Mercredi 5 février 2014

- Présidence de M. Raymond Vall, président -

Audition de M. Pascal Berteaud, directeur général de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN)

La commission entend M. Pascal Berteaud, directeur général de l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN).

M. Raymond Vall, président. - Je suis heureux d'accueillir M. Pascal Berteaud, directeur général de l'IGN. Le changement climatique appelle une réflexion sur notre capacité à anticiper. Alors que les élus se penchent sur les plans climat et les Scot, l'information cartographique que l'IGN est susceptible de leur apporter pourrait leur être très précieuse.

M. Pascal Berteaud, directeur général de l'IGN. - Quelques mots, tout d'abord, sur l'histoire de l'institution. Elle remonte au XVIIème siècle, avec la création par Colbert de la commission royale de la carte de France, et par Louvois du dépôt de guerre, lointain ancêtre de l'IGN. L'enjeu était alors de dresser une cartographie générale de la France, avec des repères de géodésie. Ce fut la fameuse carte de Cassini, dont l'élaboration a requis un siècle et demi. Lorsque le projet fut arrivé à maturité, entre la fin du XVIIIème et le début du XIXème, Napoléon jugea qu'il était trop stratégique pour être laissé au pouvoir civil et le classa secret défense. Quant au dépôt de guerre, il devint le service géographique des armées. L'institution est donc née sous régime militaire. Elle s'est alors employée à l'élaboration des cartes d'Etat major. C'est au début du XXème siècle qu'apparaît la cartographie au 25/1000ème, toujours sous régime militaire. Avec la débâcle de 1940, c'est encore une préoccupation stratégique - éviter que l'outil ne tombe dans les mains de l'armée allemande - qui détermine la signature par Pétain du décret du 27 juin 1940 transformant l'IGN, qui trouve là son appellation, en service civil. Commencent alors à se diffuser les cartes au 25/1000ème.

En 2012, l'IGN a fusionné avec l'Inventaire forestier national, regroupement de deux métiers qui l'un et l'autre ont vocation à décrire. Jusqu'à ces dernières années, l'IGN a eu presque exclusivement pour mission de faire des cartes, dont la vente lui assurait un tiers de ressources propres, le reste de son budget, soit les deux tiers, relevant d'une dotation de l'Etat. Notre métier consiste à acquérir des données, par voie aérienne ou satellitaire mais aussi grâce à nos équipes de terrain. Nous créons de grosses bases de données et concevons des logiciels pour en tirer automatiquement cartes et ortophotoplans. Tout n'est cependant pas automatisé : outre 800 ingénieurs et techniciens, 700 ouvriers travaillent en aval du processus.

Depuis quelques années, l'émergence du numérique et la deuxième révolution de l'Internet, ont profondément modifié le contexte. Avec l'apparition des terminaux numériques - smartphones, tablettes - nous sommes passés d'une société de l'information à une société de l'information géolocalisée. Si Google a entrepris de faire des cartes, c'est que la composante géographique de l'information est devenue essentielle, dans la mesure où les clients sont devenus mobiles. Désormais, les modèles économiques de l'Internet sont tous fondés sur l'utilisation de données de géolocalisation. L'IGN n'est donc plus seul à produire des cartes. Toutes les grandes multinationales s'intéressent au sujet. Elles mettent à disposition des données certes gratuites, mais se payent en vendant ce que d'aucuns ont appelé du « temps de cerveau disponible », grâce à la collecte des données de leurs utilisateurs...

A l'IGN, la confection des cartes est désormais presque automatisée. Nous avons, l'été dernier, créé la première carte automatisée, par extraction de nos bases. La partie est rude car avec le big data, il est devenu possible de brasser d'énormes quantités de données. L'application Tom Tom pour Iphone, par exemple, met à jour ses bases en utilisant les traces GPS de ses clients, quelque 15 milliards de traces grâce auxquelles des logiciels mettent à jour les cartes. Google a acquis l'an dernier la start up Waze, créée il y a cinq ans seulement, pour 1 milliard de dollars ! Cette application met à jour ses cartes en temps réel en se fondant sur les temps de parcours des utilisateurs : elle est aujourd'hui la plus performante pour le guidage. Bien entendu, Google ne manque pas de collecter les données des utilisateurs à des fins commerciales.

Nous avons réfléchi, au sein du conseil d'administration et avec les salariés, à ce que devrait être l'IGN du XXIème siècle. On peut se demander, au premier abord, si dès lors que l'on trouve de l'information géographique partout, l'IGN peut encore être utile. Mais on comprend vite que comme par le passé, l'information géographique demeure stratégique pour un pays. La capacité de se décrire, de décrire les autres, de maîtriser des technologies porteuses de croissance est un élément de souveraineté. Quand on envoie des missiles au Mali, mieux vaut ne pas dépendre de l'information géographique délivrée sur Google ou Openstreetmap. Mais cela vaut aussi au plan civil et national : pour l'implantation de zonages réglementaires, il faut pouvoir compter sur une information géographique précise. Sans parler de la protection des données personnelles, sachant que le modèle économique des cinq majors du net est fondé sur leur exploitation, et que lorsque par un simple clic, on dit oui à l'utilisation de ses données personnelles, on ne sait pas bien à quoi cela engage. Enfin, la France se doit de maîtriser des technologies créatrices de richesses, pour qu'il ne soit pas dit que le prochain Google ou le prochain Facebook sera nécessairement américain.

Nous avons ainsi reconfiguré les missions de l'IGN, autour de plusieurs axes. La recherche et développement et l'enseignement, tout d'abord. L'institut a toujours fonctionné à la manière des arsenaux, avec son école, ses laboratoires - au reste bien notés par l'Agence nationale de la recherche. Pourquoi ne pas utiliser ces capacités pour répondre aux besoins de la nation ? Nous avons donc décidé de nous engager dans des partenariats industriels, de créer des incubateurs de projets - le premier sera lancé dans les semaines à venir. Nous sommes également capables de former les ingénieurs et les techniciens de la géomatique dont les collectivités locales et les grandes entreprises françaises ont besoin.

Deuxième mission, décrire le territoire et acquérir des données géographiques. Nous devons être capables de fabriquer des référentiels d'autorité couvrant l'ensemble du pays. Sur le net, si l'on trouve beaucoup d'informations sur les zones denses, il n'en va pas de même pour les zones rurales. Il s'agit pour nous de fournir des données précises, mises à jour à bonne fréquence, en élaborant des référentiels de socle pour asseoir la réglementation et bâtir les politiques publiques. Dire que pour 90 % des usages, une information géographique normée n'est pas requise, c'est aussi dire qu'elle le demeure pour 10 %.

De tels référentiels rendront possible le croisement des données, et la simulation. A l'époque de Colbert, on avait besoin d'une description physique du territoire pour des raisons militaires. Aujourd'hui, on en a également besoin pour des raisons économiques, sociales, environnementales. Si l'on est capable de produire des données d'une grande précision, à 50 centimètres, on peut bâtir un service numérique du territoire pour mettre en scène l'ensemble de ces données. L'IGN pourrait offrir une telle infrastructure, alimentée par les acteurs, dans une logique de plate-forme.

Demeure enfin notre mission au service du ministère de la Défense : cartographie et système d'information sur les points chauds du globe pour préparer de potentielles interventions, assistance aux forces en temps de conflit, pour le ciblage.

En matière de description du territoire, nous avons d'ores et déjà ajouté, à la description physique, une description réglementaire. Nous avons identifié pas moins de 400 types de zonage. A l'heure où l'on parle de simplification, mettre à disposition des décideurs de telles informations éclairerait bien des débats...

Nous avons également le projet d'un géoportail de l'urbanisme, agrégeant les PLU, pour une recherche par parcelle sur internet. Qui va consulter le tableau en liège de la mairie où sont épinglés les permis de construire ? Personne. Or chacun pourrait y avoir facilement accès, grâce à un simple logiciel. Même chose pour les enquêtes publiques. Autant de services indispensables que nous pourrions offrir au citoyen. Et l'on peut même imaginer aller plus loin, en fournissant des statistiques utiles pour l'ensemble des politiques publiques. C'est là un enjeu d'avenir.

En matière de capacité prédictive et de simulations touchant au changement climatique, nos projets en sont au stade de la recherche. Nos modèles sont plus précis aujourd'hui qu'il y a quatre ou cinq ans : une maille de 8 à 12 kilomètres, soit entre le 100/1000ème et le 200/1000ème. Or, s'il existe une abondante littérature sur le sujet, on ne trouve pas, en revanche, de cartes : le savoir-faire de l'IGN vaudrait d'être utilisé. Nous savons représenter des données brutes, comme les variations de température ou la pluviométrie - travail que nous avons engagé - mais aussi produire des simulations. Nous avons identifié des domaines. En matière agricole, hydrographique, forestière, nous travaillons avec l'INRA (Institut national de la recherche agronomique). Pour les inondations, nous allons travailler avec l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture). Au printemps, nous devrions disposer de prototypes sur une zone test...

M. Raymond Vall, président. - Le Gers ! (sourires)

M. Pascal Berteaud.  - Avec Météo France, l'INRA, le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), nous allons chercher ce que nous sommes capables de faire en commun, dans la perspective du contrat d'objectifs et de moyens 2015. Des cartes bien faites parlent au citoyen et peuvent faire évoluer les choses.

M. Raymond Vall, président. - L'idée que l'IGN pourrait fournir des outils aux élus est née d'une discussion à bâtons rompus que nous avons eue il y a quelques semaines. M. Berteaud a depuis fait un tour de table, et il apparaît que ce projet d'agrégation des données, né sous les auspices de notre commission, pourrait voir le jour. Les élus doivent être sensibilisés et savoir qu'ils pourront disposer de tels outils en 2015.

M. Michel Teston. - Après un excellent rappel historique, vous nous avez dit comment vous avez été appelé à reconfigurer les missions de l'IGN, mais sans évoquer la question essentielle des ressources. Comment vont-elles évoluer, sachant que vos ressources propres n'étaient plus que de 33 % en 2012, contre 56,8 % en 2008, et que ce sont les subventions du ministère, des collectivités locales et d'autres organismes publics qui sont venues les compenser ? Vous avez indiqué à juste titre que la diminution de vos recettes était due à une concurrence accrue. Faut-il renégocier votre partenariat avec les services de l'Etat ? Un rapprochement plus fort entre l'IGN et le cadastre ne serait-il pas utile ? Les informations du cadastre servent à la rédaction des actes et donnent des éléments d'appréciation à la conservation des hypothèques, mais elles pourraient trouver des applications plus larges dans votre géoportail.

M. Pascal Berteaud.  - Le cadastre a été créé en 1807. Dix ans plus tard, une tentative de réunion avec l'institut cartographique n'a pas abouti, et c'est ainsi que chacun a suivi sa voie. Si bien que lorsque deux cents ans plus tard, on essaye de superposer nos cartes, cela ne fonctionne pas. En 2000, nous avons créé une base de données parcellaire ; nous avons utilisé les cartes du cadastre, mais il a fallu les déformer, parce que la terre est ronde, et qu'il y a du relief... Si bien que l'on a maintenant, en somme, deux cadastres. Cela fait désordre... Cependant, réduire un schisme aussi ancien n'est pas simple. Nous avons procédé par expérimentation, au niveau départemental. Nos techniciens et ceux du cadastre se sont mis d'accord sur une méthodologie, mais il faudra six ou sept ans pour parvenir à une représentation cadastrale unique. Tout cela est un peu complexe, y compris pour les élus locaux. Il a fallu faire ressortir tout ce qu'on avait mis sous le tapis depuis 200 ans. C'est comme ouvrir la boite de Pandore... Pour l'instant, nous construisons une base de données unique. Je ne saurais dire si cela débouchera, à terme, sur une fusion.

La question des ressources est essentielle. Nous sommes confrontés à trois phénomènes : la gratuité sur internet ; l'émergence de produits collaboratifs comme l'Openstreetmap, équivalent de Wikipédia pour la cartographie ; les politiques d'open data. La gratuité des référentiels de l'IGN pour les autorités publiques, décidée en 2011, fut compensée par dotation - une des raisons de son augmentation. Mais la diminution des recettes va au-delà ; elles ne sont plus que de 30 millions, contre 45 millions en 2008, et ne dépasseront pas 15 millions d'ici quatre ou cinq ans, sur un budget qui est aujourd'hui de quelque 160 millions, dont 95 millions en dotation de l'Etat. Cela étant, on ne s'en sortira pas en s'arc-boutant contre l'open data ou en s'engouffrant dans des logiques commerciales. Si l'on veut être opérateur de politiques publiques, c'est une autre voie qu'il faut suivre. Nous trouverons notre utilité via des applications comme le géoportail de l'urbanisme, qui peut se décliner en une gamme de services allant du gratuit au payant, avec peut-être une tarification progressive - parce qu'on ne va tout de même pas donner gracieusement à Google ou Apple... La valorisation pourra ainsi se faire sur les données à valeur ajoutée, selon un système tarifaire dit freemium qui a largement cours dans le numérique.

Mme Hélène Masson-Maret. - Les plans de prévention des risques soulèvent bien des conflits qui mettent les maires en porte-à-faux. Certains administrés ne comprennent pas que des territoires où leur famille a résidé des lustres soient frappés d'interdiction. Il semble cependant que l'on s'achemine vers un consensus, puisque j'ai ouï dire qu'il y aurait des zones exceptables. Mais j'ai aussi entendu dire que des poches d'eau se formaient dans certains territoires, qui accroitraient le danger. J'aimerais savoir comment vous participez à l'établissement du PPR, en particulier pour ce qui concerne les sols.

Mme Évelyne Didier. - Je vous remercie de votre exposé, fort pertinent. Existe-t-il, en Europe ou dans le monde, des institutions qui vous soient comparables ? La généralisation des Scot, comme celle des cartes communales et des PLU, va vous permettre de disposer de données communes. Comment entendez-vous les exploiter ? Menez-vous des travaux prospectifs, et dans quels domaines ? Je pense à l'évolution des cartes dans le temps. Dans ma commune, en Lorraine, la suppression des zones d'épandage de crues a été pour nous dramatique. C'est un vrai problème pour nous, qui ne préoccupe guère ceux de l'amont...

Un mot sur le cadastre. Nous avons besoin, dans les communes, de cartes à jour ; or, elles ne le sont jamais. Votre travail commun est-il susceptible d'améliorer les choses ? Travaillez-vous avec le BRGM sur la cartographie du sous-sol ? Serez-vous associés à ses travaux d'exploration ?

M. Jean-Jacques Filleul. - Vous avez dit qu'accepter la géolocalisation sur une application, c'est prendre des risques. Lesquels ? Travaillez-vous à un inventaire des secteurs archéologiques, qui posent de réels problèmes, tant en termes de coût pour les investisseurs que de délais, lorsque nous menons des projets ? Enfin, la perspective d'un équivalent européen à Google maps est-elle envisageable ?

M. Ronan Dantec. - Nantes Métropole mène un travail d'intégration des données cadastrales et territoriales. Mais tous les territoires n'ont pas les moyens de faire de même. La création d'un outil national mettrait tout le monde à égalité et faciliterait les échanges. Sans parler des économies d'échelle.

Sur le climat, Météo France a ses propres mailles. Procédez-vous à des croisements ? Les recoupements auraient un intérêt tout particulier en matière de prévention des inondations, car la topographie compte beaucoup. Disposer d'un outil prédictif serait précieux, on le voit bien, pour les zones littorales, avec les inondations de cette semaine. Disposez-vous, enfin, d'un outil partagé avec l'Onerc (Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique), où je représente le Sénat ?

Peut-on envisager l'émergence d'un géant français ou européen de la géolocalisation ? Est-il possible de définir une stratégie qui nous assurerait la maîtrise de nos grands outils de localisation ?

M. Henri Tandonnet. - Merci de votre présentation, qui nous fait prendre conscience des enjeux. L'IGN est, en somme, à la croisée des chemins. Les Scot vont être généralisés. Celui dont j'ai la charge sera approuvé fin février. Il devra être évalué tous les six ans, ce qui suppose de mettre en place des indicateurs. Êtes-vous en mesure de nous accompagner ?

Autre enjeu, la mutualisation. Les géomètres experts essaient de mettre en place un logiciel agrégeant les bases de données généralistes. Je pense aussi à la plateforme de mutualisation Pigma, montée en Aquitaine grâce aux fonds européens, et ouverte aux acteurs qui l'alimentent. Nous travaillons sur l'adaptation au changement climatique et la problématique de l'eau. L'IGN pourra-t-elle nous aider ? La production végétale, via la photosynthèse, envoie de l'eau dans l'atmosphère : changer les cultures, c'est aussi changer le climat. Nous souhaiterions mener une évaluation.

M. Robert Navarro. - Vous nous avez éclairés sur l'acuité de problèmes appelés à s'aggraver dans les années à venir. Après la télévision, qui, loin de devenir un outil éducatif, a tiré tout le monde vers le bas, Internet devient une catastrophe pour la structuration de nos sociétés. Les données sont captées par les Américains, qui les manipulent et s'en servent pour manipuler.

On peut désormais tout voir en images, la parcelle du voisin, sa piscine... Et la conséquence, c'est que les conflits s'aiguisent dans les communes. On voit se multiplier les lettres de dénonciation. Les instincts les plus bas prennent le dessus. Il revient aux élus que nous sommes de bien cadrer les choses, pour étager la transparence. ... Comment pouvez-vous, de ce point de vue, nous éclairer ?

Nos forêts sont mal utilisées. On coupe en France à outrance, et l'on envoie nos bois à l'étranger pour la fabrication de meubles qui nous reviennent au prix fort. Comment y remédier ?

M. Pierre Camani. - Je me réjouis du projet de mutualisation des données avec Météo France. Dans le Lot-et-Garonne, nous avons mis en place une mission sur l'adaptation au changement climatique. Depuis le Grenelle, nous avons élaboré une cartographie. Nous sommes le deuxième département irriguant de France. Comment conserver cette force pour notre agriculture et nous adapter aux nouvelles conditions météorologiques et climatiques ? Comment adapter nos villes à ces changements ? J'ai cru comprendre que vous allez mener un travail sur le changement climatique dans le Gers. Le Lot-et-Garonne pourrait suivre... (sourires). Vous avez évoqué un géoportail de l'urbanisme. A quel délai ?

Mme Marie-Françoise Gaouyer. - J'ai apprécié votre intervention, mais peut-être faudrait-il entendre Météo France, car je m'inquiète pour son avenir. On ne parvient pas à tout prévoir. Une tornade de douze minutes que personne n'avait prévue a frappé mon canton, y provoquant jusqu'à des incendies.

Lorsque les rues sont peu empruntées, les changements de nom ou du sens de circulation ne sont pas mis à jour dans les GPS. Dans ma commune, nous devons payer une entreprise hollandaise pour assurer ces mises à jour sans lesquelles les camionneurs ne s'y retrouvent pas. J'ajoute au passage qu'ils ne veulent pas, bien souvent, charger les mises à jour parce que cela supprime les indications de radars... En Angleterre, il suffit de taper une adresse postale pour se retrouver en géolocalisation. C'est très efficace.

Mme Évelyne Didier. - Que pensez-vous de la 3D ? J'ai fait faire une modélisation, dans ma commune, pour les inondations. C'est une technologie intéressante.

M. Raymond Vall, président. - Dans le Gers, nous avons un pôle d'excellence rurale très performant. Nous avons fait travailler ensemble des acteurs comme Météo France ou La Poste. Il s'agissait, notamment, de faire jouer aux postiers un rôle dans l'entretien des routes. Quand un postier tombe sur un nid de poule, il le signale. Nous avons voulu mettre tout cela sur carte, d'où nos contacts avec l'IGN. C'est ainsi qu'est venue l'idée d'aller plus loin. Et cela concernera, je puis vous rassurer, tous les territoires. Nous pourrons bien sûr revoir, le président de Météo France, que nous avons entendu il y a six mois, lors de son installation. Nous avons également pris contact, avec L'Onerc, pour accélérer la collaboration avec l'IGN.

M. Pascal Berteaud.  - Je vous rassure, madame Gaouyer, Météo France et l'IGN ont leur siège dans le même bâtiment et le bureau de son président est à vingt mètres du mien. L'apport de l'IGN, c'est sa capacité à représenter les phénomènes, mais nous partons nécessairement du travail de Météo France.

Oui, madame Didier, nous avons des homologues européens. En Angleterre, en Suisse, en Suède existent des organismes comparables sur le plan de la recherche et de l'enseignement, mais dans l'ensemble, c'est la diversité qui prévaut, tant pour les compétences que pour le rattachement. Si bien qu'il n'est pas facile de travailler à vingt-sept. Quand Microsoft a voulu une cartographie aérienne de l'Europe, elle a mis 200 millions de dollars sur la table et acheté une compagnie aérienne. Autre chose est de se mettre d'accord à vingt-sept, avec des moyens limités.

Nous ne sommes pas pour autant condamnés à un Internet non maîtrisé, aux mains de multinationales. L'IGN ne peut certes pas concurrencer Google, dont les capacités de recherche et développement sont énormes - 40 % de son budget - mais ce que nous pouvons faire, c'est fournir des référentiels neutres et aider les entreprises à bâtir sur cette base, en leur donnant la garantie que leurs données ne seront pas utilisées. Nous pouvons également valoriser les données publiques. Les données que l'on trouve sur le net ne sont pas de grande qualité, mais ce que l'on appelle l'expérience utilisateur est, en revanche, incomparable. Nous pourrions rivaliser en agrégeant, par exemple, les données des grandes agglomérations - dont le travail est plus précis encore que le nôtre. Les nouvelles technologies, via le cloud et le big data, facilitent les choses.

On a beaucoup parlé, dans les médias, de l'open data. Mais il ne suffit pas de mettre à disposition des données publiques ; encore faut-il les structurer, avec le souci de créer une dynamique autour de leur utilisation. L'adresse est une des données géographiques qui a encore de la valeur. Nous savons, grâce au géocodage, l'exploiter. Mais la difficulté, c'est que les adresses changent. C'est pourquoi nous croyons beaucoup au travail collaboratif. Nous avons ainsi engagé un projet commun de base d'adresses nationale avec La Poste, l'Insee, le cadastre, ainsi qu'avec les communes, car ce sont elles qui connaissent le mieux le terrain. Notre base d'adresses IGN est désormais reconnue comme l'une des plus complètes.

J'entends votre préoccupation sur les PPR et des inondations. Comme ancien directeur de l'eau, j'y suis fort sensible, car j'ai eu à gérer bien des crises. Quel peut être, en la matière, l'apport de l'IGN ? Si nous ne sommes pas spécialistes des questions hydrauliques, nous sommes capables, en revanche, de produire une description fine des zones inondables ou submersibles. Nous avons entamé un relevé topographique très fin, d'une précision à 10 centimètres. En cas de grande inondation, nous envoyons des avions, quand les conditions le permettent, prendre des vues aériennes, afin de connaître précisément l'enveloppe des zones inondées. Avec l'altimétrie, on peut ainsi caler plus finement les modèles et obtenir une approche plus précise, utile pour les PPR.

M. Raymond Vall, président. - Lorsque les élus s'adressent aux services de l'Etat, on leur répond qu'il n'y a plus de moyens. Résultat, les zones d'épandage des crues ne sont plus respectées. Les services auraient grand besoin d'être alimentés en information.

M. Pascal Berteaud.  - Nous avons lancé, fin 2013, un projet de référentiel d'occupation des sols à grande échelle, nécessaire pour mesurer efficacement le phénomène de l'artificialisation. Nous le testons sur trois régions et commençons à en livrer des éléments.

La 3D ? En matière de représentation géographique, c'est l'avenir. Demain, les GPS offriront une vision tête haute et une représentation en 3D, que l'on commence à trouver sur les véhicules de luxe. Se pose aussi le problème du positionnement des réseaux. Nous avons besoin de référentiels en 3D et commençons à engager des collaborations, avec l'idée de bâtir une architecture facilitant le partage de données pour tous ceux qui souhaitent se lancer dans l'aventure.

Je ne saurais me prononcer, monsieur Navarro, sur la filière forêt : notre métier se situe en amont. Nous identifions les ressources, la manière dont elles sont consommées, nous dressons une cartographie des essences, à partir de photos aériennes mais aussi de 8 000 points terrestres : sur des cercles de 25 mètres de diamètre, un inventaire est établi chaque année. Sur l'aval, nous manquons d'éléments. La loi d'avenir pour l'agriculture et la forêt prévoit la création d'observatoires : nous militons pour qu'ils balaient l'ensemble de la filière. Car de fait, il est paradoxal de voir l'exploitation reculer alors que la ressource augmente.

J'en viens à la question du changement climatique. Le métier de l'IGN n'est pas la prévision, mais nous avons, en revanche, la capacité de représenter les phénomènes. Notre projet est de travailler avec Météo France et l'Onerc pour produire des données, avec l'INRA pour mesurer les conséquences agricoles, avec l'Irstea pour les inondations, et de bâtir, à partir de là, des représentations. Nous n'apportons pas l'expertise, mais nous la traduisons en une cartographie parlante, en particulier pour le citoyen, car l'enjeu est bien de convaincre que le climat va changer et qu'il y aura des conséquences.

M. Raymond Vall, président. - Le projet en 3D Callisto a fait son entrée au musée de La Villette. Il est le fruit de l'initiative de grands groupes des métiers de la construction qui ont souhaité disposer de simulations géopositionnées de leurs projets de construction. Je suis allé voir. La Villette a traduit cette technologie sur le système solaire. C'est impressionnant. On pourra un jour, en zoomant sur la terre, observer les effets du changement climatique.

M. Pascal Berteaud.  - Les projections en 3D de projets d'aménagement peuvent être très utiles pour convaincre, par exemple dans les réunions de quartier. Nous lancerons prochainement une initiative sur le sujet.

M. Raymond Vall, président. - Il me reste à vous remercier pour cet échange captivant, qui nous ouvre bien des horizons. Il peut être très utile, en ces domaines, de désigner un référent municipal. L'Association des maires de France devrait sensibiliser ses adhérents. Dans le Gers, nous avons déjà des référents chargés d'alimenter l'IGN. C'est une initiative qui mériterait d'être généralisée.

Nous avons conscience des enjeux du changement climatique et serons amenés à faire le point sur ce qui aura été engagé en commun avec Météo France et l'Onerc. Nous sommes donc appelés à nous revoir.