Mardi 11 octobre 2022

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 14 h 00.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 - Audition de Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous entendons cet après-midi Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023.

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Je rappelle à nos collègues qu’un scrutin pour l’élection d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République se tient à partir de 14 h 30 et jusqu’à 15 heures en salle des Conférences.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée auprès du ministre des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées, chargée des personnes handicapées. – Je vous remercie de votre invitation à venir m’exprimer devant vous non seulement sur le PLFSS, mais aussi, plus largement, sur les orientations qui seront les miennes et celles du Gouvernement en matière de handicap.

Le handicap est une politique prioritaire du Gouvernement, comme l’a affirmé avec force Mme la Première ministre dès son discours de politique générale du 6 juillet 2022. Elle l’a réaffirmé lors du Comité interministériel du handicap (CIH), qui s’est tenu jeudi dernier en présence du Gouvernement, des associations et des représentants des élus locaux. Avec cette instance, Élisabeth Borne a fixé un cap, une méthode et des priorités à notre action. En inscrivant le handicap dans la feuille de route de chacun des ministres, nous nous assurons que le handicap soit toujours inclus dans leur action.

Notre conviction est simple : les personnes en situation de handicap doivent être prises en compte systématiquement dès la conception de toute politique publique. En désignant dans chaque préfecture un sous-préfet « référent handicap », nous nous assurons que ces politiques sont mises en œuvre sur l’ensemble du territoire en coopération avec tous les acteurs locaux concernés et au plus proche des besoins de chacun. C’est une nécessité parce que notre politique du handicap n’a de sens que dans les effets directs qu’elle produit sur le quotidien de nos concitoyens.

Le caractère prioritaire de cette politique se traduit dans ce PLFSS par une augmentation sans précédent de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour le volet « Personnes en situation de handicap » de 5,2 %, soit 730 millions d’euros supplémentaires. Nous poursuivons ainsi les engagements pris lors de la dernière Conférence nationale du handicap (CNH) du 11 février 2020, alors même que nous préparons activement la CNH de l’an prochain.

Nous pouvons constater les résultats de l’action menée depuis cinq ans dans chaque ministère, mais beaucoup reste à faire. L’attractivité des métiers du secteur social et médicosocial est un enjeu essentiel qui concerne l’ensemble des politiques de l’autonomie. Nous ne pouvons être à la hauteur de nos ambitions sans le travail admirable sur le terrain. C’est pourquoi 300 millions d’euros supplémentaires seront consacrés dans ce PLFSS aux revalorisations de salaires, conformément aux engagements du Premier ministre Jean Castex lors de la Conférence des métiers de l’accompagnement social et médicosocial du 18 février 2022.

Par ailleurs, le secteur social et médicosocial fait face à une inflation importante. C’est pourquoi près de 150 millions d’euros supplémentaires seront alloués aux établissements sociaux et médicosociaux pour personnes en situation de handicap. Comme l’a annoncé Jean-Christophe Combe, le bouclier tarifaire bénéficiera également aux établissements pour adultes en situation de handicap. Et les négociations sont en cours de finalisation pour les établissements pour enfants.

Avec le PLFSS pour 2023, nous poursuivons et amplifions la mise en œuvre de grands objectifs et de politiques prioritaires.

D’abord, 70 millions d’euros supplémentaires seront alloués au développement de l’école inclusive et à la scolarisation des enfants et des adolescents en situation de handicap. Cela favorisera la création de places pour les élèves polyhandicapés et le déploiement des unités d’enseignement en maternelle (UEM) et en élémentaire autisme (UEEA). Nous allons également accroître les coopérations opérationnelles entre l’école et les établissements médicosociaux pour favoriser la scolarisation en milieu ordinaire des enfants en situation de handicap.

Ensuite, 80 millions d’euros supplémentaires seront fléchés en direction des publics prioritaires. Je pense aux adultes en situation de polyhandicaps et aux personnes handicapées vieillissantes. Ces crédits financeront aussi la politique du handicap outre-mer, qui accuse des retards inacceptables.

Par ailleurs, une partie de ces financements vise à prévenir les départs forcés vers la Belgique, tout en permettant le retour en France de ceux qui le souhaitent.

Dernier grand bloc des actions financées par le PLFSS : 80 millions d’euros supplémentaires seront dédiés à l’autisme et aux troubles du neurodéveloppement en dehors de la scolarisation. Ainsi, nous étendons aux enfants âgés de sept à douze ans la politique de détection précoce, qui a permis depuis trois ans à près de 30 000 enfants d’être détectés à temps et mieux accompagnés. C’est pourquoi nous voulons renforcer l’accompagnement suivant le diagnostic, ainsi que le déploiement des unités résidentielles pour les adultes autistes.

Ce PLFSS est donc résolument ambitieux pour le secteur du handicap, qui s’inscrit dans le cycle long de la concertation présidant à la construction de toutes les politiques du handicap. Ce projet tend à appuyer la dynamique des progrès accomplis depuis la dernière CNH, par une hausse des moyens d’ampleur inédite. Le terrain est préparé pour que la prochaine conférence soit un vrai tremplin pour la suite de notre action. Du fait du caractère transversal de ces politiques, leur financement est assuré par de nombreux budgets différents.

Par ailleurs, ce PLFSS peut être qualifié de « transition ». La future CNH, sous l’égide de la Première ministre, sera l’occasion de proposer un changement de paradigme à la hauteur des attentes des personnes en situation de handicap. Ont été fixés quatre grands axes : l’acte II de l’école et de l’université inclusive, la mobilisation pour le plein emploi des personnes en situation de handicap, la simplification des parcours et l’accessibilité universelle. En parallèle, nous prévoyons de prolonger les efforts sans précédent menés sur l’autisme et les troubles du neurodéveloppement, en construisant une nouvelle stratégie nationale. Des concertations sont d’ores et déjà lancées en ce sens.

Pour terminer, je vous livrerai les deux points fondamentaux, qui seront la boussole de mon action : la simplification, aussi bien des démarches que des procédures, et l’effectivité des mesures.

Toutes nos politiques, nous les mènerons en concertation étroite avec l’ensemble des acteurs concernés. Je pense au Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH), mais aussi aux élus locaux, en particulier les départements. Nous souhaitons y associer la représentation nationale, car je sais que vous êtes nombreux à vous investir sur ces sujets.

Cette logique de coconstruction, qui est la norme depuis bien longtemps et que j’ai aujourd’hui l’honneur de porter, c’est précisément ce que veulent introduire le Président de la République et la Première ministre dans l’ensemble de nos politiques publiques. Je terminerai en soulignant le rôle d’avant-garde que jouent les acteurs du handicap en la matière. Je suis prête à répondre à toutes vos questions à ce sujet.

M. Philippe Mouiller, rapporteur pour l’autonomie. – Je ne peux que souscrire à la simplification, nécessaire sans être forcément très coûteuse. Le Comité interministériel du handicap a déclaré que les grandes priorités seraient fixées lors de la CNH. Les intentions correspondent aux besoins, mais les associations sont très critiques sur les moyens alloués dans ce PLFSS. Selon elles, il s’agit d’une mise en œuvre a minima des engagements pris lors du dernier CIH. Quel est votre regard sur ces retours ? Le 6 octobre dernier, vous avez évoqué la mise en place des sous-préfets dans les territoires. D’autres mesures ont-elles été annoncées lors du CIH pour l’année 2023 ? Lors de son audition, le ministre Jean-Christophe Combe a indiqué que le PLFSS pour 2023 était « un PLFSS de fin de cycle structurel sur les grandes politiques et qu’il fallait laisser le temps à la concertation sur le handicap avec la préparation de la future CNH » ? Pouvez-vous nous dire comment sera organisée cette CNH ?

Par ailleurs pouvons-nous imaginer que cette CNH soit l’occasion d’aborder le sujet de l’accompagnement des élèves en situation de handicap (AESH), il s’agit d’un point crucial. Le système que vous avez mis en place est transversal. Comment répondre aux attentes des familles, sachant que de nombreux dysfonctionnements sont constatés au lendemain de la rentrée scolaire ?

Vous avez évoqué la stratégie pour l’autisme, dont le cycle actuel s’achèvera en 2022. Faut-il attendre le CNH de 2023 pour avancer sur ces questions et prolonger les actions entreprises ?

Plus globalement, l’annexe B du PLFSS indique que la situation de la branche autonomie serait excédentaire à compter de 2024, avec un excédent à hauteur de 0,9 milliard d’euros. Cet excédent diminuerait ensuite, notamment au regard des engagements de création de postes dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et du financement du temps dédié au lien social auprès des personnes âgées. Dans ce contexte, quelle marge budgétaire resterait disponible pour faire évoluer la situation et les conditions de vie des personnes handicapées?

Vous avez aussi évoqué les moyens consacrés au fonds d’intervention pour éviter les départs en Belgique. Les crédits de l’année n-1 ont-ils été utilisés ? Comment cela peut-il se traduire concrètement, sachant que les fonds, même s’ils existent dans la maquette budgétaire, semblent inaccessibles ?

Pour conclure, nous avons voté la « déconjugalisation » de l’AAH (Allocation adulte handicapé) et participé aux rencontres dédiées à la préparation de mise en place opérationnelle de cette réforme. Un décret est attendu à la mi-décembre. Pourriez-vous nous confirmer ce calendrier, sachant que la publication de ce texte conditionne le respect du calendrier de mise en œuvre de la réforme ?

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. – Vous avez évoqué les critiques des associations sur la mise en œuvre a minima des engagements précédents. Un bon texte ne passe pas nécessairement par des mesures législatives nouvelles. Et en l’espèce, il ne s’agit pas du tout d’un texte a minima, puisqu’il est question de la plus forte augmentation de crédits en direction des personnes en situation de handicap : 5,2 %, alors que l’Ondam est à 3,4 %. Le thème du handicap est bien pris en compte de façon importante. En outre, le budget de l’éducation sur l’école inclusive, qui s’élève à 3,5 milliards d’euros, a été augmenté cette année de 200 millions d’euros. Nous portons aussi l’ambition de recruter 4 000 AESH supplémentaires. La montée en charge est progressive et il faut que nous mettions en œuvre nos ambitions sur le long terme.

Les politiques du handicap se construisent avec toutes les personnes concernées. Nous arrivons en fin de cycle et préparons une nouvelle Conférence nationale du handicap. Pour ce faire, nous nous référons à la méthode de la Première ministre donnée lors du CIH de la semaine dernière. Nous aurons une feuille de route pour les cinq ans à venir et mettons en œuvre aujourd’hui les politiques qui ont été décidées. Par exemple, dans la stratégie autisme, nous continuons de déployer de façon très active les unités spécialisées en école maternelle et élémentaire, ou encore les unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis).

Pour la nouvelle CNH, nous devons construire avec les associations la feuille de route, à partir de laquelle nous déterminerons les moyens. Je pense à l’accessibilité, pour laquelle il nous faut donner une vraie impulsion pour tenter de respecter la date butoir de 2024.

La nomination de référents handicap sera systématique. La Première ministre a annoncé la nomination d’un délégué interministériel à l’accessibilité, sur laquelle l’accent sera mis par le biais des agendas d’accessibilité programmée (Ad’AP) et des annonces de Christophe Béchu pour 2023.

Concernant le statut des AESH, qui sont employées par l’éducation nationale, le Président de la République et la Première ministre se sont engagés sur des dispositifs de « déprécarisation » et d’inclusion périscolaire. Le travail, réalisé conjointement par l’éducation nationale et les collectivités territoriales, sera poursuivi activement cette année.

Le nombre des AESH a, lui, augmenté de 42 % par rapport à 2017. On en compte aujourd’hui 132 000, soit un AESH pour huit professeurs. Je souhaite que nous entamions collectivement une réflexion sur ce sujet. Je suis frappée de constater que, lors de chaque rentrée scolaire, les enfants handicapés sont systématiquement aidés par un AESH. Or certains enfants ont surtout besoin d’outils, d’autres d’une pédagogie adaptée, telle que la formation des enseignants ; certains appellent une aide humaine permanente, quand d’autres requièrent une aide ponctuelle. Avec le ministre de l’éducation nationale, je souhaite que nous nous dirigions vers une évaluation des besoins et des moyens, afin de faire entrer davantage le médicosocial dans les collèges et les lycées. Cette force d’appui doit bénéficier aux enfants en situation de handicap, mais également à toute la communauté éducative. Nous continuerons à y travailler avec force.

Lors de la prochaine CNH, nous travaillerons sur l’acte 2 de l’école inclusive, avec comme objectif de mieux intégrer les professionnels du secteur médico-social au sein de l’école.

Nous avons également lancé une stratégie autisme ambitieuse, dotée de 500 millions d’euros, avec la volonté de toucher tous les troubles du neuro-développement. Des plateformes de dépistage précoces sont désormais proposées à l’attention des enfants âgés de 0 à 6 ans. Plus le repérage est précoce, plus il est possible d’entourer l’enfant et d’agir efficacement pour lui permettre d’entrer à l’école dans les meilleures conditions.

Nous avons demandé à la délégation interministérielle à l’autisme (DIA) de travailler à la conception d’une nouvelle stratégie en matière d’autisme et de troubles du neuro-développement, en portant une attention particulière aux autistes adultes. Comme toujours, cette stratégie sera construite de concert avec les associations.

Si les objectifs de dépenses pour les personnes âgées et les personnes handicapées sont intégrés à la branche autonomie, je précise qu’ils constituent deux sous-objectifs financièrement distincts.

Dans le champ du handicap, la trajectoire pluriannuelle intégrée à l’annexe B du PLFSS prévoit une évolution tendancielle des moyens et 200 millions d’euros environ par an consacrés au financement de mesures nouvelles. Les crédits fléchés vers la branche permettront aussi de revaloriser les concours de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) aux départements afin qu’ils puissent financer la hausse de la prestation de compensation du handicap (PCH).

Nous avons, je le crois, réussi à enrayer la dynamique de départs en Belgique, très négative pour notre pays et pour les familles, même si 8 500 personnes en situation de handicap, adultes et enfants, sont encore prises en charge par le secteur médico-social wallon.

Un moratoire a été mis en œuvre pour les enfants depuis 2015, la Conférence nationale du handicap a fait de l’arrêt des départs contraints vers la Belgique une priorité et 2 500 solutions nouvelles sont en cours de déploiement, en Île-de-France et dans les régions Hauts-de-France et Grand Est. Le plan de prévention des départs contraints en Belgique est doté de 90 millions d’euros.

L’individualisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) a été votée en juillet. Nous avons reçu des parlementaires au ministère pour leur expliquer les raisons de la parution tardive du décret. Sa rédaction est en effet particulièrement technique et complexe.

Nous prévoyons de présenter un projet au CCPH et aux parlementaires à la fin du mois d’octobre, et nous espérons que le décret pourra être publié courant décembre.

Nous voulons nous assurer que la réforme ne fera aucun perdant, alors que certaines estimations prévoyaient jusqu’à 45 000 perdants après le vote de la loi.

Dans le même temps, la caisse d’allocations familiales (CAF) travaille sur la mise à jour de son système d’information, car toutes les prestations qu’elle versait jusqu’à présent étaient conjugalisées. Nous voulons éviter les couacs.

S’il est possible de mettre le nouveau système en œuvre avant le 1er octobre 2023, nous le ferons bien évidemment, dès que nous serons prêts.

Mme Nadia Sollogoub. – Vous avez dit que tout enfant en situation de handicap n’avait pas nécessairement besoin d’un AESH. Toutefois, l’école inclusive ne semble pas non plus constituer une solution universelle. Elle peut aussi être source de difficultés, notamment pour les enfants sourds.

Le projet de budget prévoit-il suffisamment de moyens pour que ces derniers puissent être pris en charge de façon adaptée ?

Mme Jocelyne Guidez. – Nous avons effectué une visite commune à Sainte-Geneviève-des-Bois, et nous avons pu constater que les parents étaient confrontés à un manque de places pour leurs enfants à la fin du cursus en école maternelle. Quelles solutions pouvons-nous leur apporter ?

Par ailleurs, les lieux d’accueil permanents sont souvent loin du domicile, et certaines familles sont parfois contraintes de faire plus de 300 kilomètres par week-end. Elles s’épuisent dans ces trajets, sans compter que le coût du transport n’est pas toujours intégralement compensé. Mme Cluzel avait engagé un travail sur le sujet, me semble-t-il. Qu’en est-il ? Pourrait-on imaginer un système de conventions avec les départements ?

Enfin, je suis très heureuse d’entendre que vous voulez prendre en compte tous les troubles du neuro-développement. C’est en effet indispensable.

Mme Annie Le Houerou. – Je reviens sur les mesures de revalorisation des personnels. Les emplois administratifs et techniques restent exclus du Ségur. Or il est important que tout le monde soit traité de la même manière, surtout au sein des petites équipes.

Par ailleurs, même quand les revalorisations de salaires sont acquises, il semblerait que les associations aient du mal à assumer leurs obligations, les crédits n’étant pas toujours délégués par les agences régionales de santés (ARS).

Il me semble également qu’il reste encore beaucoup de travail à faire sur le dépistage précoce de l’autisme, en dépit des progrès réalisés.

Si nous sommes tous favorables à l’idée de société inclusive, celle-ci n’exclut pas à mon sens la prise en charge de certaines personnes en situation de handicap dans des établissements spécialisés, l’un n’excluant pas l’autre au demeurant. Il s’agit de répondre de façon adaptée à des besoins différents.

Des crédits avaient également été prévus pour créer des lieux de répit à destination des familles dont les enfants sont accompagnés à domicile, mais j’ai l’impression que ces projets peinent à voir le jour – j’ai des exemples en ce sens dans mon département.

Enfin, nous nourrissons quelques inquiétudes sur l’accompagnement des personnes en situation de handicap dans l’emploi. Comment la création de France Travail va-t-elle influer sur leur prise en charge ?

Mme Michelle Meunier. – À entendre nos collègues, vous constatez, madame la ministre, qu’il reste des points durs à traiter en termes de prise en charge du handicap dans notre pays.

Quand vous parlez d’un PLFSS ambitieux pour la branche autonomie, j’ai quelques doutes. Il me semble qu’il conforte surtout l’existant. Les difficultés de recrutement dans le secteur montrent pourtant qu’il y a urgence, comme le disent les associations.

La semaine dernière, lors d’un débat dans l’hémicycle, votre collègue Agnès Firmin Le Bodo a invité à changer de regard sur le monde du handicap. Nous sommes d’accord, mais par où commencer ?

Mme Corinne Imbert. – Nous avons beaucoup parlé d’inclusion, mais nous avons encore besoin d’établissements spécialisés, notamment de foyers d’accueil médicalisés (FAM). Des crédits sont-ils fléchés vers la création de places en maisons d’accueil spécialisées (MAS) et en FAM, les établissements où les listes d’attente sont les plus longues ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. – Il me semble en effet temps de répondre à la demande de simplification administrative portée depuis longtemps par les associations. Remplir les dossiers, c’est à chaque fois un parcours du combattant pour les familles.

Philippe Mouiller a abordé le problème des jeunes et des adultes qui sont obligés d’aller en Belgique. Certains enfants doivent même s’y rendre en taxi… Quel coût pour la société ! On pourrait quand même envisager de créer des structures dans le Pas-de-Calais et les autres départements afin de garder nos enfants chez nous.

Plusieurs associations m’ont en outre interpellée dans mon département sur un autre point. Beaucoup de parents d’enfants atteints de troubles du spectre autistique essayent de monter des projets visant à accueillir quelques enfants, avec l’assistance de professionnels. Mais quand ils s’adressent à l’ARS pour créer leur structure, celle-ci les renvoie vers le département ou la région pour obtenir des subventions, sans les accompagner...

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. – Madame Sollogoub, les moyens existent s’agissant de l’école inclusive pour les enfants sourds, mais nous manquons vraiment de professionnels formés. C’est un problème de formation, et non de moyens.

Madame Guidez, vous m’interrogez sur les solutions disponibles pour les enfants atteints de troubles du neuro-développement après la maternelle ?

Les classes Ulis fonctionnent bien pour certains enfants.

Les dispositifs d’autorégulation permettent pour leur part de former l’ensemble du personnel d’un établissement à l’accueil des publics en situation de handicap. Dans ce cas, il est possible de répondre aux demandes des familles sans avoir besoin de recourir à des AESH.

Mon souci est de proposer une solution adaptée à chacun et d’éviter toute rupture dans sa prise en charge.

Le système de financement des transports est en effet devenu illisible, et je souhaite engager une démarche de simplification en la matière. Le Comité stratégique relatif à la compensation du handicap des enfants et aux transports des personnes en situation de handicap, prévu par la loi du 6 mars 2020, a été installé ; il associe tous les niveaux de collectivités territoriales ainsi que les parlementaires et se devra de proposer des solutions simples, lisibles et facilement mobilisables par les familles.

Le Ségur s’est traduit par un effort important en direction des professionnels du champ sanitaire et d’une partie du champ médico-social : 12 milliards d’euros ont été consacrés en 2022 à l’ensemble des mesures de revalorisation.

En février dernier, la conférence des métiers sociaux a permis de nouvelles avancées, avec l’annonce de 1,3 milliard d’euros supplémentaires destinés à la revalorisation des métiers de la filière socio-éducative, dont 500 millions d’euros pour converger vers une convention collective unique permettant à tous ceux qui n’entrent pas dans le champ des augmentations de bénéficier également d’une revalorisation. Les débuts de carrière à des niveaux inférieurs au SMIC, ce n’est plus possible !

En revanche, s’agissant des revalorisations qui ont été décidées, l’ARS a bien versé les fonds, madame Le Houerou. Certaines associations gestionnaires attendent toutefois la part départementale pour les mettre en œuvre. Mais la part de l’État a été mobilisée au niveau des ARS.

Mme Annie Le Houerou. – J’ai des exemples contraires.

Mme Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée. – Si vous voulez bien me les transmettre, nous les examinerons en détail, madame la sénatrice.

Sur l’autisme et l’inclusion en général, je prône une ligne pragmatique. La France a été mise à l’index par l’ONU pour non-respect des recommandations internationales visant à une inclusion totale des personnes handicapées dans la société. Les avis sur notre gestion du handicap sont sévères, mais l’autodétermination des personnes handicapées doit rester, me semble-t-il, notre principale boussole. Quels choix font-elles pour elles-mêmes, pour leur vie ?

Historiquement, nous avons une tradition de prise en charge très institutionnelle du handicap, et celle-ci a eu pour conséquence de placer ces personnes hors du regard de la société.

Quand nous parlons d’inclusion, c’est cette situation que nous voulons renverser : à l’école, dans le travail, dans le sport, dans la culture, les personnes en situation de handicap doivent être incluses à tous les niveaux de notre société.

Oui, notre société a besoin de changer de regard, mais nous savons aussi que nous aurons toujours besoin d’établissements spécialisés pour certains types de handicaps très lourds. Le PLFSS prévoit d’ailleurs des moyens spécifiques pour créer des structures inclusives destinées à accueillir dans de bonnes conditions des jeunes atteints de troubles autistiques particulièrement sévères.

Nous devons continuer l’inclusion – je reste persuadée que l’inclusion scolaire est une bonne chose, qui permet souvent aux enfants de progresser –, mais il nous faut envisager un vrai parcours de vie adapté à chaque typologie de handicap.

La journée nationale des aidants se tenait la semaine dernière. De nombreuses personnes sont concernées dans notre pays, un certain nombre d’entre elles ignorant d’ailleurs qu’elles sont dans une position d’aidantes. Nous devons porter une attention toute particulière aux aidants jeunes et âgés, notamment, en effet, en multipliant les lieux de répit : 252 plateformes ont déjà été déployées, et l’effort va se poursuivre.

L’emploi accompagné fait partie du budget de mon ministère, mais il est rattaché au PLF, et non au PLFSS. Nous avons reconduit l’enveloppe de ce dispositif très pertinent, que j’ai l’intention de faire prospérer, voire d’amplifier, tant les résultats sont encourageants pour l’insertion dans l’emploi des personnes en situation de handicap.

France Travail se construit actuellement avec tous les acteurs concernés, et le handicap sera pleinement pris en compte dans sa construction.

Nos ambitions sont importantes, madame Meunier, et elles se traduisent dans les budgets. Par exemple, 500 millions d’euros sur la table pour la stratégie autisme, c’est ambitieux !

Oui, notre société dans son ensemble doit changer de regard. Les jeux Paralympiques de 2024 seront notamment l’occasion de porter un éclairage très positif sur le handicap et son apport à notre société. J’attends ce moment avec impatience.

Madame Imbert, plus de 1 000 places en MAS et en FAM sont inscrites dans le PLFSS 2023, pour 55 millions d’euros.

Enfin, oui, je souhaite vraiment simplifier les procédures, de concert avec les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Ce chantier a été lancé avec le soutien de la CNSA, qui a engagé un travail important avec les MDPH sur l’outil numérique harmonisé afin que les personnes en situation de handicap puissent aussi bénéficier du principe « Dites-le-nous une fois ».

Tandis que nous constatons une nette amélioration des délais de réponse des MDPH, il reste le problème de l’hétérogénéité des réponses données selon les départements. À chaque déménagement, il faut refaire un dossier et, bien souvent, des prises en charge différentes sont proposées. Nous devons donc travailler à une homogénéisation des pratiques des MDPH.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Je vous remercie pour vos réponses, madame la ministre.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité - Audition du professeur Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), et de MM. Régis Aubry et Alain Claeys, rapporteurs sur l’avis du CCNE

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous entendons maintenant M. Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), pour la présentation de l’avis publié le 13 septembre dernier sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie. Sont également présents les deux rapporteurs de l’avis, M. Régis Aubry et M. Alain Claeys.

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Cet avis fait suite à une autosaisine du CCNE et a vocation, selon ses propres termes, « à éclairer le débat citoyen, les pratiques des professionnels de santé et le législateur ».

Le CCNE considère de façon inédite qu’« il existe une voie pour une application éthique de l’aide active à mourir ». Dans le même temps, l’avis relève deux insuffisances : celle du développement des soins palliatifs dans notre pays, bien documenté dans un récent rapport de notre commission, et celle de la connaissance et de la mise en œuvre de la loi du 2 février 2016, dite Claeys-Leonetti.

Partageant ce constat mais en tirant une conclusion différente, huit membres du CCNE ont souhaité publier une réserve, considérant que « franchir ce pas législatif sans ces efforts préalables représenterait un risque de renoncement que nous ne souhaitons pas prendre ».

Le 13 septembre dernier, le Président de la République a annoncé le lancement d’une Convention citoyenne sur la fin de vie, dont le pilotage a été confié au Conseil économique, social et environnemental (CESE) et que la Première ministre a saisie de l’interrogation suivante : « Le cadre d’accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d’éventuels changements devraient-ils être introduits ? ». Les conclusions de la convention sont attendues pour la fin mars 2023.

Dans cette attente, pourriez-vous nous exposer quelle serait cette « voie pour une application éthique de l’aide active à mourir » et en quoi le cadre législatif actuel devrait être modifié, le cas échéant, pour ouvrir cette voie ?

M. Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique. – Permettez-moi de rappeler les conditions dans lesquelles a été élaboré l’avis 139 intitulé Questions éthiques relatives aux situations de fin de vie : autonomie et solidarité.

En juin 2021, j’ai souhaité que le CCNE s’autosaisisse de ce sujet, indépendamment d’une commande politique. Un groupe de travail a été constitué et trois rapporteurs ont été nommés. Ils ont auditionné plus de 40 personnes et ont présenté leur travail au CCNE en séance plénière. Toutefois, en fin d’année, une partie des membres du CCNE a changé. Ainsi l’avis 139 n’a-t-il été voté, à une très large majorité, que fin juin 2022.

Une partie des membres du groupe de travail a porté un avis minoritaire sur les recommandations qui pouvaient être faites, ce que je considère comme très sain sur un sujet aussi difficile. Elle a ensuite réfléchi aux conditions dans lesquelles elle souhaitait présenter cet avis minoritaire. Cela s’est fait sous la forme d’une réserve.

Le CCNE est une instance d’intelligence collective. Elle doit tenir compte des avis minoritaires ou différents. Toutefois, sur le fond, la très large majorité des membres du CCNE a voté cet avis, la réserve n’ayant été adoptée que par huit membres sur quarante-cinq.

L’avis comporte trois parties. La première rappelle tout ce qui a déjà été discuté au cours des vingt dernières années, et dresse le bilan de la loi Claeys-Leonetti. Cette loi est-elle suffisamment connue et appliquée ? La réponse est non, qu’il s’agisse du grand public ou des professionnels de santé. La politique de soins palliatifs menée en France depuis de nombreuses années n’est pas à la hauteur d’un grand pays comme le nôtre. Ainsi, dans un certain nombre de départements, il n’existe pas encore de soins palliatifs. Autre cas de figure, les soins palliatifs sont dans un corner par rapport à la structure hospitalière. En outre, dans les Ehpad ou à domicile, les soins palliatifs sont très peu développés.

Dans la deuxième partie de l’avis, nous nous sommes intéressés aux situations auxquelles la loi Claeys-Leonetti ne répondrait pas totalement. Nous avons identifié un certain nombre de cas concernant les personnes atteintes de maladies chroniques dégénératives ou de maladies incurables à moyen terme, soit au bout de quelques semaines ou quelques mois. Nous avons précisé les conditions éthiques dans lesquelles une porte pourrait être entrebâillée sur une vision nouvelle de ce que pourrait être une mort dans la dignité.

La troisième partie vise à permettre qu’un grand débat national puisse s’ouvrir sur ce sujet. Le Président de la République, dans son communiqué, a suivi le CCNE. Ce débat concernera le CESE, qui organisera une convention citoyenne, le CCNE et les espaces éthiques régionaux, qui mettront en place des réunions d’information pour les citoyens, lesquels sont perdus dans la terminologie, mais aussi le Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, qui sera à l’écoute des équipes soignantes impliquées dans les soins palliatifs. Car, dans notre pays, on a médicalisé la mort depuis de nombreuses années, puisque 90 % des décès surviennent à l’hôpital.

Finalement, la question essentielle est la suivante : notre mort nous appartient-elle ou appartient-elle à la société, qui l’a déléguée aux médecins ? Cette question fondamentale est désormais sur la table.

M. Alain Claeys, rapporteur sur l’avis n° 139 du Comité consultatif national d’éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie. – Le président du CCNE a posé le sujet de l’équilibre entre la solidarité et l’autonomie de la personne. Pourquoi avons-nous décidé de nous en autosaisir ?

Tout d’abord, le débat animait la société et des initiatives parlementaires avaient été prises. Ensuite, la situation des soignants dans les hôpitaux et les Ehpad témoignait d’un véritable mal-être, ces derniers constatant un manque de moyens pour prendre correctement en charge les patients. Enfin, la période du covid a engendré des drames dans les Ehpad.

Depuis vingt ans, les parlementaires ont travaillé pour relier les deux bouts de la chaîne, à savoir la solidarité et l’autonomie. Je pense à la loi de 1999 visant à garantir le droit à l’accès aux soins palliatifs - sous doute faudrait-il les renommer « soins d’accompagnement » -, qui témoigne de la volonté de solidarité de la Nation. Je pense également à la loi Kouchner de 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, qui vise à renforcer le pouvoir des patients dans le cadre de l’arrêt d’un traitement. Et je pense aussi à la loi Leonetti de 2005, qui concernait l’obstination déraisonnable. Ce sujet reviendra d’actualité dans les jours qui viennent, dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. Je pense enfin à la loi de 2016, qui visait à créer trois nouveaux droits : la directive anticipée opposable, la personne de confiance et la sédation profonde et continue jusqu’au décès.

Dans ce cadre législatif, on a toujours cherché l’équilibre entre solidarité et autonomie, ce qui soulève trois questions.

Les trois questions auxquelles nous devions répondre sont assez simples.

D’abord, les lois que j’ai énumérées sont-elles correctement appliquées sur l’ensemble du territoire ou bien y a-t-il des inégalités sociales ou territoriales dans leur application ? Nous répondons que, clairement, de telles inégalités existent, par exemple en matière d’offre de soins palliatifs selon les départements, mais nous déplorons également l’absence, à l’échelon national, de recherche et de professeurs d’université-praticiens hospitaliers (PU-PH) dans cette discipline. Du reste, je parlais d’accompagnement et on constate une volonté de mobilité de la part des familles, afin de ne pas terminer sa vie à l’hôpital. Or le retard des soins palliatifs est grand, tant dans les Ehpad qu’à domicile.

Ensuite, y a-t-il une dévaluation la loi de 2016 ? Selon nous, non ; simplement, elle demeure méconnue. Par exemple, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Poitiers a dû recruter une infirmière ayant travaillé en cancérologie, en soins palliatifs et dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), afin de populariser la notion de directive anticipée, auprès tant des patients que du corps médical. On constate la même ignorance à l’égard de la sédation profonde et continue. Cette loi va faire l’objet d’une évaluation de l’Assemblée nationale.

J’en viens enfin à la troisième question, qui ne doit pas être dissociée des deux autres, car ce serait un contresens que de réduire l’avis du CCNE à l’aide active à mourir : existe-t-il des situations particulières auxquelles même la loi de 2016 ne répond pas et sur lesquelles on peut légitimement s’interroger ? On touche là à la question de l’autonomie, car il ne saurait y avoir d’autonomie sans solidarité. Une société qui laisserait aux personnes seules la prise en compte de la mort serait inacceptable. Nous avons donc abordé ce sujet, en nous demandant s’il était éthique pour le législateur de l’aborder et comment l’encadrer.

Sur les recommandations, je ne développe pas ; sans doute, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur l’opportunité d’un référendum, mais, d’après nous, eu égard à la complexité du sujet, c’est à la démocratie représentative de s’en emparer, après l’organisation d’une conférence citoyenne.

M. Régis Aubry, rapporteur sur l’avis n° 139 du Comité consultatif national d’éthique sur les questions éthiques relatives aux situations de fin de vie. – Je vous remercie, d’être attentifs à ces questions complexes. Ce sujet est difficile, car personne n’a d’expérience personnelle de la fin de vie et les expériences liées à un proche sont forcément douloureuses. C’est pourquoi il est difficile de débattre et c’est pourquoi nous avons tâché, pendant un an, de prendre de la distance par rapport à nos propres expériences.

Je veux insister sur les spécificités de notre autosaisine. Je précise que je suis médecin, professeur de médecine palliative et engagé sur le sujet depuis longtemps.

Nous ne devons pas ignorer le changement important de paradigme qui a lieu dans le champ médical sur ces questions. Nous sommes aujourd’hui confrontés à des situations impensées de fin de vie, engendrées par le progrès médical : nous sommes confrontés à des personnes souffrant de maladies chronicisées, incurables. C’est comme si l’on avait allongé le temps de la fin de l’existence et repoussé la question de la propre finitude de l’homme. Ainsi, certains cancers sont transformés en maladies chroniques, on augmente l’espérance de vie de certaines maladies neurodégénératives. Ces situations impensées sont liées au vieillissement, conséquence de ces avancées techniques : de plus en plus de personnes atteignent un âge très avancé et souffrent alors d’une polypathologie, de plusieurs maladies synchrones.

Dans ce contexte, nous sommes confrontés à trois types de questions.

D’abord, comment faire pour que la médecine ne fabrique pas de situations insensées ? Elle peut faire beaucoup de choses, mais ce n’est pas parce que l’on peut faire que l’on doit faire, quand faire conduit à de la souffrance.

Ensuite, les différents plans de développement des soins palliatifs suffisent-ils ? Nous insistons sur la nécessité d’intégrer une culture palliative à la pratique professionnelle de tous les professionnels de santé. Il faut, pour cela, actionner deux leviers, la formation et la recherche, insuffisamment mobilisés aujourd’hui. On ne forme pas assez à la réflexion sur la finitude de l’homme – les humanités médicales ont presque disparu – et à la réflexion éthique, interprofessionnelle et exigeant de savoir débattre, de savoir ne pas être trop sûr de soi.

Au-delà de ces deux questions, nous sommes et serons confrontés à des situations, rares, de personnes dont l’existence, avant la toute fin de leur vie, avant le champ d’application de la loi Claeys-Leonetti, n’est plus que souffrance. Ces personnes, qui doivent avoir bénéficié de soins palliatifs – on imagine mal que ce soit optionnel –, demandent une aide active à mourir. Nous avons réfléchi à la notion d’aide active à mourir.

Il faut distinguer, dans ce domaine, l’assistance au suicide de l’euthanasie. La première consiste à permettre à une personne d’accéder à un produit létal, qu’elle se délivre elle-même. Il faut savoir que, dans l’Oregon par exemple, un nombre important de personnes qui ont demandé l’aide active à mourir ne vont pas chercher le produit létal et que, parmi celles qui vont le chercher, plusieurs ne l’absorbent pas ; ainsi, ce n’est pas parce que l’on fait une demande que l’on va au bout de celle-ci. Par opposition, l’euthanasie – l’administration d’un produit létal par un tiers – est sans recours. Cette nuance est fondamentale. Nous essayons de travailler sur le respect de l’autonomie de la personne autant que sur notre devoir de solidarité à l’égard des personnes en grande souffrance. Nous insistons également sur le fait que, à la lumière de quelques travaux de recherche, une demande ne signifie pas forcément une volonté ; elle peut exprimer, par exemple, un épuisement de vivre. Aussi, avant d’être l’expression d’une volonté, toute demande doit être analysée. On imagine mal que l’on accède, par simple demande, à l’assistance au suicide ; la demande doit être finement analysée et confirmée par un collectif, réitérée, ferme. Nous insistons sur cette distinction entre l’assistance au suicide et l’euthanasie.

L’assistance au suicide est le segment sur lequel il pourrait être, selon nous, éthique de faire évoluer le droit, afin de répondre, par solidarité, par respect pour l’autonomie de la personne, à certaines demandes. Ces situations sont, d’après mon expérience, très rares, mais cela ne doit pas nous empêcher d’y réfléchir.

Il nous faut donc tout à la fois concevoir une politique d’accompagnement de la vulnérabilité – vieillissement et soins palliatifs – qui soit à la hauteur des besoins, lesquels ne sont pas couverts aujourd’hui, et mener une réflexion sur l’assistance au suicide. Même s’il ne faut pas conditionner la seconde à la première, il nous semble indispensable de mener les deux de front ; on n’imagine pas de faire évoluer le droit relatif à l’assistance au suicide sans avoir une politique volontaire d’accompagnement des situations de vulnérabilité.

Toutes ces nuances nous paraissent essentielles. Nous avons la fâcheuse tendance de vouloir simplifier ce qui est complexe, mais, en l’occurrence, il ne faut pas y céder. D’où l’importance du débat public, car cette complexité doit être exposée et assumée. Il nous paraît fondamental de garder des nuances essentielles ; ensuite, sur ce fondement, on peut imaginer une évolution du droit.

Mme Corinne Imbert. – Six ans seulement se sont écoulés depuis la dernière intervention du législateur. La situation a-t-elle à ce point changé que le CCNE, qui jugeait en 2013 qu’il n’était pas souhaitable de légaliser l’assistance au suicide, estime maintenant nécessaire de le faire, en identifiant dans son avis une voie pour une application éthique d’une « aide active à mourir » ? Pour le justifier, cet avis fait référence à des éléments objectifs – des situations limites, l’allongement de la fin de vie en raison de la médicalisation – et des éléments subjectifs, comme l’extension de situations de solitude ou une demande croissante d’autonomie psychique. Pourrait-on circonscrire plus précisément les situations objectives ? Au fond, la voie qu’identifie l’avis ne revêt-elle pas une dimension plus subjective qu’objective, en prenant en compte les personnes qui veulent mourir plus que celles qui vont mourir, le suicide plus que la fin de vie ?

Un argument en faveur de la législation sur l’aide active à mourir consiste à affirmer que cela correspond à une demande claire de la société. Mais, d’une part, encore faudrait-il connaître l’état exact de l’opinion sur le sujet ; selon certains sondages, une partie importante de nos concitoyens préfère les soins palliatifs à l’aide active à mourir. D’autre part, la volonté peut changer : nombre de personnes arrivant dans une structure de soins palliatifs avec la volonté de mourir finissent, après quelque temps passé dans cette structure, par souhaiter vivre un peu plus longtemps. Or, une fois la loi votée, elle s’applique à tous.

Par ailleurs, la modification de la loi pour autoriser l’aide active à mourir ne pourrait-elle servir de prétexte à ne pas développer les soins palliatifs, qui sont, tout le monde en convient, insuffisants sur notre territoire ?

Enfin, que pensez-vous de l’évolution de l’expression « mourir dans la dignité », transformée par certains en « mourir dans la liberté » ?

M. Bernard Jomier. – Vos explications orales m’ont parfois semblé plus convaincantes que ce qui est écrit dans le rapport, ce qui renvoie à la difficulté de parler du sujet.

Le principe d’autonomie n’a cessé de prendre de l’importance au fil des lois de bioéthique, de sorte qu’il nous faut désormais nous interroger sur ses limites : est-ce que ma mort m’appartient ? Il est très difficile d’apporter une réponse à cette question.

Si cette évolution correspond à une demande de la société, il ne faut pas pour autant négliger le principe de l’intérêt général. Le législateur ne pourra pas trancher la question de la nécessité d’une nouvelle loi sans apporter une réponse à celle des limites du principe d’autonomie.

Vous tracez des lignes rouges, et la principale porte sur le réel accès des Français aux soins palliatifs. Mais qui peut croire que d’ici trois à cinq ans tous les Français auront accès à ces soins ? Je n’en suis vraiment pas convaincu, car la situation évolue à un rythme bien trop lent. On entend dire, dans le débat public, que le CCNE « ouvre la porte à une législation sur l’aide active à mourir » : j’en conclus que ce n’est pas pour demain.

On ne légifère pas à partir de l’expérience personnelle. C’est la raison pour laquelle je me suis abstenu lors du vote sur le texte de Marie-Pierre de La Gontrie, car le débat avait été trop empirique. En revanche, il a permis de poser la question fondamentale du suicide assisté par opposition à l’euthanasie. Jusqu’où accepte-t-on que les soignants interviennent ? Peuvent-ils participer directement au processus qui consiste à donner la mort ? Toute société fonctionne sur une répartition des rôles qui doit être compréhensible pour chacun.

Peut-on au nom du principe d’autonomie permettre qu’un citoyen accède au suicide assisté ? Et doit-on donner aux soignants la possibilité de participer au processus ? Telles sont les deux questions que la loi doit prendre en compte de manière bien distincte si l’on veut qu’elle soit applicable.

Mme Catherine Deroche, présidente. – L’Ordre des médecins travaille sur le sujet des soignants et rendra un rapport au début du mois de novembre prochain.

M. Alain Claeys. – La loi de 2016 ne couvre pas tous les sujets que nous abordons dans cet avis, notamment les situations exceptionnelles que nous avions déjà mentionnées dans nos précédents avis.

Parmi les facteurs objectifs, figure le fait que la sédation profonde ne peut pas être administrée médicalement quand le pronostic vital est engagé non à court mais à moyen terme. Or, sous réserve que des soins d’accompagnement existent, la question peut se poser dans certaines situations. C’est dans ce cadre que nous avons abordé le sujet de l’aide active à mourir.

Notre rapport manque-t-il de précision ? Je ne saurais le dire. Quoi qu’il en soit, il ne suffira pas d’un plan financier annoncé par le ministre pour régler le problème des soins d’accompagnement. Il faudrait, y compris dans la communauté médicale, une petite révolution pour que ces soins figurent dans le processus de prise en charge d’un patient dès lors que l’on diagnostique telle ou telle maladie. Les situations sont diverses. Parfois, ces soins n’existent pas au sein de l’hôpital, mais sont pratiqués ailleurs. Dans certains cas, les soins palliatifs sont prévus dès le début.

Il n’est pas forcément nécessaire d’en passer par une nouvelle loi, mais si le législateur décide d’aborder ce sujet, il faudra qu’il prévoie des programmes fléchés vers les soins d’accompagnement.

Quant à l’aide active à mourir, elle recouvre deux cas, à savoir l’assistance au suicide qui passe par la recherche du consentement, à travers une autonomie exprimée par la personne, et l’euthanasie, dès lors que nous avons voulu prendre en compte toute demande formulée par une personne autonome psychologiquement, mais incapable de la réaliser physiquement.

Notre groupe de travail n’a pas voulu trancher sur ce dernier point, laissant cela au législateur. Il s’est contenté d’établir l’existence de deux possibilités : soit la responsabilité incombe au médecin sous le contrôle d’un juge, soit on lève l’interdit, ce qui ouvre la possibilité de l’euthanasie. Les avis sont très partagés sur la question.

M. Régis Aubry. – Il nous faudrait bien plus que le temps imparti pour débattre de l’autonomie et de la dignité.

Quoi qu’il en soit, une vision absolutiste de l’autonomie n’est effectivement pas adaptée. Plus on est malade, plus on a besoin d’autrui pour exercer son autonomie. C’est ainsi que s’établit une relation de confiance entre le malade et son entourage. Plusieurs études publiées par l’Institut national d’études démographiques (Ined) montrent que plus on s’approche de la fin de son existence, plus souvent on change d’avis.

Toutefois, on ne peut pas nier son autonomie à une personne au seul motif qu’elle est malade. Certains cheminent pendant des semaines et des mois. Leur demande est élaborée, fruit de longues discussions. Il serait irrespectueux et indigne de considérer que la personne n’est plus capable d’autonomie au seul motif qu’elle est en fin de vie. D’où l’importance du travail d’accompagnement, d’écoute et d’aide au cheminement, qui reste insuffisamment valorisé. Trop souvent, l’acte technique prime le relationnel et l’humain. Or on prendrait un risque à se cantonner à la question du droit sans entreprendre de développer une culture palliative.

La priorité est moins l’évolution du droit que l’orientation des politiques publiques dans le domaine de la santé. L’accompagnement des personnes en situation de vulnérabilité doit-il s’inscrire plus largement dans un devoir de solidarité ? En effet, c’est au prisme de notre rapport à la solidarité que le débat public doit se faire. Je reste convaincu, quant à moi, que nous faisons société parce que nous faisons solidarité.

Enfin, je préfère employer le mot « dignité », comme le faisait Robert Badinter en l’appliquant à toute personne en vie. La dignité est une notion presque ontologique, dès lors que l’on est en vie. Voilà pourquoi il vaudrait mieux réfléchir à « vivre dans la dignité » plutôt qu’à « mourir dans la dignité ».

M. Alain Claeys. – Mais nous n’avons pas retenu l’expression dans le rapport.

Mme Corinne Imbert. – Certains disent « mourir dans la liberté ».

M. Régis Aubry. – La liberté est encore une autre notion.

Nous nous en sommes tenus aux mots d’« autonomie » et de « solidarité » en les nuançant. Ceux de « dignité » et de « liberté » sont des mots-valises que l’on peut utiliser dans un sens ou dans l’autre.  

M. Jean-François Delfraissy. – Le CCNE prend la mesure de la complexité des enjeux. Son ambition est que ses travaux servent de boussole dans les discussions. La main ne peut que trembler lorsqu’on écrit sur un sujet aussi fondamental. Toutefois, d’autres pays ont su évoluer sur la question, de sorte qu’il est légitime que nous l’examinions aussi en France.

Il y a sept ou huit ans, nous n’aurions pas forcément rendu un avis très différent. J’en veux pour preuve que dans l’avis 129, publié à la suite des États généraux de la bioéthique, en 2018, figurait la mention de certaines situations très particulières.

Toutefois, le rôle du CCNE est-il de défendre quoi qu’il en coûte des valeurs qui se contredisent entre elles ou bien de prendre en compte les évolutions de notre société ?

Les soins palliatifs ont considérablement évolué au cours des dernières années, même si ce n’est sans doute pas suffisant. La médecine en vient à créer des conditions très particulières, certains patients pouvant se retrouver en cinquième ou sixième ligne de chimiothérapie pour un cancer en stade quatre. Que faire de ces cas très complexes qui n’existaient pas il y a dix ans ? N’est-ce pas le rôle du CCNE que de tenir compte des progrès de la science et des évolutions sociétales ?

En ce qui concerne les soignants, j’ai vécu les transformations qu’ils ont connues dans les années 1990, au moment de l’épidémie de sida. Il n’existait pas alors de loi et nous prenions des décisions en notre âme et conscience. Puis, le Parlement a élaboré des lois avec lesquelles la jeune médecine doit désormais composer.

N’y a-t-il pas une contradiction à demander au médecin de sauver de la mort et de donner la mort ? C’est certain. Dans les modèles, il faudra donc préciser la notion d’assistance à l’euthanasie : par exemple, dans le modèle suisse, la décision de fournir le médicament doit être collégiale.

Il conviendra aussi de prendre en compte le devoir de réserve. En effet, dès lors que 90 % des décès ont lieu en milieu médicalisé, faut-il que les médecins restent seuls à décider ou bien qu’une partie des décisions soit laissée dans les mains de l’individu ? D’autant que si les médecins ne souhaitent pas prendre de décision, ils peuvent exercer leur devoir de réserve.

L’Espagne a voté une loi sur le sujet, il y a trois ans, mais sans prendre le temps de se concerter avec les équipes soignantes, de sorte que le texte est bloqué, car personne ne veut l’appliquer. Il faut écouter les équipes soignantes et l’ensemble du corps médical qui accompagne les patients.

M. Régis Aubry. – On ne peut pas mettre sur le même plan l’implication du professionnel de santé dans l’assistance au suicide et dans l’euthanasie. Cette différence est fondamentale et n’apparaissait pas suffisamment dans la proposition de loi de M. Falorni.

M. Olivier Henno. – Monsieur Delfraissy, lorsque nous vous avions entendu au sujet du projet de loi relatif à la bioéthique, vous avez prononcé cette phrase terrible mais juste : « On meurt mal dans notre pays. »

Quand vous avez dit que 90 % des personnes mouraient à l’hôpital ou bien quand vous avez posé la question de savoir si notre mort nous appartenait à moins qu’elle n’appartienne à la société, qui l’a déléguée aux médecins, ces propos m’ont interpellé. Le principe d’autonomie semble l’emporter, dans notre société, sur celui de solidarité.

Très souvent, ceux qui se rapprochent de la mort souhaitent mourir chez eux ; or c’est loin d’être toujours possible, ce qui accentue l’angoisse de la mort et contribue à la montée du principe d’autonomie. Est-il inéluctable que 90 % des personnes meurent à l’hôpital ? Ne peut-on pas mourir dans la dignité même chez soi ?

M. Daniel Chasseing. – Certaines situations sont difficiles à tous les âges, qu’il s’agisse du cancer ou des maladies neurodégénératives. La loi suffit-elle à encadrer ces situations rares ? Dans certains cas, je ne le crois pas.

Si les personnes meurent rarement à domicile, c’est par manque d’accompagnement, qu’il s’agisse de la famille, des infirmiers ou du médecin. Tout est problème d’accompagnement. Même si l’immunothérapie a beaucoup progressé, de sorte que certains patients vivent jusqu’à des stades très avancés de leur maladie, il arrive toujours un moment où l’on est en difficulté et où l’on a besoin d’un accompagnement plus important.

La loi Claeys-Leonetti a permis des progrès considérables, notamment dans les départements ruraux comme la Corrèze. Dans les Ehpad, les familles ont pu apprécier l’accompagnement des soins palliatifs. Il faudrait les développer encore davantage, en amont.

Faut-il changer la loi pour ce faire ou bien simplement l’adapter ? Il convient en tout cas de la renforcer pour favoriser le développement des soins palliatifs, en collaboration avec les équipes soignantes.

Mme Victoire Jasmin. – Je suis heureuse d’entendre parler, dans ce débat, de « solidarité », de « dignité » et de « souffrance des soignants ». Cependant, comment a-t-on pu en venir à banaliser l’administration du Rivotril dans les Ehpad, il y a quelques mois ?

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous avons je crois tous connu dans notre entourage des situations de fin de vie et n’aurions jamais qualifié quiconque d’indigne, même lorsque la mort n’était pas celle que la personne souhaitait ou que l’on aurait souhaitée pour elle. L’expression « mourir dans la dignité », qui donne son nom à une association, m’a toujours perturbée, voire choquée, car il me semble que la dignité existe jusqu’au dernier souffle.

Quel regard portez-vous sur le cas de cette jeune femme belge qui s’est retrouvée en grande souffrance après les attentats, et qui a été euthanasiée à sa demande ?

Certains articles de presse laissent entendre que les mutuelles pourraient se positionner sur le sujet. Sans vouloir invoquer de manière caricaturale la motivation économique, ne faut-il pas craindre de ce type de positions une moindre incitation à développer les soins palliatifs ?

M. Régis Aubry. – Qu’est-ce que « bien mourir » ou « mourir heureusement » ? La mort est toujours une épreuve. Quand nous parlons de « mourir mal », c’est pour souligner l’insuffisance des moyens en matière d’accompagnement.

Le temps de la fin de vie s’accroît de sorte qu’il faut distinguer le lieu de la fin de vie et celui du mourir. Si mourir à domicile est l’option plébiscitée, elle reste difficile à mettre en œuvre, car la société a changé et que les familles multigénérationnelles se raréfient. En outre, certaines professions ne sont pas assez valorisées, comme les aides à domicile, qui restent insuffisamment formées et rémunérées. C’est pourtant le nœud gordien du maintien à domicile.

Autre point important, la possibilité de ne pas être seul. Or l’on constate que la solitude en fin de vie est un phénomène qui se répand de manière très inquiétante dans notre pays.

L’enjeu concerne aussi certaines personnes âgées. L’avis 128 que nous avions publié montre qu’elles doivent souvent aller finir leur existence en Ehpad alors qu’elles ne le souhaitent pas. Certaines choisissent le suicide.

Quant au Rivotril, il se trouve que pendant la première vague de covid, le Midazolam, médicament utilisé pour provoquer la sédation, est venu à manquer. Or certaines situations de fin de vie dans les Ehpad ou à domicile ont nécessité de recourir au Rivotril pour endormir les personnes. Ce n’est toutefois pas le médicament le plus adapté.

M. Alain Claeys. – Que de progrès ont été accomplis en matière de soins palliatifs ! Toutefois, une petite révolution reste à mener sur les soins d’accompagnement. Si on ne prend pas de mesures, on tournera en rond. Par exemple, la tarification à l’activité (T2A) a été un progrès à l’hôpital. Les soins d’accompagnement ne peuvent-ils pas sortir de son champ ? Ce serait une décision à la portée directement efficace.

La réflexion sur la notion d’obstination déraisonnable est loin d’être aboutie. Le CCNE et le législateur devront s’en emparer.

M. Jean Sol. – Je vous remercie pour ce rapport riche sur un sujet compliqué.

Selon vous, avons-nous les moyens d’évaluer la loi de 2016 dans toutes ses composantes avant d’aller plus loin sur le sujet ?

Enfin, cessons de considérer la finitude comme un échec.

M. Jean-François Delfraissy. – Nous avons en France une culture assez faible en matière d’évaluation des politiques publiques. En outre, ce sont des cabinets d’audit externes qui s’en chargent. Il manque une expertise universitaire. À ce jour, alors que nous l’avions demandée dès le mois de juin 2021, nous ne disposons d’aucune évaluation claire de la loi. La Cour des comptes a été sollicitée par l’Assemblée nationale de sorte qu’une première forme d’évaluation devrait nous être transmise au mois de mars prochain.

Si la loi doit évoluer, il est essentiel que le Parlement inscrive dans le texte une évaluation des nouvelles dispositions dans un délai donné.

M. Régis Aubry. – Les médecins ont tendance à assimiler la fin de vie et la mort à un échec, ce qui nuit à l’idée d’un cheminement possible. Il est nécessaire de réfléchir aux niveaux de soins, d’interroger le sens des mots « soigner » ou « traiter ». Parfois, le médecin doit décider de ne pas faire. Dans un avis en préparation, nous nous questionnons sur les notions de « vivre » et de « soigner ». En miroir de ces notions, il y a la souffrance des soignants. Il est essentiel de développer une culture de la réflexion éthique, qui implique de savoir hésiter, de ne pas être sûr de soi et surtout de travailler collectivement.

Parfois, le temps des personnes malades et des familles ne croise plus celui des soignants. C’est dramatique.

M. Jean-François Delfraissy. – Nous publierons un nouvel avis d’ici à la fin du mois d’octobre qui portera sur les enjeux éthiques et les valeurs à privilégier pour la reconnaissance du système de soins. Nous y poserons la question du temps des soignants pour les familles et pour les patients.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous vous remercions.

Ce point de l’ordre du jour a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 16 h 40.

Mercredi 12 octobre 2022

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 - Audition de M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l’Urssaf Caisse nationale

Mme Catherine Deroche, présidente. – Mes chers collègues, nous entendons ce matin M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l’Urssaf Caisse nationale, sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023.

J’indique que cette audition fait l’objet d’une captation vidéo qui sera retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

M. Yann-Gaël Amghar, directeur de l’Urssaf Caisse nationale. – Je présenterai quelques éléments relatifs à notre activité de financement de la sécurité sociale, d’une part, et à notre activité de gestionnaire des cotisations sociales dans le cadre du réseau Urssaf, d’autre part.

Les tendances majeures pour les années 2022 et 2023 sont la réduction du déficit du régime général de la sécurité sociale et les reprises de dettes par la Caisse d’amortissement de la dette sociale (Cades) – à hauteur de 40 milliards d’euros en 2022 et de 25,6 milliards d’euros en 2023 –, ce qui se traduit par une forte réduction des besoins de financement du régime général en 2022, qui sont de nouveau proches des niveaux moyens enregistrés avant la crise sanitaire. Le besoin de financement des branches du régime général de sécurité sociale s’est élevé à 32 milliards d’euros au début de l’année 2022 et devrait atteindre 13 milliards d’euros à la fin de l’année 2023. D’ailleurs, il n’y aurait pas de besoins de financement du régime général stricto sensu en fin d’année 2023.

Le PLFSS pour 2023 prévoit tout de même un plafond d’emprunt à hauteur de 45 milliards d’euros, en nette baisse au regard des 65 milliards d’euros prévus pour 2022, ce qui représente un seuil maximum autorisé. Il est fixé à partir des prévisions du « point bas » de notre trésorerie, qui évolue tout au long de l’année. Ce point, qui sera sans doute atteint en janvier 2023, – soit 35 milliards d’euros – tient compte non seulement des besoins de financement du régime général, mais également des avances que l’Urssaf effectue pour les régimes sociaux dont la dette n’est pas reprise par la Cades.

Ces avances de dette ont deux avantages pour les petits régimes comme la Mutualité sociale agricole (MSA) et la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL) : d’une part, leur éviter la charge administrative liée aux montages financiers, et, d’autre part, leur permettre de bénéficier de la bonne notation financière de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss).

Le montant du plafond tient également compte du fait que l’on emprunte plus que ce dont on aurait besoin, car nos besoins de financement varient fortement dans le temps. Pour être certain de couvrir les échéances importantes – les versements mensuels des 10 milliards d’euros pour les retraites, des prestations de la caisse d’allocations familiales (CAF) ou encore des versements au système de santé –, on emprunte plus que nécessaire, d’où l’indispensable marge de « pré-emprunt », voire de « sur-emprunt ».

Enfin, le montant du plafond est fixé en fonction des incertitudes liées à la conjoncture. Il est indispensable de prévoir dans le plafond d’emprunt de l’Acoss des aléas économiques – les effets de la guerre en Ukraine, de l’inflation et de la crise énergétique – ou des aléas sanitaires, en cas de nouvelles épidémies, qui auraient des conséquences sur l’évolution du montant de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam). Les dernières années nous ont montré qu’il faut pleinement prendre en compte les aléas.

C’est pourquoi le plafond d’emprunt reste, dans le PLFSS pour 2023, à hauteur de 45 milliards, même si le besoin de financement du régime général de la sécurité sociale est en baisse.

Le contexte de financement de la dette connaît un autre changement majeur : l’année 2022 est la dernière année où la dette du régime général génère des produits financiers, dont le montant total a rapporté 270 millions d’euros cette année, mais la période de taux d’intérêts négatifs dans laquelle nous avons évolué depuis 2015 est révolue – les taux seront certes positifs, mais très inférieurs à l’inflation –, même si l’Urssaf bénéficiera de 60 millions d’euros de produits financiers liés à la dette en 2023. Toutefois, les taux restent bas.

J’en viens aux articles du PLFSS qui concernent le réseau Urssaf.

L’article 5 du PLFSS traite des avances immédiates du crédit d’impôt pour les services à la personne. Engagée en 2022, cette réforme se met progressivement en place. Nous avons commencé par les situations les plus simples, dans lesquelles les ménages ne bénéficient pas d’autres aides sociales. Aujourd’hui, 300 000 ménages sont déjà concernés, mais l’objectif est que l’ensemble des ménages puissent en profiter d’ici à 2024, ce qui nécessite de travailler avec la CAF et les départements. L’article 5 porte sur le calendrier de la mise en œuvre de la réforme.

L’article 6 comporte diverses dispositions sur les contrôles. Il est question, notamment, de généraliser une expérimentation sur la durée des contrôles pour les très petites entreprises et de définir comment, dans le cadre d’un contrôle, il sera possible pour l’Urssaf ou la MSA, de corriger les données sociales à la place des entreprises qui ne l’auraient pas fait afin de permettre aux caisses de retraite de les utiliser.

L’article 9 prévoit d’étendre aux activités de régulation le « dispositif de déclaration et de paiement simplifié des cotisations et contributions sociales », qui concerne actuellement les médecins exerçant une activité libérale réduite.

Enfin, l’article 41 comporte plusieurs dispositions de lutte contre la fraude et de recouvrement des créances frauduleuses.

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. – Je reviendrai sur le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes 2021 de l’activité de recouvrement, qu’elle a de nouveau souligné dans son rapport sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale. La Cour des comptes écrit que « les modalités de comptabilisation des cotisations et contributions sociales des travailleurs indépendants conduisent à ne pas donner une fidèle du déficit du régime général en 2021 et de son évolution entre 2020 et 2021 ». Le Premier président l’a également exprimé devant nous lors de son audition la semaine dernière. Est-il possible pour l’Urssaf caisse nationale de présenter les comptes de l’année 2021 conformément aux recommandations de la Cour ?

Par ailleurs, quelles marges l’autorisation d’emprunt de 45 milliards d’euros laisse-t-elle à votre agence, au regard des transferts vers la Cades qu’il reste à faire ? Ces derniers vont-ils saturer le plafond de transferts de 136 milliards d’euros accordé par le Parlement en 2020 ?

Enfin, l’Urssaf ressent-elle des tensions sur la disponibilité des fonds ? Face aux incertitudes actuelles, avons-nous la capacité de penser que les choses iront mieux demain ?

M. René-Paul Savary, président de la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale. – J’aimerais que l’on évoque le transfert du recouvrement vers l’Agirc Arcco, que la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale propose de définitivement supprimer ; nous n’étions pas allés jusque-là, puisque nous proposions de reporter encore ce transfert dans l’attente de la résolution des difficultés qui demeurent. Pour sa part, le Gouvernement propose de procéder en deux étapes : d’abord pour les grandes entreprises dès le 1er janvier 2023, puis à une date ultérieure pour les plus petites, mais les éditeurs de logiciel ne semblent pas encore au point. Maintenez-vous cette position ?

La Caisse des dépôts et consignations, qui s’occupe des recouvrements pour la CNRACL, l’institution de retraite complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques (Ircantec) ou le régime de retraite additionnelle de la fonction publique (RAFP), ne semble pas trouver opportune « l’unification » des recouvrements des prestations sociales, même si certains organismes, comme la MSA, ne seront pas concernés. Souhaitez-vous continuer dans cette voie ?

Enfin, pouvez-vous nous donner votre point de vue, pour ce qui concerne la Caisse d’assurance vieillesse, invalidité et maladie des cultes (Cavimac), sur la question des recouvrements subis ? Comment peut-on essayer de trouver un terrain d’entente concernés ?

M. Yann-Gaël Amghar. – Madame Doineau, le refus de certification de la Cour des comptes n’est pas une remise en cause de la fiabilité de nos comptes ou de notre contrôle interne. Il porte plutôt sur l’application des normes comptables et sur l’exercice de rattachement de deux épisodes comptables, déjà soulevés lors de l’évaluation de nos comptes pour 2020.

Le premier porte sur la régularisation des cotisations des travailleurs indépendants sur leurs revenus de 2020 : comme vous le savez, les cotisations provisoires sont régularisées à l’année suivante. Au vu du contexte de crise sanitaire, pour 2020, nous avions réduit d’office les prélèvements avant la régularisation en 2021. Nous avions pour cela appliqué les normes comptables définies par le Conseil de normalisation des comptes publics (CNOCP), précises et prescriptives sur ce point, selon lesquelles les cotisations des travailleurs indépendants sont rattachées à l’exercice où elles sont appelées et la régularisation l’est à l’exercice suivant. C’est d’ailleurs ce que nous faisons chaque année.

Le second est l’évaluation du risque de non-recouvrement sur les dettes des entreprises en 2020, dans le contexte du report massif consenti par les Urssaf. Les comptes 2020, établis au premier trimestre 2021, comportent une évaluation de ce risque, déterminée selon une méthodologie ad hoc en raison de l’absence de précédent historique et en accord avec la Cour des comptes. Nous l’avons réévalué lors de l’établissement des comptes 2021, constatant alors que les dettes covid avaient été remboursées bien plus facilement et rapidement que ce que nous espérions, d’où une réévaluation. Là encore, les normes sont claires : cette correction est rattachée à l’exercice au cours duquel elle est effectuée, soit 2021.

La Cour des comptes aurait souhaité que nous produisions, pour ces deux événements, des comptes pro forma en dehors de l’exercice 2021. Or, les normes comptables ne prévoient pas une telle possibilité, que je considère comme une forme de bricolage.

Les comptes 2021 de l’Unédic ont eux été certifiés sans réserve, ce qui montre que ses commissaires aux comptes ont suivi le même raisonnement que nous. Appliquer la recommandation de la Cour des comptes aurait donc conduit à des choix comptables incohérents entre le régime général et d’autres organismes. Cela étant, la Cour reconnaît elle même que de telles divergences d’appréciation sont exceptionnelles du fait de leur lien avec la crise covid.

Ensuite, nous considérons que la marge liée à l’autorisation d’emprunt est suffisante. Le plafond est proposé par le Gouvernement dans le cadre d’échanges avec l’Acoss sur nos prévisions de profil de trésorerie, compte tenu des besoins de financement du régime général et des reprises de la Cades. Nous intégrons donc les reprises de 40 milliards d’euros en 2022 et de 25,6 milliards d’euros prévus pour 2023.

Le point bas du régime général, la prise en compte des avances aux régimes partenaires, de 5 milliards d’euros et le sur emprunt, à hauteur de 15 milliards d’euros, nous permettront d’atteindre les 45 milliards d’euros prévus.

En 2020, notre politique d’accès aux marchés financiers a changé de monde. Jusqu’alors, nous minimisions le solde de compte, avec des emprunts au jour le jour limités au strict nécessaire, selon une logique de coût. En mars 2020, les marchés se sont fermés, non seulement pour nous, mais aussi pour tous les acteurs : là où auparavant nous placions 2 milliards d’euros en une journée, nous ne pouvions plus placer que 100 ou 200 millions d’euros, si bien que nous avons dû solliciter des concours supplémentaires, notamment celui de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Nous avons donc cherché avant tout à sécuriser nos échéances de paiement si bien que, désormais, au lieu du coût, nous nous focalisons sur le risque. Nous avons un bon accès aux marchés et nous bénéficions de la notation de la dette française. Cependant, notre statut d’émetteur à court terme – nos titres ne peuvent dépasser 360 jours – nous contraint à renouveler en permanence notre dette, en revenant tous les jours sur les marchés, ce qui nous expose aux incertitudes des marchés et aux chocs exogènes.

Ainsi, ces derniers mois, nous nous financions bien. En revanche, le contexte estival d’attente des annonces des banques centrales a créé une attitude attentiste des investisseurs, prêts à nous prêter, mais pas au-delà d’un mois. Cela nous confirme dans notre démarche de prudence : nous cherchons à couvrir nos besoins avec un mois d’avance, au lieu de sept à dix jours avant la crise sanitaire. Notre plafond d’emprunt est fixé avec une marge considérable.

Monsieur Savary, le Gouvernement a annoncé un transfert en deux temps du recouvrement des retraites complémentaires : tout d’abord vers 9 000 grandes entreprises en 2023, puis une généralisation en 2024. Pour notre part, nous sommes prêts à appliquer cette réforme. Le pilote, très complet, car il a couvert l’équivalent de 90 % de la paie dans notre pays, nous a permis de tester l’ensemble des cas et de confirmer la faisabilité des évolutions. Les trois ou quatre mois qui viennent sont l’occasion d’inclure davantage d’entreprises volontaires dans ce pilote. L’Agirc Arrco continuera d’exercer les mêmes actions de contrôle des droits et de gestion des comptes pour la retraite complémentaire. Le risque de régression est donc faible. De plus, commencer par les grandes entreprises sécurise la réforme, car elles sont mieux armées pour mettre en œuvre ce changement. Elles ont en outre des interlocuteurs personnalisés au sein de l’Agirc Arrco et des Urssaf.

Nous échangeons d’ailleurs quotidiennement avec les éditeurs de paie sur la façon de gérer à la fois des clients pour lesquels le transfert a eu lieu et d’autres pour lesquels ce n’est pas le cas. Cela n’est pas insurmontable : ce n’est pas la première fois qu’une réforme se déploie par paliers de taille d’entreprise.

Le chantier du transfert à la CDC est en revanche moins avancé. Il conviendra d’examiner les conséquences sur ce transfert du nouveau calendrier du transfert du recouvrement des cotisations Agirc Arrco.

Nos travaux avec la Caisse d’assurance vieillesse invalidité et maladie des cultes (Cavimac) sont encore en cours. La problématique de l’équilibre financier des cultes demeure, tout comme celle de la détermination de ce qui relève d’une activité de culte ou non, mais je n’entrerai pas dans ce sujet. L’objectif reste d’aboutir à une convention avec la Cavimac.

Au total, les chantiers porteurs de simplification et de gains de performance de recouvrement et de contrôle se poursuivent. Nous ne sommes pas dans une logique d’unification, mais bien de guichet unique. La MSA l’offre déjà pour ses cotisants : il n’y a donc pas d’intérêt pour eux à entrer dans les Urssaf. Tel n’est pas le cas pour ceux qui relèvent de l’Agirc Arrco ou de la CDC, qui traitent aussi avec les Urssaf ou d’autres collecteurs.

Mme Cathy Apourceau-Poly. – Le transfert des recouvrements de l’Agirc Arrco vers les Urssaf est précipité selon moi. Le Gouvernement n’a pas tenu compte des préconisations du rapport d’information que j’ai présenté avec René-Paul Savary. Je le regrette, alors que les organisations syndicales et patronales sont opposées à l’unification du recouvrement des régimes complémentaires de retraite. Nous ne disions pas qu’il ne fallait pas le faire, mais demandions un délai supplémentaire.

Le transfert du recouvrement des cotisations Agirc Arcco au 1er janvier 2023 concerne 9 170 entreprises, soit 5,6 millions de salariés.

Quelles garanties supplémentaires apportez-vous au Gouvernement pour justifier de l’unification précipitée du recouvrement des cotisations des régimes complémentaires de retraite à l’Urssaf ? Il s’agit, pour les assurés, d’une perte de contrôle sur leurs droits individuels.

M. Olivier Henno. – Monsieur Amghar, lorsque l’Urssaf Caisse nationale s’appelait encore l’Acoss, vous aviez évoqué des charges d’intérêt négatives. Je l’avais noté, car c’était inhabituel. Comment ces provisions ont-elles évolué, dans un contexte de taux d’intérêt positifs ? Que représenterait la charge de la dette à court et moyen terme ?

Le PLFSS prévoit une réforme du calcul du complément de libre choix du mode de garde (CMG) « emploi direct » compensant une partie de la rémunération de l’assistante maternelle. La prestation est financée par la branche famille, mais fait l’objet depuis 2019 d’une intermédiation par le dispositif Pajemploi, rattaché à l’Urssaf. Dans quelle mesure cette intermédiation sera-t-elle concernée par ce changement de calcul du CMG ? Comment les difficultés techniques que vous avez évoquées seront-elles levées d’ici l’entrée en vigueur de la réforme en 2025 ? Pouvez-vous nous éclairer sur l’articulation avec le système d’avance immédiate des aides fiscales pour garde d’enfants prévu pour 2024 ?

Mme Raymonde Poncet Monge. – L’article 5 porte sur l’échéancier des avances immédiates de crédit d’impôt pour l’emploi à domicile. Le calendrier qui était prévu dans la précédente loi de financement de la sécurité sociale a-t-il été modifié ? Un problème d’avantage concurrentiel se pose. En effet, un crédit d’impôt en direct impacte le recours des familles aux prestataires.

Monsieur Amghar, vous avez dit que, depuis 2015, les taux négatifs généraient des produits financiers. Leur cumul permet-il de faire face aux taux d’intérêt actuels ?

M. Philippe Mouiller. – La vision des enjeux financiers associée au PLFSS donne le tournis.

Rapporteur pour la branche autonomie, je souhaite vous interroger sur l’application de la loi de 2007, qui prévoit des exonérations de cotisations de sécurité sociale dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), notamment pour les maisons de retraite. Il semble que les fonctionnaires en soient exclus. Pouvez-vous m’apporter des précisions ?

M. Daniel Chasseing. – Monsieur le directeur, depuis 2015, vos emprunts rapportent, jusqu’à 60 millions d’euros en 2020. Depuis ce mois-ci, les taux d’intérêt sont positifs. Quels taux anticipez-vous pour 2023 et pour les années suivantes ?

Beaucoup de cabinets médicaux fonctionnent avec des médecins retraités. Actuellement, certains ne veulent plus effectuer de remplacement parce qu’ils ne veulent plus cotiser à fonds perdu. Mais il semblerait que, pour un petit chiffre d’affaires, il soit possible de ne cotiser qu’à l’Urssaf. Pouvez-vous m’en dire plus ?

Mme Victoire Jasmin. – Quelles mesures ont été prises pour remédier aux incompatibilités des systèmes d’information entre organismes ? Cela a notamment été préjudiciable aux travailleurs indépendants. Ces incompatibilités ne conduisent-elles pas à mettre en difficulté certains cotisants, qui bien qu’à jour, apparaissent en non-conformité ?

M. Jean-Marie Vanlerenberghe. – À combien estimez-vous le montant de la fraude aux cotisations que subit votre organisme et quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour la contrôler et la réprimer ?

Mme Annick Jacquemet. – Ce matin, j’étais en visioconférence avec la présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté, qui souhaite mettre en place un ticket mobilité sous la forme d’un chèque mensuel de 40 euros pour les salariés gagnant jusqu’à deux fois le Smic, en cette période difficile. La région prendrait en charge la moitié, les entreprises se chargeant de l’autre moitié. Mais pour les entreprises, cela s’assimile à un avantage en nature, soumis à cotisation. C’est donc d’autant plus cher pour elles. Comment leur éviter un coût trop important ?

M. Yann-Gaël Amghar. – Nous travaillons sur le transfert de l’Agirc Arcco depuis trois ans : on ne peut donc pas parler de précipitation. Le Gouvernement opère un étalement en deux phases, qui tient compte de la demande de progressivité et de sécurisation exprimée.

La prise de position des partenaires sociaux renvoie à des arguments et des craintes de nature politique, tenant à la fusion des régimes et des réserves. Très franchement, il n’y a pas de lien entre le fait de collecter des ressources et la capacité du Gouvernement à fusionner des régimes.

Mme Laurence Cohen. – Votre réponse ne nous convient pas.

M. Yann-Gaël Amghar. – Si l’on aborde ce transfert de recouvrement sous l’angle des risques opérationnels, sachez que nous avons donné des garanties. L’Agirc Arcco continuera à opérer de la même façon, sans risque de régression des droits des salariés. L’Agirc Arcco souligne dans un document interne que le risque de moindre fiabilité des droits à la retraite complémentaire est faible. Nous ne manquerons pas de vous rendre des comptes sur ce point.

Les produits financiers que nous avions ces dernières années n’ont pas constitué une cagnotte mais ont été employés à réduire le déficit du régime général de la sécurité sociale. Je vous transmettrai ultérieurement l’addition, si vous le souhaitez, mais il me semble que le cumul de produits financiers pour toute la période de taux négatifs est de l’ordre du milliard d’euros.

Nous prévoyons que le besoin de financement moyen sera de 18,4 milliards d’euros en 2023. Supposons que les taux d’intérêt soient de 0,5 % : le coût s’élèverait à environ 100 millions d’euros. Toutefois, en réel, cela reste négatif puisque c’est inférieur à l’inflation.

Oui, dès lors que c’est Pajemploi qui gère le CMG « emploi direct », c’est l’Urssaf qui mettra en œuvre cette réforme, ce qui explique le calendrier retenu. En effet, nous avons lancé un programme de rénovation complète du système d’information de Pajemploi et ce n’est qu’à son issue en 2024 que nous pourrons réaliser toutes les évolutions prévues.

L’avance immédiate pour les services à la personne sera accessible aux ménages bénéficiant du CMG. Actuellement, le ménage paie à l’assistant maternel le reste à charge après déduction du CMG. À l’avenir, il ne lui paiera plus que le reste à charge après déduction du CMG et du crédit d’impôt. Pour le ménage, ce sera très simple, puisqu’il n’aura qu’une seule déclaration à faire. Concrètement, c’est un système de tiers payant.

Concernant le calendrier prévu à l’article 5, nous avons à cœur une équité de concurrence entre les différents secteurs, notamment entre l’emploi direct et l’emploi intermédié.

Actuellement, les ménages non prestataires de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et de la prestation de compensation du handicap (PCH) peuvent bénéficier de l’avance immédiate, qu’ils aient recours à un emploi direct ou à un emploi intermédié. C’est plus compliqué pour les ménages recevant l’APA ou la PCH, car cela dépend des relations des départements avec les services d’aide à la personne. Certains d’entre eux ont signé des conventions avec les services d’aide à la personne et versent directement les sommes. Autant le système est simple à mettre en œuvre pour l’emploi direct, autant c’est plus complexe pour l’emploi indirect. Nous devons travailler cet automne avec les départements et le secteur des services à la personne pour trouver le bon circuit de gestion, afin de ne pas pénaliser les ménages. En tant que payeurs, les départements doivent pouvoir vérifier le service fait. Il faut mettre en place ce circuit dans un calendrier proche de celui de l’emploi indirect.

Mme Raymonde Poncet Monge. – Pourquoi avoir modifié le calendrier ?

M. Yann-Gaël Amghar. – Le calendrier est ajusté, mais il reste très proche entre les deux secteurs. L’article comprend également des dispositions sur les contrôles Urssaf sur les services d’aide à la personne, afin qu’ils puissent rentrer dans le dispositif. Nous voulons une équité entre les deux secteurs.

Monsieur Mouiller, je dois vérifier ce point et vous répondrai ultérieurement. Des organismes ayant un statut public peuvent bénéficier d’un certain nombre d’exonérations de cotisations sociales, mais cela pose parfois un problème d’application du droit.

Monsieur Chasseing, des médecins retraités peuvent exercer grâce au dispositif mis en place il y a deux ans pour un régime simplifié d’exercice des professions médicales. L’exercice libéral classique peut être dissuasif pour un médecin ayant une faible activité, car il nécessite d’avoir une comptabilité précise des produits et des charges et de payer un acompte de la cotisation avec une régularisation en n+1. Les cotisations aux caisses de retraite et de santé sont parfois forfaitaires, quelle que soit l’activité, ce qui peut être dissuasif.

Ce régime simplifié est inspiré de l’autoentreprise – dispositif inapplicable pour une activité de soins en raison des distorsions possibles entre les caisses de retraite. Il prévoit une cotisation fondée sur le chiffre d’affaires, avec un paiement au mois ou au trimestre suivant, et strictement proportionnelle. Le paiement est versé à l’Urssaf, qui reverse ensuite à la Caisse autonome de retraite des médecins de France (Carmf) ce qui lui revient. Ce dispositif simplifié convient particulièrement aux internes débutant une activité libérale réduite ou aux remplaçants. Quelques médecins retraités l’utilisent.

Depuis deux ans, 6 500 professionnels utilisent ce dispositif. L’article 9 prévoit de l’étendre aux activités de régulation. Le succès de ce dispositif montre qu’il y a besoin d’un cadre pour des activités libérales réduites. Actuellement, il existe une série de conditions pour en bénéficier – être remplaçant, étudiant, et demain régulateur – avec un plafond de chiffre d’affaires de 19 000 euros, somme assez vite atteinte. Nous devons examiner comment étendre ce dispositif pour des professionnels ayant besoin de retrouver du temps médical. Cela nécessite de trouver un équilibre avec des caisses de retraites des professionnels de santé. C’est bien pour une activité libérale partielle.

Madame Jasmin, nous avons beaucoup travaillé avec le régime social des indépendants (RSI) sur les problèmes de systèmes d’information. D’énormes investissements ont été réalisés. Cela s’était traduit, avant le covid, par un niveau de paiement amélioré et une grande satisfaction, après une forte dégradation en 2008. Désormais, nous avons un niveau d’appels téléphoniques « normal », avec un niveau de fonctionnement satisfaisant : calcul correct des cotisations, établissement des droits à la retraite pour les indépendants... Le système fonctionnait très mal il y a quinze ans. Désormais, la Caisse nationale d’assurance vieillesse (Cnav) dispose des données pour calculer la retraite des indépendants. Celle des microentrepreneurs relève de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse (Cipav). Il y a parfois des contentieux juridiques sur le calcul de leur cotisation ou pour le cas des indépendants qui n’ont pas régulièrement payé leur cotisation – or seule celle-ci leur permet d’établir des droits.

À Mayotte, nous n’avons pas repris la collecte des cotisations retraite pour les indépendants. Mais ce genre de cas est très ciblé, le reste fonctionne normalement.

Monsieur Vanlerenberghe, nous sommes toujours dans une phase d’évaluation de la fraude aux cotisations sociales. Depuis plus de dix ans, nous réalisons des contrôles reposant sur des échantillons statistiques, pour évaluer la prévalence du travail dissimulé dans un secteur donné. Nous disposons ainsi d’une estimation assez robuste, et avons partagé ces informations avec le Conseil national de l’information statistique (Cnis). Nous évaluons cette fraude entre 7 et 8 milliards d’euros pour les salariés, et entre 1 et 2 milliards d’euros pour les indépendants, soit un total estimé entre 7 et 10 milliards d’euros de travail dissimulé.

L’année dernière, nous avons redressé 800 millions d’euros, et couvrons donc environ 10 % du total. Il est évidemment impossible de couvrir l’intégralité, mais nous devons faire mieux. Nous progressons constamment dans le redressement, et avons redressé 50 % de plus entre la période 2013-2017 et la période 2018-2022. L’État nous demandera probablement une progression du même ordre pour la future convention d’objectifs et de gestion que nous sommes en train de négocier. Nous allons poursuivre ce renforcement et améliorer les outils. Depuis deux ans, nous disposons d’un outil de data mining pour mieux cibler les contrôles contre le travail dissimulé. Nous mettrons en place, la semaine prochaine, une nouvelle base de données centralisant les déclarations préalables de détachement, afin de mieux contrôler la fraude au détachement, et éviter l’évasion fiscale et les distorsions de concurrence pour les entreprises françaises.

Madame Jacquemet, la loi est binaire sur ces sujets : il existe une série de situations pour lesquelles la loi prévoit des conditions de prise en charge d’une aide par l’employeur. Votre nouveau dispositif n’est probablement pas listé dans la loi ; si celle-ci n’est pas modifiée, il sera soumis à cotisation.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Je vous remercie.

Cette audition a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 – Audition de Mme Isabelle Sancerni, présidente, et de M. Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF)

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous entendons à présent Mme Isabelle Sancerni, présidente, et M. Nicolas Grivel, directeur de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2023.

Ce PLFSS est marqué par un important transfert de charges entre la branche maladie et la branche famille, qui constitue l’une des principales mesures.

Mme Isabelle Sancerni, présidente de la Caisse nationale des allocations familiales. – Le conseil d’administration de la Cnaf a examiné le 4 octobre le PLFSS pour 2023 et a émis un avis négatif. Je vous transmettrai les déclarations de chacune des délégations.

Nous nous félicitons de la nouvelle procédure d’examen de ce texte, permettant une analyse complète et approfondie du PLFSS, et qui reconnaît l’apport de la gouvernance de la branche famille.

Je souligne le nombre de mesures sur la famille de ce PLFSS, notamment la revalorisation de 50 % de l’allocation de soutien familial dès 2022, la réforme attendue du complément de libre choix du mode de garde (CMG), et l’extension des aides à la garde d’enfants de 6 à 12 ans pour les familles monoparentales. Le conseil d’administration attend les textes réglementaires qui permettront de mesurer l’impact réel de la réforme du CMG.

Concernant l’extension des aides à la garde d’enfants pour les enfants de 6 à 12 ans dans les familles monoparentales, je rappelle que les besoins de conciliation de la vie familiale avec la vie professionnelle sont importants pour toutes les familles, notamment les familles bi-actives, si nous voulons réduire le temps partiel subi et concrétiser l’objectif d’un retour à l’emploi. Pour ce faire, il est important de proposer des dispositifs d’accueil individuel et collectif, notamment péri et extrascolaire pour les enfants de plus de trois ans. Nous sommes en fin de convention d’objectifs et de gestion (COG) : nous ne pouvions financièrement pas créer de nouvelles places en accueil de loisirs sans hébergement (ALSH), et avons peu revalorisé la prestation ALSH.

L’ensemble des membres du conseil d’administration a déploré vivement le transfert à la branche famille des indemnités journalières des congés maternité après la naissance. Ce transfert de charges nous interroge sur la capacité de la branche famille à répondre aux attentes majeures qui lui sont adressées.

Nous aurons, dans la prochaine COG qui doit être mise en œuvre à partir de 2023, un certain nombre de grands chantiers, comme le service public de la petite enfance, la solidarité à la source, la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), la contribution à l’insertion des publics fragiles, et la poursuite de la politique d’intermédiation des pensions alimentaires. Nous sommes très attentifs à savoir si nous aurons les moyens humains, financiers et informatiques en soutien à ces projets intéressants et importants.

Nous avons été au rendez-vous de la mobilisation nationale pendant la crise sanitaire. La branche famille a fait preuve d’un grand volontarisme en faveur des services aux familles. Nous avons mis en œuvre la réforme des aides au logement, et respecté les restitutions d’emplois qui nous avaient été assignées. Cela nous a mis dans une position délicate pour la mise en œuvre de la réforme des aides au logement, au prix d’une perturbation forte et durable de la qualité du service rendu sur l’ensemble des prestations. En respectant cette trajectoire des restitutions d’emplois assignée en 2018, au début de la COG, nous n’avons pas eu les gains de productivité envisagés, car nous avons subi le décalage de la réforme des aides au logement et nous n’avons pas fait le revenu de solidarité active (RSA) et la prime d’activité avec les revenus directement à la source. Nous avons donc préempté ces gains de productivité, ce qui nous met en grande difficulté.

En raison du transfert de moyens de la branche famille vers la branche maladie, nous devons faire attention pour continuer à financer et à déployer nos dispositifs pour l’enfance, la jeunesse, mais aussi le soutien à la parentalité et à l’animation de la vie sociale.

Nous craignons que tous les crédits fléchés le soient sur la petite enfance et que ce transfert préempte la négociation à venir de la prochaine COG, sachant que, au vu du démarrage extrêmement tardif des discussions, la signature de la COG risque d’être décalée, comme en 2018, sur le deuxième trimestre 2023, reproduisant la dérive observée lors de la précédente période conventionnelle. Comment allons-nous fonctionner en l’absence de COG sur ces six mois ou plus en 2023 ? Nous devons trouver avec l’État ces modalités pour que les CAF puissent assurer sereinement la continuité des activités et éviter une année blanche pour le développement des services aux familles. Cela handicaperait l’atteinte des futurs objectifs.

M. Olivier Henno, rapporteur pour la branche famille. – Vous avez clairement exposé tous les sujets. Il y a un paradoxe : la branche famille connaît depuis quelques années un excédent – il a atteint 2,9 milliards d’euros en 2021 –, alors que la société a de nombreux besoins en matière de politique familiale.

Frédérique Puissat et moi sommes rapporteurs du projet de loi portant mesures d’urgence relatives au fonctionnement du marché du travail en vue du plein emploi. Nous voyons bien que parmi les freins à l’emploi figure la garde d’enfants, pour laquelle il y aurait beaucoup à faire.

La natalité est aussi préoccupante. Qu’on le veuille ou non, il y a dans ce pays un manque d’ambition de la politique familiale. L’excédent de la branche famille en est le révélateur.

S’agissant du transfert de la charge des indemnités journalières pour congés de maternité, comme souvent, on crée un débat sans être clair. Le déterminant de ce choix politique, c’est la tuyauterie du PLFSS et donc la recherche d’équilibres financiers globaux. Mieux vaudrait l’assumer sans ambage plutôt que de trouver des prétextes.

Vous avez évoqué l’article 36 qui propose une réforme du CMG. Pour mettre fin à des restes à charge et à des effets de seuil, la portée de la réforme dépendra largement des textes réglementaires qui détailleront les nouveaux barèmes. Ressort-il de vos échanges avec la direction de la sécurité sociale que l’aide versée sera différenciée selon que la famille emploie un salarié à domicile ou une assistante maternelle ? La réforme prévoit de conserver le plafond de rémunération des assistantes maternelles et de l’étendre aux salariés à domicile. Avez-vous idée de son impact ? Disposez-vous de données plus fines quant aux éventuels perdants de ce changement de calcul et du coût que cela pourra représenter pour ces familles ?

Vous commencez les négociations de la prochaine COG. Quelles perspectives et quels objectifs seront alloués au Fonds national d’action sociale (Fnas) ? Pouvez-vous enfin nous préciser les risques d’une conclusion tardive de la COG ?

Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale. – Merci de vos explications. Vos responsabilités deviennent de plus en plus importantes.

Nous sommes interpellés sur la protection des assistantes maternelles, qui assurent la garde des jeunes enfants : beaucoup d’entre elles ne sont pas payées par les parents employeurs, ce qui les met en grande difficulté. Elles risquent d’abandonner leur métier, et ce seront autant de places manquantes pour les enfants. Ces impayés viennent du fait que le CMG est versé aux familles, qui, pour certaines d’entre elles, ne le reversent pas. Les assistantes maternelles pourraient dénoncer cette situation ; or souvent, elles ne le font pas. Les conséquences sont désastreuses : les assistantes maternelles renoncent à leur métier ou alors elles sont contraintes à engager des procédures très longues. On ne peut laisser des professionnels de la petite enfance travailler dans ces conditions.

Mme Laurence Rossignol. – Comme je l’ai dit au ministre, deux mesures importantes et attendues par les familles monoparentales nous satisfont dans ce PLFSS : l’extension du CMG jusqu’aux douze ans de l’enfant et l’augmentation de 50 % de l’allocation de soutien familial (ASF).

Comme Mme Doineau, j’entends parler plus fréquemment qu’avant d’assistantes maternelles non payées par les familles. C’était toujours un aléa, mais le nombre de ces cas serait en augmentation. Avez-vous travaillé sur le tiers payant à l’égard des assistantes maternelles ? Même si ce n’est pas simple à gérer, il faudrait retravailler sur l’expérimentation qu’avait faite la CAF de Seine-Saint-Denis en la matière. On ne peut laisser des assistantes maternelles en difficulté.

Quel regard portez-vous sur ces difficultés, alors que se mobilisent les professionnels de la petite enfance ? C’est à la CAF que se font les politiques en faveur des moins de trois ans. Où en est le service public de la petite enfance ?

Je suis préoccupée de voir que, depuis quelques années, presque toutes les ouvertures de places de crèche se font dans des crèches privées à but lucratif. Je crains une évolution ressemblant à celle qu’ont connu les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Comment envisagez-vous cette dérive ?

M. Philippe Mouiller. – Vous évoquez les nombreuses réformes que vous devrez mettre en place en vous interrogeant sur les moyens dont vous disposez. Le décret sur la déconjugalisation de l’AAH devrait paraître dans les prochains jours. Je partage votre inquiétude sur votre capacité à appliquer la réforme et à le faire dans les temps. Non seulement la loi a fixé des délais mais les ministres se sont engagés à possiblement anticiper la mise en œuvre. Avez-vous des précisions à nous communiquer ?

Mme Michelle Meunier. – Vous le dites de manière feutrée et avec tact, mais la situation de la Cnaf est très préoccupante. Aurez-vous les moyens suffisants, en janvier prochain, d’embaucher des personnels en contrat à durée indéterminée (CDI) ? La COG se termine fin décembre 2022, et vous n’avez pas de visibilité.

La CAF de Loire-Atlantique est dans une situation problématique, mais bien maîtrisée jusque là. Il va falloir faire face.

Je suis préoccupée du peu d’ambition sur la petite enfance. Nous avons l’impression de retourner dix ans en arrière. J’en veux pour preuve qu’à Nantes environ 150 berceaux sont vides faute de professionnels pour accompagner ces bébés, alors que les familles sont en forte demande pour reprendre un travail ou une formation.

Certes des avancées sont proposées dans le PLFSS et notamment des revalorisations de prestations, mais quelle est la place de l’enfant dans tout cela ? Je soutiens vos actions. J’aurai l’occasion de le dire au Gouvernement : nous devons retrouver un cap. Ce service public de la petite enfance était annoncé par le programme présidentiel, mais quand sera-t-il mis en place ?

M. Alain Milon. – Excusez ma question impertinente. Si j’ai bien compris, vous ne voulez pas prendre en charge les congés maternité après la naissance sans complication médicale : est-ce une position philosophique ou comptable ?

Mme Catherine Procaccia. – Je suis choquée du transfert à la Cnaf de la prise en charge du congé maternité. L’exposé des motifs associe ce dernier au congé paternité déjà pris en charge par la branche famille. C’est du post-natal, mais les congés n’ont pas la même fonction !

La Cnaf a eu recours à des cabinets d’audit. Allez-vous continuer à travailler avec eux comme lors de la réforme des aides personnelles au logement (APL) ?

Mme Frédérique Puissat. – Merci de votre détermination. J’ai noté certaines désorganisations à la suite d’injonctions paradoxales.

L’initiative des maisons France Services est plutôt à saluer mais, dans certaines des maisons que j’ai visitées, j’ai pu constater des problèmes de relais avec les CAF. Vous avez évoqué des problèmes d’organisation du personnel. Avez-vous des relais spécifiques pouvant répondre à des questions techniques ?

M. Nicolas Grivel, directeur général de la Caisse nationale des allocations familiales. – Nos perspectives sont nourries par des projets ambitieux et structurants. Les conseils d’administration des CAF sont très engagés. La mobilisation de toutes les équipes est forte pour une meilleure qualité de service.

Nous voulons avoir plus de moyens avec la COG. Les CAF sont présentes sur les territoires avec le souci de répondre aux citoyens, de visu, par téléphone ou en visio. Nous avons un partenariat avec les maisons France Services pour apporter une réponse de premier niveau sur le terrain. Les CAF sont très présentes pour l’accueil et la formation du personnel. Dans une période de très forte pression sur les délais, la charge de travail et la qualité de service, la réponse se dégrade parfois. Cela renvoie à la capacité de formation des personnels des maisons France Services. Il faut qu’ils puissent apporter un premier niveau de réponse ou organiser un rendez-vous avec la CAF.

Nous ne savons pas quelles seront nos capacités dans la prochaine COG : les négociations commencent à peine. Elles se dérouleront dans le cadre du premier trimestre. Le conseil d’administration s’inquiète en effet de savoir comment cela se passera durant la transition entre les deux COG. Il ne faut pas exagérer les incertitudes ; nous allons trouver des solutions, mais nous demandons à nos ministères de tutelle qu’elles soient les plus souples et les plus rapides possible. Les CAF doivent pouvoir recruter de la façon la plus normale possible. Compte tenu de la charge actuelle, ce n’est pas le moment de désarmer notre capacité de réponse.

Madame Procaccia, la réforme des aides au logement a été structurante. Nous avons fait appel à un cabinet d’audit connu, mais qui a été missionné par le ministère du logement et non par la Cnaf. C’était une réforme exigeante et compliquée pour la délivrance des prestations. Nous allons continuer à avoir recours à l’expertise de ces cabinets, mais peu sur de l’expertise stratégique, davantage pour de l’expertise technologique, et notamment informatique.

Nous avons des besoins très importants pour des projets nombreux. Nous avons besoin d’expertise externe pour envisager l’avenir de nos systèmes d’information et revitaliser notre expertise interne, car nos systèmes sont en milieu voire en fin d’obsolescence programmée.

La petite enfance est un sujet très mobilisateur pour nous, mais nous ne sommes pas les seuls acteurs, notamment pour contrôler la qualité des équipements. Les crèches privées jouent un rôle important, mais elles doivent assurer un certain niveau de qualité de service. Nous devons articuler leur contrôle avec les moyens de la protection maternelle et infantile (PMI). Cette logique de développement doit être équilibrée. Nous avons une dynamique des modes de garde différente selon les secteurs. La création de places dans le secteur public s’est ralentie. Nous devons accompagner les acteurs locaux, notamment dans les territoires prioritaires. L’offre privée ne se développe pas partout de façon harmonieuse.

Mme Laurence Rossignol. – Il faut aussi distinguer le secteur privé à but lucratif du secteur privé associatif.

M. Nicolas Grivel. – Le secteur privé associatif peut rencontrer les mêmes problèmes de financement que le secteur public.

La réforme pour créer un service public de la petite enfance est louable dans ses intentions, avec une logique d’égalité d’accès par la présence territoriale, mais aussi par les modes financiers. D’où la réforme du CMG qui vise à harmoniser le reste à charge des différentes familles. Actuellement, le reste à charge des familles aisées est équivalent quel que soit le mode de garde, ce qui n’est pas le cas pour les familles les plus défavorisées. Cette réforme est donc nécessaire.

Il y a également un enjeu de qualité de ce service public, et nous serons vigilants.

Le niveau d’ambition se mesurera aux moyens. Je vous donne rendez-vous dans quelques mois. Quels que soient les moyens qui nous seront accordés, la pénurie de personnel dans ce secteur nous inquiète. Elle renvoie aux problèmes du marché du travail. Vous évoquiez le rôle du service public de la petite enfance pour lever les freins du retour à l’emploi, mais ce problème s’applique aussi à ce secteur. L’attractivité de ces métiers et leur rémunération posent problème.

Le conseil d’administration a décidé de relever fortement les financements des modes d’accueil des jeunes enfants et des crèches en particulier, avec une augmentation de 5 % de la prestation sociale unique pour les crèches afin d’accompagner l’évolution des salaires pour être attractif. Nous estimons que 10 000 places de crèche n’ont pas pu ouvrir à cause de la pénurie de personnel sur tout le territoire.

Les travaux sur la CMG sont en cours de finalisation et il est encore un peu tôt pour connaître tous les paramètres précis du nouveau mode de calcul. L’intention est toutefois bien d’égaliser les restes à charge pour tous les modes de garde. Concernant les perdants de la réforme - qui resteront néanmoins minoritaires - il conviendra d’être attentif aux familles les plus fragiles et les textes règlementaires devront prévoir leur situation.

Nous sommes aussi alertés sur le non-paiement des assistantes maternelles, qui serait un peu plus fréquent qu’avant. Mais il ne faut pas généraliser. Nous devons cependant les accompagner, à la fois à l’échelle nationale et locale.

Plusieurs outils ont été développés ces dernières années en lien avec l’Urssaf, notamment le service Pajemploi+. Il y a une intermédiation, car la famille déclare et c’est la sécurité sociale qui finance et rémunère directement la personne pour la garde à domicile. Dans le cadre de la réforme du CMG, nous devrions aller vers cette logique de Pajemploi+ pour les personnes qui le souhaitent. Il est inadmissible que les personnes ne puissent pas être rémunérées. Il faut trouver des solutions d’urgence.

Madame Rossignol, nous sommes très attentifs à la mobilisation des personnels de la petite enfance. Des textes réglementaires régissent les règles d’accueil, les diplômes nécessaires, le taux d’encadrement, par exemple. Ils relèvent donc surtout du ministère.

Nous devons prendre le temps, pour la réforme de l’AAH, d’avoir un dispositif qui fonctionne et compris par les familles. Cela pose deux questions : la gestion de la déconjugalisation dans un univers conjugalisé, notamment pour les aides au logement, et la gestion des perdants. Le décret porte sur l’accompagnement des familles dans des situations générant des perdants. Ce sont surtout les familles les plus défavorisées du spectre de bénéficiaires de l’AAH qui seraient concernées. Le décret devra être finement travaillé pour ne pas rater des cas de figure, mais nous sommes déterminés et optimistes sur notre capacité à faire la réforme, et plus inquiets sur la quantité de travail nécessaire.

Mme Isabelle Sancerni. – Je précise, s’agissant des moyens, que nous sommes en difficulté : nous avons subi des rendus d’effectifs supérieurs à nos charges et nos stocks de dossiers sont au plus haut depuis dix ans. Nous n’aurons pas d’effectifs supplémentaires début 2023, nous discutons de la possibilité d’anticiper les départs, mais, à défaut d’accord sur la période transitoire, nous ne pourrons pas embaucher. Au-delà de cette transition, l’extension, au 1er janvier 2023, de l’intermédiation en matière de pensions alimentaires exige également de nouveaux effectifs, dont nous ne disposons pas. J’y insiste, car il nous faudra du temps pour recruter et former. Nous ne pouvons pas nous contenter d’autorisations financières si les autorisations d’embauche ne suivent pas.

En ce qui concerne les difficultés informatiques, nos équipes travaillent à mettre en place ce qu’exigera la feuille de route, même si nous ne disposons pas encore de la COG. Nous mettrons tout en œuvre pour mener à bien ces réformes, mais il faudra tenir compte du besoin d’expérimentation ainsi que du temps indispensable pour tester le dispositif. En matière de solidarité à la source, par exemple, et singulièrement du RSA, nous ne pouvons pas nous permettre de mettre des familles en difficulté ; les processus devront donc avoir été testés. Les délais que nous annonçons sont, à ce titre, déjà très inférieurs à ceux que nous avions demandés et nous ne pourrons pas faire mieux.

Sur le service public de la petite enfance, nous attendons de connaître les demandes qui nous seront faites. Cette évolution implique le même reste à charge pour les familles en individuel et en collectif, qui découle de la mesure concernant le CMG. Reste la difficulté posée par les crèches qui ne relèvent pas de la prestation de service unique (PSU). Dans les crèches PSU, le reste à charge des familles est encadré. Nous avons, en outre, créé des bonus pour l’accueil d’enfants en situation de handicap ou issus de familles précaires et nous avons renforcé les crèches dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), en horaires atypiques, ainsi que les crèches à vocation d’insertion professionnelle (Avip), grâce à des financements complémentaires à la PSU. En revanche, nous ne disposons pas d’éléments particuliers dans ce dispositif au sujet des micro-crèches relevant de la prestation d’accueil du jeune enfant (Paje). Pour ce qui concerne la qualité, les normes ont été généralisées, mais les services de PMI, qui doivent vérifier leur bon respect, manquent de professionnels pour effectuer cette tâche.

À mon sens, nous avons besoin d’un pilotage national de la petite enfance afin de faire remonter vers le ministère ce qui est réalisé sur le terrain et de garantir un fonctionnement homogène entre familles et entre territoires. Nous avons des objectifs d’accueil en crèches PSU, mais ce sont les collectivités territoriales qui décident de créer des places. Il faut donc s’appuyer sur les deux outils déployés dans cette COG : le schéma départemental des services aux familles et les conventions territoriales globales (CTG). Ces dernières permettent à la CAF et aux collectivités concernées de dresser un bilan des besoins des familles et de l’offre qu’il est possible de mettre en place en matière de petite enfance, d’enfance et de jeunesse, de parentalité, d’animation de la vie sociale, de logement et d’accès aux droits. Cela nous offre une visibilité pluriannuelle accompagnée par des financements pluriannuels de la CAF, via les fonds nationaux, les fonds « publics et territoires », et des fonds locaux. Ces dispositifs sont en cours de déploiement et nous sommes bien avancés dans ce domaine. Il convient toutefois de porter une attention particulière aux outre-mer : quand nous atteignons 60 % d’accueil du jeune enfant en métropole, nous ne sommes qu’à 17 % en outre-mer.

L’accès aux droits est un point très important pour le conseil d’administration de la Cnaf, puisque nous nous occupons du Fonds national d’action sociale. En outre, nous devons nous assurer que le service est disponible pour toutes les familles sur l’ensemble du territoire. À ce sujet, je souhaite que la prochaine COG prévoie, sur le fonds « publics et territoires », une ligne dédiée à l’itinérance, de manière à amener vers les familles certains dispositifs de service.

S’agissant des assistantes maternelles, il n’existe pas, pour elles, de fonds de garantie de salaire, comme pour les autres salariés, mais ce n’est pas forcément à la branche famille de gérer cela.

La pénurie de professionnels de la petite enfance concerne 10 000 postes, qui ont été créés, mais qui ne sont pas pourvus. De plus, il manque de nombreux professionnels de l’animation dans les ALSH. En conséquence, des colonies de vacances ont été annulées, malgré des réservations de familles, faute de personnel. Nous devons donc nous intéresser à l’enfance, d’autant que les prestations dans ce secteur n’ont pas été revalorisées. Un effort a été porté sur la petite enfance, avec l’augmentation de la PSU, mais nous n’avons pas pu faire la même chose avec la prestation de service dédiée aux ALSH ou aux centres sociaux.

Enfin, s’agissant du transfert de la branche maladie vers la branche famille, le processus relève d’une position philosophique, mais notre préoccupation est que cela ne préempte pas la COG, alors que nous ne sommes qu’aux prémices des discussions. Nous craignons que ce qui reste ne soit affecté que sur la petite enfance. Ce serait, certes, une bonne chose en soi, mais il nous faut absolument prêter également attention à l’enfance et à la jeunesse.

M. René-Paul Savary. – Sur l’accès aux droits à la source, vous avez connu des difficultés quant aux APL avec le glissement ; 2 % d’erreurs, c’est un chiffre important, qui met les personnes en difficulté. Les discussions ont-elles avancé pour réaliser un calcul sur des données individuelles et non agrégées ? Vous êtes-vous rapprochés de l’Agirc-Arrco, spécialisée dans ce domaine, pour réduire cette marge d’erreur ?

M. Nicolas Grivel. – Pour la connaissance des ressources en vue de calculer les aides au logement, nous nous appuyons sur le système déclaratif et la déclaration sociale nominative (DSN) que remplissent les employeurs. Cela nous permet une plus grande « fraîcheur » des ressources et une plus grande contemporanéité. Précédemment, pour le calcul des APL, on prenait en compte les ressources fiscales en n-2. Inconvénient cependant, cette « fraîcheur » se combine avec des incertitudes, des erreurs et des problèmes de régularisation. Nous avons été les premiers à constater cette instabilité plus forte et plaider pour une gouvernance de la donnée plus structurée. Nous travaillons actuellement pour savoir qui fait quoi et repérer les erreurs le plus en amont possible.

L’Agirc-Arrco a intérêt à travailler avec nous. L’important est qu’il existe des régulateurs du système que nous utilisons. Il y a un potentiel d’amélioration, d’autant plus utile qu’à terme nous voulons utiliser ces données pour gérer le RSA et la prime d’activité, espérant réduire la marge d’erreur. Actuellement nous sommes sur des données très « fraîches » et du 100 % déclaratif, ce qui génère un flot d’indus et de rappels très important, sans commune mesure avec les APL. Mais les familles qui reçoivent ces prestations sont très fragiles, nous devons donc réussir à bien concilier le niveau de fraîcheur et de proximité des ressources connues et le niveau de stabilité nécessaire pour ne pas générer des indus. Lorsque nous aurons une approche plus globale, nous aurons une pression globale sur la qualité de la donnée, plus forte que sur les seules aides au logement. Nous voulons avoir une qualité optimale.

Ces outils nous apporteront des informations que nous avons actuellement des difficultés à recueillir. Il y a des erreurs importantes dans les déclarations des allocataires, dues à la complexité du dispositif, et donc un système très lourd d’indus et de rappels, qui pénalise notre relation avec le public. Notre marge d’amélioration est importante et participera à la solidarité à la source.

Mme Raymonde Poncet Monge. – Avec la déconjugalisation de l’AAH, le traitement des perdants concerne-t-il simplement les perdants du « stock » ou des perdants « en flux », créés par l’application de la loi ? Auquel cas, allez-vous essayer d’élargir la loi pour qu’il n’y ait pas de perdants « en flux » ?

M. Nicolas Grivel. – Je n’ai pas le pouvoir d’élargir la loi, mais vous l’avez ! Le perdant de la réforme est celui qui touche actuellement la prestation, et non une situation dans cinq ou dix ans.

Mme Raymonde Poncet Monge. – C’est une personne dans la même situation.

M. Nicolas Grivel. – Il a été décidé de déconjugaliser l’AAH, mais il reste des situations « en stock » à gérer, de manière transitoire.

Mme Raymonde Poncet Monge. – Certaines situations sont paradoxales.

M. Nicolas Grivel. – Le Parlement a fait un choix politique. En tant que gestionnaires, nous ne voulons pas gérer indéfiniment deux systèmes parallèles. Nous gérons le stock avant de passer sur le nouveau dispositif.

Mme Raymonde Poncet Monge. – Une proposition de loi avait été déposée...

M. Nicolas Grivel. – Oui, mais la loi a été votée ainsi.

Mme Catherine Deroche, présidente. – Nous vous remercions de votre participation.

Cette audition a fait l’objet d’une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 55.