui ne sont pas ici le problème.

Si le « débat » syrien se résume à un affrontement entre Bachar al-Assad et Daech, cela signifie qu’ils donnent le sentiment de se combattre, mais qu’ils sont, au fond, les meilleurs partenaires. Si, comme seul soutien possible face à l’épouvantable Daech, vous n’avez que Bachar ou si, pour faire face à Bachar, responsable de dizaines de milliers de morts, il vous faut rallier Daech, cela signifie que Bachar et Daech ne sont frères ennemis qu’en apparence et sont en réalité des frères amis.

Un mouvement important semble s’esquisser en Russie, un autre, moins ferme, en Iran, mais nous avons des contacts et nous menons des discussions, notamment sur les délais. Ce qui frémit ici et là ne sera pas ou tout blanc ou tout noir. Notre travail est de faire en sorte que ce ne soit pas l’un ou l’autre. Je ne reprendrai pas à mon compte l’expression « ni-ni », déjà utilisée dans un autre contexte (Sourires.), mais il faut trouver une autre voie pour restaurer l’unité de la Syrie et le respect des communautés qui la composent.

Quand on est pragmatique, comme vous nous invitez tous à l’être, quelle peut être la solution ? Pour le peuple syrien, elle ne peut pas être Bachar, un dirigeant qui est l’origine de 200 000 morts. Cela ne fonctionnera jamais. La solution peut en revanche comprendre des éléments du régime, bien sûr, des membres de l’opposition modérée, bien sûr, des soldats alaouites, bien sûr, et des chrétiens, bien sûr, mais il faut que la France, la Russie, les États-Unis peut-être, mais aussi des pays arabes, des pays voisins, l’Iran, s’il l’accepte, y travaillent, chacun avec sa sensibilité. Or ce n’est pas si simple, car ce sont les Iraniens, beaucoup plus que les Syriens eux-mêmes, qui sont les principaux outils du combat en Syrie, ce sont eux qui mènent la bataille.

Retenons l’essentiel : nous avons, comme il se doit, une idée d’action, mais aussi des principes, des valeurs. Nous avons une tactique, mais, parce que nous sommes aussi pragmatiques, nous ne voulons pas que la tactique finisse par entrer en contradiction avec la stratégie. Sinon, nous n’aurions rien gagné au passage…

Vous avez souligné à juste titre, madame Demessine, qu’il fallait se préoccuper des moyens de « casser » le terrorisme. Pour ce faire, il faut, très concrètement, s’attaquer à ses sources d’approvisionnement en armes, de financement, à ses ramifications. Toute une série d’actions sont déjà engagées en la matière. Une conférence tout à fait utile, même si elle n’a pas fait grand bruit, s’est récemment tenue au Bahreïn. Elle portait sur les moyens de rompre les circuits financiers. Daesh tirait en effet une partie de ses ressources de la vente de pétrole, notamment à la Syrie de Bachar El-Assad !

M. Aymeri de Montesquiou. Et à la Turquie !

M. Laurent Fabius, ministre. Certains acheteurs étaient effectivement turcs. Les tarifs proposés étaient très bas, mais la situation a quelque peu changé de ce point de vue, étant donné la forte baisse des tarifs officiels. En tout cas, comme souvent en matière de terrorisme, il faut s’en prendre au portefeuille et mettre au pied du mur les pays voisins.

Enfin, j’ai beaucoup apprécié l’analyse du président de la commission des affaires étrangères, qui a défini notre tâche commune, à savoir veiller à la sécurité extérieure et intérieure.

Vous avez dressé, monsieur Raffarin, la liste des problèmes à traiter, comme l’ont fait aujourd’hui Bernard Cazeneuve ici même et Manuel Valls à l’Assemblée nationale.

Sur le plan intérieur, nous devons en effet nous doter de tous les moyens nécessaires, y compris financiers, pour faire face à ce que certains appellent le « djihado-terrorisme ». Il en va de même sur le plan extérieur, où nous devrons faire preuve de subtilité et de capacité d’adaptation.

Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je soulignerai que vos débats ont été à la mesure des exigences de la période actuelle et des attentes de notre peuple. Les événements tragiques que nous vivons imposent aux responsables politiques de se montrer à la hauteur de celles-ci. Je n’ai aucun doute à cet égard quand je vois que, ce soir, l’Assemblée nationale s’est prononcée à la quasi-unanimité en faveur de la poursuite de la lutte contre ce que j’appellerai le terrorisme extérieur et que le Sénat s’apprête manifestement à faire de même. (Applaudissements.)

M. le président. Je vais mettre aux voix l’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en Irak.

Aucune explication de vote n’est admise.

Conformément à l’article 73-1, alinéa 2, du règlement, il va être procédé à un scrutin public ordinaire dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.

Le scrutin sera ouvert dans quelques instants.

Le scrutin est ouvert.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…

Le scrutin est clos.

J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.

(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)

M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 81 sur l’autorisation de prolongation de l’intervention des forces armées en Irak :

Nombre de votants 346
Nombre de suffrages exprimés 327
Pour l’adoption 327

Le Sénat a autorisé la prolongation de l’intervention des forces armées en Irak. (Applaudissements.)

L’Assemblée nationale ayant elle-même émis un vote favorable, je constate, en application du troisième alinéa de l’article 35 de la Constitution, que le Parlement a autorisé la prolongation de l’intervention des forces armées en Irak.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quarante.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt heures quarante, est reprise à vingt-deux heures quarante, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)

PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

14

Désignation d’un sénateur en mission temporaire

M. le président. Par courrier en date du 30 décembre 2014, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, M. Michel Bouvard, sénateur de la Savoie, en mission temporaire auprès de M. Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des transports, de la mer et de la pêche, et de M. Christian Eckert, secrétaire d'État chargé du budget.

Cette mission portera sur le plan de financement du projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin.

Acte est donné de cette communication.

15

Demande d'inscription à l'ordre du jour d'une proposition de résolution européenne

M. le président. Par lettre en date du 19 décembre, Mme Éliane Assassi, présidente du groupe communiste républicain et citoyen, a demandé l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution européenne sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d’accords commerciaux entre l’Union européenne, le Canada et les États-Unis.

Acte est donné de cette demande.

Je vous propose, en conséquence, de retenir le principe de l’inscription de cette proposition de résolution à l’ordre du jour du Sénat.

La date d’examen et les modalités d’organisation du débat seront fixées lors de la prochaine réunion de la conférence des présidents.

Il n’y a pas d’observation ?...

Il en est ainsi décidé.

16

Commissions mixtes paritaires

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi autorisant l’approbation de la convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Principauté d’Andorre en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de la propriété littéraire et artistique et du patrimoine culturel.

Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.

17

Demandes d'avis sur des projets de nomination

M. le président. Par lettre en date du 23 décembre 2014, M. le Premier ministre a demandé au Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de M. Sébastien Soriano aux fonctions de président de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.

Cette demande d’avis a été transmise à la commission des affaires économiques.

Acte est donné de cette communication.

Par lettre en date du 6 janvier 2015, M. le Premier ministre a demandé au Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission compétente du Sénat sur le projet de nomination de M. Daniel Verwaerde aux fonctions d’administrateur général du Commissariat à l’énergie atomique.

Cette demande d’avis a été transmise à la commission des affaires économiques.

Acte est donné de cette communication.

18

Nominations de membres d'organismes extraparlementaires

M. le président. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages.

Conformément à l’article 9 du règlement, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire ont été invitées à présenter des candidats pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Les nominations au sein de cet organisme extraparlementaire auront lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger comme membre suppléant au sein du conseil d’administration de l’Institut national de l’audiovisuel.

La commission de la culture, de l’éducation et de la communication a été invitée à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

19

Dépôt de documents

M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en œuvre technique et opérationnelle de la portabilité du numéro de compte bancaire.

M. le président du Sénat a également reçu de M. le Premier ministre le rapport sur la mise en application de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation.

M. le président du Sénat a, en outre, reçu, d’une part, la convention financière entre l’État et l’Agence nationale pour la rénovation urbaine relative au programme d’investissements d’avenir, et, d’autre part, l’avenant n° 2 à la convention entre l’État et l’Agence nationale de l’habitat relative au programme d’investissements d’avenir, action « Rénovation thermique des logements privés ».

Acte est donné du dépôt de ces documents.

Ils ont été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires économiques.

20

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
Articles additionnels avant l'article 1er (début)

Nouvelle organisation territoriale de la République

Suite de la discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (projet n° 636 [2013-2014], texte de la commission n° 175, rapport n° 174 et avis nos 140, 150, 154, 157 et 184).

Je rappelle que la discussion générale a été close.

Nous passons à la discussion du texte de la commission.

La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il s’est écoulé un délai tellement long entre la discussion générale et l’examen des articles que nous ne pouvons pas faire comme si nous nous étions séparés hier soir. (Marques d’approbation.) Je voudrais donc rappeler un certain nombre d’éléments forts et d’attentes que nous avons formulés lors de la discussion générale.

J’avais notamment souligné, à cette occasion, que nous attendions du Gouvernement de véritables mesures de décentralisation en faveur des régions, au-delà du seul domaine de l’économie, afin de leur donner un rôle stratégique en matière d’emploi et d’enseignement professionnel.

Nous avions également demandé au Gouvernement de nous apporter des réponses sur les compétences des départements, qui exercent actuellement, à un niveau de mutualisation tout à fait satisfaisant, un certain nombre de compétences de proximité en matière de collèges, de transports scolaires, de routes, de ports ou de tourisme.

Sur ces différents points, le Gouvernement n’a pas été en mesure de nous donner des réponses précises au cours de la discussion générale.

Enfin, nous avions souligné que nous attendions du Gouvernement des concessions importantes s’agissant de la carte des intercommunalités, estimant que les intercommunalités nouvelles mises en place en 2014 doivent d’abord être stabilisées avant que l’on fasse évoluer leur périmètre. L’inscription dans le texte du Gouvernement d’un seuil de population quatre fois supérieur à celui qui avait été fixé en 2010 dans la loi était de nature à renforcer encore notre inquiétude quant au calendrier retenu.

Nous avions eu la surprise, le jour de la discussion générale, de découvrir que le Gouvernement avait déposé une salve d’amendements visant purement et simplement, pour la plupart d’entre eux, à rétablir le texte qui avait été adopté en conseil des ministres le 18 juin 2014, en dépit des multiples évolutions intervenues depuis lors dans le discours gouvernemental à l’écoute des grandes associations d’élus et du Sénat. Le président de notre assemblée avait en effet demandé et obtenu du Premier ministre la tenue d’un premier débat, le 28 octobre dernier, au cours duquel celui-ci avait bien voulu avancer sur plusieurs questions de principe importantes à nos yeux.

Le dépôt de ces amendements n’était pas de nature à permettre que le débat s’engage dans le climat de confiance que nous appelions de nos vœux. Or on nous a communiqué dix-neuf nouveaux amendements aujourd’hui même, et le Gouvernement en annonce d’autres pour demain…

Je me dois de rendre compte à notre assemblée des travaux que nous avons menés avec vous, madame, monsieur les ministres, autour du président du Sénat, ainsi que de l’entretien que ce dernier a pu avoir, notamment sur ces questions, avec le Premier ministre à la fin de la semaine dernière.

Sur certains points, des éclaircissements et des évolutions ont pu être enregistrés. À ce stade, ils demeurent cependant trop peu nombreux pour que nous puissions engager le débat avec toute la sérénité nécessaire pour pouvoir aboutir à un texte consensuel.

Si nos arguments sur la politique de l’emploi et les responsabilités nouvelles qui pourraient être confiées aux présidents de région ont été entendus, une solution reste à trouver concernant la carte de l’enseignement professionnel.

En ce qui concerne les compétences départementales, il y a vraiment beaucoup à faire pour que nous puissions trouver un terrain d’entente entre le Gouvernement et le Sénat. En effet, si vous nous rejoignez désormais s’agissant des collèges, nos positions respectives restent encore fort éloignées sur les transports scolaires, les routes, les ports et le tourisme.

En ce qui concerne les intercommunalités, vous avez fait un pas dans notre direction, tout en conservant le principe de l’inscription dans la loi d’un seuil de population chiffré, avec un calendrier légèrement desserré.

C’est dire que nous avons beaucoup de travail devant nous ! L’effort accompli par le Gouvernement depuis la discussion générale nous paraît trop insuffisant à ce stade. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Je ne vous répondrai pas point par point, monsieur le président de la commission des lois : le Gouvernement précisera sa position sur chaque sujet au fil de la discussion des articles.

Nous avions effectivement déposé des amendements à l’issue de l’examen du projet de loi par la commission, mais tous les gouvernements le font. Un amendement important du Gouvernement concernant Paris prend du retard, c’est vrai, mais nous nous sommes engagés, à la demande de nombreux parlementaires, à discuter préalablement avec Paris Métropole et l’ensemble des élus, et ces discussions ne sont pas encore terminées. Ce projet d’amendement a circulé à la demande d’un certain nombre d’entre vous. La position du Gouvernement pourrait évoluer, mais on ne peut pas clore le débat avant même de l’avoir entamé.

Je voudrais évoquer le contexte tout à fait particulier dans lequel nous nous trouvons. Présenter ce soir un texte portant nouvelle organisation territoriale de la République a beaucoup de sens. Je me félicite de cet intitulé, particulièrement bienvenu dans un contexte de grande difficulté, de deuil, de tristesse, qui nous impose d’assumer plus que jamais nos responsabilités.

Nous avons vu tous nos concitoyens se lever pour défendre des valeurs dont nous nous sommes peut-être, les uns et les autres, un peu détachés, alors qu’ils attendent de nous, membres du Gouvernement et parlementaires, que nous les incarnions et les portions.

Débattre de ce projet de loi revêt donc encore plus d’importance que nous ne pouvions l’imaginer voilà quelques jours. En effet, nous serons amenés à parler d’égalité entre les citoyens. Or, nous le savons tous, les enfants de France ne disposent pas aujourd’hui des mêmes possibilités, des mêmes chances selon l’endroit où ils naissent et où ils vivent.

Pour lutter contre cette prédestination de la naissance dont parlait Edgar Morin, il faut combattre les inégalités en matière d’accès aux services publics, à l’éducation, à la culture. Tel est le sens du texte dont nous discutons ce soir.

Envisager une nouvelle organisation territoriale de la République amène évidemment à aborder des questions institutionnelles, mais il s’agit aussi de mieux faire correspondre les espaces administratifs et la mise en œuvre des services publics à la vie de nos concitoyens. J’avais dit, lors de la discussion générale, qu’il fallait mettre fin à la concurrence entre territoires et faire prévaloir la coopération : nous touchons là au cœur du sujet.

Je vais en rester là, certains d’entre vous semblant estimer que mes propos s’écartent du sujet… Je ne doute pas que nos débats seront à la hauteur des enjeux. Monsieur le président de la commission des lois, André Vallini et moi-même sommes tout disposés à œuvrer avec le Sénat pour progresser vers une solution sur les questions que vous avez évoquées, par exemple celle de l’emploi, même si cette dernière est difficile. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la république

TITRE Ier

Des régions renforcées

Chapitre unique

Le renforcement des responsabilités régionales

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
Articles additionnels avant l'article 1er (interruption de la discussion)

Articles additionnels avant l'article 1er

M. le président. L'amendement n° 652, présenté par M. Collomb, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Les dispositions de la présente loi relative aux départements, aux établissements publics de coopération intercommunale et aux communes pour l’exercice des compétences mentionnées aux articles L. 3641-1 à L. 3641-9 et L. 5217-2 du code général des collectivités territoriales, sont applicables à la métropole de Lyon et aux métropoles, sous réserve de l’existence de dispositions contraires ou spécifiques, notamment introduites par la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

La parole est à M. Gérard Collomb.

M. Gérard Collomb. Ce soir et dans les jours à venir, nous devrons effectivement nous montrer, les uns et les autres, à la hauteur des enjeux.

Lors de la discussion du projet de loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles – dite loi MAPTAM –, nous avions pu aboutir à des positions largement convergentes. En particulier, Jean-Claude Gaudin, Louis Nègre, au nom de la métropole niçoise, et moi-même étions intervenus de manière conjointe pour montrer combien notre pays avait besoin de l’émergence de grandes métropoles.

Je suis de ceux qui pensent qu’il n’y a pas d’opposition entre métropoles et régions : nous devons simplement trouver la bonne articulation. En effet, les grandes régions dont nous avons décidé la création ne pourront être autant dans la proximité que les présidents des grandes agglomérations, avoir des rapports aussi étroits avec les universitaires, les chercheurs, le tissu économique.

De la même manière, je suis de ceux qui pensent que les grandes métropoles, les grandes villes doivent être solidaires des territoires qui les entourent. Il n’y a donc pas non plus d’opposition fondamentale entre l’urbain et le rural.

C’est un tel équilibre que nous devrons nous efforcer de trouver ensemble.

Le présent amendement vise à rappeler qu’il ne peut y avoir, sur les plans universitaire, économique ou touristique en particulier, de contradiction entre ce que nous allons décider au cours des prochains jours et ce que nous avons inscrit l’an dernier dans la loi MAPTAM. M. le président de la commission des lois et M. le rapporteur ayant déposé un amendement en ce sens à un autre endroit du texte, je pense que nous pourrons trouver un accord.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Comme l’ensemble de nos collègues, je regrette l’absence de mon corapporteur pour des raisons de santé. Nous avons beaucoup travaillé ensemble, dans un climat de confiance, pour le bien de nos collectivités locales. J’espère qu’il sera bientôt en mesure de nous rejoindre.

Monsieur le sénateur du Rhône (« Et maire de Lyon ! » sur plusieurs travées.)… Je ne veux pas connaître d’autre titre, mes chers collègues, et je suis persuadé que personne dans cet hémicycle ne défend autre chose que l’intérêt général ! (Sourires.)

M. Gérard Collomb. Absolument !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous souhaitez, monsieur le sénateur, que l’on préserve les compétences de la métropole de Lyon.

M. Gérard Collomb. De toutes les métropoles !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Aucune disposition du texte tel qu’adopté par la commission – il en allait d’ailleurs de même du projet de loi initial – ne vise à remettre en cause celles de la loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.

Les rapporteurs, ayant entendu exprimer certaines inquiétudes, ont déposé plusieurs amendements tendant à préciser que telle disposition s’appliquerait aux métropoles et que telle autre ne porterait pas préjudice à leurs compétences.

Je rappelle que l’article L. 3641-6 du code général des collectivités territoriales prévoit déjà des dispositions similaires à celles du présent amendement. Celui-ci est superfétatoire, monsieur Collomb, car vous aurez satisfaction tout au long de l’examen de ce texte quant aux précisions à apporter sur les compétences de la métropole.

C'est la raison pour laquelle la commission vous demande de bien vouloir retirer cet amendement : ce serait plus simple…

M. le président. Monsieur Collomb, l'amendement n° 652 est-il maintenu ?

M. Gérard Collomb. Non, je le retire, monsieur le président, au profit de l’amendement n° 1021 de la commission.

M. le président. L'amendement n° 652 est retiré.

Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.

L'amendement n° 674, présenté par MM. Cazeau, Rome et Tourenne, Mme Perol-Dumont, MM. Madrelle et Daudigny, Mmes Bataille et Claireaux et MM. Cornano, Miquel, Cabanel et Courteau, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’organisation décentralisée de la République satisfait aux principes suivants :

Respect de la diversité des territoires ;

Recherche d’un égal accès des citoyens aux services publics, y compris dans les territoires les plus enclavés ;

Définition des missions et moyens affectés à chaque catégorie de collectivité locale.

Dans le respect des grandes orientations nationales, la région a la responsabilité de définir les grands choix stratégiques de développement de son territoire. En premier lieu, elle participe à l’amélioration de la compétitivité des entreprises au plan international en organisant le soutien à l'innovation, à la recherche et au développement économique.

Le département a la responsabilité de la coordination des compétences de proximité. À ce titre, le conseil départemental mobilise l’ensemble de ses moyens pour assurer la cohésion sociale de son territoire et exprimer les besoins spécifiques de la ruralité. Interlocuteur privilégié des communes et des intercommunalités, il déploie l’ingénierie et apporte les soutiens financiers nécessaires à la réalisation de leurs projets d’aménagement. 

Dans le respect de leurs compétences, les établissements publics de coopération intercommunale s’organisent pour assurer la gestion des politiques et la conduite des projets pour lesquels l’échelle communale s’avère inappropriée.

La commune est la collectivité territoriale de base de l’organisation décentralisée de la République. Porteur de la légitimité démocratique que lui a conférée l’élection municipale et détenteur du pouvoir de police administrative générale exercée au nom de l’État, le maire a la responsabilité d’œuvrer à la sécurité et au bien-être de la population communale. Le pouvoir de police administrative générale du maire ne peut être délégué ou transféré au président de l’intercommunalité dont la commune est membre.

La parole est à M. Bernard Cazeau.

M. Bernard Cazeau. L’idée de cet amendement nous est venue en lisant, en juin 2014, l’exposé des motifs du projet de loi NOTRe portant nouvelle organisation territoriale de la République, qui proclamait que « dans une France organisée autour d’un État conforté dans ses prérogatives républicaines […] le débat pourra s’engager sereinement sur les modalités de suppression des conseils départementaux à l’horizon 2020, pour aboutir à une révision constitutionnelle avant cette date ».

Certes, la suppression des conseils départementaux n’est heureusement plus d’actualité. Le mardi 28 octobre 2014, le Premier ministre a, dans cet hémicycle, non seulement reconnu le rôle indispensable joué par les conseils départementaux en matière de protection des populations les plus fragiles et de soutien aux communes, mais aussi fait part de son souhait de conforter les compétences de ces conseils en matière de solidarité territoriale et humaine.

Pour ma part, je souhaite que les choses soient clairement dites, voire répétées. Nous voulons des régions compétitives, des conseils départementaux de proximité, des intercommunalités rénovées, une clarification des compétences, la réaffirmation du rôle de la commune… L’inscrire dans la loi est-il superfétatoire ? Nous ne le pensons pas, et c’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement.

M. le président. L'amendement n° 813, présenté par M. Favier, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans le respect des compétences attribuées par la loi aux différentes catégories de collectivités territoriales et à leurs groupements, par application du principe de subsidiarité :

1° Les communes constituent la cellule de base de l’organisation territoriale de la République décentralisée et l’échelon de proximité de vie démocratique. Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre sont un outil de coopération et de développement au service des communes ;

2° Les départements sont garants du développement territorial, de la solidarité et de la cohésion sociale sur leur territoire ;

3° Les régions contribuent au développement économique et à l’aménagement stratégique de leur territoire.

La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Madame la ministre, vous avez évoqué le contexte nouveau dans lequel nous reprenons la discussion de ce projet de loi.

Comme beaucoup d’entre nous, je crois que les collectivités doivent non seulement être renforcées, mais voir leur rôle réaffirmé. Les circonstances présentes montrent que nous avons besoin de plus de décentralisation encore.

Nous estimons en effet qu’il faut davantage de proximité. Les événements dramatiques que nous venons de connaître témoignent que, bien souvent, les liens se sont distendus sur notre territoire. Nous devons nous efforcer de les renforcer : à défaut, nous courrons le risque de nourrir, dans certains quartiers, des comportements que nous condamnons. Or je crains que ce texte ne tende à éloigner encore un peu plus les lieux de décision des citoyens.

Par le biais de cet amendement, nous entendons nous aussi réaffirmer le principe de répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales. Il n’a pas de portée normative : il s’agit non pas de poser une règle, mais de rappeler l’enjeu majeur de ce texte, à savoir réaffirmer l’organisation territoriale et les compétences dévolues à chaque niveau. Ce rappel est d’autant plus fondé que la discussion générale s’est tenue il y a maintenant plus d’un mois.

Pour nous, les communes restent bien les cellules de base de l’organisation décentralisée de notre territoire, ainsi qu’un échelon privilégié de proximité avec nos concitoyens.

Les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre sont des outils de coopération et de développement au service des communes.

Les départements, quant à eux, demeurent garants du développement territorial, de la solidarité et de la cohésion sociale sur leur territoire.

Les régions, enfin, au travers des compétences qui leur sont dévolues, contribuent au développement économique et à l’aménagement stratégique de leur territoire.

Tout cela doit s’inscrire dans le respect des compétences attribuées par la loi aux différentes catégories de collectivités territoriales en application du principe de subsidiarité.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. L’amendement défendu par Bernard Cazeau tend à rappeler les principes de l’organisation décentralisée de la République. Il ne présente aucune portée normative et s’apparente à un exposé des motifs d’un projet de loi ou d’un amendement.

La commission demande donc à son auteur de bien vouloir le retirer. À défaut, elle émettra un avis défavorable.

L’amendement présenté par M. Favier s’inspire, comme le précédent d’ailleurs, des dispositions de l’article 1er A du projet de loi relatif à la délimitation des régions, qui visait à rappeler la vocation principale de chaque échelon local. Ces dispositions se justifiaient, en vue précisément de l’examen du présent projet de loi. Aujourd’hui, il s’agit donc de mettre en œuvre les orientations définies par ledit article 1er A. C’est d’ailleurs le fil rouge du texte adopté par notre commission le 10 décembre dernier.

Par ailleurs, cet amendement est dépourvu de toute portée normative, comme vous l’avez dit vous-même, monsieur Favier, et s’apparente plus à un exposé des motifs ou à une déclaration d’intentions. La commission y est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. M. le rapporteur l’a très bien dit : ces amendements visent à rappeler des principes et sont dénués de portée normative. Le présent projet de loi a pour vocation de traduire concrètement les principes qui viennent d’être énoncés.

Le contraste entre l’hyper-richesse de certains territoires et l’hyper-pauvreté d’autres pose problème, cela est vrai, mais ces amendements se bornent à redire ce qui figure déjà dans la loi relative à la délimitation des régions. Dès lors, j’en souhaite le retrait, même si je comprends que leurs auteurs aient voulu réaffirmer certains principes à l’entame de l’examen des articles.

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote sur l’amendement n° 674.

M. Pierre-Yves Collombat. S’il est vrai que les amendements présentés ont déjà fait l’objet d’un certain nombre de développements, ce qui va sans dire va encore mieux en le disant, surtout par les temps qui courent…

Par ailleurs, je voudrais revenir sur votre déclaration liminaire, madame la ministre. Je suis d’accord avec vous : ce que nous faisons ici est très important au regard de ce qui se passe en France actuellement. Sauf que le présent projet de loi détricote notre organisation territoriale ; il détricote ce qui fonde le lien entre nos concitoyens. Je rappellerai, à cet instant, une phrase de Tocqueville que je ne me lasserai jamais de citer : « C’est dans la commune que réside la force des peuples libres. »

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bonne référence !

M. Pierre-Yves Collombat. Il y a des libéraux très recommandables, monsieur le président de la commission des lois, mais on les a un peu oubliés !

Vouloir noyer la commune dans de grandes intercommunalités au nom de la compétitivité, c’est aller à l’encontre de ce principe, de même que vouloir dissoudre ou vider de sa substance, d’une manière ou d’une autre, le département, qui est la collectivité de proximité.

Mme Jacqueline Gourault. Ce n’est pas le sujet !

M. Pierre-Yves Collombat. Bien sûr que si, ma chère collègue ! C’est d’ailleurs Mme la ministre qui l’a évoqué ; je ne serais pas intervenu sans cela !

Si ce que nous faisons ici a bien une influence sur l’avenir de notre pays, il importe de sortir de la seule logique managériale, fondée sur la compétitivité, et de se préoccuper des conditions de la vie démocratique, de la prise en compte de l’intérêt général, de la naissance du sentiment d’appartenance et de citoyenneté. Nous ne sommes donc pas hors sujet ! Il vaudrait mieux que le texte dont nous discutons n’ait pas des effets inverses de ceux que nous sommes censés rechercher.

M. le président. La parole est à M. Ronan Dantec, pour explication de vote.

M. Ronan Dantec. Après cette semaine terrible qui nous a tous plongés dans l’effroi, il me semble important de prendre le temps de voir en quoi le présent projet de loi, portant nouvelle organisation territoriale de la République, répond aux enjeux actuels. À ce titre, je remercie Mme la ministre d’avoir posé les termes du débat.

L’existence de très importantes inégalités territoriales, fortement ressenties par nos concitoyens, non plus que je ne sais quel déterminisme social, n’explique ni n’excuse en rien la barbarie. Cependant, notre responsabilité collective, même si j’ai le sentiment que les désaccords entre nous restent forts, est de remédier à ces inégalités. Tel est bien l’objet du présent texte.

Nous soutenons le renforcement de la région. Il s’agit de dépasser la compétition entre les territoires, qui est extrêmement néfaste et participe de la déconstruction de la solidarité nationale. C’est en s’appuyant sur les régions et sur la tenue de débats réunissant l’ensemble des acteurs de celles-ci que l’on pourra recréer un sens collectif plus fort à l’échelle régionale.

Mme la ministre a parlé de coopération entre les territoires ; j’irai plus loin, en parlant de solidarité. Comment la richesse de certains territoires profite-t-elle aujourd’hui aux autres ? C’est l’une des questions dont nous devrons nous saisir. À l’heure actuelle, des territoires ruraux se sentent exclus des dynamiques métropolitaines, des territoires urbains périphériques se sentent très éloignés de la ville-centre.

Dès lors, comment, au travers de ce texte, allons-nous pouvoir raccommoder, recréer une histoire commune ? À mon sens, des questions techniques de péréquation entreront en jeu.

M. Ronan Dantec. Les égoïsmes territoriaux sont extrêmement forts en France, mais, dans le contexte actuel, il faut absolument que la péréquation, la solidarité financière entre territoires riches et territoires pauvres, qu’ils soient ruraux ou urbains périphériques, soient renforcées par le présent texte. C’est là une véritable priorité.

Une autre forme d’exclusion territoriale a trait à l’exercice de la démocratie. Nous sommes tous d’accord pour prôner le renforcement de la démocratie locale, de proximité. Pour ma part, je voudrais insister sur un point : il serait peut-être temps de cesser d’opposer démocratie communale et démocratie d’agglomération. Le débat démocratique n’est pas le même dans la ville-centre, où l’on se sent concerné par l’ensemble des problématiques, et dans une commune périphérique pauvre et petite, où l’on ne se sent parfois même pas le droit de discuter des grandes questions intéressant l’agglomération, telles que les transports publics ou le développement économique. Or s’il n’y a pas de véritable démocratie à l’échelle de l’agglomération, le sentiment d’exclusion se trouve renforcé. Il faut absolument que, à l’issue de l’examen de ce projet de loi, l’égalité démocratique entre les citoyens, où qu’ils vivent, ait été renforcée.

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 674.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 813.

(L’amendement n’est pas adopté.)

M. le président. L’amendement n° 810, présenté par M. Favier, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

La compétence dite générale est un principe fondateur de la décentralisation et de la libre administration des collectivités territoriales, dans le respect des responsabilités accordées par la loi à chacune des collectivités et permet l’application de la règle de subsidiarité.

La parole est à Mme Cécile Cukierman.

Mme Cécile Cukierman. Nous avons déposé plusieurs amendements tendant à insérer des articles additionnels avant l’article 1er. Ils visent à rappeler ou à resituer les grands enjeux qui se trouvent au cœur des réformes territoriales engagées il y a maintenant près de cinq ans par divers gouvernements.

Au travers du présent amendement, nous réaffirmons que la compétence générale est un des fondements de la décentralisation et du principe constitutionnel de libre administration des collectivités territoriales.

Il n’y a pas si longtemps de cela, en 2010, une majorité de droite avait supprimé la compétence générale pour les régions et les départements. Une majorité de gauche l’a rétablie voilà tout juste un an, par le biais de la loi MAPTAM.

À cette occasion, nous avions eu, madame la ministre, un vrai débat de fond sur cette question. Vous défendiez alors une vision interstitielle de cette compétence. Au contraire, nous considérions pour notre part, comme aujourd’hui d’ailleurs, que cette règle non écrite découlait directement de la mise en œuvre des principes constitutionnels. Elle permet l’application de la règle de subsidiarité, qui devrait prévaloir en toute circonstance, en vertu de l’article 72 de notre Constitution, dont le deuxième alinéa dispose que « les collectivités territoriales ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ».

Compte tenu des enjeux, je suis étonnée du peu de place accordé à cette question dans le rapport de la commission, qui ne fait que rappeler de façon insidieuse les propos que vous avez tenus, madame la ministre, lors des débats sur la loi MAPTAM. Vous estimiez alors que « la suppression de la clause de compétence générale […] n’est pas déterminante pour la clarification de l’action publique locale ».

Il est par conséquent d’autant plus étonnant que vous décidiez de supprimer cette clause dans un projet de loi qui devait initialement traiter de la clarification des compétences. Il est vrai que, sur de nombreuses travées de notre assemblée, on privilégie la mise en place de compétences exclusives, de chefs de filat, d’encadrements de toutes sortes, en bref le retour à une certaine forme de dirigisme, au travers d’un encadrement de l’action des élus locaux, prétendument coupables de faire n’importe quoi et de jeter l’argent public par les fenêtres.

Nous récusons ces accusations et ce raisonnement. La compétence générale est à nos yeux essentielle. Elle offre un espace de liberté d’action aux élus locaux, un espace de démocratie permettant l’expression de conceptions contradictoires. Elle permet de répondre à des problèmes dont les solutions ne sont pas toujours prévues par la loi, à des besoins et des attentes émergeant dans notre société. Elle permet enfin d’inventer ; elle est source de progrès et, bien souvent, d’innovation sociale et territoriale.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Quand on cite l’article 72 de la Constitution, ma chère collègue, il faut le faire de manière exhaustive. Son troisième alinéa dispose que les collectivités s’administrent librement par des conseils élus « dans les conditions prévues par la loi ».

La compétence générale est un mythe qui revient sempiternellement ! Il existe bien un principe de subsidiarité, mais ce n’est pas la même chose. Il revient au législateur de déterminer à quel échelon les compétences peuvent le mieux être exercées. Pour certaines, nous pensons que cela demeure le département. Pour d’autres, qui peuvent être obligatoires, facultatives ou optionnelles, ce sont les intercommunalités. Mais nous aurons l’occasion de discuter de tout cela.

Je ne dois pas être bon juriste, car je n’ai jamais compris ce qu’était la clause dite « de compétence générale » ! Qu’on le veuille ou non, seule la loi peut attribuer des compétences.

M. Pierre-Yves Collombat. En l’absence de désignation !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Sous les hurlements d’une partie de l’hémicycle, nous avions supprimé la clause de compétence générale. Puis celle-ci a été rétablie, sans que cela ne suscite de hurlements de notre côté de l’hémicycle – après tout, si cela vous faisait plaisir… Le présent texte prévoit d’en revenir à une solution sage, et par conséquent la commission est défavorable à cet amendement.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d'État auprès de la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, chargé de la réforme territoriale. La suppression de la clause de compétence générale ou de la clause générale de compétence – nul ne sait exactement comment il convient de l’appeler – s’inscrit dans un objectif, largement partagé sur toutes les travées et par tous les élus locaux de France, de clarification des compétences de chaque niveau de collectivités territoriales.

Mme Cécile Cukierman. Nous ne devons pas rencontrer les mêmes élus !

M. André Vallini, secrétaire d'État. Mais si, madame la sénatrice, et tous souhaitent plus de clarté dans la répartition des compétences. Depuis le début de la décentralisation, on a additionné les structures, multiplié les organismes, ajouté des échelons, et les compétences des uns et des autres se sont enchevêtrées.

La suppression de la clause de compétence générale s’accompagne évidemment de garanties du maintien de l’intervention de la région ou du département dans les domaines où cela est nécessaire. Au demeurant, je partage l’avis de M. Hyest : la notion de clause de compétence générale n’est pas définie par le droit et son contenu découle uniquement des articles du code général des collectivités territoriales définissant la capacité des organes délibérants à traiter des affaires d’intérêt local au travers de leurs délibérations. Ce n’est donc pas une notion juridique, c’est une notion politique.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.

M. le président. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann, pour explication de vote.

Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je soutiendrai cet amendement, car j’ai été élue, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, en faisant campagne contre la suppression de la clause de compétence générale. La critique que je formulais à l’époque n’était pas de simple opportunité, mais de principe. À mon sens, le manque de clarté actuel dans la répartition des compétences tient non pas au fait que tous les échelons disposent de la compétence générale, mais plutôt à l’organisation du chef de filat et à la mise en œuvre du principe de subsidiarité, qui doivent respecter la clause de compétence générale.

Prenons un sujet que je connais peut-être mieux que d’autres : le logement. En l’état actuel des choses, je suis curieuse de savoir comment sera traitée la politique du logement ! Il s’agit normalement d’une compétence d’État. Or, aujourd'hui, pas un seul logement n’est construit ou rénové en France sans que les collectivités locales apportent une aide, d’ailleurs de plus en plus importante.

M. Michel Bouvard. Tout à fait !

Mme Marie-Noëlle Lienemann. La plupart du temps, d’une ville à l’autre, d’un département à l’autre, d’une région à l’autre, ce ne sont pas les mêmes acteurs qui financent la même chose. Par ailleurs, quelle collectivité atteint aujourd'hui, sur le plan financier, la masse critique nécessaire pour faire face aux dépenses liées à ce type d’interventions, qui se chiffrent en milliards d’euros ?

Dans un souci de systématisation, il apparaîtrait logique de s’appuyer sur les intercommunalités ou sur la métropole. Or de nombreuses intercommunalités n’ont pas les reins assez solides pour pouvoir accompagner la construction de logements, qui est une opération coûteuse. Le cas de la métropole, à mon avis, mérite d’être traité à part, car il s’agit d’une entité suffisamment structurée pour pouvoir permettre une délégation de plein droit de la compétence logement à son profit.

La moitié des offices d’HLM sont départementaux. On va supprimer la clause de compétence générale, mais en la maintenant dans les faits sous couvert de solidarité territoriale, de solidarité sociale ou de développement durable, selon les cas. Bref, on ne saura plus où on en est !

En conformité avec ce que j’ai toujours pensé, la remise en cause de la clause de compétence générale ne me semble pas un progrès pour la République. Par ailleurs, je voudrais que l’on m’explique a minima ce qu’il en sera de la compétence logement pour les collectivités territoriales. J’ai beau lire et relire votre texte, cela n’apparaît pas. Je souhaite être éclairée sur ce point. (Applaudissements sur certaines travées de l'UMP et de l'UDI-UC.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.

M. Pierre-Yves Collombat. Contrairement à ce qui a été dit, le système actuel est parfaitement clair : lorsque la loi n’attribue pas une compétence, toutes les collectivités peuvent intervenir dans les domaines qui relèvent de l’intérêt communal, départemental ou régional. Cela règle la question de savoir, pour chaque compétence ou micro-compétence, qui peut intervenir de manière légale. Pourquoi poser un problème qui ne se pose pas ?

Cette question a été soulevée quand il s’est agi de faire des économies : je vous renvoie aux débats sur les 20 milliards d’euros et sur la suppression des compétences croisées. Pourquoi un projet coûterait-il plus cher s’il a dix financeurs plutôt qu’un seul ? C’est un raisonnement farfelu ! Quel que soit le nombre de financeurs, le coût est toujours le même !

Autre fantasme managérial, il faudrait se concentrer sur ses compétences, sur son « cœur de métier »… Là aussi, c’est complètement farfelu : dans la pratique, on est confronté chaque jour à des situations imprévues.

Madame la ministre, avez-vous eu une révélation sur le chemin de Damas ? (Sourires.) Pourquoi vouloir supprimer à nouveau ce qui avait été rétabli par une précédente loi, au début de l’année dernière ? Comme beaucoup de collègues socialistes, j’avais combattu la suppression de la clause de compétence générale. Pourquoi avoir ainsi changé d’avis ?

Mme Sophie Joissains. Comme pour les métropoles !

M. Pierre-Yves Collombat. On va au-devant de difficultés extrêmes pour toutes les compétences dont l’attribution n’aura pas été prévue par la loi : les préfets seront amenés à décider qui peut ou non intervenir dans tel ou tel domaine ! Le bon sens voudrait que l’on ne modifie pas ce qui fonctionne parfaitement.

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.

M. Bernard Cazeau. Monsieur le rapporteur, si vous ne savez pas ce qu’est la compétence générale, je puis vous garantir que nombre de communes petites et moyennes, voire de communautés de communes, le savent !

Le développement tous azimuts constaté ces dernières années en milieu rural, notamment en matière d’assainissement ou de logement, a été rendu possible par l’apport financier de différentes collectivités territoriales. Allez dire aux petites communes rurales qu’il s’agit de doublons ! Si l’on supprime la compétence générale, les travaux ne seront plus réalisés et l’effort d’investissement sera encore plus faible qu’aujourd’hui. Dieu sait pourtant si nous avons besoin d’investissements !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Vous mélangez tout !

M. Bernard Cazeau. Si la clause de compétence générale a été rétablie il y a quelques mois, c’est qu’il s’agissait d’une nécessité. Même le Président de la République l’avait affirmé à l’époque !

Madame la ministre, je ne me permettrai pas de vous demander si vous avez eu une illumination, mais je voterai l’amendement du groupe CRC.

M. le président. La parole est à M. Patrick Abate, pour explication de vote.

M. Patrick Abate. Cet amendement vise à affirmer un principe auquel nous sommes assez nombreux à être attachés, plus ou moins fortement.

L’alternative est simple : soit on restreint la liberté d’action des élus départementaux et régionaux, soit on défend pied à pied les libertés locales et le pouvoir d’intervention des collectivités territoriales.

Dans ces débats sur les collectivités territoriales, on entend des déclarations, des prises de position souvent contradictoires, y compris au sein même des groupes, excepté le nôtre. Comment prétendre aujourd'hui engager une nouvelle étape de la décentralisation tout en essayant de restreindre par la loi le champ d’intervention des gestionnaires locaux ?

Le renforcement des coopérations entre tous les niveaux de collectivités et l’amélioration de leur efficacité n’excluent pas forcément le maintien de la compétence générale, voire les financements croisés, qui permettent la réalisation d’équipements et de services utiles à la population. Au contraire ! Il s’agit là non pas d’un mythe, mais de la réalité du terrain et des besoins de la population.

La mise en œuvre de la notion de chef de filat, par exemple, qui respecte la compétence générale, ne va pas à l’encontre de la clarification des compétences. Ce n’est pas être hors sujet que de penser que l’efficacité peut être liée aussi à une meilleure répartition des richesses, qui n’est pas exclusive de la compétence générale.

Par ailleurs, dans certains domaines, le silence de la loi est souvent bien plus ample que le texte de la loi elle-même. Pouvons-nous raisonnablement interdire aux départements et aux régions toute intervention en dehors de leurs champs de compétence strictement définis par la loi ?

Que vont devenir les services et les équipements aujourd’hui mis en place par les départements et les régions et qui ne relèveront plus, demain, des compétences de ces collectivités territoriales ? Allons-nous les fermer, au nom d’une vision dirigiste et technocratique de la gestion locale ?

Tout ne peut rentrer dans des petites boîtes parfaitement définies. La loi ne peut jamais tout prévoir et est bien souvent en retard sur les réalités, qui se transforment en permanence. C’est aussi au nom du devoir de modernité et d’innovation que nous affirmons la nécessité de maintenir la clause de compétence générale.

M. le président. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.

M. Michel Mercier. J’ai eu l’honneur de défendre, devant cette assemblée, le texte qui est devenu la loi du 16 décembre 2010 supprimant la clause de compétence générale pour les départements et les régions et la maintenant pour les communes et l’État : tel est précisément l’objet du texte qui nous est aujourd'hui soumis.

Il y a, me semble-t-il, une certaine confusion entre compétence et financement. La compétence est une notion juridique : qui peut décider d’intervenir dans tel ou tel domaine. Le texte qui nous est présenté prévoit expressément que le département, dans le cadre de sa mission de solidarité, peut financer des équipements communaux.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Et l’assainissement rural !

M. Michel Mercier. En effet. Ce qui a été décidé par la commune peut donc être financé par le département. Cela est explicitement prévu par le projet de loi.

Mme Cécile Cukierman. On a le droit d’y voir des contradictions !

M. Michel Mercier. On peut certes décider de tout jeter par la fenêtre, mais mieux vaut à mon sens s’efforcer de maintenir un système qui soit à peu près cohérent.

Il est normal que la commune, collectivité de proximité, conserve une compétence générale,…

Mme Cécile Cukierman. Mais si cela ne veut rien dire !

M. Michel Mercier. … parce qu’elle est le mieux à même de connaître les besoins de la population. Si elle ne peut pas assurer seule le financement d’un projet, ce qui sera souvent le cas, elle pourra être aidée par le département.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ou par la région !

M. Michel Mercier. Il ne faut donc pas confondre, je le redis, financement et compétence, celle-ci étant une notion juridique. Le texte préserve tout à fait la capacité, pour le département, d’intervenir financièrement au profit des communes. Revenir au dispositif de la loi de 2010 est opportun, parce que cela permet une clarification conforme aux réalités du terrain.

On a beaucoup parlé de démocratie à la suite des événements de ces derniers jours. Or, en démocratie, les élus sont jugés selon ce qu’ils font : encore faut-il savoir qui fait quoi !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !

M. Michel Mercier. Tout le monde réclame que l’on mette un peu d’ordre dans les compétences. Je ne soutiens pas forcément le Gouvernement, mais la clarification qui nous est proposée répond tout à fait à cette exigence. C’est la raison pour laquelle je voterai contre les amendements allant à son encontre.

M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour explication de vote.

M. Philippe Adnot. J’ai déposé, à l’article 1er, un amendement visant également à revenir sur la suppression de la clause de compétence générale. Au rythme où nous allons, je ne pourrai sans doute pas le défendre ce soir… Je préfère donc m’exprimer dès maintenant.

Monsieur Mercier, il ne s’agit pas de mélanger compétence et financement, il s’agit d’affirmer le droit d’agir.

M. Philippe Adnot. Permettez-moi de vous donner un exemple. Il y a quelques années, le département de l’Aube avait décidé de créer une zone logistique de 250 hectares à un croisement d’autoroutes, car les communes concernées étaient trop petites pour mener à bien un tel projet. Or l’administration de l’État nous a refusé le droit de réaliser les équipements d’assainissement, au motif qu’il existait un syndicat intercommunal ad hoc.

M. Philippe Adnot. Le préfet s’est également opposé à ce que le département finance l’électrification pour le même motif, et ainsi de suite…

Sans la clause de compétence générale, nous n’aurions pas pu aménager la zone logistique.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non, cela n’a rien à voir !

M. Philippe Adnot. J’ai fait observer à l’administration de l’État qu’il était tout de même extraordinaire qu’elle oblige à saucissonner une opération conduite par une seule collectivité. Le département disposant de la clause de compétence générale,…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Elle n’existait pas !

M. Philippe Adnot. …elle a été obligée de faire machine arrière.

Aujourd'hui, nous défendons le droit pour la région ou le département de mener à bien, demain, des projets importants pour leur territoire. La clause de compétence générale permet de faire face à des problématiques imprévues. Cela n’a rien à voir avec la question du financement.

Je voterai l’amendement n° 810.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il ne s’agit pas pour nous de dire blanc après avoir dit noir. Nous avons mené un travail de fond avec vous tous, notamment avec la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation sur les conférences territoriales de l’action publique. Nous faisons confiance aux élus. Il s’agit de leur permettre de subdéléguer des compétences sur les territoires, de promouvoir une véritable avancée en matière d’exercice des compétences. Je pense que les conférences territoriales de l’action publique répondent aux questions que vous avez soulevées.

En ce qui concerne le logement, par exemple, nous espérons avoir ouvert aux différentes collectivités, dans ce projet de loi, la possibilité d’intervenir dans les meilleures conditions possible, en tant que de besoin, au titre de la solidarité territoriale, compétence nouvelle qui relève de la nécessaire coopération entre les territoires que j’évoquais. Cela répond exactement à la question que vous avez posée, madame Lienemann.

Il faut à la fois clarifier – enfin ! – les responsabilités de chacun et favoriser les échanges entre collectivités territoriales, les délégations aux échelons infrarégionaux. En matière de développement économique, par exemple, la région peut se charger de la stratégie et l’intercommunalité ou le département de l’immobilier d’entreprise. C’est ce que l’on doit parvenir à faire. Qui ne connaît pas de contrats passés entre un département et des intercommunalités, entre des régions et des pays ou des pôles de développement ?

Par conséquent, clarifions les compétences tout en ménageant les marges de manœuvre nécessaires.

Il a été dit que cette question n’avait rien à voir avec celle du financement : je m’inscris en faux contre cette affirmation.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Bien sûr !

Mme Marylise Lebranchu, ministre. On peut nous reprocher d’avoir réalisé 50 milliards d'euros d’économies, qui pèsent sur les finances des collectivités territoriales, mais d’aucuns disent que ce sont 150 milliards d'euros d’économies qu’il aurait fallu faire pour empêcher que la France ne se retrouve un jour dans la situation de la Grèce.

Il y a un problème de financement des collectivités territoriales. Aujourd'hui, les ressources de certaines d’entre elles sont tellement faibles qu’elles ne parviennent pas à assumer leurs compétences fondamentales.

Je parlais tout à l'heure de solidarité entre les territoires. J’espère que ce projet de loi s’accompagnera, par exemple, d’une refonte de la dotation globale de fonctionnement. Je regrette, à cet égard, que la majorité sénatoriale n’ait pas souhaité participer à la réflexion sur la réforme de la DGF. Je peux comprendre ce choix, mais cette refonte peut aussi contribuer à remédier aux inégalités territoriales actuelles.

Nous avons la volonté de permettre aux régions, aux départements, aux intercommunalités et aux communes de discuter de la mise en œuvre des compétences en fonction de priorités définies, mais je rappelle que seul le bloc communal dispose de la clause de compétence générale. On ne peut pas à la fois affirmer que la République s’appuie sur les communes et juger aberrant que la commune soit seule à disposer de la clause de compétence générale.

Oui, nous avons eu des doutes sur la mise en place des conférences territoriales de l’action publique ou sur la possibilité de prévoir des délégations infrarégionales de compétences. Nous avons travaillé sans a priori sur ces questions avec bon nombre d’entre vous.

Nous faisons confiance aux élus et, aussi difficile que la période soit sur les plans financier, économique, social et politique, nous trouverons des solutions. Aucun projet utile aux citoyens ne doit être empêché de voir le jour. (Mme Marie-Noëlle Lienemann proteste.) Madame Lienneman, la clause de solidarité territoriale est peut-être ce qui nous permettra de trouver ensemble des solutions pour aider les territoires qui sont dans la déprise, que l’on oublie souvent, ou ceux qui sont en grande difficulté, que l’on oublie toujours.

M. le président. La parole est à M. Éric Doligé, pour explication de vote.

M. Éric Doligé. Je vous ai écoutée avec attention, madame la ministre : vous nous dites que nous n’avons plus aujourd'hui des capacités financières suffisantes pour assumer la clause de compétence générale.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Ce n’est pas ce que j’ai dit !

M. Éric Doligé. Ce n’est pas de notre faute si nous n’avons plus de ressources suffisantes ! N’essayez pas de nous endormir avec un tel argument !

En 2010, M. Mercier l’a rappelé, nous avions voté la suppression de la clause de compétence générale. L’UMP a toujours maintenu cette position, car nous pensons que c’est ainsi que nous pourrons assurer le meilleur fonctionnement de nos collectivités, éviter un certain nombre de superpositions, faire des économies…

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Clarifier !

M. Éric Doligé. La création du conseiller territorial allait tout à fait dans ce sens.

Madame la ministre, reconnaissez franchement que vous aviez eu tort, en 2010, de ne pas nous suivre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je l’ai dit !

M. Éric Doligé. Vous l’avez tellement bien dit que je me suis un peu perdu dans vos propos.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je parle pourtant français !

M. Éric Doligé. Pour notre part, nous n’avons pas varié depuis 2010. Aujourd'hui, nous allons vous appuyer –c’est tout de même un geste extraordinaire ! – et voter la suppression de la clause de compétence générale. Nous pouvons au moins être fiers de la constance de notre position.

M. Éric Doligé. En effet, même si c’est la position inverse. Quand on change de position, il faut être capable de reconnaître s’être trompé.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 810.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. Mes chers collègues, il est presque minuit. Je vous propose de prolonger nos travaux jusqu’à zéro heure trente. (Assentiment.)

L'amendement n° 811, présenté par M. Favier, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Inséré un article additionnel ainsi rédigé :

L’autonomie financière des collectivités territoriales est une garantie constitutionnelle pour leur assurer le bénéfice de ressources propres et ainsi leur permettre la mise en œuvre réelle de leur libre administration.

De plus, la compensation intégrale des transferts de compétences de l’État, vers les collectivités territoriales, ou entre elles, doit être réellement assurée.

Par ailleurs toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales doit être accompagnée de ressources déterminées par la loi.

La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Il s’agit une nouvelle fois de rappeler quelques principes qui devraient inspirer ce texte tendant à modifier les compétences de certaines collectivités en leur en attribuant de nouvelles ou en leur en retirant d’autres, mais sans aborder la question des ressources, particulièrement importante à l’heure de la diminution des dotations aux collectivités territoriales.

Or le quatrième alinéa de l’article 72-2 de la Constitution dispose que « toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d’augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi ».

De surcroît, on nous annonce une réforme de la DGF, sans plus de précisions. Ainsi, le cadre financier et budgétaire dans lequel sera mise en œuvre la future loi nous est, aujourd'hui, totalement inconnu : on nous demande donc de légiférer à l’aveugle.

Aussi cet amendement vise-t-il à rappeler le cadre légal dans lequel devrait s’inscrire toute réforme des compétences des collectivités locales.

Ses premier et troisième alinéas constituent la reprise d’un amendement adopté par nos collègues députés en première lecture du projet de loi MAPTAM et validé par notre commission en deuxième lecture.

Quant au deuxième alinéa, il ne fait que reprendre le principe constitutionnel de compensation intégrale en cas de transfert de compétences. Les présidents de conseil général présents dans cette assemblée savent combien il est important d’obtenir une compensation intégrale en cas de transfert de compétences de l’État aux collectivités territoriales.

Or le moins que l’on puisse dire, c’est que ce principe est mis à mal par ce texte. Cet amendement constitue donc, en quelque sorte, un rappel à la loi !

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Tous les grands principes vont être invoqués, les uns après les autres ! Je vous renvoie, mon cher collègue, à l’article 72-2 de la Constitution, relatif à l’autonomie financière des collectivités territoriales. La commission est défavorable à cet amendement dépourvu de portée normative.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Même avis.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 811.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 812, présenté par M. Favier, Mmes Assassi, Cukierman et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

Dans les six mois qui suivent la promulgation de la présente loi, un rapport du Gouvernement est établi présentant l’ensemble des conséquences, financières et budgétaires pour les collectivités territoriales, des mesures adoptées.

La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Par cet amendement, nous demandons que le Gouvernement établisse, dans les six mois qui suivront la promulgation de la loi, un rapport sur les conséquences, tant financières que budgétaires, des mesures adoptées pour les collectivités territoriales.

En effet, ni l’étude d’impact ni le texte du projet de loi n’abordent cette question. Ce dernier se borne à prévoir une nouvelle répartition des compétences. En l’absence d’étude concrète des conséquences financières et budgétaires de celle-ci, nous ne saurions nous prononcer, sauf à signer un « chèque en blanc » !

Il nous semble pourtant que la question de la charge financière et budgétaire qui pèsera sur les différents échelons de collectivités à la suite de l’adoption de cette nouvelle organisation territoriale est loin d’être secondaire ou négligeable.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il est curieux de demander un rapport sur les conséquences de la mise en œuvre de la loi…

Nous disposons de l’étude d’impact, même si elle est assez indigente sur certains aspects. (M. Pierre-Yves Collombat s’esclaffe.) De plus, les articles finaux traitent déjà des conséquences des transferts de compétences.

Il en a été de même, je le rappelle, pour toutes les lois de décentralisation modifiant la répartition des compétences, en particulier celles de 1983.

Enfin, je ne vois pas comment il serait possible de préparer un tel rapport.

L’amendement n° 811 ne me paraît pas pertinent. L’avis est donc défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je vous signale, monsieur Favier, que l’évaluation des charges et ressources afférentes au transfert de compétences du département du Rhône à la métropole de Lyon a nécessité un travail de près d’une année ! Nous serions incapables de fournir le rapport demandé dans le délai prescrit. Si l’amendement n’est pas retiré, le Gouvernement y sera défavorable.

M. Pierre-Yves Collombat. Il vaut mieux ne pas savoir ce que l’on fait, c'est trop désespérant !

M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour explication de vote.

M. Alain Joyandet. Je voterai cet amendement, car nous sommes dans un brouillard complet s’agissant des conséquences financières du projet de loi pour les collectivités territoriales !

Nous nous préparons, les uns et les autres, à participer à des élections, sans avoir aucune idée de ce que nous pourrons dire à nos électeurs quant à la teneur de ce texte et aux conséquences de son application.

Ce n’est peut-être pas le bon moment pour aborder ce sujet, mais, au point où nous en sommes, peu importe ! Quelles seront les conséquences, madame la ministre, de la fusion de deux régions dont les niveaux de fiscalité sont totalement différents ? Pour les cartes grises, par exemple, l’écart entre les régions peut atteindre 15 euros par cheval fiscal. Au 1er janvier 2016, il n’y aura plus qu’une seule collectivité territoriale, un seul établissement public et, par voie de conséquence, un seul taux d’imposition. Or je ne vois nulle part expliqué, dans le texte, ce qui se passera à cette date. Donnera-t-on aux deux régions le temps de mettre en place une fiscalité unique ? Lorsque la taxe professionnelle unique a été instaurée, les intercommunalités ont été autorisées à procéder à un lissage des taux de fiscalité de leurs communes membres sur plusieurs années. Je ne vois aucune disposition de cet ordre dans le texte.

On m’explique que cette question ne relève pas du présent projet de loi, qu’elle sera traitée dans le cadre d’un texte financier. Ce texte nous sera-t-il soumis avant la campagne électorale, afin que nous puissions expliquer à nos électeurs ce qu’il se passera ? Je le redis, nous sommes vraiment dans un complet brouillard, à quelques semaines seulement des élections : c’est absolument inadmissible, y compris du point de vue de la démocratie ! Je n’ai jamais vu cela, et pourtant je ne suis pas un perdreau de l’année !

J’ai saisi ce matin le président de la commission des lois et le rapporteur du problème, qui me paraît crucial, de la fusion de deux régions dont les niveaux de fiscalité sont totalement différents. Que se passera-t-il ? Madame la ministre, je vous demande instamment de vous pencher sur cette question. Nous devons pouvoir disposer d’un délai de quelques années pour lisser les fiscalités. Je sais bien que la situation est plus compliquée que pour l’institution de la TPU, car alors les différentes collectivités concernées étaient maintenues et une possibilité de lissage était prévue. On ne va pas augmenter les impôts de 20 points dans une région ou les baisser dans la même proportion dans l’autre : dans le premier cas, une telle hausse des impôts serait totalement illégitime ; dans le second, la perte de recettes subie empêcherait de boucler le budget.

Nous avons besoin qu’une réponse à cette question soit apportée le plus rapidement possible.

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Notre collègue soulève une question très importante. En matière d’intercommunalités, une réponse figure dans le code général des collectivités territoriales : la fiscalité intercommunale prévoit une possibilité de lissage des impositions sur une période pouvant atteindre douze ans. Cela constitue, certes, une forme de dérogation au principe selon lequel l’impôt est le même pour tous sur un même territoire, mais la marche à franchir pour rejoindre l’impôt moyen est quelquefois tellement haute qu’il faut pouvoir disposer de temps.

Madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État, votre texte ne comporte aucune disposition de cet ordre. Il faut mettre à profit ce débat pour trouver une réponse aussi rapidement que possible. M. Joyandet a raison, il n’est pas envisageable qu’un dispositif de lissage des fiscalités des régions appelées à fusionner ne soit pas élaboré avant les prochaines élections. C’est une question de bon sens ; le Gouvernement doit nous apporter une réponse très claire sur ce point, le cas échéant en déposant un amendement à cette fin.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La loi de 1971 sur les fusions de communes prévoyait un rapprochement progressif des taux d’imposition.

Mme Jacqueline Gourault. Sur une période allant jusqu’à douze ans !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il en va de même pour la création de communes nouvelles. En revanche, rien n’a été prévu pour les fusions de régions : la réforme s’est opérée de manière tellement magique que l’on n’en découvre que maintenant un certain nombre de conséquences.

Il me semble d’ailleurs qu’un problème bien plus important que celui du lissage se pose : celui des ressources et de la fiscalité des collectivités locales, qui n’est absolument pas abordé dans ce texte. Il faudra attendre une loi de finances.

M. André Vallini, secrétaire d'État. Cette année.

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Acceptons-en l’augure !

Mon cher collègue Joyandet, vous avez bien fait de saisir cette occasion pour évoquer la question de la fusion des régions, car sinon il aurait fallu attendre l’examen de l’article 37. Mieux valait donc prendre les devants ! Cela dit, l’adoption de l’amendement de nos collègues ne résoudrait pas votre problème…

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 812.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. L'amendement n° 814, présenté par MM. Vergès et Favier, est ainsi libellé :

Avant l’article 1er

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’avant-dernier alinéa de l’article 1er de la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique est ainsi rédigé :

« En Guadeloupe et à La Réunion, le congrès des élus départementaux et régionaux est composé des membres du conseil général et du conseil régional. »

La parole est à M. Christian Favier.

M. Christian Favier. Je supplée mon collègue Paul Vergès, qui aurait voulu présenter lui-même cet amendement.

La Réunion est une région monodépartementale : sur un même territoire coexistent deux collectivités, la région et le département.

C’était le cas également de la Guyane et de la Martinique avant qu’elles n’optent pour un nouveau statut de collectivité ou d’assemblée unique. Elles ont pu le faire parce qu’elles sont dotées d’un congrès, structure qui réunit les conseillers régionaux et les conseillers généraux, et qu’elles ont obtenu le consentement des électeurs. La Guadeloupe avance aussi vers le statut de collectivité ou d’assemblée unique. Les limites du statut de région monodépartementale ont motivé la modification institutionnelle mise en œuvre par ces trois collectivités d’outre-mer.

À La Réunion, la situation de région monodépartementale est aussi devenue problématique, même si, depuis les premières lois de décentralisation, les exécutifs du conseil régional et du conseil général ont déployé, de façon constante, des efforts d’harmonisation de leurs compétences. Mais La Réunion ne peut pas évoluer statutairement, car elle ne peut réunir le congrès, comme ont pu le faire la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane.

Cet amendement vise donc à accorder à La Réunion un droit dont disposent déjà la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane.

En effet, c’est bien en termes de droit qu’il faut aborder cette question. Dire qu’aucune disposition n’interdit aujourd’hui aux élus réunionnais de se réunir en congrès de façon informelle est tout simplement porter atteinte au principe d’égalité. Il s’agit même d’une discrimination, qu’il n’est pas question pour nous d’accepter.

Un deuxième argument nous a été opposé, tout aussi pernicieux et inacceptable : toute évolution institutionnelle de La Réunion nécessiterait de supprimer la disposition dite « Virapoullé ». Il s’agit là d’une grave confusion, pour ne pas dire d’une méconnaissance profonde des textes réglementaires et législatifs.

La disposition Virapoullé ne se rapporte pas à la question de l’évolution statutaire ou institutionnelle. Elle ne vise qu’à exclure La Réunion du champ d’application de deux dispositions de l’article 73 de la Constitution : d’une part, la possibilité d’adaptation des lois et règlements par les collectivités dans les matières où s’exercent leurs compétences et si elles y ont été habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement ; d’autre part, la possibilité pour ces collectivités de fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire, dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement. La disposition Virapoullé n’a donc absolument rien à voir avec la question de l’évolution institutionnelle.

Enfin, il s’agit ici d’un amendement de cohérence, dans la mesure où il vise uniquement à mettre en conformité la loi du 13 décembre 2000 d’orientation pour l’outre-mer avec le texte de la Constitution tel qu’issu de la révision constitutionnelle de 2003. Il tend à inscrire La Réunion dans un cadre légal, en s’appuyant sur les dispositions constitutionnelles les plus récentes. Ne pas adopter cet amendement reviendrait donc à entretenir sciemment l’incohérence entre ces textes.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Un amendement identique avait déjà été présenté et repoussé lors de l’examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions.

Rien n’empêche les assemblées départementale et régionale de la Guadeloupe et de La Réunion de se réunir pour discuter ! En outre, j’observe que, dans certaines collectivités, les électeurs se sont opposés à l’institution d’une assemblée unique. Je sais bien que certains cherchent à contourner cette opposition, mais tout de même !

La Réunion fait l’objet de dispositions constitutionnelles particulières, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ici. La commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la délimitation des régions a supprimé cette disposition qui avait été votée « par mégarde » au Sénat, n’est-ce pas, monsieur Delebarre ?

M. Michel Delebarre. Tout à fait !

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n'y a pas lieu de délibérer à nouveau sur cette question. Cela étant, il ne paraît guère logique qu’une région et un département coexistent sur un même territoire : on pourrait, à terme, envisager une simplification. Je ne suis pas du tout hostile par principe à une telle évolution, mais encore faut-il que les citoyens soient d’accord ! Or, pour l’instant, ce n’est pas le cas. Pour l’heure, laissons donc la Constitution telle qu’elle est.

L’avis de la commission est défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

M. André Vallini, secrétaire d'État. La création d’un congrès des élus départementaux et régionaux à la Guadeloupe est déjà prévue par le dernier alinéa de l’article 1er de la loi du 27 juillet 2011 relative aux collectivités territoriales de Guyane et de Martinique.

Dans le cas de La Réunion, la création d’un tel congrès ne semble pas faire l’objet d’une demande unanime localement ni relever d’un besoin particulier. (M. le rapporteur approuve.)

En effet, comme l’a dit M. le rapporteur, la concertation entre les assemblées départementale et régionale peut d'ores et déjà se faire en l’absence d’un cadre formel.

Je rappelle à mon tour qu’un amendement identique avait déjà été discuté dans le cadre de l’examen du projet de loi relatif à la délimitation des régions. Le Gouvernement, que je représentais alors, avait déjà émis un avis défavorable, que je réitère aujourd’hui.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Je souhaite apporter une précision à M. Joyandet à la suite du débat que nous avons eu sur l’amendement n° 812 : aux termes de l’alinéa 32 de l’article 37, concernant les cartes grises, tant qu’une délibération globale n’aura pas été prise par la nouvelle région pour l’ensemble du territoire régional, les délibérations prises par les anciennes régions s’appliqueront. Il n’y aura donc pas d’uniformisation brutale au 1er janvier 2016.

Si vous souhaitez que l’on ouvre en outre la possibilité d’un lissage, nous pourrons l’envisager lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.

Pour ce qui concerne les autres impôts, il n’existe pas d’autonomie régionale, au regret de beaucoup, d'ailleurs. Seules les cartes grises sont concernées, le produit de cette imposition ne représentant que 8 % de l’ensemble des recettes régionales.

M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet.

M. Alain Joyandet. Madame la ministre, permettez-moi de prendre un exemple concret, celui de la fusion des régions Bourgogne et Franche-Comté, que je connais bien : si l’on alignait le tarif des cartes grises de Franche-Comté sur celui de Bourgogne, il en coûterait 18 millions d’euros supplémentaires aux Francs-Comtois. Contrairement à ce que vous donnez à entendre, ce n’est pas rien ! Le surcroît de prélèvement fiscal serait très élevé !

Par ailleurs, je vous signale que nous délibérons tous les ans ! Nous le ferons donc en 2016 pour fixer les taux d’imposition dans la nouvelle région, et ce avant le 31 mars ! Pour ouvrir une possibilité de lisser les taux d’imposition sur quatre ou cinq ans, il faut adopter une disposition législative à cette fin ! Madame la ministre, je ne comprends pas votre réponse, qui ne me satisfait nullement.

Mme Marylise Lebranchu, ministre. Nous vous apporterons des éléments de réponse écrits.

M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 814.

(L'amendement n'est pas adopté.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Articles additionnels avant l'article 1er (début)
Dossier législatif : projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République
Discussion générale

21

Ordre du jour

M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à aujourd’hui, mercredi 14 janvier 2015, à quatorze heures trente et le soir :

Suite du projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (procédure accélérée) (n° 636, 2013-2014) ;

Rapport de MM. Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, fait au nom de la commission des lois (n° 174, 2014-2015) ;

Texte de la commission (n° 175, 2014-2015) ;

Avis de M. Rémy Pointereau, fait au nom de la commission du développement durable (n° 140, 2014-2015) ;

Avis de Mme Catherine Morin-Desailly, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 150, 2014-2015) ;

Avis de M. René-Paul Savary, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 154, 2014-2015) ;

Avis de Mme Valérie Létard, fait au nom de la commission des affaires économiques (n° 157, 2014-2015) ;

Avis de M. Charles Guené, fait au nom de la commission des finances (n° 184, 2014-2015).

En outre, à quatorze heures trente :

Désignation des trente-sept membres du groupe de travail préfigurant la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi pour la croissance et l’activité.

Personne ne demande la parole ?…

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 14 janvier 2015, à zéro heure vingt-cinq.)

Le Directeur du Compte rendu intégral

FRANÇOISE WIART